R�publique d'Ha�ti

Ha�ti

Repiblik d'Ayiti

 

Attention : tous les sites portant sur Ha�ti et ressemblant au pr�sent site sont n�cessairement des plagiats non autoris�s de celui-ci. 

Capitale: Port-au-Prince 
Population: 10,7 millions (2015)
Langues officielles: fran�ais et cr�ole 
Groupe majoritaire: cr�ole (98 %) 
Groupes minoritaires: fran�ais (1,5 %), espagnol, anglais, arabe, chinois, etc. 
Syst�me politique: r�publique unitaire
Articles constitutionnels (langue): art. 5, 24, 40, 211, 213 et 214 de la Constitution de 1987 (modifi�e en 2011).
Lois linguistiques:
Code d�instruction criminelle (1962); D�cret sur la conservation fonci�re et l'enregistrement (1977); Loi autorisant l'usage du cr�ole dans les �coles comme langue d'enseignement et objet d'enseignement (1979); D�cret organisant le syst�me �ducatif ha�tien en vue d'offrir des chances �gales � tous et de refl�ter la culture ha�tienne (1982); D�cret sur le Code douanier (1987); D�cret portant r�vision du statut g�n�ral de la Fonction publique (2005); D�cret sur l'imp�t sur le revenu (2005); Document de strat�gie nationale pour la croissance et pour la r�duction de la pauvret� (2007); Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien (2014).

 

Avis: cette page a �t� r�vis�e par Lionel Jean, linguiste-grammairien.

1 Situation g�n�rale

Ha�ti est un �tat situ� dans la partie ouest de l'�le d'Ha�ti (ou �le d'Hispaniola) qu'il partage avec la R�publique Dominicaine (partie est). C'est la seconde plus grande �le des Grandes Antilles apr�s Cuba.

Ha�ti est donc limit� � l'est par la R�publique Dominicaine, mais bord� de tous c�t�s par l'Atlantique et la mer des Cara�bes. Le pays occupe 36 % de la surface de l'�le, soit 27 750 km� dans sa partie occidentale. On constate aussi qu'Ha�ti est form� de deux p�ninsules s�par�es par le golfe de la Gon�ve. 

Dans le golfe de la Gon�ve se trouve l'�le de la Gon�ve, la plus grande des �les situ�es au large des c�tes d'Ha�ti. Les autres �les sont (voir la carte) l'�le de la Tortue tout au nord du pays (au large de Port-de-Paix), et l'�le � Vache, au sud-ouest (au large des Cayes). 

Ha�ti est divis� en dix d�partements dirig�s par un d�l�gu� nomm� par le gouvernement: le Centre, le Nord, le Nord-Est, le Nord-Ouest, l'Artibonite, les Nippes, l'Ouest, le Sud, le Sud-Est et la Grande-Anse. La capitale, Port-au-Prince, est de loin la ville la plus importante du pays, avec 1,1 million d'habitants; elle est situ�e au fond du golfe de la Gon�ve. Les autres agglom�rations, bien plus petites, sont Cap-Ha�tien au nord, Les Cayes au sud et Les Gona�ves au nord-ouest. Rappelons que l'�le d'Ha�ti compte deux �tats: � l'est, la R�publique Dominicaine, � l'ouest, la r�publique d'Ha�ti. Notons qu'au cours de leur histoire ces deux �tats n'en ont form� qu'un seul � trois reprises. 

Ha�ti et la R�publique Dominicaine ont en commun le colonialisme europ�en et de nombreuses occupations am�ricaines, des r�gimes politiques corrompus � r�p�tition, la religion catholique m�l�e au vaudou, une descendance m�tiss�e afro-europ�enne (plus africaine qu'europ�enne en Ha�ti), de graves probl�mes de sant� publique, une sous-scolarisation et une faible productivit� agricole.

Cependant, les difficult�s d'Ha�ti sont consid�rablement plus �lev�es que celles de la R�publique Dominicaine, Ha�ti demeurant le pays le plus pauvre des Am�riques.

2 Donn�es d�molinguistiques

La population d'Ha�ti �tait estim�e � 8,3 millions d'habitants en 2005. Environ 74 % de la population vit en zone rurale. La quasi-totalit� des Ha�tiens, soit 95 %, descendent des esclaves noirs, le reste de la population �tant constitu� de Mul�tres (issus d'un m�tissage entre Africains et Fran�ais). Aujourd'hui, on estime que presque 400 000 personnes (environ 5 %) parlent le fran�ais; il s'agit d'abord d'une petite �lite de riches qui habitent soit la banlieue situ�e sur les hauteurs de P�tionville soit les principales villes de l'�le (J�r�mie, Cap-Ha�tien, Cayes, Jacmel, Gona�ves), et fr�quentent de co�teux restaurants fran�ais, ainsi qu'une petite classe moyenne plus scolaris�e. Quant au cr�ole, c'est pratiquement toute la population d'Ha�ti qui le parle comme langue maternelle.   

2.1 Le cr�ole

Le cr�ole ha�tien fait partie des cr�ole fran�ais parce que sa base lexicale provient en grande partie du vocabulaire fran�ais, bien que sa grammaire soit rest�e globalement d'origine africaine. Aujourd�hui, on distingue le cr�ole martiniquais, le cr�ole guadeloup�en, le cr�ole ha�tien, le cr�ole dominicain, le cr�ole saint-lucien, le cr�ole r�unionnais, le cr�ole guyanais, le cr�ole seychellois, le cr�ole mauricien, etc. La population cr�olophone � base fran�aise est estim�e � environ 10 millions de locuteurs, dont sept millions en Ha�ti, environ un million � l'�le Maurice, 600 000 � la R�union, 380 000 � la Martinique, 425 000 � la Guadeloupe, 70 000 aux Seychelles, etc.

Lorsque deux cr�olophones unilingues, d'origine g�ographique proche (p. ex., Ha�ti et la Martinique ou la Guadeloupe), communiquent entre eux, il arrive que l�accent, l�intonation, un nombre plus ou moins important de termes inconnus, de m�me que certains �l�ments grammaticaux et des tournures syntaxiques, peuvent entraver la compr�hension, surtout lorsque ces cr�olophones sont peu instruits. N�anmoins, m�me si l'intercompr�hension entre les cr�oles des Antilles (par ex., la Martinique) et les cr�oles de l'oc�an Indien (par ex., La R�union) est tr�s limit�e, pour ne pas dire nulle, ces langues pr�sentent des traits communs si originaux et si sp�cifiques qu'on ne peut douter d'une origine commune: la langue coloniale des XVIIe et XVIIIe si�cles. �videmment, un cr�olophone � base de fran�ais voit sa marge de compr�hension r�tr�cir consid�rablement s�il parle � un cr�olophone � base d�anglais; la compr�hension risque de se limiter � des messages extr�mement simples.

En Ha�ti, 80 % des habitants ne parlent que le cr�ole. Par cons�quent, environ 18 % des Ha�tiens parlent le cr�ole et le fran�ais (� divers degr�s). Certains habitants viennent de la R�publique Dominicaine et parlent l'espagnol ou l'anglais. Il y a un tout petit nombre de travailleurs immigrants d'origine arabe et chinoise. Cela �tant dit, le cr�ole demeure la langue qui permet � tous les Ha�tiens de se comprendre entre eux. C'est ce constat qi permettait au linguiste et grammairien ha�tien Pradel Pompilus (1914-2000) d'affirmer en 1973, dans Contribution � l��tude compar�e du cr�ole et du fran�ais � partir du cr�ole ha�tien: �Le fran�ais n�est pas notre langue maternelle; la langue de notre vie affective, la langue de notre vie profonde, la langue de notre vie pratique, pour la plupart d�entre nous, c�est le cr�ole, idiome � la fois tr�s proche et tr�s �loign� du fran�ais.� De fait, le cr�ole ha�tien est une langue tr�s vivante, qui poss�de une orthographe fix�e depuis la fin des ann�es soixante-dix. De plus en plus d'�crivains en font un usage courant. Dans les �coles, il existe des manuels en cr�ole et les �l�ves subissent des examens en cr�ole.

Le cr�ole parl� � Ha�ti n'est cependant pas uniforme. On peut distinguer trois variantes dialectales : le cr�ole du Nord (incluant Cap-Ha�tien), le cr�ole du Centre, dont la capitale Port-au-Prince, et le cr�ole du Sud. La variante la mieux consid�r�e est celle de la capitale. Beaucoup d'Ha�tiens parlent non seulement leur propre vari�t� de cr�ole, mais aussi celle de Port-au-Prince pour des raisons pratiques. N�anmoins, l'intercompr�hension entre les trois grandes vari�t�s de cr�ole ha�tien demeure relativement ais�e, malgr� les diff�rences phon�tiques ou lexicales.

Le cr�ole ha�tien est parl� aussi en dehors d'Ha�ti par les membres de la diaspora, notamment � la Martinique, � la Guadeloupe, � la Guyane fran�aise, en Floride (Miami), � New York, au Qu�bec (Montr�al), en France, etc.  

Sur le plan social, le cr�ole ha�tien n'est pas tr�s valoris�, car il est associ� � une classe �inf�rieure�. C'est le fran�ais, l'anglais ou l'espagnol qui peuvent servir de langues de prestige. Voici � cet �gard un texte r�dig� en 1978 par le ministre Joseph C. Bernard dont l'objectif �tait d'�liminer l'�litisme dont souffraient les �coles ha�tiennes:

On assiste donc � une lutte contre [sic] les deux langues, lutte li�e tout au long de l'histoire d'Ha�ti � une sorte de lutte de classe : le fran�ais, langue de la classe dominante qui fait tout pour d�nigrer et maintenir dans un �tat d'inf�riorit� la langue du plus grand nombre; le cr�ole, langue unique des masses � qui on a fini par faire croire qu'ils [sic] sont inf�rieurs � ceux qui parlent fran�ais. Il s'est donc cr�� une id�ologie diglossique tendant � consolider la superposition entre les deux langues en conflit. L'�cole a �t� le moyen le plus s�r pour asseoir cette id�ologie.

Durant plusieurs d�cennies, la direction scolaire pouvait instaurer un �syst�me de jetons� en guise de renforcement. Au cours de la r�cr�ation, un enseignant donnait un jeton aux �l�ves qui �s'oubliaient� en parlant cr�ole et, apr�s la r�cr�ation, ceux-ci �taient punis. De m�me, au cours du XIXe si�cle et durant une partie du XXe, les petits �l�ves bretons de France, qui �taient surpris � �parler breton�, devaient porter un bonnet d'�ne en guise de punition. Dans d'autres r�gions de France, il y eut le sabot de bois � porter au cou, une ardoise � porter au cou (�Je parle breton�) ou un objet quelconque destin� � faire exclure de l'�cole toute autre langue que le fran�ais, quand ce n'�tait pas pour attirer les moqueries sur l'�l�ve qui n'appliquait pas le r�glement du type �Interdit de cracher par terre ou de parler breton�. On trouvera ICI (voir le document) un petit texte (en cr�ole et en fran�ais) du D�partement ha�tien de l'�ducation qui, pour conter enfin ce pr�jug�, invitait l'�cole � valoriser le cr�ole.

Le cr�ole a un �criture, mais elle n'a pas �t� officialis�e. De plus, seuls 9 % des Ha�tiens savent �crire correctement leur langue maternelle.

2.2 Le fran�ais

Quant au fran�ais, il demeure une langue seconde pour la plupart des Ha�tiens. Les individus les moins scolaris�s ne l'apprendront � peu pr�s jamais; les plus instruits peuvent s'exprimer dans un fran�ais convenable, parfois m�me excellent et proche du �fran�ais de France�. Les Ha�tiens bilingues peuvent parler les deux langues en m�me temps, c'est-�-dire en alternance, dans une m�me phrase. Ce ph�nom�ne est appel� �alternance de code� ou �alternance codique�, ou encore "code-switching" (de l'anglais code-switching).

En g�n�ral, il est rare qu'un Ha�tien ne puisse conna�tre un minimum de fran�ais, mais pour soutenir une conversation dans cette langue il faut avoir �t� � l'�cole assez longtemps, au moins tout le primaire et une partie du secondaire. Selon certaines estimations, environ 10 % de la population ha�tienne, soit plus de 830 000 personnes, peuvent s'exprimer en fran�ais. On peut s'�tonner que le fran�ais soit encore parl� en Ha�ti, apr�s deux cents ans d'ind�pendance, mais ce serait oublier que le cr�ole ha�tien est � base de fran�ais; cette langue, en raison de ses similitudes avec le cr�ole, restera toujours plus pr�s de celui-ci que toute autre langue. Th�oriquement du moins, il appara�t plus facile pour un Ha�tien d'apprendre le fran�ais que... l'anglais. C'est un ph�nom�ne bien connu � l'�le Maurice (oc�an Indien), alors que les Mauriciens, presque tous cr�olophones (� base de fran�ais) veulent apprendre le fran�ais d'abord, l'anglais ensuite. En r�alit�, tous les Ha�tiens s'identifient au cr�ole, ensuite au fran�ais parce que c'est la langue du pouvoir (politique, administratif, �ducatif et culturel). Du fait que beaucoup d'Ha�tiens se sont install�s en R�publique Dominicaine et aux �tats-Unis, de nombreux membres de la diaspora ha�tienne parlent �galement l'espagnol ou l'anglais.

Le fran�ais est aussi la langue maternelle de quelque 1600 Fran�ais et d'autant de Qu�b�cois vivant en Ha�ti, dont 90 % demeurant � Port-au-Prince.

2.3 L'anglais

Cette sorte d'opposition entre le fran�ais et le cr�ole est toutefois en train de changer devant les avanc�es de l'anglais. Alors qu'autrefois, les Ha�tiens instruits s'installaient � Paris, aujourd'hui les Ha�tiens de la diaspora se r�fugient d'abord � New York et � Miami, puis � Montr�al (Qu�bec). Les �tats-Unis accueillent de plus en plus d'Ha�tiens qui acqui�rent l'anglais comme langue seconde, qu'ils transmettront � leurs enfants, lesquels l'utiliseront �ventuellement comme langue maternelle. La langue d'une bonne partie de la diaspora ha�tienne risque de changer � l'avantage de l'anglais. Ceux qui retourneront � Ha�ti, apr�s avoir s�journ� des ann�es aux �tats-Unis, auront acquis une autre langue. M�me le cr�ole qu'ils parlent est maintenant influenc� par l'anglo-am�ricain. L'anglais est devenu pour une partie de la diaspora ha�tienne la langue de la promotion sociale. Et cette diaspora, qui regroupe plus de deux millions d'individus, peut devenir le principal agent de la promotion de l'anglais.

Signe des temps: le chanteur populaire Wyclef Jean, qui a fait carri�re aux �tats-Unis, entendait se pr�senter aux �lections pr�sidentielles ha�tiennes de novembre 2010. Or, il ignorait le fran�ais, sa langue maternelle �tant l'anglais, et son cr�ole, plus que rudimentaire. S'il avait �t� �lu, il aurait, disait-il, chang� la Constitution pour supprimer le statut du fran�ais comme langue officielle et le remplacer par l'anglais. Bref, le �souverain� ne parlant pas la langue officielle, il la changeait tout simplement. Au bon peuple de s'adapter. Il n'aurait pas �t� le premier � agir ainsi. Lorsque Paul Kagame a pris le pouvoir au Rwanda en 2000, il a pris soin d'ajouter l'anglais comme langue co-officielle de son pays � c�t� du kinyarwanda et du fran�ais, car il ignorait le fran�ais, lui qui a v�cu toute son enfance en Ouganda, un pays officiellement de langue anglaise. Quant � Wyclef Jean, il d�sirait �liminer le fran�ais, pas seulement ajouter l'anglais. Il avait annonc� en anglais qu'il gouvernerait en cr�ole et en anglais, s'il �tait �lu:

Je vais gouverner en cr�ole et en anglais. C'est tr�s important d'avoir une personne capable de voyager partout sur la plan�te et d'entretenir une conversation avec tout le monde. Mais je m'assurerai d'avoir mon professeur de fran�ais avec moi.

Wyclef Jean faisait montre d'une belle na�vet�, mais le rappeur populaire dut faire face � un obstacle de taille: la Constitution ha�tienne interdit � un individu ayant la double nationalit� de se porter candidat � une �lection pr�sidentielle. Une telle candidature t�moignait du peu de prestige de la classe politique traditionnelle. Quoi qu'il en soit, le Conseil �lectoral provisoire a tranch� et a rejet� cette candidature, de m�me que celle de 15 autres.

Pour le moment, l'anglais ne remplacera pas le fran�ais en Ha�ti m�me, mais il risque de lui livrer une solide concurrence, surtout si les �tats-Unis maintiennent leur influence. Par exemple, les cours d'anglais de l'Institut ha�tiano-am�ricain de Port-au-Prince sont tr�s courus : l�institut est fr�quent� aujourd�hui par plus de 3100 �tudiants par semaine et il est consid�r� comme le plus s�r moyen d'obtenir un visa pour les �tats-Unis. Le campus de l'Institut ha�tiano-am�ricain compte la plus grande librairie en anglais d'Ha�ti et des salles pour l�organisation des activit�s culturelles dans cette langue. Depuis les ann�es 1980, de nombreuses �coles priv�es, dont la langue d'enseignement est l'anglais, ont pouss� comme des champignons. Ces �tablissements n'attirent pas encore les classes populaires, mais de plus en plus d'enfants de la classe moyenne les fr�quentent.

