Histoire des Acadiens
Partie I


Royaume de France

La colonie fran�aise
de l'Acadie

1604-1755

Plan de l'article
 

1 L'organisation de la Nouvelle-France

2 Qu'est-ce que l'Acadie?

2.1 La d�signation des habitants de l'Acadie
      - Pour les Fran�ais
      - Pour les Acadiens
      - Pour les Britanniques
2.2 La d�signation des Anglais
2.3 Le pays de l'Acadie

3 Les d�couvreurs

3.1 Les d�buts de la colonie
3.2 La Nova Scotia

4 L'Acadie fran�aise

4.1 Le gouverneur de Razilly
4.2 Le mandat de d'Aulnay
4.3 La population acadienne
4.4 La langue des Acadiens
4.5 L'instruction chez les Acadiens
4.6 La colonisation acadienne
4.7 Le territoire acadien

5 Les autochtones

5.1 Les Ab�naquis
5.2 Les Micmacs
5.3 Les Mal�cites

5.4 La religion et les langues am�rindiennes
5.5 Le sabre et le goupillon
5.6 Le baron de Saint-Castin

6 Un territoire convoit�

6.1 Les raids et les repr�sailles
6.2 Une lutte sans merci

7 L'Acadie continentale (fran�aise)

7.1 La rupture de l'�quilibre des forces
7.2 Des fronti�res impr�cises
7.3 La pr�paration � la guerre

8 La Nouvelle-�cosse - l'Acadie anglaise

8.1 L'organisation de la colonie
8.2 La p�riode des accommodements
8.3 L'�pineuse question du serment d'all�geance
8.4 Une neutralit� illusoire
8.5 Les pr�liminaires au �Grand D�rangement�
      - La prise de Louisbourg de 1745
      - Le renforcement de la colonie britannique
      - L'emprise de Charles Lawrence

9 La d�portation des Acadiens

9.1 L'ordre de d�portation
9
.2 Les pr�cautions
9.3 Le r�le des gouvernements britannique et fran�ais

10 La chute de Louisbourg en 1758 et ses cons�quences sur les expulsions

Avis: cette page a �t� r�vis�e par Lionel Jean, linguiste-grammairien.

1 L'organisation de la Nouvelle-France

Avant le trait� d'Utrecht de 1713, la Nouvelle-France comprenait cinq colonies: le Canada (incluant les �Pays d'en haut� ou r�gion des Grands Lacs), l'Acadie (aujourd'hui la Nouvelle-�cosse), la Baie du Nord (aujourd'hui la baie d'Hudson), Terre-Neuve (que la France partageait avec la Grande-Bretagne sous le nom de Plaisance) et la Louisiane (voir la carte agrandie de la Nouvelle-France avant 1713). Le �Pays des Illinois� faisait partie de la Louisiane, mais le �Pays-d'en-haut� (Grands Lacs) �tait rattach� au Canada.

Apr�s le trait� d'Utrecht, la Nouvelle-France a vu son territoire r�duit, qui comprenait alors le Canada, l'Acadie continentale (aujourd'hui le Nouveau-Brunswick), l'�le-Royale (le Cap-Breton et l'�le Saint-Jean, aujourd'hui l'�le du Prince-�douard) ainsi que la Louisiane.

En principe, chacune des colonies poss�dait son gouverneur local et son administration propre. Cependant, la Nouvelle-France �tait relativement unifi�e en vertu des pouvoirs conf�r�s au gouverneur du Canada, obligatoirement un militaire de carri�re, qui r�sidait � Qu�bec, mais qui �tait en m�me temps gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France.

Plus pr�cis�ment, les colonies de l'Am�rique fran�aise �taient administr�es par un gouverneur local, mais aussi par un gouverneur g�n�ral � Qu�bec ainsi que par le roi et ses ministres � Versailles. Le gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France avait effectivement autorit� pour intervenir dans les affaires des autres colonies de l'Am�rique du Nord. En temps de guerre, le commandement supr�me de la Nouvelle-France �tait � Qu�bec, mais apr�s 1748 le gouverneur du Canada ne put commander les troupes fran�aises stationn�es � Louisbourg, parce que leur commandement relevait directement de Versailles. En temps normal, le gouverneur local devait non seulement rendre des comptes au roi et au ministre de la Marine, mais �galement au gouverneur g�n�ral et � l'intendant de Qu�bec. Certains gouverneurs g�n�raux ont consid�r� les colonies voisines comme leur arri�re-cour et sont intervenus r�guli�rement, souvent m�me sans en aviser le gouverneur local, tant � Terre-Neuve, en Acadie qu'en Louisiane. Th�oriquement, la Nouvelle-France �tait gouvern�e par un seul chef militaire pour toutes les colonies. Toutefois, la distance et les difficult�s des communications rendaient la mainmise du gouverneur g�n�ral de Qu�bec parfois al�atoire. Les gouverneurs locaux communiquaient souvent avec Versailles et les ministres du roi, sans passer par Qu�bec. 

Toutes les colonies de la Nouvelle-France �taient administr�es par le secr�taire d'�tat � la Marine. Les plus c�l�bres ministres furent sans nul doute Jean-Baptiste Colbert, le comte de Maurepas, le comte de Pontchartrain, Antoine Rouill� et �tienne-Fran�ois de Choiseul (voir la liste). Bref, la France exer�ait un contr�le �troit sur ses colonies de l'Am�rique du Nord et avait r�ussi une unit� n�cessaire � la d�fense de son empire, sans oublier l'Alliance avec la quasi-totalit� des nations am�rindiennes du continent. Cette coh�sion a d'ailleurs fait longtemps la force de la Nouvelle-France par opposition aux colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, toutes divis�es entre elles et peu enclines � coop�rer. Le syst�me fran�ais suscitait l'envie des Anglais qui auraient bien appr�ci� une telle unit� pour leurs colonies.

2 Qu'est-ce que l'Acadie?

De nos jours, l'Acadie ne b�n�ficie d'aucune existence juridique officielle, pourtant elle existe dans une r�gion de l'Atlantique-Nord, c'est-�-dire dans les provinces Maritimes du Canada: le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-�cosse et l'�le-du-Prince-�douard, mais aussi � Terre-Neuve, au Qu�bec, aux �les de Saint-Pierre-et-Miquelon et dans l'�tat du Maine. � l'�poque de la Nouvelle-France, l'Acadie �tait une colonie fran�aise d�ment cartographi�e et circonscrite � la Nouvelle-�cosse actuelle, alors que les Acadiens y �taient dispers�s le long du littoral par petites communaut�s. Pour les Fran�ais, l'Acadie ne comprenait pas le Nouveau-Brunswick actuel, ni l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard), ni l'�le du Cap-Breton, ni les �les de la Madeleine (voir les cartes sur l'�volution des �tablissements acadiens). Pour les Anglais, l'Acadia n'existait pas, car c'�tait pour eux la Nova Scotia qui comprenait toutes les provinces Maritimes actuelles, y compris une partie de la Gasp�sie (Qu�bec), � l'exception de Terre-Neuve.

Au cours de l'histoire de la Nouvelle-France, l'Acadie fran�aise, celle qui constituait le noyau essentiel de la colonie, a juridiquement pris fin en 1713 en devenant la Nouvelle-�cosse transform�e pour l'occasion en Acadie anglaise (ou Acadie p�ninsulaire). La colonie fran�aise a d� se rabattre plus au nord: ce fut l'Acadie continentale (le Nouveau-Brunswick actuel), alors peu peupl�e et peu d�velopp�e, et constamment contest�e par la Grande-Bretagne, qui v�cut de 1713 � 1755. Puis, en 1763, l'Acadie est juridiquement disparue avec la Nouvelle-France.

Avec le retour des Acadiens apr�s 1764, l'Acadie est r�apparue sous une autre forme, avec des communaut�s dispers�es aux quatre vents, en conservant un nouveau noyau g�ographique sur le littoral atlantique du Nouveau-Brunswick (voir la carte de l'Acadie actuelle). � partir de 1867, les colonies britanniques des Maritimes sont devenues des �provinces� du Canada. Aujourd'hui, bien que diss�min�es au Nouveau-Brunswick, au Qu�bec, en Nouvelle-�cosse, � l'�le-du-Prince-�douard, � Terre-Neuve (Port-au-Port), aux �les Saint-Pierre-et-Miquelon (France) et dans l'�tat du Maine (Madawaska, Caribou, Presqu'�le, etc.), les Acadiens se consid�rent comme formant une seule et m�me collectivit�. Cette Acadie-l� ne d�tient aucune valeur juridique, elle est essentiellement historique, culturelle et identitaire, mais elle existe.

2.1 La d�signation des habitants de l'Acadie

Aujourd'hui, il est normal d'appeler Acadiens les habitants de l'Acadie d'origine fran�aise et issus du peuplement du XVIIe si�cle. Ainsi, la majorit� des francophones du Nouveau-Brunswick sont de descendance et d'origine acadiennes. Pr�cisons que l'appellation �Acadien� ne peut plus �tre associ�e � tous les francophones de cette province. De nombreux Acadiens francophones ont subi l'assimilation � l'anglais et continuent de se d�finir comme des Acadiens; d'un autre c�t�, des francophones du Qu�bec, de l'Ontario ou d'ailleurs (Ouest canadien, Maghreb, etc.) sont venus s'ajouter � la population acadienne et ne s'identifient pas du tout comme Acadiens. Cependant, tous ces locuteurs parlent le fran�ais et sont des francophones. Autrement dit, le terme �francophones� au Nouveau-Brunswick englobe les Acadiens et les autres qui parlent le fran�ais, mais les francophones ne sont pas tous des Acadiens.    

De plus, il ne faudrait pas croire que le terme �Acadien/Acadienne� �tait tr�s courant � l'�poque de la Nouvelle-France. Il �tait certes utilis�, mais peu fr�quent; il �tait employ� uniquement par certains administrateurs ou par des visiteurs occasionnels. M�me les Acadiens ne se d�signaient pas comme des �Acadiens�, mais comme des �Fran�ais�; apr�s 1713, ils se d�sign�rent comme des �Fran�ais neutres�, puis apr�s la d�portation comme des �Acadiens�.

- Pour les Fran�ais

Pour les Fran�ais du XVIIe si�cle, tous les habitants de la Nouvelle-France, que ce soit au Canada, en Acadie ou en Louisiane, �taient des Fran�ais ou des �sujets du roi� de France. Les mots �Canadiens� et �Acadiens� ne furent � peu pr�s jamais employ�s par les autorit�s fran�aises, du moins dans les textes �crits officiels, puisque tout le monde �tait fran�ais, c'est-�-dire �de citoyennet� fran�aise� ou �sujet du roi� de France. Dans les textes de l'�poque, on ne trouve que les mots �naturels Fran�ais� ou �Fran�ais d'origine�. Lorsqu'ils voulaient d�signer de mani�re particuli�re les habitants de l'Acadie, les Fran�ais utilisaient g�n�ralement les termes �habitants de Port-Royal�, �habitants des Mines�, �habitants de Beaubassin�, �habitants de Port-Royal�, etc., selon la localit� habit�e. Ils employaient occasionnellement les expressions �Fran�ais d'Acadie�, �Fran�ais qui occupent l'Acadie� ou encore plus rarement �Fran�ais acadiens�.

Apr�s 1713, alors que l'Acadie p�ninsulaire (la Nouvelle-�cosse) �tait devenue anglaise, les Fran�ais ont appel� les Acadiens �Fran�ais neutres�, comme les Britanniques ("Neutral French"), parfois �Acadiens neutres� ou simplement �habitants neutres�. Jusqu'en 1755, l'ann�e de la d�portation, les textes officiels ne mentionnent � peu pr�s jamais le mot Acadiens, puisque les Acadiens ne constituaient pas encore un peuple juridiquement distinct. Ils �taient encore des �Fran�ais�.

Lorsque les d�port�s de la Nouvelle-�cosse arriv�rent en France apr�s 1755, les Fran�ais ont commenc� � les d�signer autrement que par l'expression �Fran�ais neutres�, car ils ne l'�taient plus! Outre �sujets du roi�, ils furent d�sign�s comme des �Acadiens� (�crit souvent comme Accadiens), des �Canadiens� et parfois des �habitants de l'Am�rique septentrionale�, sans trop faire de distinction � ce sujet. En fait, le vocabulaire de l'�poque tenait souvent pour synonyme les termes �Acadiens� et �Canadiens�.

Le probl�me s'est pos� de fa�on plus d�licate pour les habitants de la colonie de l'�le-Royale apr�s la chute de Louisbourg en 1758. Ils n'�taient pas forc�ment des Acadiens ni des Canadiens, m�me s'il y en avait un certain nombre, mais une sorte de Fran�ais �hybrides�. Une fois rapatri�s en France, ils devinrent des �Fran�ais de l'�le Royale�, des �Fran�ais de Louisbourg� ou des �Fran�ais de l'�le Saint-Jean� ou encore des �Fran�ais de l'Am�rique septentrionale�. On pouvait dans tous les cas remplacer le mot �Fran�ais� par �habitants de l'�le Royale�, �habitants de Louisbourg�, �habitants de l'�le Saint-Jean�, etc. N�anmoins, tous les rapatri�s ou d�port�s de ces deux �les ont eu droit en France � des secours �en tant qu'Acadiens�.  

En r�alit�, l'administration fran�aise avait confectionn� des listes officielles d'Acadiens, appel�e �r�les�, destin�es � identifier les personnes n�cessiteuses. Pour �tre inscrits sur ces listes, il fallait d�barquer d'un bateau d�ment identifi� ou produire un certificat � cet effet; il fallait de plus �tre connu ou reconnu par les autres d�port�s. In�vitablement, des erreurs et des abus se sont gliss�s dans ces listes, d'autant plus que l'inscription sur une telle liste impliquait la promesse de secours de la part du roi. Il est donc fort probable que certains individus ont r�ussi � se faire d�signer comme �Acadiens�, alors qu'ils ne l'�taient gu�re. Quoi qu'il en soit, l'administration distinguait les Acadiens des anciens
habitants de l'�le Royale ou de l'�le Saint-Jean.

�videmment, pour les historiens d'aujourd'hui, les habitants de l'Acadie de l'�poque de la Nouvelle-France (d�s 1605) sont tous appel�s �Acadiens�, alors qu'ils �taient juridiquement encore des �Fran�ais� et ne devinrent effectivement des �Acadiens� qu'apr�s 1755. Il en est ainsi lorsque certains historiens du XXIe si�cle utilisent le terme �Qu�b�cois� pour d�signer les habitants de la Nouvelle-France. C'est un anachronisme!   

- Pour les Acadiens

Lorsque l'Acadie faisait partie de la Nouvelle-France, les Acadiens se consid�raient comme des Fran�ais. D'ailleurs, ils faisaient constamment r�f�rence � leur all�geance �au roi de France�, � la Patrie (la France) et � la religion catholique, la langue fran�aise demeurant un �l�ment secondaire. M�me apr�s 1713, lors de la cession de l'Acadien � la Grande-Bretagne, les Acadiens sont rest�s des �Fran�ais neutres�, rien de moins. Ils pouvaient tout aussi bien se pr�senter comme des �Fran�ais� aupr�s des Fran�ais et comme des �neutres� aupr�s de l'administration britannique, mais pratiquement jamais comme des �Acadiens�. En fait, l'all�geance des Acadiens au roi de France, leur religion catholique, leur langue maternelle, les relations familiales et les conditions mat�rielles de survie avaient largement pr�s�ance sur un quelconque sentiment d'appartenance au groupe acadien.

Toutefois, apr�s la d�portation de 1755, ils se sont progressivement d�sign�s comme �Acadiens�, m�me s'ils venaient de l'Acadie p�ninsulaire (Nouvelle-�cosse), de l'Acadie continentale (Nouveau-Brunswick), de l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard) ou de l'�le Royale (�le du Cap-Breton). Toutefois, certains n'h�sitaient pas � s'appeler �Canadiens�, mais avec le temps, probablement une dizaine d'ann�es, le terme �Acadien� s'est impos�, car les exil�s acadiens se sentaient sentaient diff�rents des Fran�ais, et ce, d'autant plus qu'ils �taient consid�r�s socialement comme des Fran�ais �inf�rieurs�.

Sous la R�volution, la France adopta en 1791 une loi officialisant la situation des r�fugi�s et pr�voyant le recensement, dans tous les d�partements, de l'ensemble des �habitants de l'Am�rique septentrionale�, une expression d�signant indistinctement les Acadiens et les Canadiens.

- Pour les Britanniques

Selon les Britanniques, les Canadiens, les Acadiens et les Louisianais �taient tous des Fran�ais. Qu'ils soient venus de France ou de la Nouvelle-France, du Canada, de l'Acadie, de la Louisiane, de l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard) ou de Louisbourg, il n'y avait pas de distinction pour eux, surtout avant la cession de l'Acadie � la Grande-Bretagne (1713). Par exemple, la guerre de la Conqu�te (1756-1760) en Am�rique du Nord fut appel�e par les Britanniques �French and Indian War�, c'est-�-dire �la guerre contre les Fran�ais et les Indiens�, ce qui est significatif sur l'imbrication des Indiens et des Fran�ais, sans distinguer les Canadiens ou les Acadiens.  

Apr�s le trait� d'Utrecht de 1713, les Britanniques ont d�sign� les habitants francophones de la Nouvelle-�cosse par l'expression "French neutral" ou "Neutral French", c'est-�-dire les �Fran�ais neutres�, mais encore plus fr�quemment "Neutrals" (les �neutres�). On employait aussi les appellations "French peasants" (�paysans fran�ais�), "French inhabitants" (�habitants fran�ais�) ou simplement "inhabitants" (�habitants�). Bien que les Acadiens fussent devenus juridiquement des �sujets britanniques�, il �tait possible de les appeler aussi "French of Nova Scotia" (�Fran�ais de la Nouvelle-�cosse�). C'�tait alors une fa�on de distinguer les "French of France" ou "French of Europe", les "French of New France" ou "French of Canada". Jamais les Britanniques n'utilis�rent l'expression "French of Acadia" parce que l'Acadie, en tant qu'entit� politique, n'existait plus. Bref, les Acadiens �taient encore des French, par opposition aux British. Ainsi, les Britanniques employaient couramment les expressions suivantes pour d�signer tout ce qui �tait reli� aux Fran�ais: 

French neutral (ou neutrals) les Fran�ais neutres (ou neutres)
French subjects les sujets fran�ais
French inhabitants les habitants fran�ais
French region la r�gion fran�aise
French occupation l'occupation fran�aise
French soldiers les soldats fran�ais
French colonial empire l'empire colonial fran�ais
French colonists in Canada les colons fran�ais du Canada
French administration of Acadia l'administration fran�aise de l'Acadie
French of Nova Scotia les Fran�ais de la Nouvelle-�cosse
French of Canada les Fran�ais du Canada
French and Indian War la guerre contre les Fran�ais et les Indiens

Au cours des ann�es qui ont pr�c�d� la d�portation de 1755, les Britanniques ont commenc� � ne plus consid�rer les Acadiens comme des "French Neutral", mais comme des "Acadians". En somme, le terme �Acadien� s'est impos� universellement pour d�signer les habitants de l'Acadie au moment o�, dans les faits, ils n'y habitaient plus et qu'ils n'�taient plus des Fran�ais. Les Acadiens �taient donc devenus un �peuple distinct� lorsque les Britanniques ont d�cid� de s'en d�barrasser.

Au cours de la colonisation, l'appellation de �Fran�ais� �tait aussi pour les Britanniques synonyme de �catholiques� ou de �papistes�, ce qui �tait consid�r� par les protestants britanniques comme une caract�ristique beaucoup plus dangereuse que simplement �Fran�ais�. On trouve aussi dans les documents de l'�poque l'expression "French papist", exprimant ainsi l'infamie dont souffraient les Fran�ais aux yeux des Britanniques.

2.2 La d�signation des Anglais

Comment appelait-on ceux qui parlaient anglais? Les sujets de Sa Majest� britannique �taient tous des British, qu'ils fussent anglais, �cossais, irlandais, virginiens, pennsylvaniens ou n�o-angleterriens. Ils formaient donc une collectivit� unique: celle des Britanniques. Et les Fran�ais pouvaient les appeler des �Anglais�, sans faire la distinction entre ceux qui habitaient l'Angleterre et les autres sujets de Sa Majest� britannique en �cosse, au pays de Galles, en Irlande, en Nouvelle-Angleterre, etc. Les Anglais, quant � eux, ne commettaient pas cette confusion. Les seuls vrais English venaient d'Angleterre, tout en �tant des Britanniques, mais les Britanniques n'�taient pas forc�ment des Anglais.

Les Am�ricains n'existaient pas encore; ils appara�traient avec la guerre de l'Ind�pendance. C'est donc un anachronisme de parler des �Am�ricains� avant la reconnaissance officielle des �tats-Unis en 1783. De m�me, il a fallu la Conqu�te de 1763 et l'instauration du R�gime britannique pour que l'appellation de Canadiens soit syst�matiquement employ�e parce que, aux yeux des Britanniques, les Canadiens n'�taient plus des Fran�ais � partir de ce moment-l�. Pour les distinguer d'eux-m�mes, les British les ont appel�s Canadians. N�anmoins, les Canadiens et les Acadiens se d�signaient comme des �Fran�ais� par oppositions aux �Anglais�, bien que tous ces gens-l� ne soient plus des Fran�ais ni des Anglais depuis fort longtemps. C'est un peu comme d�signer par les termes �Marocains� ou �Alg�riens� des Fran�ais n�s en France issus de parents maghr�bins; ou par �Italiens�, �Allemands�, �Anglais�, �Fran�ais�, etc., des citoyens n�s au Canada, mais dont les grands-parents, par exemple, venaient d'Europe. 

2.3 Le pays de l'Acadie

Alors que toute l'Acadie faisait encore partie de la Nouvelle-France (1605-1713), elle constituait une colonie autonome au m�me titre que le Canada, la Louisiane et, jusqu'en 1713, la colonie de Plaisance (Terre-Neuve). Apr�s 1713, il ne restait plus que l'Acadie continentale (Nouveau-Brunswick), mais cette Acadie n'avait plus de gouverneur attitr�, elle �tait administr�e depuis Qu�bec, sinon de Louisbourg. Par ailleurs, une nouvelle colonie prit naissance: la colonie de l'�le-Royale qu'on pouvait appeler aussi �colonie de Louisbourg�, laquelle comprenait alors l'�le du Cap-Breton et l'�le Saint-Jean (aujourd'hui l'�le du Prince-�douard). Bien que toutes les colonies de la Nouvelle-France puissent constituer des entit�s autonomes les unes des autres, les habitants confondaient souvent la Nouvelle-France, le Canada et l'Acadie, mais rarement la Louisiane qui, pour eux, n'�tait pas en �Am�rique septentrionale�. Selon les historiens, les Acadiens du XVIIe si�cle utilisaient le mot �Acadie� pour parler de leur pays, mais le plus souvent ils disaient habiter �au Canada� ou �en Am�rique septentrionale�, voire en �Nouvelle-France�. Apr�s 1713, ils disaient habiter �aux �les du Canada�, �� l'�le Royale�, �� l'�le Saint-Jean� ou encore �dans notre pays� ou �au pays natal�. Pour les Britanniques, l'Acadia d�signait avant tout la Nova Scotia, la Nouvelle-�cosse ou l'Acadie fran�aise d'avant 1713. Le mot Acadia dispara�tra � partir de 1713 pour faire place uniquement � la Nova Scotia.

Rappelons en m�me temps que les termes Angleterre (England), Grande-Bretagne (Great Britain) et Royaume-Uni (United Kingdom) ne sont pas des synonymes. Le mot Angleterre s'est appliqu� au royaume d'Angleterre jusqu'en 1707 pour faire place alors � la Grande-Bretagne. En 1801, celle-ci est devenu le Royaume-Uni, officiellement appel� Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande jusqu'en 1921 lors de la partition de l'Irlande, puis Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. On peut dire aussi simplement Royaume-Uni. On emploie normalement le terme Angleterre pour d�signer la province historique en la distinguant du pays de Galles et de l'�cosse, et le terme Grande-Bretagne pour d�signer l'�le. Mais il ne convient pas d'employer le terme Angleterre pour d�signer le pays en entier. 

3 Les d�couvreurs

La r�gion de l'actuelle Nouvelle-�cosse fut d�couverte par Giovanni Caboto (John Cabot en anglais ou Jean Cabot en fran�ais) en 1497, un explorateur v�nitien au service de l'Angleterre, mais elle avait �t� sans doute visit�e par les Normands d�s le XIe si�cle.

Pendant le r�gne de Henri IV (1589-1610), Pierre Dugua de Mons (v. 1560-1628) dirigea en 1604 une exp�dition dans la baie Fran�aise (aujourd'hui la baie de Fundy), au cours de laquelle il �tait accompagn� de Jean de Poutrincourt et de Samuel de Champlain qui y participait en tant qu'explorateur, g�ographe et cartographe. C'est cette ann�e-l� (1605) que de Mons donna des noms � certains lieux: La H�ve, cap N�gre, baie Sainte-Marie, cap Sable, baie Fran�aise, Port-Royal, fleuve Saint-Jean, rivi�re Sainte-Croix, etc.

3.1 Les d�buts de la colonie

Pierre Dugua de Mons fonda une colonie � l'�le Sainte-Croix (aujourd'hui Dochet island, situ�e dans le Maine et administr�e par le Nouveau-Brunswick), mais la moiti� des hommes de son exp�dition (36/80) d�c�da du scorbut durant l'hiver. La colonie se d�pla�a � l'�t� 1605 � Port-Royal, sur la rive nord du bassin d'Annapolis, o� fut construite une �habitation� constitu�e de b�timents group�s autour d'une cour centrale (voir l'illustration sur le timbre comm�moratif du 400e de Postes Canada - 1605-2005). En raison d'un financement insuffisant, les colons fran�ais quitt�rent les lieux en 1607. Le deuxi�me gouverneur de l'Acadie, Jean de Poutrincourt, revint � Port-Royal en 1610 pour y �tablir une v�ritable colonie fran�aise. Le 16 mai 1613, d�barqu�rent � La H�ve 48 colons fran�ais, qui s'install�rent un peu plus tard au sud de l'�le des Monts-D�serts � un endroit d�sign� comme Saint-Sauveur (ville actuelle de Town of Lamoine, Maine).
Mais les Anglais veillaient au grain. Ils n'acceptaient pas que les Fran�ais puissent s'installer aussi pr�s de la Nouvelle-Angleterre. Fort des pr�tentions de l'Angleterre, le gouverneur de la Virginie, Thomas Dale, commanda � Samuel Argall, un aventurier et un officier anglais, d'aller d�loger les Fran�ais de Saint-Sauveur.

Le petit �tablissement fut saccag�, leur navire (le Jonas) fut saisi et les colons furent faits prisonniers et amen�s � Jamestown (Virginie). Argall planta ensuite une croix au nom du roi d'Angleterre sur le site de Saint-Sauveur, puis d�truisit ce qui restait de l'�tablissement de Sainte-Croix. Enfin, il se rendit � Port-Royal dont il incendia tous les b�timents. L'Acadie fut renomm�e Nova Scotia.

De 1613 jusqu'en 1632, la r�gion v�cut sous un r�gime anglais, mais les Fran�ais continu�rent d'y faire la traite des fourrures et de pratiquer la p�che. On aurait pu croire, d�s cette �poque, que tout �tait termin� pour l'Acadie fran�aise!

3.2 La Nova Scotia

En 1621, Jacques Ier, roi d'Angleterre, avait conc�d� une charte � l'�cossais William Alexander (v. 1567-1640) qui fonda la Nova Scotia, malgr� la pr�sence des Fran�ais. Le territoire accord� comprenait alors ce qu'on appelle aujourd'hui la Gasp�sie, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-�cosse ainsi que l'�le du Cap-Breton, les �les de la Madeleine et l'�le du Prince-�douard (voir la carte du territoire conc�d�). Port-Royal �tait alors sous occupation anglaise et comptait une petite colonie britannique, dont un bon nombre d'�cossais. Lorsque la France r�cup�ra Port-Royal en 1632 � la suite du trait� de Saint-Germain-en-Laye, la plupart des colons �cossais et anglais quitt�rent les lieux. Cependant, les colons de la Nouvelle-Angleterre d�couvrirent que le trait� de 1632 ne d�finissait pas les fronti�res de l'Acadie. L'article 3 du trait� ne faisait que rendre � la France �lesdits lieux� occup�s par les Anglais, soit ceux de Port-Royal en Acadie, du Cap-Breton et du fort de Qu�bec (l'Habitation de Champlain) au Canada. Par la suite, les colons de la Nouvelle-Angleterre n'abandonneront plus leurs pr�tentions sur le territoire de l'Acadie.

4 L'Acadie fran�aise

� la signature du trait� de Saint-Germain-en-Laye en 1632, l'Acadie, le Canada, Plaisance, la Baie-d'Hudson et la Louisiane formaient les diff�rentes colonies de la Nouvelle-France. En principe, chacune des administrations locales, avec � sa t�te un gouverneur, �tait subordonn�e au gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France (en m�me temps gouverneur du Canada), qui r�sidait � Qu�bec. En ce qui concerne l'Acadie, le gouverneur local devait non seulement rendre des comptes au roi et au ministre de la Marine, mais devait aussi d�pendre de l'autorit� directe du gouverneur g�n�ral et de l'intendant de Qu�bec. Certains gouverneurs g�n�raux, tels le comte de Frontenac, consid�raient l'Acadie comme leur arri�re-cour et intervenaient militairement de fa�on r�guli�re, souvent m�me sans en avertir le gouverneur de l'Acadie. C'est que, juridiquement, l'Acadie �tait une division administrative au m�me titre que Montr�al et Trois-Rivi�res. En temps de guerre, le commandement supr�me �tait � Qu�bec, pas � Port-Royal, ni � Louisbourg, ni � La Nouvelle-Orl�ans. Mais la distance et les difficult�s des communications rendaient la mainmise du gouverneur g�n�ral plus al�atoire. De plus, la v�ritable autorit� �tait � Versailles, non � Qu�bec. C'est pourquoi certains gouverneurs de l'Acadie n'h�sitaient pas � correspondre directement avec le ministre des Colonies et � passer outre l'�tape hi�rarchique de Qu�bec. �videmment, �tant soumis ainsi � des autorit�s multiples, tant en France qu'au Canada, les pouvoirs du gouverneur de l'Acadie en �taient d'autant plus limit�s.

4.1 Le gouverneur de Razilly

La cr�ation de la Compagnie des Cent-Associ�s par le cardinal de Richelieu en 1627, durant le r�gne de Louis XIII, avait signifi� le retour de la France en Am�rique du Nord, notamment en Acadie. En 1631, le gouverneur Charles de Saint-�tienne de la Tour avait construit un fort au Cap-Sable et un autre � Saint-Jean. Charles de La Tour �pousa une Indienne micmac; plusieurs de ses compagnons firent de m�me. Les M�tis, n�s de Charles de La Tour et de ses compagnons d'aventure allaient former des familles de �sang-m�l�s�. Il deviendront plus tard des alli�s naturels des premi�res familles fran�aises qui s'�tabliront en Acadie qui allait rester fran�aise, sans interruption, jusqu'en 1654, soit durant vingt-deux ans.

Le nouveau gouverneur de l'Acadie, Isaac de Razilly, arriva � La H�ve le 8 septembre 1632. Il avait choisi ce petit port situ� sur la c�te est de la p�ninsule pour y �tablir son quartier g�n�ral et en faire la capitale de l'Acadie. On y construisit un fort (Sainte-Marie-de-Gr�ce), des maisons, un magasin, une chapelle pour les capucins et d'autres b�timents � l'intention des familles et des ouvriers. Razilly avait amen� avec lui de 12 � 15 familles originaires de l'ouest de la France.

� son arriv�e en Acadie, le gouverneur de Razilly �tait accompagn� d'un explorateur et marchand du nom de Nicolas Denys (1603-1686), originaire de La Rochelle mais n� � Tours.

En 1653, Nicolas Denys obtint la concession de p�che de l'�le Saint-Jean. En fait, Nicolas Denys avait obtenu la concession de toutes les terres, �les et r�gions du littoral continental, comprenant un territoire qui s'�tendait depuis le Cap-des-Rosiers, sur la c�te de Gasp�, en passant par toute l'Acadie continentale, l'�le Saint-Jean, l'�le Royale, jusqu'aux �les de la Madeleine. Il s'agissait d'un territoire maritime immense, dont seul un roi pouvait en principe revendiquer l'�quivalent en Europe. La propri�t� de Nicolas Denys �quivalait � la totalit� du littoral atlantique fran�ais, rien de moins. Tous les sites de p�che du golfe Saint-Laurent lui revenaient en exclusivit�, mais il �tait tenu d'y implanter des �tablissements permanents et d'y amener des colons, ce qui fut pratiquement un �chec.

Apr�s un s�jour de quarante ans en Nouvelle-France, Nicolas Denys retourna en France pour publier en 1672 le r�sultat de ses observations en terre d'Am�rique sous le titre de Description g�ographique et historique des c�tes de l'Am�rique septentrionale, avec l'histoire naturelle de ce pa�s (Paris), un livre qu'il avait �crit � Nipisiguit (baie des Chaleurs en Acadie continentale). Cet ouvrage demeure encore aujourd'hui l'un des plus pr�cieux documents du XVIe si�cle sur l'Acadie et la Nouvelle-France. Autrement dit, Nicolas Denys doit sa c�l�brit� � son livre (publi� en deux tomes), dont la valeur historique est consid�rable, plut�t qu'� son r�le comme explorateur ou entrepreneur.