3 Donn�es historiques

� l'origine, l'�le �tait peupl�e par les Arawaks (ou Ta�nos) et les Cara�bes. Les premiers indig�nes  avaient nomm� leur �le, selon le cas, Ayiti, c'est-�-dire �Terre des hautes montagnes�, Quisqueya ou Bohio. Lorsque Christophe Colomb aper�ut cette �le pour la premi�re fois, l'�le d'Ayiti comptait probablement quelques centaines de milliers d'habitants. Christophe Colomb d�couvrit l'�le en 1492 et la baptisa Espa�ola (�l'Espagnole�) que les cartographes confondront en Hispaniola (�Petite Espagne�). L'�le d'Hispaniola fut organis�e en colonie par Bartolomeo Colomb � le fr�re de Christophe � qui fonda, en 1496, la Nueva Isabela (la �Nouvelle Isabelle�, du nom de la reine de Castille), laquelle deviendra plus tard Santo Domingo (Saint-Domingue, en fran�ais).

Les Espagnols soumirent les Arawaks et les Cara�bes � des travaux forc�s afin de les faire extraire l'or des mines. En moins de vingt-cinq ans, les populations autochtones de Santo Domingo furent compl�tement d�cim�es. Les Espagnols firent alors venir des Noirs d'Afrique pour remplacer les autochtones. Originaires de diverses ethnies, les esclaves noirs parlaient des langues africaines diverses.  Durant tout le XVIe si�cle, Santo Domingo devint la m�tropole des colonies espagnoles du Nouveau Monde. D�s que l'�le commen�a � ne plus rapporter de l'or, elle suscita moins d'int�r�t pour les Espagnols. Vers 1545, ceux-ci concentr�rent leurs efforts dans la partie orientale de l'�le qui recelait de l�or en abondance.

3.1    La colonisation fran�aise

C'est alors que les Fran�ais manifest�rent de l'int�r�t envers la partie occidentale de l'�le. D�j�, des flibustiers et des boucaniers fran�ais s'�taient �tablis sur l'�le de la Tortue au nord et tentaient p�riodiquement des incursions sur la �Grande Terre�. En d�pit des efforts des Espagnols pour repousser les Fran�ais, ceux-ci finirent par occuper la partie ouest de la �Grande Terre�. Comme la France �tait alors plus riche et politiquement bien plus puissante que l'Espagne, elle investit massivement dans l'importation d'esclaves et le d�veloppement des plantations.

- L'esclavagisme

Sous l'impulsion du ministre Colbert, la nouvelle colonie fran�aise prit son essor. La premi�re capitale, Le Cap (qui allait devenir Cap-Ha�tien), fut fond�e en 1670 par les Fran�ais. Lors du trait� de Ryswick (1697), l'Espagne reconnut � la France la possession de la partie occidentale de l'�le, qui devint alors la colonie de Saint-Domingue (la future Ha�ti), tandis que l�Espagne conservait la partie orientale qui �tait toujours appel�e Hispaniola (la future R�publique Dominicaine). Dans la partie fran�aise, Saint-Domingue, les Fran�ais continu�rent d'importer des esclaves noirs pour travailler dans les plantations de canne � sucre. Ces derniers avaient d�velopp� une langue particuli�re qui allait devenir le cr�ole.

Afin de se prot�ger des Anglais, les Fran�ais s'install�rent dans une baie et construisirent un h�pital. La capitaine de vaisseau, de Saint-Andr�, d�signa l'endroit comme le �port au Prince� parce que son navire, qui portait le nom de �Le Prince�, y demeurait en rade. Mais la r�gion continua d'�tre appel�e �H�pital�. C'est en 1749 que fut fond�e par les Fran�ais la ville de Port-au-Prince. En 1770, elle rempla�a la ville du Cap-Fran�ais comme capitale de la colonie. Pendant la R�volution fran�aise, Port-au-Prince allait �tre rebaptis�e �Port-R�publicain�, pour redevenir en 1804 la capitale du nouveau pays sous le nom de �Port-au-Prince�, qui sera impos� par l'empereur ha�tien Jacques Ier.

C'est au cours de la colonisation fran�aise que fut appliqu� le fameux Code noir, une ordonnance de Louis XIV destin�e � r�glementer le r�gime de l�esclavage et pr�cisant les devoirs des ma�tres et des esclaves. Ce Code noir, qui resta en vigueur dans toutes les Antilles, et en Guyane fran�aise jusqu'en 1848 (date de l'abolition d�finitive de l'esclavage par la France), fut rarement respect�. Bien que ce code ne trait�t pas des questions de langue, il d�pouillait l�esclave de toute son identit�. En effet, apr�s le bapt�me catholique obligatoire, l'Africain devenait un N�gre et changeait de nom, abandonnant ses habitudes vestimentaires et sa langue, puis �tait marqu� au fer rouge et affect� au travail servile. 

- Les Acadiens

En 1763, les colonies britanniques de New York, de la G�orgie et de la Pennsylvanie exp�di�rent une partie de �leurs� Acadiens vers Saint-Domingue afin de s'en d�barrasser, soit plus de 400 au total. En 1765, la colonie de la Nouvelle-�cosse exp�dia 600 de �ses� Acadiens � Saint-Domingue. Enfin, seuls quelque 220 Acadiens partirent de la France; ils s'�taient laiss� convaincre par les promesses du ministre Choiseul. En tout, plus de 1200 Acadiens furent exp�di�s dans la colonie esclavagiste de Saint-Domingue. Certains contemporains de l'�poque �valuent m�me leur nombre � 3000 individus pr�sents sur le sol de Saint-Domingue.

Malheureusement, Saint-Domingue se r�v�la un tombeau pour la plupart des Acadiens.La moiti� des 400 Acadiens de la Nouvelle-Angleterre trouv�rent la mort en raison du climat tropical, des maladies (scorbut, variole, etc.), de la malnutrition et des mauvais traitements. Il en fut de m�me pour les Acadiens de la Nouvelle-�cosse et de la France. La population chuta de moiti� en une seule ann�e. Le gouverneur de Saint-Domingue, Charles Henri Th�odat (1764-1766), mit enfin � contribution les Acadiens survivants en les faisant participer � des travaux forc�s pour la construction d'une forteresse. D�s 1765, la plupart des Acadiens demand�rent aux autorit�s de quitter l'�le. Certains r�ussirent � obtenir l'autorisation, mais d'autres s'enfuirent par leurs propres moyens. Finalement, il ne resta que quelques familles acadiennes dans l'�le.

- La r�volte des Noirs

La colonie de Saint-Domingue, qu'on appelait souvent �la Saint-Domingue fran�aise�, devint la colonie europ�enne la plus riche de tout le Nouveau Monde. � la fin du XVIIIe si�cle, la valeur des exportations de Saint-Domingue (Ha�ti) d�passait m�me celle des �tats-Unis; cette prosp�rit� reposait sur les cultures commerciales de sucre et de caf� pratiqu�es dans de grandes plantations employant pr�s de 500 000 esclaves noirs, encadr�s par quelque 30 000 Blancs. En 1789, � la veille de la R�volution fran�aise, la colonie de Saint-Domingue comptait plus de 700 000 esclaves, ce qui �tait un nombre nettement �lev� par rapport au nombre de Blancs (moins de 50 000); dans la partie espagnole de l'�le, on ne comptait que 30 000 esclaves. Les id�es de la R�volution fran�aise gagn�rent Saint-Domingue. D'abord, les �Grands Blancs� envisag�rent l'ind�pendance de l'�le; puis les �Petits Blancs� revendiqu�rent l'�galit� avec les �Grands Blancs�, tandis que les Noirs et Mul�tres libres exigeaient l'�galit� avec les �Petits Blancs�.

La r�volte des Noirs d�buta d�s 1791, alors que plus de 1000 Blancs furent assassin�s et les sucreries ainsi que les caf�teries, saccag�es. Sous la conduite de leurs chefs � Toussaint Louverture (dit Toussaint Br�da), ensuite Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Alexandre P�tion �, les Noirs men�rent une guerre de lib�ration. Craignant �de voir passer dans des mains ennemies la propri�t� de Saint-Domingue�, le repr�sentant de la Convention de Paris, le commissaire Santhonax, proclama la libert� des esclaves le 29 ao�t 1793 dans la Province du Nord, et le 4 septembre dans la Province du Sud. Le 2 f�vrier 1794, la Convention confirma cette d�claration et �tendit l'abolition de l'esclavage � toutes les colonies fran�aises.

La Convention d�clare l'esclavage des n�gres aboli dans toutes les colonies ; en cons�quence, elle d�cr�te que tous les hommes, sans distinction de couleur, domicili�s dans les colonies, sont citoyens fran�ais et jouiront de tous les droits assur�s par la Constitution.

En r�alit�, le d�cret ne devait �tre appliqu� qu'� la Guadeloupe, avant d'�tre abrog� par le premier consul (Bonaparte) en 1802. Pendant ce temps, d�s qu'avait commenc� la r�volte des Noirs en 1791, les Acadiens, qui avaient surv�cu jusque l�, s'enfuirent en Louisiane ou aux �tats-Unis. Cette fois-ci, la G�orgie les accueillit correctement � la France �tait devenue l'alli�e des �tats-Unis �, et ils purent s'installer � St. Mary's dans le comt� de Camden. L'installation des Acadiens � Saint-Domingue s'est r�v�l�e un cuisant �chec.

- Toussaint Louverture et Bonaparte
 

Toussaint Louverture, l'un des rares Noirs � savoir lire et �crire, se rallia au gouvernement fran�ais, et il fut nomm� g�n�ral de la R�publique et gouverneur de l��le. Mais la menace du r�tablissement de l'esclavage par Bonaparte amena Toussaint Louverture � reprendre les armes contre la France.

En 1801, celui-ci prit m�me possession de la partie espagnole de l'�le qu'il souhaitait rattacher � Saint-Domingue (Ha�ti). Le 29 octobre 1801, Bonaparte fera publier un arr�t� avec ces mots: �La prise de possession de la partie espagnole faite par Toussaint Louverture est nulle et non avenue� (art. 3).

En 1802, Bonaparte envoya � Saint-Domingue son beau-fr�re � celui-ci avait �pous� Pauline Bonaparte �, le g�n�ral Charles Victor Emmanuel Leclerc (1772-1802), avec 35 000 hommes et 96 navires (dont 60 pr�t�s par la Hollande), ce qui constituait la plus grande force exp�ditionnaire de l'histoire de France, avec l'ordre formel de �faire respecter la souverainet� du peuple fran�ais�. Toussaint Louverture pratiqua une politique de la terre br�l�e, une guerre d�usure, v�ritable gu�rilla usant les troupes fran�aises qui ne tenaient que la c�te. Apr�s trois mois d'une sale campagne pleine d�atrocit�s, Toussaint Louverture offrit sa reddition (le 2 mai 1802) au g�n�ral Leclerc, contre sa libert� et l'int�gration de ses troupes dans l'arm�e fran�aise. Il fut captur� par ruse le 7 juin et intern� au ch�teau-fort de Joux, dans le Jura, avec son fid�le serviteur Mars Plaisir. Pendant son incarc�ration, Toussaint Louverture fit l'objet d'une �troite surveillance et ne pouvait communiquer qu'avec son serviteur. Finalement, malade de froid, il fut trouv� mort le 7 avril 1803, assis sur une chaise. Il fut enterr� comme un obscur prisonnier dans une fosse commune au cimeti�re du village de Saint-Pierre, pr�s de la forteresse de Joux.

Le surnom de Louverture (ou L'Ouverture) lui serait venu des �br�ches� qu'il ouvrait dans les rangs de ses ennemis (fran�ais, britanniques ou espagnols). Conscient de sa valeur comme militaire, il n'avait pas h�sit� � envoyer � Bonaparte une lettre commen�ant par ces mots: �Du Premier des Noirs au Premier des Blancs.� ï¿½ Paris, on baptisera Toussaint �le Napol�on noir�. Durant son exil � Sainte-H�l�ne, Napol�on se reprocha d'avoir �t� entra�n� � soumettre la colonie de Saint-Domingue par la force. Il admit qu'il aurait �t� pr�f�rable de se contenter de gouverner Saint-Domingue �par l'interm�diaire de Toussaint�:

J'ai � me reprocher une tentative sur la colonie de Saint-Domingue pendant le Consulat. C'�tait une grande faute que d'avoir voulu la soumettre par la force. Je devais me contenter de la gouverner par l'interm�diaire de Toussaint [...]. Je n'avais fait que c�der � l'opinion du Conseil d'�tat et � celle de ses ministres, entra�n�s par les criailleries des colons, qui formaient � Paris un gros parti et qui, de plus, �taient presque tous royalistes et vendus � la cause anglaise. 

Voici ce que pensait le c�l�bre prisonnier de Sainte-H�l�ne (M�morial de Sainte-H�l�ne, chap. VI) de Toussaint Louverture:

Toussaint n'�tait pas un homme sans m�rite bien qu'il ne f�t pas ce qu'on a essay� de peindre dans le temps. Son caract�re pr�tait peu, il faut le dire, � inspirer une v�ritable confiance; il �tait fier, astucieux; nous avons eu fort � nous en plaindre; il fallut toujours s'en d�fier [...].

Le g�n�ral Leclerc �tait d�c�d� le 2 novembre 1802 de la fi�vre jaune. Avec l'aide des Britanniques et des Espagnols, la longue guerre de lib�ration de Saint-Domingue aboutit � la capitulation de l'arm�e fran�aise le 19 novembre 1803, d�cim�e par la fi�vre jaune. Dans cette guerre futile et inutile, Bonaparte avait perdu 35 000 soldats et 20 g�n�raux. Le 30 avril 1803, il vendit toute la Grande Louisiane aux �tats-Unis, parce qu'il n'�tait plus en mesure de d�fendre la colonie, ses troupes ayant �t� compl�tement an�anties. Ainsi, s'il n'avait pas envoy� son arm�e p�rir en Ha�ti, il aurait conserv� � la France la Grande Louisiane qu'il aurait pu alors d�fendre contre les Am�ricains.

- La d�claration de l'ind�pendance

L'ind�pendance de la colonie de Saint-Domingue fut proclam�e le 1er janvier 1804 et celle-ci devint officiellement Ha�ti, la premi�re r�publique noire libre. Voici la d�claration de l'Acte d'ind�pendance, r�dig�e en fran�ais:

 
Gona�ves, le 1er janvier 1804, an 1er de l'Ind�pendance
Aujourd'hui premier janvier, mil huit cent quatre, le g�n�ral en chef de l'arm�e indig�ne, accompagn� des g�n�raux, chefs de l'arm�e, convoqu�s � l'effet de prendre les mesures qui doivent tendre au bonheur du pays;
Apr�s avoir fait conna�tre aux g�n�raux assembl�s ses v�ritables intentions d'assurer � jamais aux indig�nes d'Ha�ti un gouvernement stable, objet de sa plus vive sollicitude; ce qu'il a fait par un discours qui tend � faire conna�tre aux puissances �trang�res la r�solution de rendre le pays ind�pendant, et de jouir d'une libert� consacr�e par le sang du peuple de cette �le; et, apr�s avoir recueilli les avis, a demand� que chacun des g�n�raux assembl�s pronon��t le serment de renoncer � jamais � la France, de mourir plut�t que de vivre sous sa domination et de combattre jusqu'au dernier soupir pour l'ind�pendance.
Les g�n�raux, p�n�tr�s de ces principes sacr�s, apr�s avoir donn� d'une voix unanime leur adh�sion au projet bien manifest� d'ind�pendance, ont tous jur� � la post�rit�, � l'univers entier, de renoncer � jamais � la France, et de mourir plut�t que de vivre sous sa domination.
Fait aux Gona�ves, le 1er janvier 1804, et le 1er jour de l'ind�pendance d'Ha�ti

L'appellation Ha�ti proviendrait d'un terme am�rindien ayiti, a�tij ou ahitij. Plusieurs auteurs affirment qu'il s'agit d'un d�riv� de l�arawak aetti signifiant �pierre� et lui donnent comme d�finition �terre� ou �pays� qualifi� de �pierreux�, �rocheux�, �escarp�, c'est-�-dire �terre �lev�e� ou �terre de hautes montagnes�. Il semblait aller de soi que la langue officielle resterait le fran�ais, en d�pit du fait que seulement 2 % de la population parlait cette langue. � l'�poque, le fran�ais b�n�ficiait au plan international d'un grand prestige. Son usage �tait consid�r� comme un moyen d�acc�s � la civilisation et il fallait montrer au monde que �la premi�re r�publique noire� n'�tait pas un pays �barbare�, mais ax�e sur l'Occident et ses valeurs. Il n'�tait donc pas question de verser dans l'id�ologie �nationaliste� (on dirait aujourd'hui �indig�niste�) avec des valeurs africaines. La n�gritude allait venir plus tard, apr�s 1915. Au moment de l'ind�pendance, les Ha�tiens devaient prouver au monde des Blancs qu'ils �taient tout aussi intelligents qu'eux et que leur �ducation �tait aussi respectable que celle des �pays �volu�s�.

3.2  L'ind�pendance effective

En Ha�ti, une p�riode confuse ne faisait que commencer quand on sait que, entre 1804 et 1957, quelque 24 chefs d'�tat sur 36 seront renvers�s ou assassin�s. L'�lite mul�tre s'appropria les terres des colons fran�ais, reproduisant ainsi l'ordre colonial avec quelques am�nagements de circonstance. Or, les esclaves s'�taient r�volt�s pour avoir acc�s � la terre et ils se croyaient propri�taires � la place des anciens ma�tres. L'�lite ne l'a jamais per�u ainsi: les anciens esclaves devaient devenir des travailleurs agricoles. Apr�s une diminution d�mographique due � la p�riode r�volutionnaire, Ha�ti comptait 380 000 citoyens en 1805.

C'est Jean-Jacques Dessalines qui avait expuls� les derniers Fran�ais et proclam� l�ind�pendance de Saint-Domingue devenu Ha�ti. Lors de son accession � l'ind�pendance, Ha�ti �tait encore la partie la plus riche, la plus puissante et la plus peupl�e de l'�le d'Hispaniola. Mais aucun pays n'appuya le nouvel �tat noir, qui fut abandonn� � son sort. La France ne reconna�tra Ha�ti qu'en 1838. Ce fut la seule �r�publique de n�gres� de tout le XIXe si�cle. Dessalines prit aussit�t le titre d�empereur en 1804 sous le nom de Jacques Ier. Le fran�ais fut utilis� comme langue officielle de facto, et ce, m�me si la totalit� de la population noire parlait le cr�ole. Seule l'�lite mul�tre et quelques Noirs instruits parlaient fran�ais.

Apr�s l�assassinat de Dessalines, en 1806, le pays se scinda en deux: au nord, un royaume dirig� par Henri Christophe (1767-1820), au sud une r�publique gouvern�e par un Mul�tre, Alexandre Sab�s, dit P�tion. En 1807, Henri Christophe, un ancien esclave, se proclama pr�sident et g�n�ralissime des forces de terre et de mer de l'�tat d'Ha�ti. En 1811, il se fit couronn� �roi d'Ha�ti�, mais il ne contr�la que le Nord, le fief traditionnel des factions noires radicales. Malgr� ses efforts pour promouvoir l'�ducation et codifier les lois (le �Code Henri� comme le �Code Napol�on), Henri Ier fut un roi peu populaire et son royaume entra constamment en conflit avec le Sud r�publicain.  C'est lui qui fit construire une gigantesque forteresse (citadelle) dans le but de contrer une �ventuelle attaque europ�enne.

De son c�t�, Alexandre P�tion (1770-1818), un Mul�tre, fut en principe un partisan de la d�mocratie constitutionnelle. En 1816, il se proclama �pr�sident � vie� et suspendit la l�gislature. Il d�c�da de la fi�vre jaune en 1818; son prot�g�, Jean-Pierre Boyer, lui succ�da.

Les Ha�tiens ne parvinrent � se maintenir que dans la partie occidentale de l��le. Le trait� de Paris de 1814 rattacha � nouveau Santo Domingo � l�Espagne. La dictature impos�e par l'Espagne provoqua, en d�cembre 1821, la r�volte des Dominicains qui proclam�rent � leur tour leur ind�pendance.

En 1818, Jean-Pierre Boyer, un Mul�tre, fut reconnu pr�sident sans opposition. En 1822, il annexa la partie espagnole de l'�le et gouverna toute l'�le d'Ha�ti pendant vingt-cinq ans. Son r�gne constitue jusqu'� ce jour le record de long�vit� d'un pr�sident dans ce pays. Les Ha�tiens esp�raient ainsi unifier l'�le pour se prot�ger contre les Fran�ais qui auraient pu revenir et mettre fin � l'ind�pendance. En 1825, le roi de France, Charles X, accepta de reconna�tre l'ind�pendance de la r�publique d'Ha�ti moyennant une indemnit� de 150 millions de francs-or. Le pr�sident J.-P. Boyer r�ussit � r�duire la somme � 90 millions. Pour honorer cette dette, il dut instaurer de lourds imp�ts, mais ses mesures suscit�rent une hostilit� populaire. En fait, il faudra plus de cent ans � Ha�ti pour acquitter cette �crasante cr�ance.

C'est sous la pr�sidence de Boyer que furent �mis en 1827 les premiers billets de banque, des �gourdes� (mot originaire de l'espagnol gordo signifiant �gros� ou �gras�). Ce terme r�f�rait au peso, une monnaie d'�change accept�e � l'�poque dans toutes les colonies fran�aises des Antilles. Puis l�antagonisme entre les Noirs d�Ha�ti, les Cr�oles et les M�tis hispanophones rendit le maintien de l'unit� de l��le pratiquement impossible. Une insurrection chassa en 1844 la garnison ha�tienne de Saint-Domingue et entra�na la proclamation de la �r�publique de Santo Domingo� (partie orientale). Les Dominicains ont toujours gard� de cette occupation ha�tienne un souvenir extr�mement douloureux. Pour eux, il s'agissait d'Africains qui avaient voulu les asservir. En 1843, le pr�sident Boyer d�missionna et se retira � la Jama�que, puis en France o� il termina ses jours. Fragilis�e par la menace d�une invasion ha�tienne, la nouvelle r�publique de Santo Domingo demanda l'aide de l�Espagne qui annexa � nouveau le pays (lequel redeviendra d�finitivement ind�pendant en 1865 sous le nom de Rep�blica Dominicana ou R�publique Dominicaine).

En 1849, Faustin Soulouque, un Noir, se proclama empereur (Faustin Ier) d'Ha�ti et se lan�a dans une s�v�re r�pression contre les Mul�tres; il r�gna en despote sur le pays pendant dix ans, avant d��tre renvers�, en 1859, par le Mul�tre Nicolas Geffrard, qui restaura la R�publique et gouverna le pays jusqu�en 1867. � l'�poque du gouvernement de Geffrard, la population ha�tienne �tait estim�e � 900 000 habitants. Apr�s avoir �t� mis au ban des nations, Ha�ti fut progressivement reconnu par la France, puis par le Saint-Si�ge et les �tats-Unis. 

C'est � cette �poque que commen�a le d�bat sur l'enseignement du cr�ole dans les �coles. L'article 29 de la Constitution de 1843 et l'article 34 de la Constitution de 1867 pr�cisaient cette mesure : �Les langues usit�es dans le pays seront enseign�es dans les �coles.� Le texte ne pr�cisait pas de quelles langues il s'agissait, mais il �tait �vident que c'�tait le fran�ais et le cr�ole. Cependant, cette disposition sur les langues est demeur�e sans sans effet, puisque le fran�ais est toujours rest� la langue officielle de facto et celle des gens instruits; le cr�ole �tait consid�r� comme un �patois� ou la �langue des analphab�tes�. Une Banque nationale fut fond�e en 1881. Il s'agissait d'une soci�t� anonyme fran�aise ayant son si�ge social � Paris et son principal �tablissement � Port-au-Prince. En 1910, la Banque nationale deviendra la Banque nationale de la r�publique d�Ha�ti. Vers 1900, les �valuations concernant la d�mographie varient entre 1,5 million et 2,5 millions d'habitants. On explique cette augmentation de la population par le taux �lev� de la f�condit� et par l�immigration des Noirs en provenance des �tats-Unis et des Cara�bes (Guadeloupe, Martinique, Grenade, Jama�que, etc.). Il y eut aussi des Blancs europ�ens et am�ricains qui, apr�s avoir �pous� des Ha�tiennes, s'�taient install�s dans le pays. � cette �poque, 90 % de la population ha�tienne �tait rurale.

Ha�ti fut gouvern� exclusivement par des Mul�tres jusqu'en 1910, mais les Am�ricains avaient commenc� � prendre possession du pays en construisant des voies ferr�es et en expropriant les paysans sans titres de propri�t�. Les luttes entre les diverses factions militaires reprirent de plus belle. Ha�ti connut une p�riode de grande instabilit�: entre 1908 et 1915, il y eut neuf pr�sidents. � partir de 1911, d�buta une p�riode de crise g�n�rale en Ha�ti. En 1910, la National City, une banque am�ricaine, acheta une part importante de la Banque de la r�publique d'Ha�ti.

3.3  L'occupation am�ricaine (1915-1934)

En raison de la Premi�re Guerre mondiale et de ses effets sur Ha�ti, qui allait toujours mal, Washington consid�ra qu'il valait mieux occuper le pays. En r�alit�, les Am�ricains voulaient d�fendre les int�r�ts de la banque d'affaires am�ricaine Kuhn, Loeb & Co. Le 28 juillet 1915, ils finirent par occuper militairement Ha�ti: ce fut fait lorsque le pr�sident am�ricain Woodrow Wilson envoya ses marines � Port-au-Prince. En 1918, tout le pays �tait en �tat d�insurrection. Washington mit en place un gouvernement soumis � ses volont�s et s�engagea en contrepartie � fournir � Ha�ti une aide politique et �conomique. L�administrateur am�ricain r�sidant � Port-au-Prince avait le pouvoir de veto sur toutes les d�cisions gouvernementales d�Ha�ti. Les institutions locales continuaient � �tre dirig�es par les Ha�tiens, sauf l'arm�e, les banques et les finances. C'est pourquoi 40 % des recettes de l'�tat passaient sous le contr�le direct des �tats-Unis. Au cours de cette p�riode, les Am�ricains firent adopter trois lois restreignant la libert� de presse.

Les travaux de modernisation, dont la mise en place d�une infrastructure routi�re, l'am�lioration des techniques agricoles et le d�veloppement du r�seau t�l�phonique furent acc�l�r�s. Toutefois, cette marche forc�e vers la modernit� se fit aux d�pens des couches les plus d�favoris�es de la population. Les Ha�tiens manifestaient une forte hostilit� envers l'occupant am�ricain qui n'h�sitait pas, si la situation semblait l'exiger, � fusiller des Ha�tiens par centaines � la fois. � plusieurs reprises, les paysans r�volutionnaires, appel�s les �cacos�, se soulev�rent contre le gouvernement et l'emprise des Am�ricains sur le peuple. Malgr� tout, les Am�ricains modernis�rent Ha�ti (t�l�phone, �clairage, ports, routes, etc.), d�velopp�rent un syst�me de sant� publique avec h�pitaux et dispensaires, firent cesser la corruption, stabilis�rent la monnaie nationale (la gourde), firent augmenter le taux d'alphab�tisation, am�lior�rent l'enseignement primaire ax� sur la formation professionnelle, mais cette modernisation impos�e se fit aux d�pens des institutions d�mocratiques, avec un S�nat dissous et un parlement enti�rement soumis. Par exemple, l�insurrection des �cacos�, qui se prolongea de 1916 � 1920, fut tr�s durement r�prim�e par les marines, sans avoir demand� l'avis du gouvernement ha�tien. On estime que la gu�rilla contre l'occupation am�ricaine a fait au moins 15 000 morts. De plus, pr�s de 250 000 paysans quitt�rent Ha�ti pour �migrer vers Cuba, ensuite en R�publique Dominicaine. Puis le g�n�ral Rafael Trujillo, dictateur de la R�publique Dominicaine, d�cida d'arr�ter le mouvement migratoire en faisant massacrer en 1937 plusieurs milliers d'Ha�tiens � la fronti�re.

Peu de temps apr�s le d�but de l'occupation am�ricaine, en 1918, les Ha�tiens adopt�rent une nouvelle constitution pr�cisant formellement pour la premi�re fois que le fran�ais �tait la langue officielle du pays. L'article le stipulant se lisait comme suit: �Le fran�ais est la langue officielle. Son emploi est obligatoire en mati�re administrative et judiciaire.� Selon les observateurs de l'�poque, il semble bien que cette disposition ait �t� pr�vue pour �viter que l'anglais ne remplace le fran�ais. Auparavant, il n'�tait jamais paru n�cessaire de pr�ciser quelle �tait la langue officielle du pays, le fran�ais �tant consid�r� comme faisant partie du patrimoine national. Pour ce qui �tait du cr�ole, aucune disposition n'�tait adopt�e. Sous la pr�sidence de Franklin D. Roosevelt, les �tats-Unis quitt�rent Ha�ti le 21 ao�t 1934. La fin de l�occupation, ajout�e aux cons�quences de la crise �conomique mondiale, engendra le retour � l�instabilit� et encouragea les vell�it�s dictatoriales des dirigeants locaux.

Au cours de cette p�riode d'occupation, la culture et la langue anglaises ont n�anmoins laiss� des traces dans le cr�ole ha�tien. Non seulement le cr�ole a emprunt� des mots � l'anglais, mais les commer�ants ont commenc� � apposer des affiches en anglais, pendant que les �lites cherchaient � faire instruire leurs enfants en fran�ais et en anglais. Plus tard, plus d'un million d'Ha�tiens se sont r�fugi�s au �tats-Unis, surtout en Floride, o� ils ont appris l'anglais. Cette langue est devenue en Ha�ti un nouvel instrument de promotion sociale.

3.4 La dictature des Duvalier

Arriv� au pouvoir en ao�t 1945, Dumarsais Estim�, un militant de la cause noire, fut renvers� en novembre 1949 par une junte militaire. L'exercice effectif du pouvoir resta entre les mains de l�arm�e jusqu�en septembre 1957, date � laquelle Fran�ois Duvalier, dit �Papa Doc�, un ancien membre du gouvernement d'Estim�, fut �lu pr�sident de la R�publique, gr�ce au soutien des Noirs qui voyaient en lui le moyen de mettre fin au �r�gne des Mul�tres�.

D�s le d�part, Fran�ois Duvalier imposa une politique r�pressive en interdisant les partis d�opposition, en instaurant l��tat de si�ge et en exigeant du Parlement l�autorisation de gouverner par d�crets (31 juillet 1958). Le 8 avril 1961, il pronon�a la dissolution du Parlement. 

Le r�gime s�appuya sur une milice paramilitaire, les Volontaires de la s�curit� nationale surnomm�s les �tontons macoutes�. Avec cette garde pr�torienne personnelle, Duvalier neutralisa l�arm�e, sema la terreur dans tout le pays et parvint � �touffer toute r�sistance. Profitant des rumeurs de complot, il renfor�a la r�pression et, en 1964, se proclama �pr�sident � vie�. Il exer�a jusqu'� sa mort une implacable dictature (on compta 2000 ex�cutions pour la seule ann�e 1967).

Durant toute sa vie, Fran�ois Duvalier, un champion de la n�gritude, a r�dig� ses discours uniquement en fran�ais. En janvier 1971, une modification de la Constitution permit � Fran�ois Duvalier de d�signer son fils, Jean-Claude, comme successeur. ï¿½ la mort (de fa�on naturelle) de Papa Doc, le 21 avril 1971, Jean-Claude Duvalier, 19 ans (d�o� son surnom de �Baby Doc� ou �B�b� Doc�), acc�da � la pr�sidence de la R�publique. Amor�ant une timide lib�ralisation du r�gime, Jean-Claude Duvalier appliqua par la suite une dictature dont son p�re aurait �t� fier. Puis son r�gime s'enfon�a dans la corruption et l'incomp�tence. En 1986, un soul�vement populaire renversa le fils Duvalier qui partit se r�fugier dans le sud de la France pour dilapider l'argent vol� � son peuple. Il allait revenir au pays un quart de si�cle plus tard, compl�tement ruin�; il devait d�c�der le 4 octobre 2014. Entre-temps, une nouvelle constitution fut adopt�e par le Parlement le 10 mars 1987, puis le r�f�rendum constitutionnel du 29 mars 1987 l'a approuv�e avec 99,81% des bulletins exprim�s. On y trouve, entre autres, le texte suivant � l'article 5: �Le cr�ole et le fran�ais sont les langues officielles de la R�publique.�

Toutefois, la fin de la dictature des Duvalier n'a pas signifi� la fin de la r�pression. Une junte militaire dirig�e par le g�n�ral Henri Namphy s'empara aussit�t du pouvoir. Un nouveau coup d'�tat rempla�a la junte par le g�n�ral Prosper Avril qui dirigea le pays de 1988 � 1990. Il fut accul� � la d�mission en mars 1990, ce qui ouvrit � des �lections sous contr�le international.

2.5 Le retour � la d�mocratie 

Madame Ertha Trouillot, membre de la Cour de cassation, exer�a la pr�sidence d'un gouvernement civil de transition. Jean-Bertrand Aristide, un pr�tre catholique qui s��tait fait l�avocat des pauvres, remporta la victoire en d�cembre 1990. Son accession � la pr�sidence de la R�publique redonna un peu d'espoir au peuple ha�tien, mais, en septembre 1991, il fut renvers� par une junte militaire dirig�e par le g�n�ral Raoul C�dras (1993); il se r�fugia alors aux �tats-Unis.

Apr�s que la situation politique et �conomique se fut passablement d�grad�e, les �tats-Unis d�cid�rent d'intervenir militairement. Les troupes am�ricaines d�barqu�rent en Ha�ti le 19 septembre 1994. Le 15 octobre 1994, le pr�sident Aristide fut r�tabli dans ses fonctions, qu'il laissa � Ren� Pr�val, �lu � la pr�sidence de la R�publique en 1995. Le mandat d'Aristide touchait � sa fin et la Constitution ne l�autorisait pas � en briguer un second cons�cutivement.

�lu en d�cembre 1995, Ren� Pr�val, ancien premier ministre d'Aristide, entra en fonction en f�vrier 1996. Il tenta en vain de remettre en �tat les infrastructures du pays. Le gouvernement ha�tien dut faire face � une opposition constitu�e de ses anciens alli�s. Et ce ne fut qu'apr�s deux ann�es marqu�es de graves incidents (plusieurs assassinats politiques) que le pr�sident Ren� Pr�val et cinq partis d�opposition parvinrent � un accord pour former un nouveau gouvernement. 