Une fois les travaux d'�tablissement termin�s, de Razilly d�cida de reprendre possession de Port-Royal o� il se pr�senta � la mi-d�cembre de 1632. Le commandant de la garnison, le capitaine Andrew Forrester, lui rendit le poste sans coup f�rir. La plupart des colons anglais accept�rent d'�tre ramen�s en Angleterre, mais plusieurs choisirent de demeurer sur place avec les colons de Razilly. En 1634, afin d'am�liorer les possibilit�s de la traite des fourrures, Razilly construisit un port fortifi� � Canseau, qu'il nomma fort Saint-Fran�ois. Au d�but de 1635, Razilly reprit le fort de Pentagouet (�crit aussi Pentagou�t; Penobscot en anglais) sur la rivi�re Pentagouet  (Penobscot); le trait� de Saint-Germain le rendit � la France, mais les troupes de la Nouvelle-Angleterre ne l'avaient, dans les faits, jamais abandonn�. Le fort fut repris au mois d'ao�t et ses occupants, chass�s. Razilly partagea le contr�le de l'Acadie avec Charles de La Tour; il se r�serva la partie sud-ouest de la p�ninsule acadienne et le territoire pr�s du fleuve Saint-Jean. Razilly d�c�da en 1636, laissant � son fr�re Claude de Razilly la responsabilit� de la colonie de l'Acadie. Bien qu'il soit difficile de d�terminer leur nombre r�el, on peut estimer � environ 120 les colons que les fr�res Razilly amen�rent en Acadie � titre permanent.

4.2 Le mandat de Charles de Menou d'Aulnay

Mais Claude de Razilly ne vint jamais en Acadie; il nomma Charles de Menou d'Aulnay en tant que lieutenant pour gouverner en son nom et administrer la compagnie en Acadie, tandis qu'il g�rait les op�rations � partir de la France. D'Aulnay fit � nouveau de Port-Royal la capitale de l'Acadie. La plupart des colons de La H�ve vinrent graduellement s'�tablir � Port-Royal, o� le d�veloppement agricole prit un bon essor.

Pendant ce temps, l'ancienne administration bipartite se poursuivait en Acadie, sous l'autorit� de la Compagnie de la Nouvelle-France. D'Aulnay commandait Port-Royal et La H�ve, alors que La Tour commandait le cap de Sable et le fleuve Saint-Jean. Chacun touchait la moiti� de la traite et avait un droit de contr�le sur l'autre. Ce syst�me ne pouvait qu'engendrer des conflits d'int�r�ts. D'Aulnay d�clencha en 1640 une politique de confrontations violentes et co�teuses contre son rival Charles de La Tour.

Apr�s une longue guerre civile, Charles de Menou d'Aulnay fut d�sign� officiellement comme gouverneur de l'Acadie en 1647. Il faut quand m�me souligner que, en raison de son engagement pour la colonisation, Charles d'Aulnay contribua consid�rablement � l'essor de l'Acadie. Il fit construire trois forts en y maintenant des garnisons; il avait amen� de France une vingtaine de familles et, pour les �tablir, il avait d�frich� des terres � Port-Royal, Pentagouet et au fleuve Saint-Jean. Pour ravitailler les Acadiens, il avait fait venir, chaque ann�e, trois ou quatre navires de France. Il avait fait �riger deux moulins et construire deux petits navires et des chaloupes. Il avait aussi fond� deux �coles et laiss�, � sa mort en 1650, une population d'environ 500 habitants r�partie en quatre agglom�rations (Port-Royal, Pantagouet, La H�ve et Saint-Jean) et desservie par 12 pr�tres (tous des capucins). La colonie qu'il laissa en Acadie �tait suffisamment bien enracin�e pour r�sister aux treize ans d'occupation anglaise (de 1654 � 1667), qui allaient suivre. L'Acadie redeviendra fran�aise apr�s 1667, pour vingt-trois ans. 

4.3 La population acadienne (apr�s 1671)

� la demande de l'intendant Talon de Qu�bec, le gouverneur Hector d'Andign� de Grandfontaine fit appel au r�collet Laurent Mollin, cur� de Port-Royal, pour proc�der � un recensement en visitant syst�matiquement toutes les maisons. D'apr�s le recensement (probablement incomplet) de 1671, l'Acadie comptait 441 habitants, dont 363 � Port-Royal r�partis en 68 familles. Autrement dit, 82 % de toute la population r�sidait autour de Port-Royal.

Ces Acadiens �taient issus des premi�res familles arriv�es avec Isaac de Razilly en 1632 et Charles de Menou d'Aulnay en 1635. Il y avait aussi un  petit nombre de soldats d�mobilis�s et d'anciens matelots ainsi que des �cossais m�l�s aux Fran�ais. D'apr�s le tableau suivant, il restait 78 personnes menant une existence ind�pendante et diss�min�es � Pentago�t (dont 25 soldats), � Pobomcoup (Cap-Sable), Cap-N�gre (ou Cap-Neigre), Mouskadabouet, Rivi�re-aux-Rochelois et Saint-Pierre au Cap-Breton.

Lieu Port-Royal Pentago�t Cap-N�gre Pobomcoup Mouskadabouet Rivi�re-aux-Rochelois Saint-Pierre
(Cap-Breton)
Total
Population totale 363 27 14 14 13 3 7 441

Source : Statistique Canada. 1667  Tableau I - Familles, adultes, enfants, soldats, �ges, 1671.

Ont �t� omis dans ce d�nombrement 16 Fran�ais et M�tis � La H�ve, sur la c�te est. Il y avait aussi quelques colons pr�s du fleuve Saint-Jean et � proximit� du fort Jemsek. Il faudrait aussi mentionner un poste de traite � Beaubassin (Chignectou) et une concession seigneuriale � Miramichi. En 1632, le cardinal de Richelieu, un ennemi jur� des huguenots, avait exig� que les colons destin�s � l'Acadie soient �Fran�ais, catholiques et de m�urs irr�prochables�.

Dans une lettre en date du 11 mars 1671 au gouverneur de Grandfontaine, le ministre Colbert demandait d'�tablir en Acadie des p�cheries s�dentaires et d'inciter au mariage les soldats qui �taient sous son commandement:

Le principal point auquel vous devez vous appliquer est de travailler par toutes sortes de moyens � l'�tablissement des soldats et des familles dans les postes de Port-Royal, Pentago�t, Rivi�re-Saint-Jean, et dans toute l'�tendue de la c�te qui appartient � Sa Majest�, en les aidant de tous les secours qui sont en vos moyens et en les maintenant en paix et en repos, en sorte que, se voyant bien trait�s et � leur aise, d'autres Fran�ais soient convi�s d'aller habiter ce pays-l�.

Ces soldats venaient du r�giment de Carignan arriv� en 1665. Apr�s leur licenciement en 1668, plusieurs soldats s'�tablirent en Acadie. En 1671, le gouverneur Grandfontaine r�sidait � Pentago�t avec sa compagnie, mais le si�ge administratif de la colonie demeurait � Port-Royal. Il faut consid�rer que la garnison comptait 25 soldats, tous � Pentagouet. Il devait y avoir aussi quelques individus � La H�ve, au fort Saint-Jean, dans la baie des Chaleurs et � Perc�. � la fin de l'ann�e 1671, Port-Royal et les r�gions avoisinantes abritaient  une population de 373 habitants r�partis en 68 familles. On d�nombrait aussi 380 b�tes � cornes, 406 moutons et 364 arpents de terre cultiv�e � Port-Royal. L'Acadie n'�tait donc pas une destination tr�s populaire en France. Pour certains militaires fran�ais, la colonie �tait m�me vue comme une sorte de punition. Sur les instructions du ministre Colbert, une cinquantaine de nouveaux colons quitt�rent La Rochelle en 1671 pour s'installer en Acadie. 

Lieu (Statistique Canada), 1686, Acadie Population
Port-Royal 592
Beaubassin (Chignectou) 127
Les Mines 57
Isle Perc�e 26
Chedabouctou 21
La H�ve 19
Fleuve Saint-Jean 16
Cap-de-Sable 15
Miramichi 6
N�pissigny (Nipisiguit > Bathurst) 6
Total 885
Le recensement de 1686 r�v�le la r�partition suivante: 592 personnes � Port-Royal, 127 � Beaubassin, 57 aux Mines, 26 � l'�le Perc�, 21 � Chedabouctou, 19 � La H�ve, 16 � Saint-Jean, 15 au Cap-de-Sable, 6 � Miramichi et 6 � N�pissigny (Nipisiguit, aujourd'hui Bathurst). Ce que les Fran�ais appelaient alors les �isles Perc�es� regroupaient le rocher Perc�, l'�le Bonaventure et l'�le Plate, connues aussi sous le nom de ��les de Gasp�. � ce nombre il faudrait ajouter 49 individus �tablis autour du fleuve Saint-Jean: 24 dans la seigneurie de Fr�neuse, 11 dans celle de Jemsek, 14 � Nataxouat. 

Les Acadiens �taient avant tout des agriculteurs, m�me si plusieurs faisaient de la p�che et la traite des fourrures. Le b�tail constituait leur plus grande richesse. Comme la colonie manquait de tout, la Nouvelle-Angleterre devenait le d�bouch� commercial le plus naturel. Les Acadiens vendaient du b�tail aux Bostonnais contre des tissus et autres articles indispensables. Selon les historiens, les Acadiens constituaient un peuple rural profond�ment religieux, aux m�urs simples, poss�dant peu d'instruction, entretenant peu d'ambition et vivant relativement vieux.  

Le peuplement initial en Acadie se limitait essentiellement � trois r�gions: Port-Royal dans la baie Fran�aise, Beaubassin (1670) dans l'isthme de Chignectou et Les Mines (1682) au fond de la baie Fran�aise dans le bassin des Mines. � partir de ces r�gions, de nombreux autres villages furent fond�s.

Si l'on peut retenir l'ann�e 1604 comme le d�but du peuplement en Acadie, la v�ritable colonisation n'a commenc� qu'� partir de 1632 durant l'administration du gouverneur Isaac de Razilly qui a amen� les premi�res familles fran�aises en Acadie.

� partir de la fin du XVIIe si�cle, la France n'enverra plus d'immigrants en Acadie, la situation politique �tant jug�e trop instable. Et les autorit�s fran�aises avaient toujours la hantise de ne pas d�peupler la France au profit des colonies! Apr�s 1670, l'immigration resta fam�lique : seulement 61 hommes (presque tous c�libataires) et cinq femmes s'install�rent en Acadie. Ces immigrants �taient originaires du Canada ou de diff�rentes provinces de France, mais il y avait aussi quelques Irlandais parmi eux. Bien que la la plupart de ces immigrants fussent de religion catholique, certains �taient protestants (huguenots). En effet, plusieurs Fran�ais protestants s'install�rent dans les r�gions de Beaubassin et de Grand-Pr�, d�couvertes en 1681, o� ils deviendront des �d�fricheurs d'eau� en utilisant des �aboiteaux�, technique emprunt�e aux Hollandais pour ass�cher une partie du marais poitevin, ce qui leur permit de gagner sur la mer ou les rivi�res des terres fertiles. Apr�s la d�portation de 1755, les huguenots s'assimileront aux catholiques.

En 1701, la population acadienne atteignait 1300 habitants. Port-Royal comptait pour un peu moins de la moiti�. Il y en avait 189 � Beaubassin, 400 aux Mines, 150 � Richibouctou, les autres �tant dispers�s en petits groupes au Cap-Sable, � La H�ve, � Canceau.  

4.4 La langue des Acadiens

Au d�but du XVIIIe si�cle, la plupart des immigrants fran�ais qui s'�taient �tablis en Acadie �taient install�s le long du littoral de l'actuelle Nouvelle-�cosse (voir la carte de 1700), notamment autour de la baie Fran�aise (aujourd'hui la baie de Fundy). Ces colons venaient tous de la province fran�aise du Poitou. Contrairement aux immigrants de la vall�e du Saint-Laurent, qui �taient originaires de plusieurs provinces de France, les premiers locuteurs de l'Acadie ont �t� g�ographiquement circonscrits � quelques villages du Poitou: Martaiz�, d'Aulnay, d'Angliers, de La Chauss�e et de Guesnes, auxquels il convient d'ajouter le village d'Oiron. Ces six villages �taient tous situ�s dans le nord-est du Poitou (voir la carte r�gionale), zone qui fait partie aujourd'hui du d�partement de la Vienne (86).

Le Poitou n'a plus d'existence administrative, puisque cette ancienne province est disparue depuis la fin du XVIIIe si�cle au profit des r�gions et des d�partements. Le peuplement de l'Acadie r�sulte d'un transfert important d'agriculteurs s�dentaires du Poitou, alors que les immigrants des autres colonies fran�aise, y compris le Canada, �taient majoritairement des �gens de m�tier� et des artisans, avec une pr�f�rence marqu�e pour la vie itin�rante (coureurs des bois, voyageurs, explorateurs, etc.).

Les colons fran�ais du Poitou parlaient tous poitevin avant leur arriv�e en Acadie. Mais le poitevin n'�tait pas uniforme et �tait en grande partie influenc� par l'angevin (parl� dans l'ancienne province d'Anjou). De plus, la r�gion du Poitou �tait une zone de transition entre le Nord et le Sud, o� se rencontraient les parlers m�ridionaux et ceux du Nord, c'est-�-dire les langues d'o�l et les langues d'oc. Ces colons �taient des paysans, des p�cheurs et des artisans, et la plupart ne savaient ni lire ni �crire. N�anmoins, avec le temps, et parce qu'ils habitaient une colonie fran�aise, ils durent apprendre la langue fran�aise. Les Acadiens en vinrent rapidement � parler une langue fortement apparent�e au fran�ais populaire employ� dans les villes de France au d�but du XVIIe si�cle. Toute la vie officielle, que ce soit � Port-Royal, dans les forts ou dans les arm�es, y compris les milices acadiennes, se d�roulait en �fran�ais du roy�. Ce fran�ais v�hicul� par les Acadiens n'emp�chait nullement ces derniers d'avoir recours � de nombreux acadianismes d'origine poitevine. Les linguistes ont relev� 283 �poitevinismes� dans le lexique acadien, lesquels peuvent aussi �tre d'origine angevine. Ainsi, les termes bu�tereau (�coteau�), planche (�plat� pour un terrain), fourgailler (�tisonner�), d�grucher (�descendre�) �taient aussi bien connus en Anjou qu'au Poitou. Les poitevinismes sont employ�s assez couramment encore aujourd'hui au Nouveau-Brunswick (Shippagan, Saint-Antoine, Sainte-Joseph, Acadieville, Petit-Rocher, etc.), en Nouvelle-�cosse (Ch�ticamp, Pointe-de-l'�glise, etc.), � l'�le-du-Prince-�douard (Mont-Carmel) et au Qu�bec, notamment aux �les de la Madeleine et en Gasp�sie (Carleton, Bonaventure, Pasb�biac, etc.).

Yves Cormier, l'auteur du Dictionnaire du fran�ais acadien (1999), estime que 90 % de tous les acadianismes (voir l'article de Jaromir Kadlec) sont d'origine fran�aise, alors que 6 % seraient emprunt�s � l'anglais, 3 % aux langues am�rindiennes et 1 % seraient d'origine incertaine. Parmi les acadianismes d'origine fran�aise, nous trouvons des archa�smes et les dialectalismes souvent emprunt�s au Poitou (d'o� les poitevinismes), dont beaucoup de mots li�s � l'agriculture et � la vie maritime, puis des mots issus du fran�ais populaire des XVIIe et XVIIIe si�cles.

Au total, 815 colons fran�ais sont partis pour la Nouvelle-France, plus pr�cis�ment en Acadie. En r�alit�, une cinquantaine de familles poitevines constituent la souche principale du peuple acadien, car il ne viendra � peu pr�s plus d'autres Fran�ais pour contribuer au peuplement de la colonie acadienne, sauf un certain nombre de militaires d�mobilis�s qui choisiront de rester en Acadie et de prendre pour �pouses des jeunes filles dans les familles acadiennes.

Vers 1650 (voir la carte des fronti�res), l'Acadie comptait environ 400 habitants, alors que la Nouvelle-Angleterre en comptait d�j� plus de 28 000. Apr�s trois ou quatre g�n�rations, les habitants des diff�rents �tablissements acadiens �taient reli�s les uns aux autres par des liens de parent� tr�s �troits. Cette homog�n�it� de la population cr�a la �grande famille acadienne�. Elle explique aussi la grande coh�sion et la grande solidarit� des Acadiens, m�me au cours des longues ann�es qui ont suivi la d�portation. Les seuls ��trangers� en Acadie �taient les administrateurs (en nombre infime), les soldats, les quelques grands commer�ants et les missionnaires qui, presque tous d'origine fran�aise, prenaient fait et cause pour les Acadiens. Il fallait compter aussi sur les autochtones, les Micmacs, les Ab�naquis et les Mal�cites, qui demeuraient de pr�cieux alli�s pour les Acadiens. 