Des �lections l�gislatives furent organis�es pour le mois de mai 2000. En novembre de la m�me ann�e, Jean-Bertrand Aristide fut proclam� vainqueur de l��lection pr�sidentielle avec 93 % des voix, mais avec seulement 5 % de participation. Compte tenu des irr�gularit�s commises lors des �lections, le pr�sident Aristide (seconde mani�re) commen�a un mandat controvers�. Le scrutin, qui avait �t� marqu� par de multiples malversations, plongea de nouveau le pays dans une situation des plus confuses. Entretemps, le trafic de drogue d�passait les records atteints sous la junte militaire. Quant � la classe moyenne, elle n'a pas sembl� appr�cier l'ancien �petit cur�. Elle lui reprocha ses sermons, ses origines, son caract�re impr�visible et son emprise sur les masses. Ses adversaires consid�raient alors Aristide comme un dangereux d�magogue, voire le champion de la duplicit� et du vol.

Enfin, �Titid� (sobriquet), comme l'appelait le peuple, n'a jamais accept� les trois ann�es vol�es lors de son exil forc� � Washington.  Appr�hendant une nouvelle tentative de putsch, il glissa dans une d�rive autoritaire, comme bien d'autres pr�sidents avant lui! � partir des �lections de 2000, ce fut l'impasse entre le Lafanmi Lavalas, le parti du pr�sident, et l'Organisation du peuple en lutte, qui contr�lait le Parlement. C'est un v�ritable r�gime d'anarchie qui s'installa  une fois de plus en Ha�ti.

Puis, le 29 avril 2004, Jean Bertrand Aristide finit par d�missionner de la pr�sidence ha�tienne, alors qu'arrivaient les premiers marines am�ricains, avant-garde d'une force internationale envoy�e par l'ONU pour ramener l'ordre dans la capitale, Port-au-Prince. Ces forces comprenaient des troupes am�ricaines, fran�aises, canadiennes et autres en provenance des Cara�bes. Peu apr�s le d�part d'Aristide, le pr�sident de la Cour de cassation d'Ha�ti, Boniface Alexandre, annon�a qu'il assurait l'int�rim en vertu de la Constitution. � l'issue de neuf jours d'un d�pouillement chaotique, Ren� Pr�val (sobriquet �Ti-Ren�) fut finalement d�clar�, le 16 f�vrier 2006, vainqueur de l'�lection pr�sidentielle d'Ha�ti, avec 51,5 % des voix. Le jour de son investiture, le 14 mai suivant, le nouveau pr�sident d�clarait en cr�ole: �Je promets de me d�vouer � la Constitution, de respecter les lois ha�tiennes et de prot�ger la souverainet� du pays.�

2.6 Un �tat faible

Malheureusement, Ha�ti est rest� l'un des �tats les plus pauvres du monde et une partie importante de sa population survit dans des conditions extr�mement pr�caires. Le pays conna�t un ch�mage officiel de 60 % et affiche un produit int�rieur brut par habitant de 469 $ US (moins de 350 euros) par ann�e, une esp�rance de vie de moins de 50 ans pour les hommes et de 54 ans pour les femmes. Selon l'indice de d�veloppement humain des Nations unies, Ha�ti se classe 150e sur les 173 pays recens�s (mais il y en a en r�alit� 194). Pourtant, le temps presse pour redresser ce pays, car on estime que le nombre d'habitants pourrait atteindre les 20 millions en 2019. Or, 20 millions de personnes vivant dans un �tat de mis�re inacceptable, aux portes des �tats-Unis, c'est une situation constituant une bombe � retardement qu'il faut d�samorcer au plus vite. C'est que, dans l'�tat actuel des choses, Ha�ti n'a pas de r�el avenir, ou il est sans issue. Cet �tat est si pauvre et si d�muni de ressources naturelles ainsi qu'en citoyens instruits ou form�s qu'il appara�t tr�s difficile de voir pointer quelque progr�s que ce soit � l'horizon. Il n'emp�che que les Ha�tiens aiment leur pays. Ils sont encore galvanis�s par leur histoire et leur statut de �premi�re r�publique noire� du monde et obs�d�s par l'exploit de leur ind�pendance arrach�e � la France en 1804. Mais cette premi�re historique ne les a jamais rendus prosp�res ni jamais sortis de la mis�re.

Comme si ce n'�tait pas assez, Ha�ti est constamment aux prises avec des catastrophes naturelles. Selon une �tude men�e en 2006 par la Banque mondiale (Natural Disaster Hotspots : �Cartographie des catastrophes naturelles�), Ha�ti est l�un des pays les plus vuln�rables aux catastrophes naturelles. Cette extr�me vuln�rabilit� r�sulte, en plus d'un degr� �lev� de pauvret�, d�une infrastructure inadapt�e, d�un environnement d�grad� et de l'inaction d�une s�rie de gouvernements inefficaces confront�s � de graves probl�mes fiscaux et � la corruption end�mique. La convergence de ces diff�rents facteurs amplifierait l�impact et les cons�quences de toute catastrophe naturelle.

Autrement dit, les Ha�tiens, surtout la classe dirigeante, seraient aussi partie prenante de leurs propres malheurs. On l'a vu en 2004 durant la saison des ouragans, au cours de laquelle plus de 5000 Ha�tiens sont morts � la suite du passage de la temp�te tropicale Jeanne. En 2008, ce furent la temp�te tropicale Fay et les ouragans Gustav, Hanna et Ike, qui ont caus� d'importants dommages et entra�n� de nombreux d�c�s. Mais le pire attendait les Ha�tiens: le s�isme du 12 janvier 2010. Cette autre catastrophe naturelle qui a d�truit presque tout le pays, au premier chef la capitale Port-au-Prince, et occasionn� plus de 250 000 morts, 300 000 bless�s et au moins un million de d�plac�s. Le pays en aura pour dix � quinze ans � s'en remettre, et ce, gr�ce � l'indispensable aide internationale! Depuis le tremblement de terre, de nombreux habitants d'Ha�ti ont d�cid� de bannir certains mots de leur vocabulaire, comme �b�ton�, �effondrement�, �s�isme�, �fissure�, etc. On a trouv� des �quivalents imag�s tels que �l'artiste� (en redessinant la ville), �le monsieur� (par crainte ou respect) ou �cette chose-l� (en cr�ole: "bagay la").

Tous ces �v�nements ont mis en relief un �tat en pleine d�route. En temps normal, c'est-�-dire sans tremblement de terre, le gouvernement ha�tien est de toute fa�on techniquement en faillite, avec le r�sultat que les employ�s de l'�tat sont r�guli�rement priv�s de leur salaire, parfois durant des mois. Depuis longtemps, 80 % du budget de l'�tat provient de l'aide internationale, le reste de la diaspora. Apr�s le tremblement de terre, c'est l'ONU qui s'est charg�e de la s�curit� du pays; c'est une puissance �trang�re, les �tats-Unis, qui a fait atterrir les avions � l'a�roport; ce sont les �amis de J�sus� qui ont soign� les citoyens. Les ONG ont fini par prendre la rel�ve � il y en a eu plus de 900 qui ont �t� implant�es dans le pays, des plus grosses aux plus petites �, alors que le gouvernement ha�tien est demeur� invisible, d�pass� et impuissant. Le Parlement ha�tien a m�me produit un rapport provisoire condamnant l'incurie du gouvernement dans cette crise sans pr�c�dent.

L'homme le plus puissant en Ha�ti n'�tait pas le pr�sident d'Ha�ti (Ren� Pr�val, qui achevait son mandat), mais plut�t l'ambassadeur des �tats-Unis, M. Kenneth H. Merten. � voir l'imposante ambassade, �videmment demeur�e intacte lors du s�isme, et � constater l'omnipr�sence des troupes am�ricaines (plus de 16 000 soldats), il valait mieux comprendre qu'Ha�ti se trouvait sous la tutelle de Washington. Devant le mouvement de militarisation dont les �tats-Unis ont pris la t�te en Ha�ti, la communaut� internationale a exprim� ses inqui�tudes parce que cette situation aurait pu se transformer en une nouvelle ing�rence de l'Am�rique sur Ha�ti. Si tel �tait le cas, ce n'�tait surtout pas le moment de s'en plaindre, car seuls les �tats-Unis poss�daient les moyens de r�pondre � une telle situation d'urgence. Le vrai motif des Am�ricains, c'est qu'ils voulaient �viter que des dizaines de milliers d'Ha�tiens aillent se r�fugier en Floride par la mer. D'o� l'importance de l'armada am�ricaine! Le peuple ha�tien, par ailleurs, n'avait aucune confiance en son gouvernement; il voyait bien que celui-ci ne d�cidait rien et, lorsqu'il s'y risquait, c'�tait pour donner des contrats aux �ti zamis� (amis du r�gime). Les parlementaires ont condamn� la pratique du parti du pr�sident Pr�val d'utiliser des candidats clairement identifi�s dans des op�rations de distribution de vivres. La corruption, c'est tout ce que contr�le le gouvernement, celle-ci �tant, rappelons-le, l'une des gangr�nes qui rongent le pays depuis deux si�cles. Le peuple en subit les cons�quences depuis ce temps-l�.

2.7 Un avenir peu reluisant

Dans ces conditions, continuer � aider Ha�ti comme on l'a fait jusqu'� pr�sent, soit comme avant le s�isme du 12 janvier 2010, ce serait cr�er une autre g�n�ration de �mis�reux�. Depuis plusieurs d�cennies, la communaut� internationale pompe en vain de l'argent dans ce pays. C'est pourquoi il faudrait dor�navant proc�der autrement. Si la communaut� internationale r�p�tait les m�mes erreurs que par le pass�, Ha�ti aura encore besoin d'aide dans deux cents ans, et ce, avec l'appui des �lites du pays.

- Les hypoth�ses de travail

Au plan politique, il faudrait, entre autres, faire entrer des �loups� (comprendre des ��trangers�) dans la bergerie politique. Ayant depuis fort longtemps prouv� son incomp�tence, sinon sa quasi-inutilit�, l'�tat ha�tien doit, pendant quelques ann�es, �tre �troitement surveill� et compos� aussi d'Ha�tiens de la diaspora et m�me minoritairement de non-Ha�tiens (�tats-Unis, France, Canada, etc.), de fa�on � �viter la corruption qui paralyserait tout et pomperait une grande partie des milliards dans les poches des �ti zamis�.

Il faudrait �videmment reconstruire les villes, dont Port-au-Prince, avec un code du b�timent d�ment approuv� et avec des centaines d'inspecteurs (internationaux) pour surveiller les chantiers. Il faudrait aussi reconstruire les �coles et ensuite en donner un acc�s r�el gratuit � tous les enfants, sans exception, en abolissant les pots-de-vin pour les admissions et les frais cach�s hypocrites, en formant ad�quatement les enseignants, en les payant mieux et surtout r�guli�rement, et en construisant des routes praticables en tout temps; il faudrait aussi que l'�cole fournisse dans les zones rurales un repas gratuit aux enfants � l'heure du midi, sinon fournir un transport scolaire gratuit.

Il faudrait entreprendre la reforestation des sols et favoriser l'autosuffisance alimentaire en prenant soin au pr�alable de former des agronomes et de mieux �duquer les paysans, tout en leur fournissant une machinerie agricole ad�quate. Et sans aucun doute, il faudrait aussi des milliers d'autres interventions possibles!

Une fois que les nouveaux dirigeants ha�tiens se seraient appropri� les nouveaux codes d'�thique, ils pourraient poursuivre l'�uvre de reconstruction de leur pays. Rappelons cependant que, lorsque les Am�ricains occupaient Ha�ti, ils avaient tent� sans succ�s de supprimer la corruption; malheureusement, ils s'y sont mis eux aussi en constatant que c'�tait la r�gle.

En 2011, Transparency International (ou Transparence internationale), un organisme non gouvernemental international d'origine allemande, a publi� son �Indice de perception de la corruption� (IPC): Ha�ti est l'un des pays les plus corrompus du monde (en 177e place sur un total de 180 pays en 2008), venant juste avant l'Irak, le Birmanie et la Somalie, mais apr�s le Tchad, la Guin�e, le Soudan et l'Afghanistan. �videmment, il s'agit de la classe politique, non du peuple lui-m�me. Comment faudrait-il s'y prendre pour extirper la corruption incrust�e dans les mentalit�s de la bureaucratie en Ha�ti au point d'en faire quasiment une �caract�ristique culturelle�? Comment reconstruire un pays qui �tait d�j� d�moli avant le tremblement de terre, avec une population traumatis�e, extr�mement pauvre, sous-scolaris�e et sans direction politique! L'�conomie, la sant�, l'�ducation, les communications, le logement, etc., tout est d�faillant dans ce pays. Et les Ha�tiens n'ont pas de travail; la violence est partout. L'�tat ha�tien demeure impuissant.

- La �r�publique des ONG�

De fait, trois ans apr�s le s�isme de 2010, Ha�ti ne s'est pas encore relev�. Peu d'�difices publics ont �t� reconstruits. Pire, la population a �t� aux prises avec le chol�ra. Elle est aujourd'hui d�s�uvr�e, alors que plus de 1,5 million d'enfants ne sont pas scolaris�s. L'aide internationale pr�vue pour la reconstruction n'avance pratiquement pas, car tout est bloqu� en raison, notamment de l'inexistence des cadastres, la plupart �tant disparus au cours du s�isme: on ne sait m�me plus � qui appartiennent les terrains. Trente pour cent des fonctionnaires ont p�ri dans le tremblement de terre de janvier 2010. Inqui�te des risques de corruption et d'instabilit� politique, la communaut� internationale est n�anmoins responsable d'avoir affaibli le gouvernement ha�tien et d'avoir fait du pays  une �r�publique des ONG� en cr�ant des structures parall�les dans les domaines de l'�ducation, de la sant� et dans toutes sortes d'autres domaines que les Ha�tiens eux-m�mes devraient assumer.

En janvier 2013, quelque 70 % des sommes promises � Ha�ti ont �t� vers�es, ce qui est d�j� exceptionnel, car dans la plupart des crises humanitaires les �tats d�boursent moins de 50 % de ce qu�ils ont promis, l'attention se d�pla�ant ailleurs. Des 9,5 milliards de dollars d�bours�s par la communaut� internationale, seulement 579 millions ont pass� par les mains du gouvernement ha�tien et � peine 36 millions sont all�s aux organisations non gouvernementales ha�tiennes. Bref, les organisations internationales se sont install�es en Ha�ti et offrent des services que le gouvernement ha�tien devrait donner. Par le fait m�me, les ONG se substituent � l��tat ou cr�ent un �tat parall�le.

Il faut aussi savoir que l'aide humanitaire repr�sente avant tout des �occasions d'affaires� pour les entreprises des pays donateurs. Prenons l'exemple de l'ACDI, l'Agence canadienne de d�veloppement international. Cette agence exige que les programmes qu'elle finance aient �un contenu canadien�. Pour l'ACDI, la participation d'entreprises, d'organisations et de citoyens canadiens � des projets dans des pays en d�veloppement aide � projeter �une image positive du Canada�. Cette approche permet de garder pr�s de 90 % de l'aide publique dans l'�conomie du Canada. Autrement dit, l'argent est d�pens� au Canada, pas en Ha�ti. Et il ne faudrait pas croire que l'ACDI constitue une exception. C'est devenu m�me une r�gle pour les pays riches comme les �tats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, etc. Seuls les dons priv�s peuvent s'affranchir de cette contrainte. En r�alit�, les projets financ�s par les contribuables des pays donateurs servent davantage � dynamiser l'�conomie de ces pays et n'ont que peu de retomb�es �conomiques en Ha�ti.

En somme, il faudrait absolument changer les r�gles du jeu et s�assurer que l�argent circule dans les mains ha�tiennes et que les produits soient achet�s localement plut�t qu�import�s de l��tranger. Dans le cas contraire, Ha�ti ne pourra pas accro�tre sa propre capacit� pour r�pondre aux besoins de sa population et se remettre sur pied.

Les quelques 10 000 ONG pr�sentes en Ha�ti et les repr�sentants des organisations internationales font la pluie et le beau temps, pendant que les Ha�tiens sont exclus, ce qui cr�e un �tat de d�pendance envers l'aide �trang�re, ce qui favorise aussi l'inertie et l'irresponsabilit�. Au nom de la souverainet� nationale, la communaut� internationale fait comme si Ha�ti �tait un pays �normal�, avec un gouvernement en possession de ses moyens. On veut y consacrer des milliards, mais sans programme, sans aucune direction, sans coordination, en s'en remettant � un �tat exsangue qui doit r�pondre � des besoins immenses de la part d'un peuple d�sesp�r�. Jusqu'ici, l'aide internationale n'a pas donn� les r�sultats escompt�s. La question est aussi de savoir si la langue de travail de l'aide internationale, l'anglais, ne contribue pas � �vincer davantage la population ha�tienne. En somme, la mise en �uvre des projets d'aide internationale est lente et plus de 300 000 sinistr�s continuent de vivre dans le plus complet d�nuement, et ce, trois apr�s le sinistre de 2010. Ha�ti serait devenu �le pays de tous les malheurs�.

- Le �club des ex�

Alors que le pays �tait paralys� par une impasse politique et des �lections pr�sidentielles qui n'aboutissaient plus, l'ancien dictateur, Jean-Claude Duvalier, est revenu dans son pays le 16 janvier 2011, ajoutant encore davantage � la confusion, et ce, pendant qu'un autre ex-pr�sident chass� du pouvoir, Jean-Bertrand Aristide, est arriv� dans son pays le 18 mars 2011, juste avant le second tour de scrutin des pr�sidentielles.  Depuis le d�part de J.-C. Duvalier en 1986, malgr� les espoirs qu'Aristide avait soulev�s, malgr� une tutelle internationale toujours plus pr�sente, rien ne semble avoir avanc� en Ha�ti non seulement dans le domaine de la reconstruction, mais aussi aux plans de la d�mocratie, de la justice et de l'impunit�.

L'ex-chanteur populaire Joseph Michel Martelly, dit �Sweet Micky� (ou �Micky le Doux� en fran�ais), voire �Tet Kal� en cr�ole (�cr�ne ras�), a succ�d� � Ren� Pr�val, le 14 mai 2011, apr�s avoir remport� la pr�sidentielle avec 67,57 % des suffrages, loin devant sa rivale Mirlande Manigat (31,74%). Le nouveau pr�sident d'Ha�ti, le 56e pr�sident d'Ha�ti, a pris alors la t�te de l�un des pays les plus mal en point de la plan�te, avec une administration amput�e apr�s le s�isme d�vastateur du 12 janvier 2010, sans majorit� au Parlement et en proie � l�instabilit� li�e aux retours r�cents des ex-pr�sidents en exil Jean-Bertrand Aristide et Jean-Claude Duvalier (d�c�d� en octobre 2014).

Dans son discours d�investiture du 14 mai 2011, Martelly a employ� les langues officielles de son pays, alors que traditionnellement seul le fran�ais �tait utilis� dans de telles circonstances. Sur une trentaine de paragraphes, seul les trois premiers furent exclusivement r�dig�s en fran�ais, mais tout le reste le fut en cr�ole, sauf pour certaines sections ponctu�es d'expressions ou de mots fran�ais.

Sans la moindre exp�rience politique, le nouveau pr�sident Martelly devait prouver aux Ha�tiens et au reste du monde qu'il avait les qualit�s n�cessaires pour gouverner un pays dans des conditions difficiles. Quoi qu'il arrive, il ne pouvait faire pire que ses pr�d�cesseurs. Plus de huit mois apr�s son �lection, la pr�sidence de Michel Martelly �tait contest� dans son pays; beaucoup de d�put�s l'accusaient de �d�rives dictatoriales�. Au cours de plusieurs manifestations publiques, le pr�sident Martelly a eu plusieurs �changes virulents avec des citoyens en les apostrophant et les insultant publiquement. Pour plusieurs, ce genre de situation para�t indigne de la part d'un chef d'�tat, et ce, d'autant plus que ces attitudes peuvent provoquer des incidents regrettables dont le pays pourrait faire l��conomie. De plus, le pr�sident a d� faire face � un pouvoir l�gislatif ouvertement hostile, ce qui lui compliquait la poursuite des affaires.

Depuis le mois de septembre 2012, le pr�sident Martelly a �t� confront� � un mouvement de contestation qui a jet� des milliers de personnes dans la rue et qui ont d�nonc� l'absence de r�action du gouvernement face � la hausse des prix des produits de consommation. Les Ha�tiens se sont plaints que le pr�sident Martelly n'ait pas r�ussi � am�liorer leur sort, alors que leur pays figure parmi les plus pauvres au monde. Plusieurs ont r�clam� sa d�mission, un an seulement apr�s son arriv�e au pouvoir.

- L'Acad�mie du cr�ole ha�tien

L'article 213 de la Constitution ha�tienne de 1987 a pr�vu une Acad�mie ha�tienne afin de normaliser la langue cr�ole et de permettre son d�veloppement scientifique et harmonieux.

Article 213

Une Acad�mie ha�tienne est institu�e en vue de fixer la langue cr�ole et de permettre son d�veloppement scientifique et harmonieux.

Article 213.1

D'autres acad�mies peuvent �tre cr��es.

Article 214

Le titre de Membre de l'Acad�mie est purement honorifique.

Article 214.1

La loi d�termine le mode, l'organisation et le fonctionnement des acad�mies.

Un comit� d�initiative a �t� form�. Il �tait compos�, entre autres, des repr�sentants de l�Universit� d��tat d�Ha�ti, du minist�re de l��ducation nationale et de la Formation professionnelle, de la Secr�tairerie d��tat pour l�alphab�tisation, de la Facult� de linguistique appliqu�e de l'Universit� d'�tat, de la Conf�d�ration nationale des vodouisants ha�tiens et la Soci�t� d�animation et de communication sociales. Puis le S�nat a adopt� cette loi sur la cr�ation de l'Acad�mie le 10 d�cembre 2012 et la Chambre des d�put�s a fait de m�me le 23 avril 2013. Le pr�sident Michel Martelly avait fait objection � la promulgation de la loi en raison de l'absence d�une version fran�aise, car seule la version cr�ole �tait disponible, un geste hautement symbolique de la part du l�gislateur. Mais l'attitude presque timor�e du pr�sident ha�tien avait irrit� les organismes impliqu�s dans l'�laboration de la loi. Finalement, la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien a �t� publi�e dans Le Moniteur, n� 65, le 7 avril 2014, soit plus d'un an apr�s son adoption par le Parlement.

Journal officiel de la r�publique d'Ha�ti, le 7 avril 2014

Par les pr�sentes,

Le pr�sident de la R�publique ordonne que la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien, vot�e par le S�nat, le lundi 10 d�cembre 2012, et par la Chambre des d�put�s, le mardi 23 avril 2013, soit rev�tue du sceau de la R�publique, imprim�e, publi�e et ex�cut�e.

Donn� au Palais national, � Port-au-Prince, le 20 mars 2014, an 211e de l'Ind�pendance.

Par le pr�sident

Michel Joseph Martelly

C'est la premi�re fois qu'une loi ha�tienne est r�dig�e et promulgu�e uniquement en cr�ole, bien que l'avis de promulgation dans Le Moniteur (Journal officiel) soit en fran�ais. Le Conseil des acad�miciens de la langue cr�ole devait �tre institu� le 28 octobre 2014, lors de la Journ�e internationale de la langue cr�ole.

- La pauvret� end�mique

Les faits concernant la pauvret� en Ha�ti sont alarmants. En d�cembre 2012, l'Indice de d�veloppement humain (IDH) des Nations unies classait Ha�ti au 158e rang sur 177 parmi les pays les moins avanc�s au monde. Environ les trois quarts des Ha�tiens sont pauvres et vivent avec moins de deux dollars par jour. La moiti� de la population n'a pas acc�s � l'eau potable. Un tiers des Ha�tiens n'a pas d'installations sanitaires. Seulement 10 % des Ha�tiens re�oivent les services de l'�lectricit�; m�me les �coles publiques n'ont pas d'�lectricit�. Quatre-vingt-quinze pour cent de l'emploi en Ha�ti demeure dans l'�conomie souterraine, tandis que 80 % des entreprises dans les zones urbaines ont des taux de ch�mage officiels oscillant entre 50% et 70%. Le peuple ha�tien a �t� anesth�si� depuis plus de deux si�cles. Il n'a jamais pu se prendre en main.

Serait-il possible que la r�publique d'Ha�ti paie encore pour avoir �t� le premier pays noir � se lib�rer du joug de l'esclavage et de la colonisation? Depuis, Ha�ti souffre du chaos politique auquel les pays occidentaux sont intimement li�s et qui a conduit � un exode massif de son �lite. Malheureusement, les crises r�p�t�es en Ha�ti ne permettent pas de cr�er les conditions n�cessaires ni � la croissance �conomique ni � la consolidation de la d�mocratie. 

Le mandat du pr�sident Martelly prenait fin le 7 f�vrier 2014. Quelques jours plus tard, le 14 f�vrier, la communaut� internationale saluait l��lection du pr�sident int�rimaire d�Ha�ti, Jocelerme Privert, tout en rappelant qu�elle ne constitue que la premi�re �tape dans la r�solution de la crise politique caus�e par le report sine die des �lections pr�sidentielle et l�gislatives.

- Un autre pr�sident incomp�tent

Le 28 novembre 2016, Jovenel Mo�se, candidat choisi par l�ex-chef de l��tat Michel Martelly pour repr�senter le Parti ha�tien T�t Kale (PHTK), a remport� l'�lection pr�sidentielle ha�tienne au premier tour avec 55,6 % des voix. N� en 1968 � Trou-du-Nord, Mo�se est un entrepreneur et politicien ha�tien, membre du (PHTK). Alors qu�il �tait en campagne en 2015, le futur pr�sident Mo�se a fait le tour du pays en promettant mer et monde; il a cru avoir trouv� la formule miracle pour r�pondre aux besoins de la population en mettant ensemble �le soleil, la terre, les rivi�res et les hommes�. Cependant, le pr�sident Mo�se n'a pas eu la faveur populaire bien longtemps. Apr�s deux ans au pouvoir, cet ancien homme d�affaires s'est montr� incapable de livrer la marchandise. Au d�part, la communaut� internationale avait promis 10 milliards � Ha�ti � la suite du s�isme qui a frapp� le pays; on estime qu�� peine 5 % de cette somme a r�ellement �t� vers�e.

� l'�t� 2018, l�annonce d�une hausse soudaine du prix de l�essence provoqua une premi�re vague de protestations, ce qui for�a le gouvernement � revenir sur sa d�cision. Impuissant � renflouer ses coffres en laissant monter le prix du carburant, le gouvernement reporta ses vell�it�s de taxation dans d'autres secteurs avec des cons�quences quasi catastrophiques pour la population. Ainsi, le prix des denr�es les plus essentielles, comme le riz, s'est emball�, l�inflation atteignit 15%, et la devise ha�tienne perdit 40% de sa valeur. En 2019, les repr�sentants de la soci�t� civile commenc�rent � prendre leur distance du pr�sident Mo�se. Toute la grogne du pays se tourna contre celui-ci: il avait le choix de d�missionner ou bien le pays se dirigeait encore une fois vers une p�riode de grande instabilit�.

� l�aube de 2020, Ha�ti restait aux prises avec une grave crise sociale. Le pays fut paralys� par des manifestations; les routes furent obstru�es par des barricades; des groupes arm�s sem�rent la violence. L�ins�curit� est devenue telle que 70 % des �coles furent ferm�es pendant une bonne partie de l�automne de 2019. La col�re de la rue face � la corruption et � la raret� des produits de base comme le carburant devint telle que le pays se retrouva au bord de la guerre civile. En janvier 2020, faute d'avoir approuv� une nouvelle loi �lectorale, l'Assembl�e nationale fut dissoute, sans �tre remplac�e. Jovenel Mo�se se mit alors � gouverner par d�crets. Les r�alisations �conomiques du pr�sident Mo�se se sont r�v�l�es d�sastreuses, tandis que les services publics sont devenus dysfonctionnels. Bref, ce pr�sident s'est r�v�l� un incomp�tent notoire. En m�me temps, le pays �tait d�chir� par des guerres entre bandes criminelles rivales qui n'h�sitaient pas � ran�onner la population, par ailleurs d�j� tr�s pauvre. Finalement, le 7 juillet 2021, Jovenel Mo�se �tait assassin� par un groupe de commando, plongeant encore davantage Ha�ti dans le chaos.

La situation en Ha�ti est devenue telle que les solutions purement politiques sont devenues inefficaces. Il faudrait commencer par nettoyer le pays de la racaille qui paralyse les Ha�tiens. �tant donn� que l'�tat ne poss�de pas d'arm�e et que ses forces polici�res sont faibles, il n'existe aucun moyen de jeter en prison les politiciens et les fonctionnaires corrompus. De fait, la corruption est devenue tellement monnaie courante que les Ha�tiens ne cherchent m�me plus � la combattre, car ils ont abandonn� tout espoir de changement politique. Les derniers �v�nements qui se sont d�roul�s en Ha�ti constituent les sympt�mes d�un �tat incapable de gouverner. Si l'on savait d�j� qu�Ha�ti �tait un �tat d�faillant, on assiste maintenant � la d�sint�gration totale de l��tat. En effet, que ce soit la police, le syst�me judiciaire, le Parlement, la fonction publique, toutes ces institutions se sont �croul�es et d�sint�gr�es. Les dirigeants actuels ont perdu toute l�gitimit�, ce qui augmente encore les risques de chaos. Dans ces conditions, rien ne permet d'�tre optimiste.

4 Le statut du fran�ais et du cr�ole

La premi�re reconnaissance linguistique officielle n'appara�t, rappelons-le, dans la l�gislation ha�tienne qu'en 1918, au cours de l'occupation am�ricaine. Il est probable que les Ha�tiens ont voulu ainsi manifester leur opposition � la menace que repr�sentait la langue de l'occupant (l'anglais). Voici le libell� de cet article de la Constitution de 1918 (au moment de l'occupation am�ricaine): ï¿½Le fran�ais est la langue officielle. Son emploi est obligatoire en mati�re administrative et judiciaire.� Comme on le voit, la Constitution ne faisait aucune allusion au cr�ole. Les constitutions subs�quentes reprendront le m�me libell�. Mais en 1964 une nouvelle constitution (art. 35) a fait pour la premi�re fois mention du cr�ole:
 

Article 35 [abrog�]

Le fran�ais est la langue officielle. Son emploi est obligatoire dans les services publics. N�anmoins, la loi d�termine les cas et conditions dans lesquels l'usage du cr�ole est permis et m�me recommand� pour la sauvegarde des int�r�ts mat�riels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment la langue fran�aise.

La Constitution du 24 ao�t 1983 accordait (art. 62), quant � elle, au cr�ole le statut de langue co-nationale, avec le fran�ais: 

Article 62 [abrog�]

Le fran�ais est la langue officielle. Son emploi est obligatoire dans les services publics. N�anmoins, la loi d�termine les cas et conditions dans lesquels l'usage du cr�ole est permis et m�me recommand� pour la sauvegarde des int�r�ts mat�riels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment la langue fran�aise.

Les langues nationales sont le fran�ais et le cr�ole. Le fran�ais tient lieu de langue officielle de la r�publique d'Ha�ti.

C'est la Constitution de mars 1987 qui rendra co-officiels le fran�ais et le cr�ole (art. 5), mais il n'y a jamais eu de version cr�ole officielle de la Constitution. Il a fallu une initiative de la part d'un militant ha�tien pour obtenir une �traduction� cr�ole.
 

Atik 5 [en vigueur]

1) S�l lang ki simante tout Ayisyen n�t ansanm, se krey�l la.

2) Krey�l ak Franse lang Ofisy�l Repiblik Ayiti.

Article 5 [en vigueur]

1) Tous les Ha�tiens sont unis par une langue commune: le cr�ole. 

2) Le cr�ole et le fran�ais sont les langues officielles de la R�publique.

La r�publique d'Ha�ti est donc juridiquement bilingue avec le fran�ais et le cr�ole comme langues officielles. En vertu de cette proclamation, les deux langues devraient, en principe, �tre employ�es dans tous les organismes de l'�tat. En r�alit�, le bilinguisme d'Ha�ti rel�ve plus du symbole, puisque la Constitution a �t� r�dig�e uniquement en fran�ais. On le sait, toute version cr�ole du texte constitutionnel ne rel�ve que d'initiatives personnelles de la part de traducteurs b�n�voles ou de bonne volont�.

L'article 213 de la Constitution a pr�vu une Acad�mie ha�tienne afin de normaliser la langue cr�ole et de permettre son d�veloppement scientifique:

Atik 213 [en vigueur]

Yo kreye Akademi Ayisyen. Li gen misyon pou li bay lang Krey�l la jar�t pou li fikse epi pou li ba li tout mwayen lasyans pou li devlope n�mal.

Article 213 [en vigueur]

Une Acad�mie ha�tienne est institu�e en vue de fixer la langue cr�ole et de permettre son d�veloppement scientifique et harmonieux. 

Cette acad�mie n'a vu le jour qu'en 2014. Par contre, il existe depuis longtemps une acad�mie ha�tienne de police, une acad�mie ha�tienne des sciences et des arts, mais aucune acad�mie ha�tienne de la langue cr�ole. Il faut comprendre que le bilinguisme institutionnel d'Ha�ti est fondamentalement diff�rent de celui institu�, par exemple, au Canada, lequel compte deux groupes linguistiques principaux, les anglophones et les francophones. Ha�ti, pour sa part, ne comprend qu'un seul peuple, qui parle le cr�ole, car le fran�ais est une langue h�rit�e du colonialisme et n'est parl� que par ceux qui ont fr�quent� l'�cole assez longtemps. Au Canada, les deux langues officielles sont des langues maternelles parl�es par la grande majorit� des habitants. La situation d'Ha�ti se compare davantage � celle du Burundi et du Rwanda; dans ces deux pays, le fran�ais est co-officiel, mais la population parle le kirundi (Burundi) ou le kinyarwanda (Rwanda).

On peut consulter des extraits de la Constitution ha�tienne, sous sa forme bilingue fran�ais-cr�ole, en cliquant ICI. Notons que la traduction cr�ole est de P�l Dejan (Paul Dejean; il ne s'agit nullement d'une version officielle.