4.5 L'instruction chez les Acadiens

Durant le R�gime fran�ais, soit jusqu'en 1713 en Acadie p�ninsulaire, la colonie �tait servie par une quarantaine de religieux et de pr�tres s�culiers. Ils furent � la fois des ministres du culte, mais aussi des instituteurs, des guides politiques et des arbitres pour r�gler des conflits tant priv�s qu'institutionnels. Avant l'ouverture des �coles, ce sont des missionnaires qui assuraient l'�ducation aux jeunes Acadiens qui offraient des meilleures dispositions pour apprendre � lire et � �crire. L'instruction �tait offerte dans des ��coles du dimanche� lorsqu'un pr�tre �tait d�ment affect� � une paroisse. Les parents plus fortun�s envoyaient leurs enfants � Qu�bec ou en France. De fa�on g�n�rale, les missionnaires, d'abord des j�suites, puis des r�collets et des capucins, avaient surtout pour t�che d'enseigner la religion aux jeunes Am�rindiens afin de les convertir � la religion catholique.  

En 1701, une premi�re �cole pour les Acadiens fut ouverte � Port-Royal  sous la direction des religieuses de la Congr�gation de la Croix venues express�ment de France. Mais la premi�re v�ritable �cole de Port-Royal fut fond�e en 1703 par le p�re Patrice Ren�. Quelques ann�es plus tard, une autre �cole vit le jour � Saint-Charles-des-Mines (Grand-Pr�) gr�ce aux bons offices de l'abb� Louis Geoffroy. Il y en eut aussi � La H�ve, � Canseau et � Nipisiguit. Dans l'ensemble, peu d'Acadiens savaient lire; �crire �tait encore plus rare.    

D�s 1632 ou 1633, un premier �s�minaire� fut fond� et il fut suivi par plusieurs autres. � cette �poque, il n'�tait pas question de fonder une institution, du moins en Acadie, pour former des pr�tres. Ces �s�minaires� correspondaient � de petites �coles destin�es aux autochtones. En t�moigne cette lettre de Louis XIV en 1647 :

Nous sommes inform� que le Sieur d'Aulnay a �rig� un s�minaire dirig� par plusieurs capucins pour l'instruction des enfants sauvages.

Tous les missionnaires durent apprendre les langues des Indiens, notamment le micmac, l'ab�naqui et le mal�cite. Ils apprenaient aux enfants quelques rudiments de fran�ais. Il existait dans certaines paroisses plus importantes des �s�minaires� pour les enfants acadiens, les Am�rindiens et parfois les filles de colons. Cependant, il fut toujours difficile de maintenir ces �coles pour des raisons financi�res parce que ces �tablissements ne recevaient aucun secours du Tr�sor royal. C'est g�n�ralement le gouverneur qui devait entretenir ces �coles � m�me sa cassette personnelle. Normalement, les �l�ves restaient � l'�cole quelques mois, mais certains ont pu la fr�quenter jusqu'� un an, rarement deux ans.

4.6 La colonisation acadienne

Le peuplement en Acadie r�v�le que les habitants ont pr�f�r� cultiver les terres d'alluvions pr�s de la mer, au fond de la baie Fran�aise, plut�t que de d�fricher des terres hautes. C'est que l'amplitude des mar�es, parmi  les plus hautes au monde, permettaient l'ass�chement des terres basses sans que l'eau sal�e ne puisse y p�n�trer. Venant du Poitou et de la Saintonge, deux r�gions mar�cageuses de France, les colons acadiens savaient comment construire de puissantes digues (les �aboiteaux�) pour mettre rapidement en culture des sols fertiles assurant la subsistance de la colonie, malgr� les guerres incessantes. Le tableau qui suit illustre la croissance respective des trois r�gions majeures de peuplement, Port-Royal, Beaubassin et Les Mines:

Ann�e Port-Royal Beaubassin Les Mines
1671 350 127 -
1686 583 119 57
1693 499 174 305
1698 575 - -
1701 456 188 487
1703 504 246 527
1707 570 326 677
1714 900 345 1031
1730 900 1010 2500
1737 1406 1816 3736
1748-1750 1750 2800 5000

Source: ROY, Muriel K. �Peuplement et croissance d�mographique en Acadie� dans Les Acadiens des Maritimes, Moncton, Centre d'�tudes acadiennes, Universit� de Moncton, 1980, p. 148.

Au d�but de la colonie, Port-Royal �tait la r�gion la plus peupl�e, mais graduellement la r�gion de Beaubassin et surtout celle des Mines surpass�rent la r�gion de la capitale. Comme l'Acadie �tait aux portes de la Nouvelle-Angleterre et que les moyens mis � la disposition des administrateurs demeuraient limit�s, les p�cheurs acadiens et les p�cheurs anglais de Boston avaient des contacts fr�quents.

 La p�n�tration �conomique et commerciale de la colonie du Massachusetts en Acadie devint une constante durant tout le R�gime fran�ais. Les communications avec la France �tant sporadiques, la colonie manquait de tout. Or, la puissance commerciale des Bostonnais pouvait compenser admirablement, car la France n'�tait pas en mesure de rivaliser avec les Britanniques.

� l'�poque, la colonie du Massachusetts comprenait l'actuel �tat du Massachusetts (la partie sud) ainsi qu'une partie du Maine actuel (la partie nord), la fronti�re demeurant floue au nord avec la Nouvelle-France, et � l'ouest, ce qui constitue aujourd'hui le comt� d'Aroostook dans le Maine cr�� en 1819 et int�gr� dans l'Union le 15 mars 1820. C'est pourquoi la colonie du Massachusetts consid�rait le territoire de l'Acadie comme l'une de �ses� zones. L'extension du peuplement acadien dans la baie Fran�aise (baie de Fundy) ne pouvait qu'accro�tre l'ins�curit� des Britanniques, surtout en raison des attaques incessantes des Micmacs et des Ab�naquis � la solde des Fran�ais. Quant aux Acadiens, ils essuyaient les repr�sailles des attaques anglaises. Autant le moral faiblissait sur le front acadien, autant celui des colons de la Nouvelle-Angleterre s'affermissait.

� partir des ann�es 1670, le peuplement de l'Acadie deviendra un peu plus diversifi�. Le gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France conc�dera des seigneuries � de nombreux Canadiens qui s'�tabliront alors en Acadie, surtout dans la baie des Chaleurs et dans la r�gion de Beaubassin.  Au total, il y eut 55 seigneuries en Acadie, mais la plupart des seigneurs ne se pr�occup�rent gu�re d'exploiter leur territoire et de le peupler: la superficie des seigneuries �tait trop grande et le gouvernement colonial n'exer�ait aucun contr�le. Seules quelques rares seigneuries (Beaubassin, Port-Royal et Cobeguit) connurent un peuplement et la colonisation.

L'Acadie fut tellement n�glig�e que les gouverneurs successifs de la colonie ont d� changer de capitale en fonction des besoins du moment. Il y eut surtout Port-Royal, mais aussi Pentagouet, Fort Saint-Jean, Beaubassin, Jemsek et Nataxouat. Cette mobilit� dans le choix d'une capitale locale t�moignait de l'ins�curit� et du d�sarroi des administrations coloniales. Les gouverneurs, tous nomm�s par Versailles, �taient mal pay�s et laiss�s � eux-m�mes, livr�s � toutes les tentations et tous les abus. Les documents historiques attestent la mis�re des fortifications de Port-Royal, ainsi que la pauvret� et l'exigu�t� des maisons des paysans, dispers�es �a et l�. Les Acadiens pratiquaient g�n�ralement une �conomie de subsistance dans une colonie o� n'existait aucune ville. Seule une tr�s petite �lite fran�aise acc�dait � la culture au sein d'une soci�t� rurale o� l'�crit demeurait une dent�e rare. La plupart des Acadiens vivaient � l'�cart de l'�tat, ne payaient pas d'imp�t et se m�fiaient des lev�es d'hommes (miliciens) pour la guerre.

En 1701, le gouverneur Brouillan se plaignait du caract�re indocile des Acadiens en ces termes: �Les habitants des Mines sont � demi r�publicains, tr�s ind�pendants de caract�re, et habitu�s � d�cider de tout par eux-m�mes.� Les Acadiens formaient ainsi une communaut� agricole autosuffisante form�e de petits producteurs ind�pendants, famili�rement nomm�s �habitants�. Seuls une poign�e de Fran�ais pratiquaient un commerce v�ritable. L'annexion de l'Acadie en 1713 n'allait pas encore mettre fin � cette minuscule soci�t�, mais elle introduisait l'av�nement du capitalisme et des grands commer�ants anglo-saxons arriv�s de la Nouvelle-Angleterre.   

4.7 Le territoire acadien

L'Acadie, du moins telle qu'elle existait en 1700, c'est-�-dire en tenant compte de la population r�sidante, ne comprenait essentiellement que la Nouvelle-�cosse actuelle, sans l'�le du Cap-Breton, ainsi qu'une partie du Maine actuel, � l'est de la rivi�re Kennebec. L'Acadie continentale (le Nouveau-Brunswick) ne comptait que de petits villages le long de la baie Fran�aise (baie de Fundy), sur les bords du fleuve Saint-Jean au sud et dans l'isthme de Chignectou, notamment � Beaubassin.

Pour le reste, les fronti�res de la colonie de l'Acadie sont toujours demeur�es fluctuantes, surtout � l'ouest. Avant 1713, les gouverneurs de Port-Royal administraient l'Acadie p�ninsulaire et, en Acadie continentale, seulement le long de la baie Fran�aise jusqu'� la rivi�re Kennebec, dont Pantagou�t fut l'ultime limite avec la Nouvelle-Angleterre. Pour plus de pr�cision, consulter la carte de l'Acadie en 1700 en cliquant ICI, s.v.p.

Seuls des p�cheurs bretons, basques et malouins occupaient durant la saison estivale des sites � l'�le du Cap-Breton et � l'�le Saint-Jean. En 1700, � l'exception du bourg de Port-la-Joy de l'�le Saint-Jean, il ne restait que le fort Sainte-Anne au Cap-Breton, le fort de Simon Denys ayant �t� abandonn� en 1659.

� la m�me �poque, une autre colonie fran�aise faisait concurrence � l'Acadie, Plaisance sur l'�le de Terre-Neuve, une colonie royale distincte de l'Acadie, fond�e en 1662, au sud-ouest de la p�ninsule d'Avalon. Au m�me moment, la "Newfoundland" restait la colonie des Anglais qui avaient install� leur capitale � Saint John's, au nord-est de la m�me p�ninsule. Il n'y avait pas d'Acadiens dans la colonie de Plaisance. Ainsi, l'�le de Terre-Neuve comptait deux colonies: une anglaise, la "Newfoundland", l'autre fran�aise, Plaisance.

5 Les autochtones

� la mort d'Henri IV en 1610, la r�gente Marie de M�dicis d�cida d'envoyer deux j�suites � Port-Royal. Ceux-ci arriv�rent le 27 mai 1611. Le premier souci des p�res Biard et Mass� fut d'instruire les enfants indig�nes. Comme c'�tait courant � l'�poque, les autochtones �taient d�sign�s par le terme Sauvages (mais par Indians ou Indiens par les Britanniques). Ces mots n'avaient en principe rien de d�pr�ciatif, surtout pour les Acadiens qui avaient besoin de l'alliance des Indiens. Mais les officiers fran�ais les consid�raient aussi comme des �brutes� et des �pa�ens� qu'ils fallait convertir ou exterminer. Ils les regardaient g�n�ralement avec m�pris, mais estimaient qu'il �tait pr�f�rable de les avoir avec eux plut�t que contre eux. En Nouvelle-France, on employait aussi le mot �Barbares� pour d�signer les autochtones ennemis des Fran�ais, en l'occurrence les Natchez en Louisiane, alors qu'au Canada le m�me terme �tait synonyme d'�Iroquois�. En Acadie, les Fran�ais n'avaient pas d'ennemis am�rindiens. M�me s'ils vivaient en Nouvelle-France sous la juridiction du roi de France, les autochtones ne reconnurent jamais la souverainet� du roi et conserv�rent toujours leur autonomie.

Du temps de la Nouvelle-France, il n'y avait que trois peuples autochtones en Acadie: les Micmacs, les Ab�naquis et les Mal�cites. Afin de communiquer avec les autochtones, il a fallu que les missionnaires fran�ais apprennent les �langues du pays�. Ceux-ci ont bien tent� de faire apprendre le fran�ais aux petits enfants autochtones. Comme ils ne voyaient pas l'utilit� de cet enseignement, les enfants ne s'y sont gu�re int�ress�s. Le r�collet Gabriel-Th�odat Sagard (v. 1590-1636) �crivit � ce sujet: �H�las! ces pauvres �l�ves oubliaient en trois jours ce que nous leur aurions appris en quatre.� Puis le programme de francisation fut vite mis au rancart en raison du �caract�re pervers� des Indiens! De fait, les Fran�ais se rendirent compte de l'objectif utopique de toute assimilation. Les �Sauvages� se sont montr�s tr�s r�fractaires � toute francisation. �Ils ne se soucient gu�re d'apprendre nos langues�, lit-on dans les Relations des j�suites. Ce sont les Fran�ais, donc aussi les Acadiens, qui durent �se mettre � l'�cole des Sauvages� et apprendre leurs langues.

En Acadie, dans certains villages, m�me les enfants fran�ais (ou acadiens) apprenaient le micmac, le mal�cite ou l'ab�naqui lorsqu'ils s'amusaient avec les petits autochtones. Les Micmacs, les Mal�cites et les Ab�naquis parlaient des langues algonkiennes, le micmac, le mal�cite et l'ab�naqui. Au XVIIe si�cle, on croit qu'il y avait 10 000 autochtones en Acadie au d�but du R�gime fran�ais.

5.1 Les Ab�naquis

Les Ab�naquis (ou Ab�nakis) �taient parfois appel�s Kinib�quis. Au nombre d'environ 3000 personnes (entre 500 et 1000 guerriers), ils habitaient un grand territoire couvant aujourd'hui les �tats du Maine, du Vermont, du New Hampshire, du Massachusetts et du Connecticut, ainsi que toute la vall�e du Saint-Laurent, sur la rive sud, depuis la rivi�re Chaudi�re jusqu'au pays des Iroquois; ils allaient chasser parfois sur le littoral du c�t� nord du Saint-Laurent. Bref, le territoire des Ab�naquis commen�ait en Acadie � partir du fleuve Saint-Jean et se prolongeait jusqu'en Nouvelle-Angleterre, offrant ainsi une zone tampon entre les Fran�ais et les Anglais. Avant les contacts avec les Blancs, les Ab�naquis formaient un peuple d'environ 10 000 � 12 000 personnes. Les Ab�naquis furent les plus redoutables guerriers alli�s des Fran�ais pour combattre les Britanniques. Ils repr�sentaient l'�quivalent des Iroquois pour les Fran�ais. Les Ab�naquis semaient la terreur et l'effroi en Nouvelle-Angleterre, comme les Iroquois le faisaient dans la vall�e du Saint-Laurent.

5.2 Les Micmacs

Les Micmacs �taient appel�s par les Fran�ais Souriquois. La forme �crite officielle est Mi'kmaq, mais on trouve aussi Mikmak et Mikmaq). Les Micmacs ont �t� de grands alli�s pour les Fran�ais qui les d�signaient par diff�rents noms: Souriquois, mais aussi �Indiens du Cap-Sable�, �Gasp�siens� ou �Micmacs de Gasp�. Entre eux, les Micmacs se nommaient L'nu'k �le peuple�.


Guerrier micmac vers 1740

En 1611, le p�re Pierre Nilard en d�nombrait environ 3000 en Acadie, pour moins de 200 guerriers. Ils occupaient presque toute la superficie des Maritimes actuelles, y compris le sud de la Gasp�sie et l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard). En 1605, Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain ont rencontr� les Micmacs, alors qu'ils installaient une petite colonie fran�aise � Port-Royal, territoire habit� par cette communaut� am�rindienne. Les maladies europ�ennes ont r�duit consid�rablement la population des Micmacs, notamment apr�s 1620.

L'�le du Cap-Breton (�le Royale) abritait des Indiens micmacs depuis des temps imm�moriaux. Ils appelaient leur �le �Onamag�, qui servait de si�ge au grand sachem de tous les Micmacs de cette partie de l'est de la Nouvelle-France; ils se d�signaient eux-m�mes comme les Onamag. Il y avait des Micmacs sur l'�le Saint-Jean (les Pigtogeoag), sur le littoral de l'Acadie continentale (les Sigenigteoag et les Epegoitnag), ainsi que dans toute l'Acadie p�ninsulaire (les Esgigeoag, Segepenegatig et les Gespogoitnag). La r�gion identifi�e aujourd'hui comme la Gasp�sie comptait aussi des Micmacs: les Gespegeoag. Bref, la nation micmac comptait sept nations qui occupaient chacune un territoire d�fini.

5.3 Les Mal�cites

Les Mal�cites furent �galement de grands alli�s pour les Fran�ais et les Acadiens. Les Fran�ais les appelaient Passamaquoddy, en r�f�rence � la vall�e de Passamaquoddy o� vivaient de nombreux Mal�cites. Mais l'histoire a surtout retenu le nom de Etchemins qui a davantage �t� utilis� par les autorit�s coloniales. Les Mal�cites formaient une petite communaut� dispers�e de 2000 � 2500 personnes (environ 200 guerriers). Ils habitaient surtout en Acadie fran�aise, notamment sur les rives du fleuve Saint-Jean et vers l'ouest au-del� de la rivi�re Kennebec (aujourd'hui dans le Maine). En 1605, les Fran�ais furent accueillis par le chef micmac Membertou lorsqu'ils d�barqu�rent � l'endroit qui allait devenir Port-Royal. D�s cette �poque, les Fran�ais se li�rent aux Mal�cites en leur manifestant une confiance qui a certainement contribu� � l'expansion de la petite colonie de Port-Royal. Cependant, les contacts entretenus avec les Fran�ais ne furent pas toujours b�n�fiques pour les Mal�cites. En effet, comme ils n'�taient pas immunis�s contre les maladies europ�ennes, la peste ravagea leur population en 1694 en emportant plus de 120 Mal�cites. En 1728, les Mal�cites abandonn�rent leur alliance avec la France en ratifiant le trait� de paix conclu � Boston avec les Anglais; ils reconnurent d�s lors la souverainet� britannique sur la Nouvelle-�cosse. La nation mal�cite est aujourd'hui disparue, le dernier survivant �tant d�c�d� en 1972.

5.4 Des alli�s incontournables

Les Fran�ais en Acadie, comme dans toute la Nouvelle-France (Canada, Louisbourg, r�gion des Grands Lacs, Louisiane, etc.) furent plut�t exceptionnels (comme Europ�ens!) dans la fa�on dont ils s'alli�rent avec les Premi�res Nations. En effet, alors que les Britanniques, les Espagnols et les Portugais �rigeaient leur empire sur la conqu�te, la suj�tion et la servitude, contrairement aussi aux Am�ricains qui massacreront les autochtones pour s'approprier leurs terres, les Fran�ais ne furent jamais assez puissants pour agir de cette fa�on. Au contraire, il combl�rent les autochtones de cadeaux (outils, armes et munitions, aliments, v�tements, ustensiles de cuisine, animaux, etc.), afin de b�n�ficier de leur collaboration dans la traite des fourrures ou pour recevoir leur appui militaire. C'est pourquoi les Fran�ais ont pu d�velopper une version �plus subtile� du colonialisme europ�en.

En Acadie, les Fran�ais devaient toutefois faire face � la concurrence des Britanniques. Ceux-ci avaient compris le man�ge des Fran�ais et ils se sont mis � offrir aux Indiens des produits de meilleure qualit� et surtout � meilleur prix. Les Micmacs, les Ab�naquis et les Mal�cites ne furent pas lents � s'apercevoir que le commerce avec les Britanniques pouvait �tre plus avantageux. Dans le but de contrecarrer l'influence anglaise, Louis XIV exigea que les fonctionnaires en Acadie ach�tent �au prix des Anglois� tout ce que les Indiens leur apporteraient. La distribution des cadeaux �tait certes une coutume indienne, mais les Fran�ais l'�rig�rent en �v�nement annuel. Ces pr�sents �taient essentiels pour la diplomatie indienne. Ils tenaient lieu de paroles et ils devenaient des contrats d'affaires.  Chaque cadeau �tait pr�sent� avec un discours de circonstance. Comme cette coutume indienne apparaissait raisonnable, les gouverneurs de l'Acadie, � l'exemple du gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France, rendaient g�n�ralement discours pour discours, pr�sent pour pr�sent.

5.5 La religion et les langues am�rindiennes

Tous les missionnaires fran�ais �uvrant en Acadie apprenaient le micmac, l'ab�naqui ou le mal�cite, parfois les trois langues. Ce n'�tait pas une t�che facile pour un Europ�en d'apprendre ces langues, en raison des �normes diff�rences dans la structure des syst�mes linguistiques indo-europ�en et am�rindiens. L'abb� Le Loutre admettait � ce sujet qu'il �tait encore incapable de pr�cher aupr�s des Micmacs, et ce, apr�s trois ans d'apostolat : �Je les entends suffisamment pour les confesser. Je leur apprends leur pri�res, je parle et m'entretiens avec eux, mais je ne suis assez savant pour leur pr�cher.� Malgr� les difficult�s d'apprendre les langues indiennes, certains y r�ussissaient n�anmoins, tel l'abb� Pierre-Antoine Maillard (1710-1762) qui, en quelques mois, put non seulement poss�der rapidement le micmac, mais �galement mettre au point un syst�me de signes hi�roglyphiques pour transcrire les mots de la langue micmac. Malgr� tout, dans sa �Lettre de M. l'abb� Maillard sur les missions de l'Acadie et particuli�rement sur les missions micmaques� (mars 1757), l'abb� fut assez honn�te pour admettre que, apr�s huit ans d'efforts soutenus, il ne saisissait pas compl�tement �le g�nie de cette langue�. Toutefois, il a pu consigner dans des �cahiers� les formules des principales pri�res, des psaumes et des r�ponses du cat�chisme, afin que les Indiens les apprennent plus facilement. L'abb� Maillard a toujours eu recours au micmac pour la quasi-totalit� des pri�res et des chants ex�cut�s par les Micmacs lors des c�r�monies liturgiques. D'ailleurs, l'abb� Maillard fut r�primand� par les autorit�s de sa communaut�, les pr�tres des Missions �trang�res. � cette �poque, tout devait se faire en latin, non dans les langues vernaculaires.

- La langue maternelle des autochtones

L'abb� Maillard a m�me con�u un corpus de grammaires, de dictionnaires et de manuscrits liturgiques. Dans un ouvrage intitul� �Eucologe micmac�, r�dig� entre 1757 et 1759 (publi� dans Manuscrits am�rindiens conserv�s aux Archives de l'archidioc�se de Qu�bec), Maillard �crit les instructions suivantes:

Les Messieurs Missionnaires qui voudrons bien venir travailler apr�s nous au salut des �mes de la nation Mickmaque, ne pourrons jamais mieux faire que de s'appliquer d'abord � bien lire tout ce qui est contenu dans ce livre ecrit en leur langue, � en transcrire tous les jours quelques feuilles, pour s'en faciliter au plut�t la lecture [�] C'est � quoy un Pr�tre missionnaire doit s'appliquer avant que de chercher � bien entendre; parce que tous d'un coup il se trouve propre � instruire et catechiser, � prier, � chanter et � faire ses pr�nes.

Au besoin, l'abb� n'h�site pas � modifier certains passages de l'�criture afin de les rendre intelligibles aux Micmacs, ce qui ne pouvait que favoriser leur �vang�lisation. En c�l�brant publiquement la messe en micmac, l'abb� Maillard faisait la d�monstration aux autorit�s fran�aises de l'attachement des Micmacs � la religion catholique et � leur missionnaire. Si les Missions �trang�res de Paris n'approuvaient gu�re cette pratique, les autorit�s religieuses de Qu�bec ne s'y opposaient pas.

- La religion au service de l'�tat

Ainsi, les missionnaires fran�ais consid�raient que la religion constituait la seule fa�on de �civiliser� les Indiens. En septembre 1748, l'abb� Maillard fit parvenir une lettre � un officier anglais, Thomas Hopson, colonel du r�giment britannique alors post� � Louisbourg: 

Si vous saviez, Monsieur, ce que c'est que d'avoir � conduire un troupeau semblable, tant pour le spirituel que pour le temporel, ce qu'il faut faire pour les maintenir dans l'ordre et la tranquillit�, de quel art oratoire il faut se servir pour le mettre au niveau de la raison, vous seriez tent� de dire qu'il faut que leurs conducteurs aient une magie qui leur soit propre et inconnue � tout autre. Je suis avec les Sauvages depuis maintenant quatorze ans [...] et je puis vous dire, Monsieur, qu'il n'y a que la Religion, qui soit capable de les rendre quelquefois traitables et dociles.

L'abb� Maillard tentait alors d'expliquer � l'officier anglais que les missionnaires fran�ais n'avaient aucune responsabilit� dans le d�clenchement des hostilit�s entre la France et la Grande-Bretagne, et qu'ils essayaient le plus possible de �les maintenir dans l'ordre et la tranquillit� pour les actes qu'ils jugent barbares chez les Indiens, entre autres, l'usage de la torture sur les prisonniers de guerre.

Le colonel Hopson, qui deviendra plus tard gouverneur de la Nouvelle-�cosse, n'�tait pas dupe. Il savait que la �magie� des missionnaires fran�ais �tait la m�me que chez les pasteurs britanniques. Il savait aussi que n'importe quel officier, qu'il soit fran�ais ou britannique, pouvait convaincre des Indiens de faire la guerre moyennant des pr�sents, des armes ou m�me de l'alcool. La diff�rence avec les militaires, c'est que les missionnaires et les pasteurs utilisaient la religion comme arme. En r�alit�, tout officier pouvant haranguer les Am�rindiens dans leur langue pouvait aussi bien les influencer. Mais les officiers-interpr�tes dignes de confiance �taient rares en Nouvelle-France. Dans toute l'histoire de l'Acadie, on ne recense que deux ou trois interpr�tes de ce type. En g�n�ral, on faisait appel aux missionnaires, notamment les Maillard, Le Loutre et Picquet. En raison de leur pr�sence soutenue aupr�s des Am�rindiens et de leur ascendant sur eux, ces pr�tres constituaient des candidats de choix pour servir les int�r�ts politiques des autorit�s coloniales. D'ailleurs, ces missionnaires �taient r�mun�r�s par l'�tat comme des fonctionnaires. Dans ces conditions, il n'est gu�re surprenant que les diff�rentes fonctions que ces missionnaires ont occup�es sur la sc�ne diplomatique en firent de v�ritables interm�diaires politiques au service de la France.

- La langue fran�aise

Contrairement aux usages en vigueur au Canada, les missionnaires �uvrant en Acadie s'assuraient que les Am�rindiens n'apprennent ni � lire ni � �crire en fran�ais, de fa�on � pouvoir conserver le monopole de la connaissance des langues am�rindiennes et fran�aise. Il s'agissait d'une question d'autorit� pour eux, afin de restreindre les possibilit�s d'insubordination de la part des Am�rindiens. Ces missionnaires devaient demeurer les seuls interm�diaires permettant aux Am�rindiens d'entrer en contact avec les Fran�ais; ils se m�fiaient des Indiens qui baragouinaient le fran�ais ou m�me le parlaient. Maillard, craignant d'�tre contest�, a m�me �crit dans une lettre du 1er octobre 1738 r�dig� � Louisbourg: �Autrement, vous les verriez sans cesse �piloguer sur tout ce que vous pourriez dire et m�me faire.�

- La question huguenote

Jusqu'en 1627, les protestants fran�ais, appel�s les huguenots, furent totalement libres de s'�tablir en Nouvelle-France, y compris en Acadie. Plusieurs figures marquantes du d�but de la colonisation fran�aise furent des huguenots: Pierre Dugua de Mons, Samuel de Champlain et H�l�ne Boull� (�pouse de Champlain), Jean-Fran�ois de La Rocque de Roberval, Fran�ois Pontgrav�, Pierre de Chauvin, Guillaume de Caen, etc. Les huguenots fond�rent des comptoirs commerciaux � Tadoussac, � Qu�bec et en Acadie (Port-Royal).

Cependant, les j�suites d�barqu�s � Qu�bec en 1625 ne purent tol�rer une �ventuelle concurrence de religions et voulurent chasser les huguenots de la Nouvelle-France. Ils accus�rent aussit�t les marchands huguenots d'�tre responsables de tous les probl�mes qui accablaient la colonie. D�s lors, la Compagnie des Cent-Associ�s ou Compagnie de la Nouvelle-France re�ut l'ordre, d'apr�s l'article 2 de l'�dit du roi pour l'�tablissement de la Compagnie de la Nouvelle-France (1628), de n'accepter au pays que des �naturels Fran�ais catholiques�:
 

Article II

Sans toute fois qu'il soit loisible aux dits associ�s et autres, faire passer aucun �tranger �s dits lieux, ains peupler la dite colonie de naturels Fran�ais catholiques ; et sera enjoint � ceux qui commanderont en la Nouvelle-France, de tenir la main � ce qu'exactement le pr�sent article soit ex�cut� selon sa forme et teneur, ne souffrant qu'il y soit contrevenu pour quelque cause ou occasion que ce soit, � peine d'en r�pondre en leur propre et priv� nom.

En fait, les v�ritables exclus �taient, d'apr�s le texte, �les �trangers�, non les �naturels Fran�ais� qu'�taient les huguenots. �tant donn� que la religion catholique constituait la religion officielle du Royaume, il apparaissait normal que la Nouvelle-France ne soit peupl�e que de catholiques, y compris en Acadie. � cette �poque de guerres religieuses, le droit r�gissant l'appartenance religieuse �tait bas� sur le principe Cujus regio, ejus religio (litt�ralement �tel prince, telle religion�). Autrement dit, les �sujets du roy� n'avaient les pleins droits politiques que s'ils professaient la religion du souverain. Les monarchies europ�ennes tol�raient ais�ment une multitude de langues dans leur �tat, mais elles ne pouvaient g�n�ralement admettre que deux religions puissent cohabiter au sein de leur propre �tat. En ce sens, l'�dit de Nantes de 1598 �mis par Henri IV, qui reconnaissait la libert� de culte pour les protestants de France, constituait une exception parmi les royaumes d'Europe.

Malgr� les exigences de l'�glise catholique, les autorit�s civiles et militaires de la Nouvelle-France manifest�rent une assez grande tol�rance � l'�gard des huguenots et ne filtr�rent pas m�ticuleusement leur entr�e dans la colonie. C'est pourquoi les autorit�s eccl�siastiques du Canada se plaignirent en 1641 par trois fois au Conseil de la Marine, ce qui n'a d'ailleurs pas sembl� troubler le ministre Maurepas. En r�alit�, l'arriv�e de protestants en Nouvelle-France, notamment en Acadie, fut constante, sauf durant les quelques ann�es qui ont suivi la r�vocation de l'�dit de Nantes de 1685. �tant donn� que la plupart des Acadiens �taient originaires du Poitou, un r�gion r�put�e pour la pratique de la religion r�form�e, il �tait normal qu'un certain nombre de huguenots fasse partie des �migrants fran�ais. Au moins le tiers des Poitevins et des Saintongeais devaient �tre huguenots, mais une fois install�s en Acadie ils se convertirent tous progressivement au catholicisme.   

Dans le contexte nord-am�ricain de l'�poque, les autorit�s fran�aises se m�fiaient des huguenots parce qu'ils �taient protestants et que le voisinage des Britanniques, �galement protestants, semblait repr�senter un trop grand risque en raison de la d�loyaut� �ventuelle des colons huguenots. C'�tait amplement suffisant pour susciter la parano�a tant en France qu'en Nouvelle-France. C'est pourquoi seulement un peu plus de 500 huguenots pass�rent au Canada, en Acadie et � l'�le Royale (Louisbourg).

5.6 Le sabre et le goupillon

Les missionnaires fran�ais prenaient soin d'�duquer les autochtones dans la crainte de Dieu et des... Anglais, des ennemis jur�s de la religion catholique et du roi de France. Ils �taient g�n�ralement tout dispos�s � servir les int�r�ts conjoints de la religion catholique et de la France. � partir de Qu�bec, les autorit�s fran�aises organisaient r�guli�rement, avant la d�portation de 1755, des exp�ditions (gu�rillas) en Nouvelle-Angleterre, surtout au Massachusetts (qui comprenait alors le Maine actuel), avec la complicit� et l'aide des Ab�naquis ou des Micmacs, terrorisant ainsi les colons britanniques. En temps de paix, la collaboration des autochtones �tait essentielle, car ces derniers pouvaient se battre � la place des Fran�ais (ce qui incluait les Acadiens). Malgr� l'interdiction impos�e par l'�v�que de Qu�bec, selon laquelle les missionnaires ne devaient pas intervenir directement dans les affaires politiques de la colonie, certains missionnaires n'h�sitaient gu�re � pousser les Indiens � la guerre, en leur disant qu'ils perdraient leurs terres et leur �me s'ils ne chassaient pas les Anglais � l'ouest de la Kennebec, la rivi�re qui s�parait en principe l'Acadie de la Nouvelle-Angleterre (alors le Massachusetts). Ces pr�tres furent parfois charg�s de recruter les guerriers indiens, � la demande m�me des autorit�s fran�aises.