5 La l�gislation ha�tienne

La l�gislation est pratiquement muette en ce qui concerne l'emploi des langues en Ha�ti. En fait, � part l'article 5 de la Constitution de 1987, les textes juridiques portant quelque peu sur cette question sont surtout contenus dans le Code rural et le Code du travail h�rit�s du r�gime Duvalier. Ces codes sont aujourd'hui d�suets et incompr�hensibles pour la tr�s grande majorit� de la population. En fait, la �l�gislation linguistique� la plus importante concerne le domaine de l'�ducation et la justice: le Code d�instruction criminelle (1962), le D�cret sur la conservation fonci�re et l'enregistrement (1977), la Loi autorisant l'usage du cr�ole dans les �coles comme langue d'enseignement et objet d'enseignement (1979), le D�cret organisant le syst�me �ducatif ha�tien en vue d'offrir des chances �gales � tous et de refl�ter la culture ha�tienne (1982), le D�cret sur le Code douanier (1987), le D�cret portant r�vision du statut g�n�ral de la Fonction publique (2005), le D�cret sur l'imp�t sur le revenu (2005) et le Document de strat�gie nationale pour la croissance et pour la r�duction de la pauvret� (2007).

Le programme p�dagogique diffus� par le minist�re de l'�ducation nationale (1987-1988) d�finissait les r�les respectifs du cr�ole et du fran�ais dans la formation fondamentale des enfants et leur place dans le syst�me scolaire (niveau primaire). La fonction instrumentale du cr�ole, premi�re langue nationale, dans le processus d'apprentissage est de jouer �un r�le d'int�gration sociale et culturelle�; il constitue �galement �la base sociolinguistique de l'unit� nationale�. Quant au fran�ais, il devient la seconde �langue nationale� des Ha�tiens: �Sa place privil�gi�e dans le programme de l'�cole fondamentale au m�me titre que le cr�ole vise � l'instauration d'un bilinguisme �quilibr�. L'enseignement du fran�ais doit permettre notamment l'acquisition des connaissances scientifiques et l'acc�s � la culture universelle.

6 La politique linguistique

Les pratiques administratives h�rit�es de la France ont toujours favoris� le fran�ais aux d�pens du cr�ole. C'est pourquoi le fran�ais est demeur� la langue prestigieuse, le cr�ole, la langue du peuple. On peut se demander si les dispositions constitutionnelles en mati�re de langue ont permis une extension de l'usage du cr�ole � des fins officielles.

6.1 La l�gislation et la justice

Au Parlement ha�tien, le fran�ais et le cr�ole sont effectivement utilis�es par les d�put�s, mais le fran�ais demeure tr�s nettement pr�dominant; il arrive parfois qu'un m�me parlementaire emploie les deux langues alternativement. Les textes de lois sont presque tous r�dig�s et promulgu�s exclusivement en fran�ais; n�anmoins, certains d'entre eux peuvent tr�s exceptionnellement �tre traduits en cr�ole. Rappelons, une fois de plus, qu'il n'existe m�me pas de version officielle de la Constitution en cr�ole. Diverses consid�rations politiques interviennent de sorte que le cr�ole n'obtient presque aucune place dans les documents juridiques. Il faut aussi remarquer que, le pays �tant demeur� tr�s d�muni �conomiquement, un organisme officiel de traduction relevant de l'�tat � du type au Canada d'un �Bureau de la traduction� (ou �Translation Bureau�) � ne semble pas constituer une priorit� en Ha�ti. 

En ce qui a trait aux tribunaux, les d�lib�rations peuvent se d�rouler en cr�ole, mais les proc�s-verbaux ne paraissent qu'en fran�ais; hors de la capitale, les juges utilisent en priorit� le cr�ole. Pr�cisons que les articles 24.2 et 24.3 de la Constitution traitent des arrestations et des d�tentions. Selon l'article 24.3 (par. a), il faut qu'on exprime formellement, en cr�ole et en fran�ais, les motifs de l'arrestation ou de la d�tention: 

Atik 24.2

Depi yo pa kenbe yon moun nan men, yo pa gen dwa arete li, ni mete li nan prizon. F�k se yon manda moun ki plase pou sa a voye ba li.

Atik 24.3

Men sa manda-a dwe genyen pou yo ka egzekite li:

a) F�k manda a di akl�, an krey�l an franse, rezon pou arete moun nan osinon pou mete li nan prison, epi ki lwa ki pini sa yo repwoche li a.

Article 24.2

L'arrestation et la d�tention, sauf en cas de flagrant d�lit, n'auront lieu que sur un mandat �crit d'un fonctionnaire l�galement comp�tent. 

Article 24.3:

Pour que ce mandat puisse �tre ex�cut�, il faut: 

a) Qu'il exprime formellement en cr�ole et en fran�ais le ou les motifs de l'arrestation ou de la d�tention et la disposition de loi qui punit le fait imput�; 

Mentionnons aussi le Code d�instruction criminelle (1962) qui, dans son article 332, pr�voit le recours � un interpr�te lorsque les justiciables ne parlent pas la m�me langue:

Article 332

Dans le cas ou l'accus�, les t�moins ou l'un d'eux ne parleraient pas la m�me langue ou le m�me idiome, le doyen du tribunal criminel nommera d'office, � peine de nullit�, un interpr�te �g� de vingt-et-un ans au moins, et lui fera, sous la m�me peine, pr�ter serment de traduire fid�lement les discours � transmettre entre ceux qui parlent des langages diff�rents.

L'accus� et le commissaire du gouvernement pourront r�cuser l'interpr�te, en motivant leur r�cusation.

 6.2 Les services publics

Dans les services publics, le fran�ais est la premi�re langue employ�e tant par les fonctionnaires que par le citoyen � la condition que ce dernier connaisse le fran�ais; une fois �tablie, la communication peut se poursuivre uniquement en cr�ole. Un cr�olophone unilingue se fait toujours servir dans sa langue maternelle, mais la plupart des documents �crits ne sont r�dig�s qu'en fran�ais. Certaines missives ou communiqu�s d'extr�me importance peuvent n�anmoins �tre traduits en cr�ole.

L'article 78 du D�cret sur la conservation fonci�re et l'enregistrement (1977) mentionne que tous les documents en langue �trang�re devant �tre d�pos�s au registre foncier doivent �tre accompagn�s d'une traduction, mais le texte ne pr�cise pas dans quelle langue. On peut croire qu'il s'agit du fran�ais:
 

Article 78

Aucun notaire, greffier, huissier ou autre officier public ne pourra faire ou r�diger un acte, en vertu d'un acte sous signature priv�e ou d'un acte pass� en pays �trangers, en faire note ou mention, l'annexer � ses minutes, le recevoir en d�p�t, ni en d�livrer extrait, copie, exp�dition ou collation si cet acte n'a �t� pr�alablement enregistr�, sous peine de dix gourdes d'amende et de r�pondre personnellement du droit. Sont except�s :

1. Les traductions des actes r�dig�s en langue �trang�re qui devront toujours �tre pr�sent�es � l'enregistrement en m�me temps que lesdits actes. Le sceau de l'enregistrement sera appos� tant sur l'acte original que sur la traduction.

L'article 166 du D�cret sur le Code douanier (1987) pr�cise, pour sa part, que c'est le fran�ais:
 

Article 166 (modifi� comme suit par le d�cret du 13 septembre 1990) 

La
d�claration sera dactylographi�e en langue fran�aise, sans rature, ni surcharge. Elle comprendra tous les colis � �tre port�s sur le connaissement d'exportation et devra �tre accompagn�e des pi�ces suivantes pour �tre recevable :

- Le permis d'exportation, d�livr� par le minist�re du Commerce et de l'Industrie;
- L'attestation d'exportation, vis�e par la Banque de la r�publique d'Ha�ti;
- Et toutes les autres pi�ces et informations que la douane jugera bon d'exiger, soit pour son contr�le, soit en conformit� avec d'autres lois, r�glements ou circulaires en vigueur.

Il en est ainsi � l'article 89 du D�cret portant r�vision du statut g�n�ral de la Fonction publique (2005):
 

Article 89

Les fonctionnaires sont regroup�s en quatre cat�gories d'emplois d�sign�es par ordre d�croissant
� partir des quatre premi�res lettres de l'alphabet fran�ais. Il s'agit des corps de cat�gories A, B, C et D.

Toutefois, l'article 44 du D�cret sur l'imp�t sur le revenu (2005) accepte que les documents soient r�dig�s en fran�ais ou en cr�ole:
 

Article 44

Dans un d�lai n'exc�dant pas les quatre-vingt-dix (90) jours qui suivront la date de cl�ture de leur ann�e financi�re, les contribuables vis�s � l'article 43, sont tenus de faire parvenir, � l'office de la Direction g�n�rale des imp�ts (DGI) le plus proche du lieu de leur �tablissement, leurs �tats financiers en conformit� avec les principes comptables g�n�ralement reconnus par l'�tat Ha�tien, figur�s dans le Plan comptable national et selon les normes internationales de comptabilit�. Ces �tats financiers comprennent : le bilan, l'�tat des revenus et d�penses, l'�tat de l'�volution de la situation financi�re, les notes et autres annexes aux �tats financiers, incluant le relev� des immobilisations, amortissements et provisions ainsi que celui des comptes relatifs aux op�rations en portefeuille ext�rieur, le tout exprim� en gourde ha�tienne en indiquant le taux de conversion, s'il y a lieu.
Toutes ces pi�ces devront �tre r�dig�es en fran�ais ou en cr�ole. Ces �tats financiers seront accompagn�s des d�clarations r�capitulatives pr�vues � l'article 7 du pr�sent D�cret.

Il ne faut pas croire l'�tat ha�tien est devenu subitement bilingue, il s'agit uniquement d'une fa�on pour le gouvernement d'esp�rer que les contribuables paient plus facilement leur imp�t en cr�ole qu'en fran�ais.  �videmment, il n'en est rien. Peu de contribuables sont suffisamment solvables au point de payer un quelconque imp�t.

6.3 L'�cole

En principe, l'�tat offre gratuitement l'instruction � tous les degr�s dans les �coles publiques dites nationales. Celles-ci comptent des �coles primaires rurales et des �coles primaires urbaines, puis des �coles professionnelles, des �coles secondaires, des lyc�es et des coll�ges et enfin des �coles sup�rieures (universit�s). L'instruction primaire est th�oriquement obligatoire.

- L'�ducation primaire : le fran�ais et le cr�ole

Dans les six ann�es du primaire, le fran�ais et le cr�ole constituent les deux langues d'enseignement � �galit�, th�oriquement du moins. L'enseignement du cr�ole en Ha�ti trouve son fondement juridique dans la loi du 18 septembre 1979. Cette loi importante autorisait l'usage du cr�ole comme langue �crite et parl�e dans l'enseignement.

Les enfants re�oivent leur enseignement tant�t en fran�ais, tant�t en cr�ole. Il s'agit d'un enseignement bilingue, mais les pratiques scolaires ne semblent pas uniformes. Selon les villes, les villages, les quartiers ou les enseignants eux-m�mes, la langue d'enseignement peut �tre presque exclusivement le fran�ais ou presque exclusivement le cr�ole. Ainsi, dans la capitale, l'enseignement se fait surtout en fran�ais; dans les petites villes et les villages de province, il se fait en cr�ole; dans les �coles des milieux favoris�s de la capitale, on n'enseigne qu'en fran�ais. Dans toutes les �coles, les manuels scolaires sont presque tous r�dig�s en fran�ais, � l'exception des grammaires du cr�ole. Au secondaire, le fran�ais b�n�ficie de sept ou huit heures d'enseignement, contre une seule pour le cr�ole. 

En tout �tat de cause, le bilinguisme fran�ais-cr�ole n'est pas ce qu'on appelle un �bilinguisme �quilibr�, au contraire. Alors que le cr�ole est une langue � usage oral et informel, le fran�ais reste la langue destin�e aux usages formels et � l��criture. C'est ce que les linguistes appellent une diglossie. Ce contexte est d�crit ainsi par le linguiste Vernet Luxana: �La diglossie est un n�ologisme qui d�signe la coexistence dans une m�me communaut� de deux vari�t�s de langue g�n�tiquement apparent�es dont l�une baptis�e "vari�t� haute" et l�autre "vari�t� basse". Ces deux vari�t�s de langue entretiennent des relations hi�rarchiques et assument des fonctions sp�cialis�es et des domaines d�emploi diff�rents� (voir la bibliographie, p. 47).

- Les �coles priv�es

Il existe en Ha�ti de nombreuses �coles priv�es, lesquelles appliquent les programmes d'�tudes arr�t�s par le secr�taire d'�tat de l'Instruction publique. Ces �coles b�n�ficient d'un grand prestige, mais elles sont parfois tr�s ch�res pour une famille ha�tienne. Les droits de scolarit� varient �norm�ment selon qu'il s'agit d'une petite �cole rurale ou d'une imposante �cole priv�e de Port-au-Prince. Dans une �cole r�put�e, le co�t annuel est d'un peu plus de 800 dollars US (env. 580 euros). Or, le salaire annuel moyen pour les femmes est 1146 $ US (ou 835 euros) et de 2195 $ US (1600 euros) pour les hommes. Avec deux enfants � l'�cole priv�e, une famille est vite accul�e � la ruine. D'apr�s l�UNICEF, la moiti� des enfants en �ge d�aller � l��cole fr�quentaient des �coles priv�es avant le tremblement de terre. Souvent, les parents envoient leurs enfants dans ces �coles parce qu�il n�y a pas assez de places dans les �tablissements publics. La corruption �tant ce qu'elle est, il faut souvent payer quelqu�un travaillant dans une �cole publique pour faire admettre son enfant. Or, les pots-de-vin peuvent co�ter plus cher que les droits de scolarit� dans une �cole priv�e.

C'est ce qui explique qu'environ 90 % des �coles primaires sont des �coles priv�es (plus de 10 000), donc non soutenues financi�rement par l��tat ha�tien. Parmi ces �coles, 33 % sont de confession protestante, 29 % sont la�ques, 24 % de confession catholique et 12 % sont autres (ind�termin�es). Dans la plupart des pays du monde, l'�ducation est consid�r�e comme un service public dont l'�tat assume la responsabilit�. Mais en Ha�ti ce sont les entreprises priv�es qui dominent de plus en plus le monde de l'enseignement. L'�tat occupe un r�le secondaire dans l'�ducation et sa gestion. Il ne prend que faiblement en charge les frais reli�s � ce domaine, puisque les co�ts sont acquitt�s, selon le Fonds d'assistance �conomique et sociale (FAES), � 85 % par les familles. La participation de l'�tat est minoritaire m�me dans la formation et la r�mun�ration des enseignants.

- Les probl�mes du syst�me d'�ducation

Selon le Bilan commun de pays pour Ha�ti, une �tude publi�e en 2000 par les Nations unies et le gouvernement ha�tien, un tiers des enfants d'�ge scolaire n'avait pas acc�s � l'�cole. Qui plus est, seule une faible minorit� d'enfants devrait demeurer � l'�cole au moins quatre ann�es cons�cutives. Quant aux installations, la majorit� des �coles sont improvis�es dans des b�timents qui n'ont pas �t� con�us � cette fin. Avant le s�isme du 12 janvier 2010, � peine 21 % d'entre elles disposent de l'�lectricit� et 42 % b�n�ficient de l'eau courante. Depuis le s�isme, quelque 4000 �tablissements d'enseignement ont �t� d�truits uniquement � Port-au-Prince. Les classes ont repris dans des abris temporaires, g�n�ralement des tentes. De plus, il faut faire dispara�tre des montagnes de d�bris avant d'installer les tentes. Il faut aussi pr�voir des latrines, un approvisionnement en eau potable, etc. Dans sa grande sagesse, la communaut� internationale a d�cid� qu'il fallait construire rapidement des �coles pour renvoyer les �l�ves sur les bancs d'�cole. On a donc construit ici et l� des �coles avec des toits de t�le en plein soleil ! Quand on sait que le changement dans un pays comme Ha�ti ne peut se faire que par l'�ducation, on reste perplexe.

Plus de 70 % de la population est analphab�te et 500 00 enfants ne vont pas aller � l'�cole, faute de moyens. Par comparaison, le Nicaragua est tout aussi pauvre, mais il compte beaucoup moins d'analphab�tes. L'�tat ha�tien ne d�bourse que 13 % des montants associ�s � l'�ducation, le reste �tant assum� par les parents. Si l'�cole en Ha�ti est obligatoire, elle n'est pas vraiment gratuite, et de moins en moins publique. La qualit� variable de l'enseignement, les probl�mes de malnutrition, les pi�tres conditions mat�rielles, l'analphab�tisme des parents (au moins de 70 %), l'absence de biblioth�ques publiques ou scolaires, l'�loignement des �coles et l'absence d'�lectricit� dans les foyers sont d'autant d'�l�ments responsables du taux de scolarisation peu �lev�.

Or, l'�lite ha�tienne a toujours consid�r� que l'�ducation, comme les soins de sant�, �tait un privil�ge r�serv� � une minorit�, non un droit pour tous. La plupart des Ha�tiens voudraient bien s'instruire, mais ils ne le peuvent tout simplement pas. Bon nombre d'entre eux ont honte d'�tre analphab�tes, mais s'instruire dans ce pays ne d�pend apparemment pas uniquement de soi, avec un syst�me aussi pourri.