En g�n�ral, les pr�tres �taient peu nombreux en Acadie, jamais plus de six pour couvrir tout le territoire, incluant les Acadiens et les Am�rindiens, tout ce monde �tant pratiquement illettr�. Parfois, deux ou trois de ces missionnaires �taient hors d'�tat de servir, parce qu'ils �taient malades ou d�c�daient. Finalement, la plupart des paroisses �taient priv�es de pr�tres; les habitants des c�tes pouvaient n'�tre desservis qu'une fois par ann�e.

Certains missionnaires ont certes jou� le r�le d'agents officiels aupr�s des autorit�s fran�aises. Il y eut quelques personnages c�l�bres: le j�suite S�bastien R�le (1657-1724), le j�suite Louis-Pierre Thury (1644-1699), le j�suite Pierre de La Chasse (1670-1749), le sulpicien Fran�ois Picquet (1708-1781), l'abb� Pierre-Antoine Maillard (1710-1762) et surtout l'abb� Jean-Louis Le Loutre (1709-1772), pr�tre s�culier, un personnage tr�s appr�ci� des ministres de Versailles. L'abb� Le Loutre fut fait prisonnier par les Anglais durant huit ans, puis rel�ch� en ao�t 1763. Revenu en France, l'abb� Le Loutre s'occupera activement des exil�s acadiens afin de les aider � se procurer des �tablissements o� ils pourrait s'installer, notamment � Belle-�le-en-Mer et dans le Poitou, puis en Corse et m�me aux Antilles. Le ministre de la Marine et des Colonies, le duc de Choiseul, retiendra ses tr�s pr�cieux services en lui assurant une pension de 3000 livres. L'abb� Le Loutre fut probablement le personnage religieux le plus influent de l'histoire de l'Acadie fran�aise. Le 29 juillet 1749, l'abb� Le Loutre �crivait ainsi au ministre de la Marine et des Colonies (Antoine-Louis Rouill�) ce qu'il pensait au sujet du recours aux Indiens:

Comme on ne peut s'opposer ouvertement aux entreprises des Anglois, je pense qu'on ne peut mieux faire que d'exciter les Sauvages � continuer de faire la guerre aux Anglois, mon dessein est d'engager les Sauvages de faire dire aux Anglois qu'ils ne souffriront pas que l'on fasse de nouveaux �tablissemens dans l'Acadie [...] je feray mon possible de faire para�tre aux Anglois que ce dessein vient des Sauvages et que je n'y suis pour rien.

Mais les attaques indiennes contre les �Anglois� amen�rent le gouverneur de la Nouvelle-�cosse, Edward Cornwallis, � jurer la perte de l'abb� Le Loutre, en le d�crivant en octobre 1749 comme �un bon � rien, un sc�l�rat comme il n'y en eut jamais�. Cornwallis tenta de le capturer mort ou vif en promettant une r�compense 50 livres pour son scalp.

Pour leur part, les Fran�ais voyaient en ces pr�tres de pr�cieux alli�s. Le 4 septembre 1706, Philippe de Rigaud de Vaudreuil (p�re) �crivit cette lettre au ministre Pontchartrain:

J'ai �crit aux p�res La Chasse et Aubry, qui sont retourn�s chez les Ab�naquis au bord de la mer, et je leur marque de faire continuer la guerre par leurs Sauvages aux Anglais tant qu'il leur sera possible, � moins qu'ils ne re�ussent des lettres de M. de Subercase ou du sieur de Bonaventure en son absence, ce qui par des raisons tr�s fortes les priassent au contraire; en ce cas, de faire suspendre la hache aux Sauvages et de m'en faire donner avis au plus t�t, en m'envoyant copie des lettres de ces messieurs, afin de recevoir ensuite mes ordres et de savoir mes sentiments.

Le 25 septembre 1721, le m�me Vaudreuil �crivait cette lettre au p�re S�bastien R�le (�crit aussi comme Rasles, R�les, Rale, Racle), laquelle ne laisse aucun doute sur le r�le de ce pr�tre, et de bien d'autres comme agents des autorit�s coloniales:

Je suis bien aise que vous-m�me et le p�re La Chasse ayez incit� les Indiens � traiter les Anglais comme ils ont fait. Mes ordres sont de ne les priver de rien et de leur fournir beaucoup de munitions.

Le p�re R�le pr�f�rait sans aucun doute inciter les Indiens � la paix, mais il �tait aussi sous les ordres du gouverneur de la Nouvelle-France. Or, nous savons aujourd'hui que les ordres du gouverneur g�n�ral furent suivis. D'ailleurs, les Britanniques rendaient le p�re R�le responsable de l'intervention � main arm�e des guerriers ab�naquis. Ils mirent sa t�te � prix et offrirent jusqu'� 4000 livres sterling pour se procurer ce chef pr�cieux qui parlait l'ab�naqui, le huron, l'illinois et l'outaouais. Il a m�me r�dig� un dictionnaire de l'ab�naqui, dont le manuscrit est conserv� aujourd'hui � l'Universit� de Harvard.

� la longue, les Ab�naquis devinrent les plus farouches adversaires des Anglais d�sign�s par les missionnaires comme des �enfants du diable�, des �ennemis de Dieu� et des �infid�les�. Comme il �tait normal � l'�poque, beaucoup de pr�tres avaient la conviction d'accomplir la volont� de Dieu en incitant les Indiens � la guerre contre les Anglais. C'�tait le catholicisme contre le protestantisme.

Le j�suite Louis-Pierre Thury �tait, par exemple, un v�ritable religieux-guerrier, il n'h�sitait pas � participer � des raids d�vastateurs avec le baron de Saint-Castin et � des exp�ditions militaires avec nul autre que Pierre Le Moyne d'Iberville. Parlant couramment le micmac et l'ab�naqui, il contribua � garder les autochtones sous l'influence fran�aise. Il en fut �galement ainsi avec le p�re La Chasse, qui servit � la fois d'agent de liaison, d'informateur, de conseiller, tout en se montrant particuli�rement convaincant pour stimuler le �patriotisme� des Ab�naquis. Philippe de Rigaud de Vaudreuil voyait en lui un �missaire efficace. Apr�s le trait� d'Utrecht de 1713, Pierre de La Chasse fut le principal instigateur de la politique des �pr�sents aux Sauvages�, laquelle devait retenir les Ab�naquis dans l'alliance fran�aise. En 1726, alors qu'il participait � une discussion sur le commerce de l'eau-de-vie, il �mit l'opinion �que l'usage de l'eau-de-vie �tait n�cessaire pour la conservation et la domination du Roi et de la religion catholique�. En somme, les missionnaires fran�ais �taient utilis�s pour entretenir la fid�lit�, tant chez les Acadiens que chez les Am�rindiens. �videmment, la plupart des pr�tres catholiques n'intervenaient pas dans la politique fran�aise, mais tous �taient au service de Dieu et du roi.

Pour les Britanniques, les missionnaires fran�ais �taient consid�r�s comme des provocateurs et de dangereux agitateurs politiques. Au XIXe si�cle, les historiens anglophones tels Thomas Chandler Haliburton, Beamish Murdoch, James Hannay, Francis Parkman, Philip H. Smith, Adams George Archibald et William Kingsford se sont prononc�s sur le r�le jou� par ces missionnaires � la fin du R�gime fran�ais; ceux-ci �taient appel�s �French priests�, �popish missionaries� ou �French missionaries�.

Tous ces historiens ont discr�dit�, par exemple, le r�le controvers� de l'abb� Jean-Louis Le Loutre dans les conflits menant � la d�portation des Acadiens. Ils se sont tous �lev�s contre le fait que l'abb� Le Loutre avait eu recours � l'intimidation des guerriers micmacs et � des menaces d'excommunication pour forcer le d�part des Acadiens vers Beaus�jour � partir de 1750. Dans Acadia, A Lost Chapter in American History (1884), Philip H. Smith d�peint l'abb� Le Loutre comme �the most dangerous and determined enemy to British power ever came to Acadia� ("l'ennemi le plus dangereux et le plus d�termin� contre les autorit�s britanniques jamais venu en Acadie"). Le fait de d�nigrer syst�matiquement l'abb� Le Loutre a fini par faire ombrage � l'ensemble de tous les missionnaire fran�ais en Acadie.

D�crit comme �agitateur politique� par les historiens anglophones, louang� comme �ap�tre de la religion� par les historiens francophones et pr�sent� comme un �h�ros de la r�sistance acadienne� par les historiens acadiens, l'abb� Le Loutre est demeur� un personnage controvers� qui a certainement jou� un r�le politique important avant la D�portation, mais son r�le fut encore plus consid�rable apr�s la D�portation. 

Dans le cadre conflictuel des guerres de la Succession d'Autriche (1744-1748) et de la Conqu�te (1754-1763), les missionnaires fran�ais s'impliquaient aupr�s des Am�rindiens et des autorit�s dans la mesure o� ils agissaient aussi � titre d'aum�niers militaires ou comme interpr�tes. � la d�charge des Fran�ais, il faut pr�ciser que les Britanniques proc�daient exactement de la m�me fa�on avec leurs pasteurs qui devaient �tre au service de leur roi. Quoi qu'il en soit, les relations entre le clerg� et les autorit�s anglaises n'ont jamais �t� �branl�es par l'action politique ou diplomatique d'une minorit� de pr�tres catholiques.

 5.7 Le baron de Saint-Castin

Signalons aussi le r�le de Jean-Vincent d'Abbadie de Saint-Castin, baron de Saint-Castin (1652-1707). Le c�l�bre baron quitta la France en 1665 pour devenir porte-�tendard dans le r�giment de Carignan-Sali�res, qui devait combattre les Iroquois. Il retourna en France apr�s avoir �t� d�mobilis�, mais revint s'installer quelques ann�es plus tard en Acadie, au fort Pentagou�t situ� � la fronti�re de la Nouvelle-Angleterre. En 1670, il �pousa une Ab�naquie, la fille du chef des Pentagou�ts (d'o� le nom du fort), dont il aura deux enfants. Apr�s 1677, Saint-Castin s'unit � Misoukdkosi�, une autre fille du chef Madockawando dont il aura huit enfants. Apr�s la mort de Madockawando en 1698, Saint-Castin devint le grand sachem (�chef�) des Pentagou�ts.

Pendant plusieurs ann�es, le baron de Saint-Castin, avec la complicit� de ses Ab�naquis, prit part � de nombreux combats contre les Britanniques, poursuivit des raids un peu partout en semant la terreur en Nouvelle-Angleterre et en faisant croire � une puissance militaire de la Nouvelle-France bien sup�rieure � la r�alit�. Par exemple, en ao�t 1689, les Ab�naquis ras�rent 16 villages du Massachusetts (aujourd'hui dans le Maine) et massacr�rent de sang froid plus de 200 personnes.

Pour r�compenser Saint-Castin, le gouverneur de Qu�bec, le marquis de Denonville, lui accorda une seigneurie �de deux lieues de front, � prendre en terres non conc�d�es le long de la rivi�re Saint-Jean, joignant les terres de Jemsec � sa discr�tion, sur pareille profondeur de deux lieues�.

Saint-Castin fut donc militaire, chef ab�naqui, entrepreneur-commer�ant et corsaire (avec Pierre Le Moyne d'Iberville). Il servait le gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France, le marquis de Denonville ou le comte de Frontenac, avec l'aide des Ab�naquis, tout en faisant fortune en approvisionnant en armes les Acadiens. La population de la Nouvelle-Angleterre, terrifi�e, exigea des autorit�s britanniques de r�gler le sort de ce �Dam Baron�. Saint-Castin et ses Ab�naquis ont s�rement voulu servir la France, mais ils ont aussi suscit� la grogne et les repr�sailles chez les Britanniques qui se veng�rent en prenant Port-Royal � plusieurs reprises. Juste le fait de prononcer le mot �Ab�naqui� r�pandait l'effroi dans toute la Nouvelle-Angleterre... comme le mot �Iroquois� dans les villages canadiens pr�s de Montr�al. Il n'y avait probablement pas plus de 1000 guerriers ab�naquis en Acadie, mais l'appui militaire des Fran�ais les rendait extr�mement redoutables parce qu'ils �taient arm�s et fanatis�s. Avant un raid, les guerriers se confessaient, alors que les femmes r�citaient le chapelet sans interruption jusqu'� leur retour.

L'influence du baron de Saint-Castin fut consid�rable en Acadie, car il disposait, en raison de ses alliances indiennes, d'une puissance militaire nettement sup�rieure � celle des troupes coloniales fran�aises. Il faisait trembler, � lui seul et ses alli�s indiens, toute la Nouvelle-Angleterre, sans compter qu'il pouvait aussi mobiliser quelque 1200 combattants acadiens dans la gu�rilla. En 1700, le baron revint en France pour r�gler des affaires, mais il ne retourna jamais en Nouvelle-France et d�c�da en France en 1707. Apr�s 1760, les cultivateurs, artisans et petits commer�ants du Massachusetts prirent possession des propri�t�s autour de Pentagou�t (devenu Castine depuis) qu'ils appel�rent �Major Baggadoose�. Un fait est ind�niable: ce sont les Am�rindiens qui ont rendu l'Acadie possible en Nouvelle-France, la colonie �tant trop faible pour se d�fendre seule parce que les troupes fran�aises �taient insuffisantes.

6 Un territoire convoit�

La Grande-Bretagne a toujours conserv� des pr�tentions sur le territoire de la Nouvelle-France, notamment sur l'Acadie et Terre-Neuve. Cette situation conflictuelle ne pouvait que susciter des rivalit�s entre les deux grandes puissances. Alors qu'il �tait gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France (de 1672 � 1682 et de 1689 � 1698), le comte de Frontenac avait toujours consid�r� que la cl� de la conservation de la Nouvelle-France reposait sur le maintien de l'Acadie. Tant que la France occuperait l'Acadie, le Canada �tait sauf. Si elle tombait, le Canada succomberait �dans la foul�e�. C'est pourquoi le gouverneur Frontenac avait toujours soutenu l'Acadie. L'intendant de la Nouvelle-France, Jacques de Meulles (1682�1686), r�sume tr�s bien la probl�matique fran�aise dans une lettre de 1686 au ministre Colbert:

Si la France un jour avait une guerre avec l'Angleterre, la colonie du Canada �tant renferm�e dans les terres, il n'y aurait rien de si ais� aux Anglais de ce continent que de se rendre les ma�tres du fleuve du Saint-Laurent et en deux ou trois ans de faire p�rir facilement l'ouvrage de tant d'ann�es. Mais, par l'�tablissement de la c�te de l'Acadie et de la ville de Port-Royal, il serait ais� � la France tout au contraire de d�truire enti�rement Boston et les autres �tablissements anglais.

L'intendant de Meulles, � l'exemple du gouverneur Frontenac, comprenait l'importance strat�gique de l'Acadie pour la Nouvelle-France et le Canada: l'Acadie permettait l'ouverture du Saint-Laurent vers l'Atlantique et servait d'avant-poste offensif pour la Nouvelle-Angleterre. Cependant, jamais les ministres et les gouverneurs fran�ais n'ont pu mettre en �uvre les moyens (route entre Qu�bec et Pentagouet, augmentation de la population, postes militaires, etc.) qu'il aurait fallu pour int�grer l'Acadie en Nouvelle-France. L'Acadie est toujours demeur�e trop petite en terme de d�mographie: elle ne comptait que 885 habitants en 1686. C'�tait un embryon de colonie, avec un territoire immens�ment vide. En plus, les agglom�rations �taient dispers�es, les maisons elles-m�mes se trouvant souvent � de grandes distances les unes des autres. Que restait-il comme moyen avec une si pauvre d�mographie trou�e de grands vides, et ce, sans appui massif d'outre-mer?

6.1 Les raids et les repr�sailles

Les gouverneurs de la Nouvelle-France, dont le comte de Frontenac fut le parfait repr�sentant, en vinrent � consid�rer que le seul moyen de conserver la mainmise fran�aise sur l'Acadie, c'�tait d'entretenir les autochtones dans leur haine contre les Anglais en les incitant � perp�tuer des attaques � on parlerait aujourd'hui d'�actes terroristes� � contre la Nouvelle-Angleterre. � partir de Qu�bec, afin d'entretenir le feu sacr�, le gouverneur incitait ses alli�s iroquois � attaquer les villages de leurs fr�res de sang de l'autre c�t� de la fronti�re, pour ensuite se livrer � des raids et � des actes de pillage contre les colons anglais, sans que ces territoires ne soient suivis d'une quelconque occupation. Au point de vue tactique, c'�tait l'arme du plus faible! Comme il �tait impossible pour la France d'attaquer en force la Nouvelle-Angleterre, il restait le harc�lement perp�tuel. Mais les paisibles colons acadiens allaient aussi en subir les contrecoups.

Les Britanniques avaient pour eux la force en temps de guerre et la puissance commerciale en temps de paix. L'Acadie n'avait rien de tout cela! Les Britanniques ont souvent attribu� � tort ces raids � des initiatives acadiennes. C'est pourquoi ils accumul�rent contre l'Acadie de l'animosit� et de la haine. Il est vrai que des Acadiens ont particip� � ce genre d'attaques, mais celles-ci provenaient surtout des Canadiens ou des gouverneurs fran�ais. Selon les historiens, il s'agit l� de l'une des causes qui allaient entra�ner la d�portation des Acadiens et, par voie de cons�quence, la chute de la Nouvelle-France.

Confront�s � deux empires coloniaux, les Acadiens se sont rendu compte qu'ils demeuraient impuissants � contr�ler leur avenir. Tout se d�cidait � Versailles, � Londres, � Qu�bec ou � Boston. C'est l'interpr�tation que faisait de cette situation sir Adams George Archibald (1814-1893) devant la Nova Scotia Historical Society ("Soci�t� historique de la Nouvelle-�cosse") en 1886, l'ann�e au cours de laquelle il fut �lu � la pr�sidence de l'organisme. Pour lui, les vrais responsables de la trag�die des Acadiens ont �t� les gouverneurs fran�ais de la Nouvelle-France qui ont manipul� les Acadiens:

The true authors of the tragic event, were the French Governors at Quebec and Louisbourg, and their agents, lay and clerical, in the Province. They created the necessity, the British only met it. They played with cruel skill on the ignorance, credulity and superstition, as well as on the generous affections, of the poor Acadians, and if that followed, which could not but follow, under such circumstances, surely they ought to bear the blame whose intrigues and instigations brought about a natural and inevitable result. The Acadians may therefore say with truth, that if they suffered calamity beyond the common lot of humanity, they owe it to men of their own race and creed-pretended friends, but real enemies. [Les vrais responsables de ce tragique �v�nement �taient les gouverneurs fran�ais de Qu�bec et de Louisbourg, ainsi que leurs agents, la�cs comme religieux, dans la colonie. Ils ont utilis� la force � laquelle ont r�agi les Britanniques. Ils ont jou� avec une cruelle habilet� sur l'ignorance, la cr�dulit� et la superstition, ainsi que sur les sentiments g�n�reux des pauvres Acadiens et, si ceux-ci ont suivi parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement dans les circonstances, les responsables doivent certainement en porter le bl�me, car les intrigues et les incitations ont entra�n� cette cons�quence normale et in�vitable. On peut affirmer en v�rit� que, si les Acadiens ont �t� victimes d'un malheur au-del� du lot commun de l'humanit�, ils le doivent aux hommes de leur propre race et � leur pr�tendus amis, qui �taient de r�els ennemis.]

�videmment, sir Archibald oublie que certains Anglais fanatis�s, tel William Shirley, le gouverneur du Massachusetts, ont largement contribu� � d�t�riorer la situation. Les extr�mistes existaient aussi en Nouvelle-Angleterre, particuli�rement chez les pasteurs protestants. Il est vrai cependant que les exactions commises � l'initiative de certains gouverneurs fran�ais de Qu�bec contre les colonies de la Nouvelle-Angleterre ont attis� la col�re des Britanniques et suscit� de terribles repr�sailles. Un historien canadien-anglais du Nouveau-Brunswick, John Clarence Webster, auteur de Acadia at the End of the Seventeenth Century (1934), en arrive aux m�mes conclusions:

These people loved their homes and their life in Acadia. They learned too late that they had been mere pawns in the game of high politics directed from Quebec. Many of them had been cajoled and terrorized, mainly through the machinations of priests like Le Loutre, to sacrifice their homes and possessions for the nebulous promises of the French authorities, which were never realized, and which only precipitated the entire Acadian people into a morass of prolonged sorrows and miseries. [Ces gens, qui aimaient leurs foyers et leur vie en Acadie, ont appris trop tard qu'ils avaient �t� de simples pions dans le jeu de la haute politique dirig�e � partir de Qu�bec. Beaucoup d'entre eux ont �t� tromp�s et ont v�cu sous la menace, principalement en raison des machinations de pr�tres comme Le Loutre, au point de sacrifier leurs maisons et leurs biens contre les promesses n�buleuses des autorit�s fran�aises, qui n'ont jamais �t� respect�es et qui ont seulement pr�cipit� tout le peuple acadien dans un bourbier de douleurs et de mis�res prolong�es.]

Or, le sang appelle le sang; la vengeance invite � la vengeance; les repr�sailles attirent d'autres repr�sailles. Lorsque, en 1696, d'Iberville reprit la baie d'Hudson et toute l'�le de Terre-Neuve, et d�truisit le fort anglais de Pemaquid pr�s de Pentagouet, les Bostonnais se veng�rent aussit�t sur Beaubassin en br�lant les maisons des Acadiens, en d�truisant leurs r�coltes et en tuant leurs bestiaux. Ce n'est pas un hasard si les Britanniques frappaient l'Acadie en guise de repr�sailles : c'�tait la colonie la plus faible de toute la Nouvelle-France. Le tableau qui suit permet d'�tablir des comparaisons entre les populations du Canada, de l'Acadie et de la Nouvelle-Angleterre.

Ann�e Canada Acadie Nouvelle-Angleterre
1608      28       10         100
1640     220      200     28 000
1680  9 700      800    155 000
1710 16 000   1 700    357 000
1750 55 000   8 000 1 200 000

En 1710, � la veille de la cession de l'Acadie p�ninsulaire (1713), la colonie acadienne de 1700 �mes ne pesait pas lourd face au quelque 357 000 habitants de la Nouvelle-Angleterre. Quant � la France, elle manifestait peu d'int�r�t au peuplement et � la d�fense de sa colonie, une situation qui se perp�tua durant tout le XVIIe si�cle. Ainsi, le gouverneur Joseph Robinau de Villebon (1691 � 1700) se plaignait au ministre des Colonies, le comte de Maurepas, que l'Acadie manquait de troupes (� peine 70 soldats), de vivres et de munitions pour repousser toute �ventuelle attaque anglaise. En 1705, il y aura 185 soldats, dont 52 malades, pour couvrir un immense territoire. Au plus fort de la guerre, en 1710, l'Acadie disposera de 300 soldats, contre 3500 pour les forces britanniques, soit un contre 12.

6.2 Une lutte sans merci

En 1690, l'Acadie avait �t� � nouveau conquise, cette fois par William Phipps qui ne l'occupa gu�re, puis elle fut retourn�e � la France en 1697 lors du trait� de Ryswick. Rappelons-le, Port-Royal et Beaubassin avaient �t� ravag�s en 1696. En Nouvelle-Angleterre, Pemaquid avait �t� ras� par les Fran�ais et des attaques franco-am�rindiennes avaient d�vast� plusieurs centres de peuplement anglais. Le gouverneur g�n�ral, Philippe de Rigaud de Vaudreuil, voulait rendre irr�versible la haine entre les Indiens et les Britanniques. La situation attira des corsaires fran�ais dans la r�gion. Dans la seule ann�e 1709, ces corsaires saisirent plus de 35 navires anglais et firent au moins 400 prisonniers. Cette Acadie �tait pour les colons de la Nouvelle-Angleterre le tremplin des corsaires et des effroyables Ab�naquis. C'est pourquoi la plupart des attaques britanniques contre l'Acadie furent d�cid�es par les coloniaux qui firent pression aupr�s de Londres. Les assauts successifs, les pillages et le blocus �conomique organis� par la colonie du Massachusetts finirent par entraver s�rieusement le d�veloppement de l'Acadie. On assista alors � une d�gradation continuelle des conditions de vie des Acadiens. Comme d'habitude, Versailles intervint tr�s peu, car la situation militaire en Europe restait inqui�tante.

L'Acadie �tait entra�n�e dans un combat sans merci entre deux imp�rialismes; elle constituait le fer de lance qui mena�ait toujours d'enfoncer les positions britanniques du littoral atlantique. �videment, ce n'�taient pas les 1700 colons acadiens qui devenaient mena�ants pour les Britanniques, mais l'empire fran�ais qui, gr�ce aux moyens dont disposait le gouverneur de la Nouvelle-France aupr�s des Am�rindiens � Qu�bec, pouvait contr�ler l'Acadie comme il le d�sirait.

M�me si le gouverneur de l'Acadie avait voulu absolument vivre en paix avec la Nouvelle-Angleterre, ce n'est pas lui qui d�cidait du d�clenchement des hostilit�s. Le gouverneur de la Nouvelle-France avait les pleins pouvoirs en ce domaine. G�n�ralement, celui-ci s'appuyait sur ses alli�s ab�naquis de l'Acadie pour couvrir d'�pouvante les populations frontali�res des colons de la Nouvelle-Angleterre. �Il semblait, �crit un historien n�o-angleterrien, qu'� la port�e de chaque maison un Sauvage cach� �piait sa proie� (cit� par Robert Rumilly). Sans les Ab�naquis, l'Acadie n'aurait pu survivre longtemps. Non seulement la colonie ne fut plus ravitaill�e par la France � partir de 1706, mais le seul palliatif r�sidait dans le pillage des vaisseaux britanniques. Par voie de cons�quence, les Britanniques en �taient venus � consid�rer que leur s�curit� r�sidait dans l'offensive: l'Acadie devait �tre prise et colonis�e par eux, et non plus par les Fran�ais. Les Am�rindiens, surtout les Ab�naquis, deviendraient alors moins dangereux. Ainsi, pendant qu'on mangeait � Port-Royal, on ne dig�rait plus � Boston.

Port-Royal fut attaqu� en 1704, deux fois en 1707 et de nouveau en 1710, ce qui, cette fois-l�, sonna le glas de l'Acadie fran�aise. Londres avait accord� cinq vaisseaux de guerre et des troupes au Massachusetts. Lorsque la petite armada britannique se pr�senta devant Port-Royal, le 12 octobre 1710, le gouverneur de l'Acadie, Daniel d'Auger de Subercase, n'ayant � sa disposition que 150 soldats, dut capituler face aux 3500 soldats britanniques stimul�s par des pasteurs fanatis�s et antipapistes. Le lendemain, Port-Royal �tait nomm�e Annapolis en l'honneur d'Anne Stuart, reine d'Angleterre et d'�cosse depuis 1702. L'article 5 de la reddition accept�e par la capitaine Francis Nicholson concernait la population acadienne:

Article 5

Les habitants, � une port�e de canon du fort, auront le droit de conserver leurs biens, en pr�tant serment d'all�geance � Sa Majest� britannique; s'ils s'y refusent, ils auront deux ans pour vendre leurs propri�t�s et se retirer ailleurs.

Cette question du serment d'all�geance ne faisait que commencer. Elle prendra quarante-cinq ans � se r�gler et ce sera par la d�portation des Acadiens. Les Britanniques occup�rent l'Acadie d�s le 13 octobre 1710. La garnison fran�aise, les officiers civils et quelques familles, formant un peu plus de 250 personnes, s'embarqu�rent pour la France sur trois navires; ils arriv�rent � Nantes le ler d�cembre 1710. L'ex-gouverneur Subercase, accus� de n�gligence par quelques officiers, bl�m� par le gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France, Philippe de Rigaud de Vaudreuil �pour la facilit� avec laquelle la ville s'est rendue� (Vaudreuil au ministre, 25 avril 1711), et le ministre Pontchartrain, fut traduit en conseil de guerre � Rochefort, mais rapidement acquitt�.

De son c�t�, le capitaine Nicholson avait aussit�t d�baptis� Port-Royal en Annapolis Royal, en l'honneur de la reine Anne Stuart, reine d'Angleterre, d'�cosse et d'Irlande. Avant de rentrer � Boston, Francis Nicholson transmit le commandement de la colonie au colonel Samuel Vetch qui devait parcourir le pays en despote hant� par la frayeur d'un soul�vement de masse. Il imposa des contributions de guerre, exigea le serment d'all�geance et incendia les fermes de ceux qui manifestaient la moindre r�sistance. Quant au gouverneur de la Nouvelle-France, Philippe Rigaud de Vaudreuil, il fut averti que le colonel Vetch se vengerait sur les Acadiens s'il intervenait. Vaudreuil fit en sorte de maintenir les Ab�naquis dans l'alliance fran�aise afin de saper le moral des Britanniques et d'entretenir les Acadiens �dans la fid�lit� qu'ils doivent au roi de France�. Au d�but de 1711, le ministre Pontchartrain, tardivement convaincu de l'importance de l'Acadie, �baucha de vagues projets pour reprendre Port-Royal. � cette fin, il voulut envoyer de Subercase servir � Qu�bec sous les ordres de Vaudreuil, mais l'ex-gouverneur refusa. Apr�s 1713 (trait� d'Utrecht), Francis Nicholson servit comme gouverneur de la Nouvelle-�cosse, puis de Terre-Neuve et devint le premier gouverneur royal de Caroline du Sud.

Depuis sa fondation en 1604, l'Acadie avait chang� d'all�geance pas moins de huit fois (en un si�cle):

P�riode Nombre d'ann�es R�gime
1604-1613  9 France
1613-1632 19 Grande-Bretagne
1632-1654 22 France
1654-1667 13 Grande-Bretagne
1667-1690 23 France
1690-1697   7 Grande-Bretagne
1697-1710 13 France
1710-1713   3 Grande-Bretagne

Entre 1604 et 1713, soit durant cent neuf ann�es, la France avait administr� l'Acadie pendant soixante-sept ans (61 %); la Grande-Bretagne, quarante-deux ans (39 %). La colonie de l'Acadie avait �t� tour � tour fran�aise et anglaise, et avait servi de monnaie d'�change entre la France et la Grande-Bretagne. Ce fut donc un territoire aux fronti�res constamment contest�es, fluctuant au gr� des attaques et des trait�s : le trait� de Saint-Germain-en-Laye (1632), le trait� de Breda (1667), le trait� de Ryswick (1697) et le trait� d'Utrecht (1713), ce dernier c�dant d�finitivement la colonie � la Grande-Bretagne. En somme, la t�nacit� des Britanniques pouvait appara�tre sans �gale dans le monde. Une d�faite n'avait jamais �t� d�finitive. Jusqu'en 1710, les Acadiens en �taient venus � croire que l'occupation anglaise �tait temporaire et cesserait au prochain trait�.

Pour terminer sur l'Acadie de la Nouvelle-�cosse, laissons au chirurgien Di�reville (Relation du voyage du Port Royal, 1708) qui y s�journait en 1700, le soin de tracer l'�mouvant bilan de cette Acadie bient�t perdue:

Ne finissons pas leur Histoire
Sans y mette un beau trait de leur fidelit�.
Cent fois la Nouvelle Angleterre,
La plus voisine de leur terre,
A voulu les so�mettre & ranger sous sa loy;
Ils ont pl�t�t souffert tous les maux de la guerre,
Que de vouloir quitter le parti de leur Roy.
De tous leurs Bestiaux le carnage,
De leurs maisons le br�lement,
Et de leurs meubles le pillage,
C'�toit des Ennemis le commun traitement.
Dans quel temps marquoient-ils avoir tant de constance?
Dans le temps m�me que la France
Ne pouvoit pas les soulager,
Et qu'on leur promettoit une enti�re assistance,
S'ils avoient bien voulu changer.
Ils ne se laissoient point aller � cette amorce,
Ils ne vouloient point �tre Anglois,
Et de tout leur courage ils d�fendoient leurs droits ;
Contraints de c�der � la force,
Tous vaincus qu'ils �toient, ils demeuroient Fran�ois.

Vaincus mais fran�ais, les Acadiens le vivront et le prouveront, un demi-si�cle plus tard, lors de la D�portation!

7 L'Acadie continentale (fran�aise)

Au moment de la signature du trait� d'Utrecht de 1713, la France perdait le c�ur historique de l'Acadie, l� o� r�sidaient la plupart des Acadiens. Malgr� les pressions exerc�es par la France pour les d�placer vers les territoires rest�s fran�ais, par exemple l'Acadie continentale ou l'Acadie �de la terre ferme�, sinon l'�le Saint-Jean ou l'�le Royale, les r�sultats furent � peu pr�s nuls. Les Acadiens pr�f�r�rent demeurer en Nouvelle-�cosse, sous r�gime anglais, parce que leurs terres y �taient nettement sup�rieures. Leur population en 1714 �tait estim�e � environ 2500 individus. 

Les Acadiens habitaient ce pays depuis plus d'un si�cle. Que s'est-il pass� apr�s 1713 dans la portion de ce qui restait de l'Acadie fran�aise? Jusqu'alors, l'Acadie continentale n'avait pas beaucoup �t� colonis�e par les Fran�ais, sauf sur les abords de la baie Fran�aise (baie de Fundy) et du fleuve Saint-Jean, et ce territoire constituait une sorte de �terre vierge� en Nouvelle-France entre l'Acadie p�ninsulaire (Nova Scotia) et le Canada.