Comme l'�tat n'a aucun moyen pour prendre des dispositions permettant � tous de s'instruire, il est accul� � un r�el cul-de-sac. Sur 1000 �l�ves inscrits au primaire, 900 abandonneront l'�cole avant la fin de leurs �tudes. Les causes sont multiples et pas toutes d'ordre p�dagogique: infrastructures inexistantes ou d�su�tes, programmes mal adapt�s, enseignants mal form�s, distances � parcourir trop longues dans les zones rurales, chemins impraticables par mauvais temps, absence d'�lectricit� dans les �coles et � la maison, manque d'�quipements scolaires ad�quats, p�nurie de manuels, sous-alimentation de plusieurs �l�ves, etc. Le proverbe Ventre affam� n'a pas d'oreilles traduit bien ce qui se passe dans ce pays; il correspond � la maxime cr�ole Sak vid pa kanpe (�sac vide pas camp� debout�) ou encore Celui qui n'est pas nourri ne tient pas sur ses pieds.

En 2012, l'�tat ha�tien a r�ussi � introduire l��ducation gratuite au niveau primaire; quelque 1,27 million d�enfants fr�quenteraient maintenant l��cole publique sans frais. Ha�ti compte cinq millions d'enfants d'�ge scolaire. L'ambition du Pr�sident Martelly serait que, � la fin de son mandat, tous les enfants ha�tiens aillent gratuitement � l��cole. La scolarisation universelle et gratuite pr�n�e par le pouvoir est li�e � plusieurs autres aspects tels la formation des professeurs, la construction d��coles et l�am�lioration de la qualit� de l��ducation. Or, ces objectifs sont loin d'�tre atteints. N�anmoins, l'�tat aurait distribu� plus de 974 000 kits scolaires pour l�ann�e scolaire 2012-2013. Plus de 230 autobus assureraient le transport des �l�ves dans les dix d�partements; vingt autres devraient �tre ajout�s. De plus, l'�tat assureraient la formation de plus de 11 000 nouveaux professeurs. Si l'on fait fi des pol�miques soulev�es par la m�thode du pr�sident ha�tien, il demeure l�gitime de s'interroger sur les objectifs et le contenu de son programme d��ducation universelle, notamment sur les conditions du succ�s et l�efficacit� de ce programme de scolarisation de masse, un an apr�s sa mise en �uvre. N'oublions pas que ce programme est mis en �uvre en l�absence de tout cadre l�gislatif et r�glementaire, notamment en ce qui a trait � la collecte et l�affectation des fonds. Pour les partis d'opposition, cette politique du pr�sident Martelly serait un leurre. Il faudrait expliquer comment l'�tat ha�tien va s'y prendre pour envoyer cinq millions d'enfants � l'�cole avec des revenus en perp�tuel d�ficit. Ha�ti demeure l'un des pays ayant les plus faibles taux de scolarisation au monde. En effet, le taux d'analphab�tisme s��l�ve � 37,9 %. Seulement 50 % des enfants d'�ge scolaire sont inscrits � l��cole. De plus, � cause du redoublement fr�quent, 50 % des enfants qui fr�quentent l��cole sont plus �g�s que l��ge pr�vu pour leur classe.

Il n'en demeure pas moins qu'au moins 20 % des �coles ont l'�lectricit�, 39 % disposent d'eau potable et 15 % poss�dent une biblioth�que. L�intervention de l��tat ha�tien dans le domaine de la construction d��coles a toujours �t� insuffisante.

- L'enseignement du cr�ole

En 1979, alors que Jean-Claude Duvalier, dit �B�b� Doc�, �tait pr�sident d'Ha�ti, le gouvernement trouva un(e) coupable pour expliquer le probl�me li� � l'analphab�tisme r�voltant dans le pays: la langue fran�aise. D�s lors, le cr�ole fut per�u comme le rem�de inesp�r� pour rem�dier � la situation. Il fallait �d�chouquer le fran�ais� (l'�extirper� ou le �d�raciner�) de la t�te des futurs alphab�tis�s en cr�ole ha�tien. Ce fut la c�l�bre �r�forme Bernard�, du nom du ministre Joseph C. Bernard qui voulait �liminer l'�litisme dont souffraient les �coles ha�tiennes. Le premier objectif de la r�forme de 1979 �tait d'�radiquer l'analphab�tisme. L'article 1er de la loi du 18 septembre 1979 stipulait:

Article 1er

L'usage du cr�ole, en tant que langue commune parl�e par les 90 % de la population ha�tienne, est permis dans les �coles comme instrument et objet d'enseignement.

Afin de r�duire les r�ticences � l'enseignement du cr�ole, le ministre Bernard pr�cisait: �Dispenser l'enseignement en cr�ole ne signifie pas renoncer au fran�ais. Les deux langues sont enseign�es en m�me temps: le cr�ole comme langue maternelle et le fran�ais enfin abord� comme langue �trang�re.� 

Le second texte de loi, en date du 30 mars 1982, ayant trait au cr�ole comme langue d'enseignement est le D�cret organisant le syst�me �ducatif ha�tien en vue d'offrir des chances �gales � tous et de refl�ter la culture ha�tienne. Ce d�cret de Jean-Claude Duvalier d�finit les objectifs g�n�raux de l'�ducation, les dispositions communes et les dispositions particuli�res aux diff�rentes structures d'enseignement et de formation. Le chapitre IV porte sur l'usage des langues dans l'enseignement fondamental. Les articles 29, 30 et 31 concernent la langue d'enseignement:

Article 29

Le cr�ole est langue d'enseignement et langue enseign�e tout au long de l'�cole fondamentale.

Le fran�ais est langue enseign�e tout au long de l'�cole fondamentale et langue d'enseignement � partir de la 6e ann�e.

Article 30

En 5e ann�e de l'enseignement fondamental, l'enseignement du fran�ais est renforc� en vue de son utilisation comme langue d'enseignement en 6e ann�e.

Article 31

Un plan d'�tude fixe de fa�on pr�cise l'articulation p�dagogique pour chaque cycle et chaque ann�e en rapport avec les dispositions des articles 34 et 35.

Dans tous les cas, � partir de la 6e ann�e, le volume horaire r�serv�, soit au fran�ais, soit au cr�ole, dans le plan d'�tude d'enseignement, ne peut �tre inf�rieur � 25 % de l'horaire hebdomadaire.

Dans tous les cas, � partir de la 6e ann�e, le volume horaire r�serv�, soit au fran�ais, soit au cr�ole, dans le plan d'�tude d'enseignement, ne peut �tre inf�rieur � 25 % de l'horaire hebdomadaire.

Quant � l'article 35, il est particuli�rement important, car il limite l'application du d�cret. Il se lit comme suit:

Article 35

Les dispositions du pr�sent d�cret entreront en application d�s sa publication et au fur et � mesure de l'implantation de la r�forme.

L'introduction du cr�ole devait �tre l'enjeu principal de la r�forme en �ducation.  Mais l'�tat ha�tien n'introduisit le cr�ole comme langue d'enseignement et comme discipline qu'en 1982 par un d�cret minist�riel, puis comme langue officielle, � c�t� du fran�ais, dans la Constitution de 1987. La r�forme de 1979 peut �tre pr�sent�e sommairement par le tableau suivant:

Niveau Objectifs
Premier cycle
Quatre ans: 6 � 9 ans
Alphab�tisation dans la langue cr�ole.
Deuxi�me cycle
Deux ans: 10 � 11 ans
Orientation et approfondissement des exp�riences.
Initiation � la langue fran�aise (orale et �crite).
Troisi�me cycle
Trois ans: 12 � 14 ans
Approfondissement du fran�ais et initiation aux langues vivantes �trang�res. Orientation: fili�re classique et fili�re technique/professionnelle.

Au cours du premier cycle du primaire (quatre ans), l'�l�ve re�oit en principe, si l'horaire est respect�, 752 heures d'enseignement du fran�ais et 763 heures d'enseignement du cr�ole. Au total, 1515 heures devraient �tre consacr�es � l'enseignement des deux langues.
 

C'est depuis cette �poque que le cr�ole est devenu obligatoire dans les quatre premi�res ann�es du primaire. �videmment, ce n'est pas le statut de la langue fran�aise qui �tait responsable de la mauvaise qualit� du syst�me d'�ducation, mais bien l'�tat ha�tien. Dans les trente ann�es qui ont suivi la r�forme, le taux d'analphab�tisme est demeur� stable. En 2001, le pr�sident Aristide annon�a une nouvelle campagne d'alphab�tisation, mais elle ne vit jamais le jour. Le livre Le cr�ole ha�tien de poche de l'�diteur Assimil n'est pas utilis� dans les �coles, mais la seule parution de l'ouvrage t�moigne de la vitalit� de cette langue. Dans la m�me collection, il existe aussi Le cr�ole guadeloup�en, Le cr�ole martiniquais, Le cr�ole guyanais, Le cr�ole cap-verdien, Le cr�ole mauricien, Le cr�ole r�unionnais, sans oublier Le cr�ole sans peine.

Malgr� les mesures prises par le gouvernement, la pratique qui r�gissait l'in�galit� des chances pour l'acc�s � l'�cole n'a jamais chang�. Les �lites ha�tiennes ont toujours utilis� l'�cole comme instrument de reproduction des in�galit�s sociales. Le fait d'enseigner le cr�ole dans les �coles n'a donc pas modifi� la situation. Au lieu d'alphab�tiser un petit nombre d'enfants, il suffisait maintenant de dispenser un enseignement � un plus grand nombre de fa�on � s�lectionner parmi les meilleurs �l�ves pour continuer � renforcer la classe de l'�lite. C'est � se demander si les divers gouvernements qui se sont succ�d� n'ont jamais d�sir� autre chose que de maintenir leur peuple dans un �tat permanent d'ignorance.

Quoi qu'il en soit, apr�s la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, la r�forme de l'�ducation fut mise en quarantaine pour �tre appliqu�e de nouveau en 1992, avant d'�tre g�n�ralis�e � partir de 1995. En r�alit�, la plupart des �coles n'avaient pas appliqu� la r�forme de 1979 au moment du d�part de Duvalier (1986). Les �lites avaient fui les ��coles Jean-Claude�, qui appliquaient la r�forme, en raison de l'introduction du cr�ole dans l'enseignement. De leur c�t�, la plupart des familles des classes populaires ont cru que ladite r�forme constituait une fa�on pour les �lites de les enfermer dans une sorte de �ghetto cr�ole� afin de r�duire toute possibilit� de promotion sociale � leurs enfants. Encore en 2000, il �tait possible d'entendre un enseignant dire � ses �l�ves: �Parlez en fran�ais ou taisez-vous.� Plus encore: �Vous n'avez pas honte de parler en cr�ole?� Et encore aujourd'hui, le cr�ole est interdit dans certaines �coles priv�es.

En Ha�ti, le fait de ne parler que le cr�ole est un signe d'appartenance � une classe sociale �inf�rieure�, mais pourvoir aussi s'exprimer en fran�ais est synonyme d'appartenance � un statut social �sup�rieur�. Tous les Ha�tiens aspirent � parler le fran�ais, non pas pour r�pudier leur cr�ole, mais pour devenir bilingues (cr�ole-fran�ais), sinon trilingues (plus l'anglais ou l'espagnol), et acc�der ainsi � des postes ou � des emplois mieux r�mun�r�s. 

- Les enseignants

Depuis le tremblement de terre, la moiti� des �coles du pays (de 10 000 � 12 000) ont �t� d�truites ou sont r�put�es dangereuses. Il faut aussi souligner la situation des enseignants, qui n'est pas nouvelle. Avant le 12 janvier 2010, il y avait environ 20 000 enseignants dans les �coles publiques du pays, dont 7000 � Port-au-Prince. Nous savons maintenant que 38 000 �l�ves et 1300 enseignants sont d�c�d�s lors du s�isme. Chose certaine, il y aura p�nurie, tant dans les �coles publiques que priv�es. Pr�s de 70 % des enseignants d�tiennent un niveau de scolarit� inf�rieur au brevet d'�tudes primaires (�quivalant � la 4e secondaire). Dans l'ensemble, la formation des enseignants du secteur priv� est meilleure que celle observ�e dans le secteur public; et ceux qui enseignent dans les milieux urbains sont mieux pr�par�s que ceux qui enseignent dans les �coles rurales. En g�n�ral, les enseignants ne sont pas form�s pour instruire les enfants en cr�ole et ne peuvent que difficilement l'�crire; dans les zones rurales, beaucoup d'enseignants ma�trisent mal le fran�ais.

Signalons aussi que le salaire des enseignants est g�n�ralement bas (entre 150 $ et 200 $US, soit 110 � 145 euros par mois au primaire), insuffisant (ce qui correspond au salaire national moyen) et souvent pay� en retard (trois mois, six mois, jusqu'� un an), ce qui n'aide gu�re � attirer les candidats qualifi�s. Les enseignants du secteur public re�oivent un salaire sup�rieur � ceux du secteur priv�; par contre, ces derniers sont pay�s r�guli�rement. On constate que de nombreux enseignants travaillent � la fois dans le public et le priv�, de fa�on � profiter des avantages des deux syst�mes, une meilleure r�mun�ration dans l'un et une r�mun�ration r�guli�re dans l'autre, ce qui engendre des probl�mes de non-disponibilit�, c'est-�-dire d'absences p�riodiques des professeurs dans les �coles.

La formation inad�quate des enseignants ainsi que la modicit� et l�irr�gularit� des salaires repr�sentent des probl�mes importants dans le syst�me scolaire ha�tien. Le recrutement des enseignants manquent aussi de rigueur, ce qui occasionne une formation relativement faible du personnel enseignant. En effet, au niveau primaire, seuls 15 % des ma�tres poss�dent les qualifications des enseignants de base (y compris les dipl�mes universitaires), et pr�s de 25 % n'ont jamais fr�quent� l'�cole secondaire. Grosso modo, 75 % des enseignants n�ont eu de formation ad�quate.

- Les �tudes sup�rieures

En ce qui a trait aux �tudes sup�rieures, l'article 211 de la Constitution pr�cise que le fonctionnement de tout �tablissement doit �tre soumis � l'approbation technique du Conseil de l'Universit� d'�tat et � une participation majoritaire ha�tienne au niveau du corps professoral ainsi qu'� l'obligation d'enseigner �en langue officielle du pays� (sans en mentionner aucune d'elles):  

Atik 211

Konse�y iniv�site Leta Ayiti dwe bay Konsantman teknik li anvan Leta otorize moun louvri Iniv�site ak lek�l sipery� prive. F�k se ayisyen plis ki gen k�b dey� nan sa epi f�k se yo menm plis tou ki pwofes�. Se sitou nan lang ofisy�l peyi a lek�l konsa f�t pou yo anseye.

Atik 213

Yo kreye Akademi Ayisyen. Li gen misyon pou li bay lang Krey�l la jar�t pou li fikse epi pou li ba li tout mwayen lasyans pou li devlope n�mal.

Article 211

L'autorisation de fonctionner des universit�s et des �coles Sup�rieures priv�es est subordonn�e � l'approbation technique du Conseil de l'Universit� d'�tat, � une participation majoritaire ha�tienne au niveau du Capital et du Corps Professoral ainsi qu'� l'obligation d'enseigner notamment en langue officielle du pays.

Article 213

Une Acad�mie ha�tienne est institu�e en vue de fixer la langue cr�ole et de permettre son d�veloppement scientifique et harmonieux.

Dans les faits, la langue officielle dont il s'agit ici est le fran�ais, pas le cr�ole, l'autre langue officielle. Manifestement, les r�dacteurs de la Constitution n'ont pas vu l'incoh�rence de cette disposition. Seuls 1,2 % des Ha�tiens peuvent s�engager dans des �tudes sup�rieures. L'Universit� d'�tat d'Ha�ti (UEH) est la seule institution nationale publique d'enseignement sup�rieur dans le pays. Elle ne dispense que des dipl�mes de baccalaur�at. La plupart des professeurs d'universit� sont form�s dans des universit�s �trang�res (surtout en France, au Qu�bec ou aux �tats-Unis).

Dans tout le territoire, cette universit� rassemblait, avant le s�isme du 12 janvier 2010, plus de 20 000 �tudiants, 1500 enseignants et 800 agents et cadres administratifs. La r�gion m�tropolitaine demeure le si�ge de l'administration centrale et de onze unit�s d'enseignement et de recherche. Le Cap-Ha�tien h�berge l'unique facult� de l'UEH en province, alors que six autres villes sont dot�es d'une �cole de droit. L'Universit� ne survit que gr�ce � des partenaires �trangers, dont l'ACDI, l'Universit� Laval (Qu�bec) et l'Universit� de Montr�al. Les �tudiants sont admis � la suite d'un concours: ils sont s�lectionn�s �au m�rite�. Depuis le s�isme, le tiers des �tudiants n'est jamais revenu � l'universit�. La plupart des locaux de l'universit� ont �t� d�truits par le tremblement de terre du 12 janvier 2010. On a m�nag� des abris temporaires (tentes).

Jusqu'en 1986, l�Universit� d'�tat d'Ha�ti demeurait la seule universit� du pays. Depuis une trentaine d'ann�es, de nombreuses institutions priv�es se sont autoproclam�es �universit�s� � Port-au-Prince, dans le but de r�pondre � la demande croissante des bacheliers. Dans ces conditions, il devient difficile de parler d'��ducation nationale�, car le gouvernement n�a jamais encore r�ussi � centraliser ni � planifier l'enseignement sup�rieur. En 2012, le syst�me universitaire comptait seulement 50 000 �tudiants pour un pays de huit millions d�habitants, ce qui repr�sente 1 % des Ha�tiens �g�s de 18 � 24 ans.

Par ailleurs, devant l'inefficacit� de l'�tat ha�tien, qui demeure incapable de soutenir et de coordonner les universit�s toutes sous-financ�es, celles-ci ont �labor� diverses formes de partenariats avec des �tablissements d'enseignement sup�rieur situ�s en France, au Canada ou aux �tats-Unis. Ces partenariats consistent essentiellement � envoyer des �tudiants ha�tiens boursiers, pendant quelques ann�es, dans les pays du Nord. Faute de ne pouvoir former ad�quatement des �tudiants � Ha�ti, cette forme d'�externalisation� des services d'enseignement sup�rieur � l'�tranger est apparue comme une solution pratique et apparemment peu co�teuse. Le probl�me, c'est que cette �politique de coop�ration� entra�ne l��migration de 85 % des dipl�m�s ha�tiens qui, apr�s la fin de leur s�jour � l'�tranger, ne reviennent pas en Ha�ti.

6.4 Les m�dias

L'article 40 de la Constitution porte sur la question des m�dias, ou plut�t de la publicit�. L'�tat s'engage � diffuser � la fois en fran�ais et en cr�ole les informations relevant de la vie de l'�tat:

Atik  40

Leta f�t pou li pran radyo, jounal, televizyon pou esplike popilasyon an, an krey�l ak an franse, tout lwa, tout arete, tout dekr�, tout ak� ent�nasyonal, tout trete, tout kovansyon ki kons�nen lavi nasyon an. S�l sa ki pa ladan li, se enf�masyon ki kapab mete sekirite lavi nasyon an.

Article 40

Obligation est faite � l'�tat de donner publicit� par voie de presse parl�e, �crite et t�l�vis�e, en langues cr�ole et fran�aise aux lois, arr�t�s, d�crets, accords internationaux, trait�s, conventions, � tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la s�curit� nationale. 

Dans les m�dias, le cr�ole est la langue la plus utilis�e � la radio. C'est l'un des rares domaines o� la progression du cr�ole a connu un v�ritable succ�s. Dans les ann�es soixante, la presque totalit� des stations de radio diffusaient en fran�ais. La situation s'est compl�tement invers�e. Parmi la cinquantaine de stations radiophoniques � les stations de radio ha�tiennes sont g�n�ralement petites et de faible rayon de diffusion, mais elles sont tr�s nombreuses �, la plupart ne diffusent qu'en cr�ole, m�me dans la capitale, Port-au-Prince. Si la majorit� des stations portent un nom fran�ais (parfois en cr�ole), c'est le cr�ole qui domine les ondes:

Radyo Atlantik (Cap-Haitien), Radio 4VEH (Cap-Ha�tien: fran�ais-anglais), Radio Nirvana (Cap-Ha�tien), Radio Lumi�re (Cap-Ha�tien), Radio Gamma  (Fort-Libert�), Radio V�nus FM (Cap-Ha�tien), Radio T�l� Paradis (Cap-Ha�tien), Radio Vision 2000 (Cap-Haitien), Radio Sans Souci FM (Cap-Ha�tien), Radio Papillon (Gona�ves), Radio Media 89 (Saint-Marc), Radio Centrale (Liancourt), Radio Jupiter Plus (Liancourt), Radio Provinciale (Gona�ves), RTC-Radio T�l�-Caleb (Saint-Marc), Radyo LeveKanpe (Hinche), Radio Super Gemini (Saint-Marc), Radio Delta Stereo (Saint-Marc), Radio Sonic Plus (Saint-Marc), Radio T�l�-Express (Jacmel), Radio Vision 2000 (Jacmel), Radio N�gritude (Jacmel), Radio Hispaniola (Jacmel), Radio Shekina (Les Cayes), Radio Vibration (Les Cayes), Radio Macaya (Les Cayes), Kiskeya|on FM (Port-au-Prince), Radyo Ginen (Port-au-Prince), Radio-M�tropole (Port-au-Prince), Radio Lakansy�l (Port-au-Prince), Voix de l'Esp�rance (Port-au-Prince), Radio One ( P�tionville), Radyo Timoun (Port-au-Prince), Radio Nouvelle G�n�ration (Port-au-Prince), M�gastar (Port-au-Prince), Radio Soleil (Port-au-Prince), Radio Balade (Port-de-Paix), etc.

Aucune station de radio n'est unilingue fran�aise, mais certaines diffusent en fran�ais et en espagnol (Radio-M�tropole), d'autres en fran�ais et en anglais (Radio Lumi�re FM). Il est possible aussi de syntoniser des stations internationales au moyen de satellites: Radio-France Internationale (RFI), Radio-Canada, La Voix de l'Am�rique, Radio-Havana, etc.

Quant � la t�l�vision, c'est le fran�ais et l'anglais qui dominent, et le cr�ole est bon dernier. Voici les principales stations de t�l�vision:

Canal 11 4VTKT (Port-au-Prince), Galaxy 2 (Jacmel), PVS Antenne 16 (Port-au-Prince), T�l� Cara�bes (Port-au-Prince), T�l� Eclair (Port-au-Prince), T�l� Express Continentale (Jacmel), T�l� Ha�ti (Port-au-Prince), T�l� Ginen (Port-au-Prince), T�l� M�tropole (Port-au-Prince), T�l� Smart (Hinche), T�l� Soleil (Port-au-Prince), T�l� Timoun (Tabarre), T�l� Voix du Bonheur (Port-de-Paix), T�l�diffusion Jacm�lienne (Jacmel), T�l�max (Port-au-Prince), T�l�vision Nationale (Port-au-Prince), Trans-Am�rica (Gona�ves), TV Magik (Jacmel), TVA (Gona�ves).

Il existe en Ha�ti une pr�dominance de l'anglais, laquelle s'explique par le fait que la majorit� des cha�nes de t�l�vision priv�es diffusent des �missions am�ricaines. En Ha�ti, du fait que la plupart des villages n'ont pas d'�lectricit�, la t�l�vision ne constitue gu�re un moyen de communication tr�s utilis� par la majorit� de la population. Par contre, la radio, qui fonctionne ordinairement avec des piles, demeure un instrument privil�gi� de communication pour les masses.

La presse �crite est tr�s majoritairement en langue fran�aise. Les quotidiens tels que Le Matin et Le Nouvelliste ne paraissent qu'en fran�ais. Parmi les revues, hebdomadaires et mensuels (Ha�ti en Marche, Ha�ti Observateur, Ha�ti Progr�s, Le Messager du Nord-Ouest, Le Moniteur, L'Union, etc.), quelques rares journaux sont publi�s en cr�ole. Citons, entre autres, Jounal Lib�t�, Boukan, Bon Nouv�l, Sol�y Leve, etc.  Quelques p�riodiques consacrent r�guli�rement au cr�ole une ou deux pages. Un p�riodique para�t en anglais, le Haitian Times

6.5 L'affichage

La libert� compl�te d'expression et d'usage r�gne dans le domaine de l'affichage en Ha�ti. Les pratiques sont r�parties de fa�on fonctionnelle. L'affichage des �difices gouvernementaux ne para�t qu'en fran�ais. Les �difices et organismes municipaux portent des inscriptions unilingues fran�aises dans la capitale (Port-au-Prince) et parfois bilingues (fran�ais-cr�ole) dans les villes de provinces. La monnaie, les timbres, la toponymie et la signalisation routi�re sont �galement en fran�ais.

La diversit� est tr�s grande en ce qui concerne l'affichage commercial. Les grands magasins et les grandes entreprises de la capitale affichent seulement en fran�ais, les moyennes entreprises en fran�ais et en cr�ole, les petites en cr�ole. Les entreprises d'import-export et toutes les entreprises faisant du commerce international utilisent l'anglais et le fran�ais, de m�me que les boutiques pour touristes; c'est donc dire que le trilinguisme est relativement fr�quent en Ha�ti, particuli�rement dans la capitale. Cependant, on peut aussi trouver des affiches unilingues anglaises � Port-au-Prince.

Photo: Whereislarry.com (http://www.whereislarry.com/haiti.htm).

7 La loi sur l'Acad�mie du cr�ole ha�tien

L'article 213 de la Constitution ha�tienne de 1987 avait pr�vu la cr�ation d'une Acad�mie ha�tienne afin de normaliser la langue cr�ole et de permettre son d�veloppement scientifique et harmonieux. Ce n'est qu'en d�cembre 2012 que le S�nat a adopt� la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien, puis la Chambre des d�put�s a fait de m�me en avril 2013. Apr�s avoir fait objection durant un an en raison de l'absence d�une version fran�aise de la loi, le pr�sident Michel Martelly a finalement sign� le 20 mars 2014 l'avis de promulgation de la loi dans le journal officiel Le Moniteur. Cette loi risque de modifier consid�rablement la politique linguistique du gouvernement d'Ha�ti.

L'article 6 de la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien en donne ici les obligations concernant l'�tat ha�tien:

Article 6 (traduction)

L'Acad�mie du cr�ole ha�tien remplira toutes les fonctions suivantes :

a) Prendre toutes les dispositions pour que toutes les institutions publiques et priv�es fonctionnent dans la langue cr�ole selon les principes, les r�gles et le d�veloppement de la langue cr�ole;

b) Prendre toutes les dispositions pour encourager les institutions et les individus qui �crivent la langue cr�ole � suivre les r�gles de la langue;

c) Prendre toutes les dispositions pour aider la population ha�tienne � obtenir tous les services n�cessaires dans la langue cr�ole;

d) Prendre toutes les mesures pour soutenir et encourager la fonction publique � que ce soit le pouvoir ex�cutif, le pouvoir l�gislatif ou le pouvoir judiciaire � � respecter les dispositions linguistiques de la Constitution.

e) Servir de r�f�rence pour la langue cr�ole en ce qui concerne la standardisation de la langue, que ce soit en Ha�ti ou dans les autres pays o� vivent des Ha�tiens;

f) Faire tout ce qui est n�cessaire pour que Ha�ti soit un chef de file mondial pour les cr�olophones.

Ce genre de dispositions devrait changer compl�tement la donne de la politique linguistique en Ha�ti, car toute la fonction publique devra pouvoir fonctionner en cr�ole non seulement � l'oral (ce qui est d�j� le cas), mais aussi � l'�crit.  Une fois constitu�e, l�Acad�mie du cr�ole ha�tien devra s'organiser pour que tous les fonctionnaires de l'�tat re�oivent une formation dans la langue cr�ole dans un d�lai de trois ans, ainsi que faire en sorte que toutes les lois du pays soient traduites en cr�ole dans un d�lai ne d�passant pas trois mois, que le Parlement adopte toutes les lois � la fois en cr�ole et en fran�ais dans un d�lai de six mois et que l'�tat prenne des dispositions en vue de permettre � ses employ�s et � son administration de pouvoir fonctionner en cr�ole, tant � l'oral qu'� l'�crit. Le probl�me n'est pas l'emploi du cr�ole � l'oral, mais � l'�crit.

L'article 12 de la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien comporte aussi des contraintes concernant la politique linguistique sur le cr�ole lui-m�me, notamment en mati�re de dictionnaire, de syntaxe, de terminologie, de glossaire, de phonologie et d'orthographe :

Article 12 

Dans la r�alisation de sa mission, l'Acad�mie du cr�ole ha�tien doit :

a) Assurer la reconnaissance publique des r�sultats des recherches et de tout travail effectu� sur la langue cr�ole, qu'il s'agisse d'inventaires, de dictionnaires, d'�tudes sur la syntaxe, de terminologie, de lexique, de phonologie, de r�gles d'orthographe et tout instrument pertinent sur la langue cr�ole;

b) �mettre des recommandations sur des enqu�tes et des travaux � ex�cuter sur la langue cr�ole, par exemple des inventaires, des dictionnaires, des recherches sur la syntaxe, la terminologie, le lexique, la phonologie, les r�gles d'orthographe et tout autres outils important pour la langue; 

c) Offrir des conseils et servir de r�f�rence sur les questions touchant la langue cr�ole;

d) Formuler des recommandations sur le bon usage de la langue cr�ole et sur les travaux � poursuivre pour que la langue cr�ole continue d'�tre au service de la population ha�tienne en mati�re de d�couverte, de cr�ation et de production orale et �crite;

e) Prendre les d�cisions n�cessaires sur les questions concernant la mission de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien.

Au final, pour exister, cette acad�mie devra b�n�ficier d'un budget suffisant afin de mener � bien sa mission d�crite � l'article 11 de la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien, dont notamment :

- faire tout le n�cessaire pour promouvoir la production en langue cr�ole;
- encourager les exp�riences du peuple ha�tien en mati�re de recherche, de cr�ation, de production en cr�ole, � l'oral comme � l'�crit;
- faire tout le n�cessaire pour assurer un grand prestige et un tr�s haut rayonnement du cr�ole aupr�s du peuple ha�tien et � d'autres populations dans le monde;
- faire en sorte que les institutions de l'�tat appliquent la Constitution en publiant tous les documents officiels dans la langue cr�ole;
- favoriser les travaux sur l'�laboration d'outils tels que des grammaires, des dictionnaires et des glossaires dans tous les domaines;
- encourager et proposer des travaux de recherche de haute valeur sur la langue cr�ole;
- intervenir pour que les institutions r�gionales utilisent la langue cr�ole � des fins d'int�gration de la population cr�olophone. 

Encore une fois, l'Acad�mie ne pourra remplir sa mission qu'avec l'aide d'un budget substantiel, ce qui n'est pas acquis.  Manifestement, l'�tat ha�tien n'a pas d'argent pour une question aussi triviale que... la langue. Pour nombre d'Ha�tiens, l'entretien et les co�ts d'une acad�mie de la langue cr�ole ne constituerait gu�re une priorit�. Il est probable que l'�tat ha�tien n'aura pas les ressources financi�res pour mettre en �uvre l'Acad�mie du cr�ole ha�tien, c'est-�-dire entretenir un �difice avec du personnel administratif, une biblioth�que, des traducteurs, des juristes, etc. Dans les conditions actuelles de l'�conomie ha�tienne, l'�tat ne pourrait pas se permettre de d�penser une seule gourde pour cette entreprise au demeurant l�gitime. 

Ha�ti est un �tat officiellement bilingue. Ce bilinguisme est toutefois encore tr�s in�gal, sinon d�s�quilibr� dans certains r�les sociopolitiques. Malgr� son statut de langue officielle, le cr�ole n'appara�t pas davantage comme un idiome prestigieux. Il est m�me difficile de parler de diglossie pour Ha�ti dans la mesure o� la r�partition in�gale des langues n'est pas assur�e par l'ensemble de la soci�t�. Celle-ci n'est pas une soci�t� bilingue (moins de 10 %), mais l'�tat l'est, de m�me qu'une petite �lite. Autrement dit, Ha�ti est un pays juridiquement bilingue, mais socialement unilingue. Il s'agit d'un bilinguisme qui favorise ind�ment le fran�ais aux d�pens du cr�ole, langue de l'immense majorit� de la population. Au sein de l'�tat, le bilinguisme reste non seulement d�s�quilibr�, mais symbolique. Rappelons qu'il n'existe m�me pas de version officielle de la Constitution en cr�ole. Bref, Ha�ti, comme bien d'autres pays d'Afrique francophone, est rest� � un stade colonial dans sa politique linguistique, mais avec cette diff�rence que tout le pays parle une m�me langue, le cr�ole. 

Ha�ti pourrait cependant se doter d'une v�ritable politique linguistique, qui reconna�trait une place r�elle au cr�ole tout en menant parall�lement �le combat� de la Francophonie. Pour ce faire, la politique linguistique ha�tienne devrait viser un bilinguisme �quilibr�, ainsi que la r�conciliation des diff�rentes forces sociopolitiques nationales. � l'heure actuelle, la politique linguistique ha�tienne ne concorde pas avec la Constitution qui a formellement reconnu le cr�ole comme l'une des deux langues officielles d'Ha�ti. Ce n'est donc pas un �pays bilingue� puisque seule une fraction de la population peut l'�tre, c'est-�-dire environ 10 % des Ha�tiens. Non seulement il y a trop d'unilingues cr�olophones, mais l'�tat ne pratique pas lui-m�me une v�ritable dualit� linguistique. Il est vrai que le bilinguisme r�el entra�nerait des co�ts �lev�s pour un pays aussi pauvre. C'est pourquoi les dispositions de la Loi portant cr�ation de l'Acad�mie du cr�ole ha�tien de 2014 peuvent prendre des ann�es avant d'atteindre les effets escompt�s.

Avant toute chose, il faudra quand m�me r�gler � tout prix la plus grande difficult� : le fait que plus de 70 % de la population ha�tienne, parlant et comprenant uniquement le cr�ole, soit analphab�te. Le pays �prouvera toujours de graves probl�mes tant qu'il n'aura pas trouv� une solution � cette grande in�galit� sociale. Il faut tout de m�me admettre que, face � la pauvret� end�mique qui ronge le pays, les questions linguistiques ne font pas le poids. Comment pourrait-il en �tre autrement? Une fois le pain et le beurre acquis, on peut passer � autre chose. Et l'�tat d'Ha�ti n'est pas rendu l�.

Derni�re r�vision en date du 17 mai 2025
 

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Francophonie

 

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