7.1 La rupture de l'�quilibre des forces

Au lendemain du trait� d'Utrecht, afin de modifier l'�quilibre des forces politiques � son avantage, la France avait d�cid� de remplacer sa colonie de Plaisance qu'elle venait de perdre sur l'�le de Terre-Neuve par la cr�ation d'une nouvelle colonie, la colonie de l'�le-Royale, qui comprenait l'�le du Cap-Breton dor�navant renomm�e �le Royale, avec Louisbourg comme capitale, ainsi que l'�le Saint-Jean (aujourd'hui l'�le du Prince-�douard), incluant les petites �les de la Madeleine dans le golfe Saint-Laurent. Ainsi, dans cette grande r�gion des Maritimes, la France d�pla�ait son centre de gravit� de Port-Royal vers Louisbourg, o� on allait construire une grande forteresse au co�t de 30 millions de livres, l'Acadie p�ninsulaire, devenue anglaise, ne faisant manifestement plus partie, du moins dans l'imm�diat, des pr�occupations de Versailles. � long terme cependant, la France disait vouloir reprendre l'Acadie � partir de Louisbourg. Par ailleurs, la France n'avait pas oubli� l'int�r�t strat�gique de l'Acadie comme t�te de pont entre Louisbourg, le Canada et la Louisiane.

- L'Acadie continentale

C'est alors qu'elle s'�tait retranch�e sur cette Acadie continentale qu'on appelait �l'Acadie de terre ferme�, zone qui correspond aujourd'hui au Nouveau-Brunswick. Cette r�gion �tait demeur�e peu d�velopp�e et encore peu peupl�e; elle abritait surtout des Micmacs et des Ab�naquis, mais aussi un certain nombre d'Acadiens dispers�s le long de la rive nord de la baie Fran�aise, ainsi que sur les bords du fleuve Saint-Jean et dans l'isthme de Chignectou. Il n'y avait que fort peu de Fran�ais ou d'Acadiens au nord de l'Acadie continentale. Quant aux fronti�res de l'Ouest, les Fran�ais soutenaient que la limite de l'Acadie �tait � la rivi�re Kennebec, les Anglais la ramenaient � la rivi�re Pentagouet (Penobscot, en anglais) plus � l'est, parfois m�me � la rivi�re Sainte-Croix, encore plus � l'est. Au milieu de ces disputes entre Blancs, le pays restait aussi et avant tout le territoire des Ab�naquis, appel�s aussi les Pentagouets.

Au cours des prochaines d�cennies, les Fran�ais tent�rent de d�velopper l'Acadie continentale en exer�ant des pressions pour que les Acadiens viennent peupler la r�gion. De fait, quelque 3000 Acadiens de la Nouvelle-�cosse finiront par traverser en Acadie fran�aise. Les Fran�ais se mirent aussi � construire des forts (Beaus�jour, Gasp�reau, Saint-Jean), afin de se prot�ger contre les Britanniques, d�limiter leur territoire et solliciter plus facilement les Acadiens. Effectivement, alors que l'Acadie continentale �tait auparavant tr�s peu peupl�e, les Acadiens commenc�rent � y affluer. Avant la prise de Louisbourg � l'�le Royale, ils avaient fond� de nombreux villages. Mentionnons Sainte-Anne-des-Pays-Bas (aujourd'hui Fredericton) pr�s du fleuve Saint-Jean. Puis, sur la c�te est, G�da�que (Ch�diac), devant la baie Verte (d�troit de Northumberland); et, plus au nord, Miramichi, Pointe-�-l'�glise, Tracadie, Shippagan, Nipisiguit, Caraquet.

Pour les Fran�ais, il �tait capital d'attirer le plus grand nombre possible d'Acadiens vers des centres de peuplement p�riph�riques. Or, les Britanniques n'avaient pas int�r�t � laisser se d�velopper ce mouvement migratoire, car celui-ci contribuait � fortifier la pr�sence fran�aise, d'autant plus que l'�le Saint-Jean et l'�le du Cap-Breton (�le Royale) �taient rest�es fran�aises, et que la France pr�tendait toujours � l'Acadie continentale.

De plus, selon un m�moire de l'intendant Jean Talon rentr� � Paris, le roi de France comptait renforcer la colonie � Pentagouet (aujourd'hui dans le Maine), la fronti�re la plus � l'ouest de l'Acadie continentale, et la relier � Qu�bec par terre, distant de seulement huit ou dix jours de marche, ou par la rivi�re Kennebec et la rivi�re Chaudi�re. Il ne restait qu'� pr�voir des entrep�ts et des forts jalonnant le chemin de Qu�bec � la baie Fran�aise. Comme le Canada manquait d'un port d'hiver, les exportations pourraient se faire par l'Acadie durant les mois o� le Saint-Laurent �tait gel�. Pr�voyants, les Britanniques s'empar�rent du fort de Pentagouet, le 17 juillet 1670, soit trois ans apr�s le trait� de 1767 rendant toute l'Acadie � la France.

Les Fran�ais reprirent possession de Pentagouet le 5 ao�t suivant. Il devenait urgent pour les Britanniques de s'emparer de l'Acadie. Malheureusement pour les habitants, l'Acadie continentale avait �t� contest�e aussit�t apr�s 1713 par la Grande-Bretagne qui consid�rait que ce territoire lui appartenait. L'Acadie fran�aise n'�tait s�par�e de l'Acadie anglaise que par l'isthme de Chignectou, entre la baie Fran�aise � l'ouest et la baie Verte � l'est.

- L'�le Royale

Les autorit�s fran�aises firent des efforts pour inciter les Acadiens � venir s'installer � l'�le Royale, mais peu d'entre eux finirent par accepter: entre 1713 et 1734, seules 67 familles acadiennes, sur un total de 500, �migr�rent � l'�le Royale. On peut croire que ces Acadiens sont ceux qui ont le plus manifest� leur d�sir de �rester Fran�ais�, mais il est difficile d'�valuer dans quelle mesure leur d�cision a pu �tre contrainte. Au recensement de 1752, la population de l'�le atteignait 3500, dont plus de la moiti� � Louisbourg m�me. L'�le n'attirait pas beaucoup les Acadiens parce que la vie agricole y �tait peu d�velopp�e : la p�che constituait l'industrie principale, alors que la traite des fourrures �tait inexistante. Les Acadiens �taient avant tout des agriculteurs et des �leveurs, non des p�cheurs ou des navigateurs.

� partir de 1750, plus d'Acadiens, qui cherchaient � �viter la tourmente imminente, ont commenc� � affluer � l'�le Royale, surtout � Port-Toulouse. D'une centaine en 1749, ils �taient plus de 550 en 1752. Ces Acadiens y ont s�journ� pendant un certain temps, mais la majorit� serait retourn�e en Acadie ou aurait travers� � l'�le Saint-Jean. En 1753, il ne restait plus que 200 Acadiens sur l'�le Royale. La plupart fuiront � l'�le Madame. Lors du si�ge de Louisbourg en 1758, il restait moins de 100 Acadiens dans la ville fortifi�e.

- L'�le Saint-Jean

L'�le Saint-Jean faisait partie de la colonie de l'�le-Royale. L'�le Saint‑Jean passa aux mains des Britanniques en 1726, pour �tre restitu�e aux Fran�ais en 1730. On d�nombrait alors environ 1000 habitants sur l'�le Saint-Jean, dont seulement 200 Acadiens. De nombreux �tablissements furent fond�s un peu partout dans le centre de l'�le: Trois-Rivi�res, Tracadie, Belair, Anse-aux-Sangliers, La Traverse, Grande-Anse, Anse-aux Matelots, Anse-du-comte-Saint-Pierre, Anse-�-Pinnet, etc. Le village de Malpec (Malp�que) fut fond� au nord-ouest. L'immigration fran�aise s'arr�ta au milieu des ann�es 1730. Dor�navant, seuls des Acadiens allaient venir peupler l'�le consid�r�e alors comme une annexe agricole ou le �grenier� de Louisbourg. En 1735, quelque 37 % de la population �tait d'origine acadienne, les autres habitants �taient des Fran�ais ou des Basques. Le recensement de 1755 r�v�lait une population de 2969 habitants, dont 2000 Acadiens qui s'�taient r�fugi�s � l'�le Saint-Jean en raison de la d�portation annonc�e par les Britanniques en Nouvelle-�cosse.

7.2 Des fronti�res impr�cises

� la signature du trait� d'Utrecht de 1713, les Fran�ais avaient insist� pour que l'Acadie continentale ne f�t pas incluse dans la Nouvelle-�cosse, mais le texte du trait� n'�tait pas tr�s clair sur les fronti�res, notamment sur ce que signifiaient �les anciennes limites�. En r�alit�, Fran�ais et Anglais ignoraient la d�limitation de ces fronti�res. L'article 12 du trait� demeura ambigu, de sorte que les fronti�res de l'Acadie continentale furent contest�es de part et d'autre... durant quarante ans.

Article 12

Le Roy T.C. fera remettre � la Reine de la G.B. le jour de l'�change des ratifications du pr�sent trait� de paix, des lettres et actes authentiques qui feront foi de la cession faite � perp�tuit� � la Reine et � la couronne de la G.B. de l'isle de Saint-Christophe que les sujets de Sa Majest� B. d�sormais poss�deront seuls, de la nouvelle Ecosse autrement dite Acadie, en son entier conform�ment � ses anciennes limites, comme aussi de la ville de Port-Royal, maintenant appel�e Annapolis-Royale, et g�n�ralement de tout ce qui d�pend desdites terres et isles de ce pa�s l�, avec la souverainet�, propri�t�, possession et tous droits acquis par traitez ou autrement que le Roi T.C., la couronne de France ou ses sujets quelconques ont eus jusqu'� pr�sent sur lesdits isles, terres, lieux et leurs habitants, ainsi que le Roi T.C. c�de et transporte le tout � ladite Reine et � la couronne de la G.B., et cela d'une mani�re et d'une forme si ample qu'il ne sera pas permis � l'avenir aux sujets du Roy T.C. d'exercer la p�che dans lesdites mers, bayes, et autres endroits � trente lieues pr�s des costes de la nouvelle Ecosse, au Sud-Est en commen�ant par l'isle appel�e vulgairement de Sable inclusivement et en tirant au Sud-Ouest.

La France interpr�ta l'article 12 du trait� d'Utrecht de fa�on � minimiser les gains territoriaux de la Grande-Bretagne. D�s le mois de juin 1713, le ministre de la Marine, le comte de Pontchartrain, ordonna, dans une lettre du 28 juin 1713 adress�e au gouverneur g�n�ral, Philippe de Rigaud de Vaudreuil (p�re) et � l'intendant B�gon, de trouver des cartes et des documents officiels qui t�moignent d'une d�limitation r�duite des fronti�res de l'Acadie. L'automne suivant, l'intendant B�gon fournit � Pontchartrain l'interpr�tation qu'il attendait:

Les Anglois de la Nouvelle-Angleterre pr�tendent outre la presqu'�le connue de tout temps sous le nom d'Acadie, l'�tendu de terre qui se trouve depuis Beaubassin jusqu'� Kask�b� [Casco, colonie du Massachusetts]. Que leur pr�tention est insoutenable, cette terre n'ayant jamais �t� l'Acadie, comme il paro�t dans les cartes anciennes tant angloises que hollandoises ou fran�oises sur lesquelles le nom d'Acadie est marqu� sur la p�ninsule. Que l'�tendue de terre qui est depuis Beaubassin jusqu'� la rivi�re St-Georges [rivi�re Kennebec] fait de tout tems partie du continent de la Nouvelle-France. (Lettre de B�gon � Pontchartrain, Qu�bec, 15 novembre 1713).

Ainsi, pour l'intendant B�gon, les anciennes limites de l'Acadie correspondaient � l'Acadie p�ninsulaire, soit la Nouvelle-�cosse. Par cons�quent, le territoire au nord de l'isthme de Chignecto rel�verait de la juridiction de la Nouvelle-France, c'est-�-dire de l'administration du gouverneur g�n�ral de Qu�bec. Pour sa part, Clerbaud Bergier, un marchand huguenot de La Rochelle, qui avait obtenu une concession pour la p�che sur les c�tes acadiens, puis nomm� en 1684 lieutenant du roi en Acadie, d�crivait dans un m�moire la r�gion comme �tant un territoire qui s'�tendait de l'�le de Perc� jusqu'� la rivi�re Kennebec. Bref, pour la France, l'Acadie initiale comprenait la Nouvelle-�cosse et ce qui constitue aujourd'hui le Nouveau-Brunswick et la Gasp�sie.

Toutefois, pour la Grande-Bretagne, ce m�me territoire lui revenait. En effet, les Anglais consid�raient qu'en 1621 Jacques VI d'�cosse avait conc�d� un fief � William Alexander (v. 1570-1640), qui voulait fonder une nouvelle �cosse en Am�rique. Ce fief englobait alors les territoires actuels de la Gasp�sie, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-�cosse (incluant l'�le du Cap-Breton), l'�le du Prince-�douard et les �les de la Madeleine (voir la carte). Pour les Fran�ais, la Grande-Bretagne ne poss�dait rien, car ils ne reconnaissaient pas la Charte royale de 1621, qui avait �t� annul�e par le trait� de Breda de 1667, lequel accordait l'enti�re souverainet� de la France � toute l'Acadie.

�videmment, les Fran�ais conc�daient les dispositions pr�vues au trait� d'Utrecht de 1713, c'est-�-dire Port-Royal et la Nouvelle-�cosse p�ninsulaire, ainsi que l'�le de Sable au sud-ouest. Par cons�quent, tout le reste de l'ancien fief de William Alexander redevenait une possession fran�aise. En r�alit�, les deux puissances europ�ennes continu�rent d'organiser leurs politiques coloniales en fonction de leurs propres revendications territoriales.  

La France et la Grande-Bretagne form�rent en 1750 une commission mixte pour fixer les fronti�res. Le marquis Roland-Michel Barrin de La Galissonni�re, alors commissaire du roi et chef d'escadre, et �tienne de Silhouette, contr�leur g�n�ral des Finances, faisaient partie de la d�l�gation fran�aise; William Shirley, gouverneur du Massachusetts, et William Mildmay, diplomate anglais, repr�sentaient la d�l�gation britannique. Pour les Britanniques, toute la r�gion du fleuve Saint-Jean comprise entre Canseau (Canso) et Gasp� �tait un territoire anglais, ce qui semblait nettement exag�r� pour les Fran�ais. En effet, c'�tait couper toute communication par terre avec le Canada et l'�le Royale (Louisbourg). De plus, la Grande-Bretagne soutint m�me que le fleuve Saint-Laurent constituait la ligne de d�marcation la plus naturelle et la plus juste entre les possessions des deux royaumes. De quoi faire bondir l'ancien gouverneur Frontenac de sa tombe! Pendant ce temps, les autorit�s coloniales de la Nouvelle-France durent se tourner vers leurs alli�s ab�naquis, mal�cites et micmacs, qui occupaient d�j� le territoire convoit� par les deux puissances europ�ennes, et s'engager � soutenir militairement ces nations pour qu'elles s'opposent � la colonisation britannique. La France fit valoir que le territoire situ� au nord de l'Acadie p�ninsulaire (la Nova Scotia) ne pouvait devenir une possession anglaise, puisqu'il avait toujours appartenu aux Ab�naquis, aux Mal�cites et aux Micmacs.

Afin de respecter le trait� d'Utrecht, la France ne pouvait officiellement envoyer des soldats pour soutenir ses alli�s am�rindiens. C'est pourquoi, � partir de 1722, elle finan�a une v�ritable gu�rilla en faisant parvenir une aide annuelle de 2000 livres fran�aises aux Ab�naquis, un montant qui fut doubl� trois ans plus tard. C'est dans un tel contexte qu'�clata une guerre entre Britanniques et Ab�naquis, apr�s une succession de raids am�rindiens dans les campagnes de la Nouvelle-Angleterre, suivis de contre-attaques britanniques dans les villages indiens. Quant aux Micmac et aux Mal�cites, ils attaqu�rent intensivement les �tablissements britanniques de la Nova Scotia. Les missionnaires fran�ais servirent d'interpr�tes entre les autorit�s coloniales et les chefs am�rindiens; l'abb� Pierre-Antoine Maillard, l'abb� Jean-Louis Le Loutre et le sulpicien Fran�ois Picquet furent les missionnaires fran�ais qui se sont le plus illustr�s. Toute cette strat�gie �tait une fa�on pour la France de maintenir sa pr�sence en Acadie, tout en minimisant les co�ts strat�giques du trait� d'Utrecht... en attendant de reprendre l'Acadie p�ninsulaire (la Nova Scotia). De fait, les autorit�s fran�aises avaient tout int�r�t � ce que leurs alli�s am�rindiens occupent les zones territoriales dont la souverainet� fran�aise �tait revendiqu�e par la Grande-Bretagne.

Les n�gociations franco-britanniques sur les fronti�res de l'Acadie perdur�rent d�lib�r�ment sans grands r�sultats jusqu'en 1755 � Paris. En d�cembre 1750, dans son M�moire sur les colonies de la France dans l'Am�rique septentrionale, La Galissoni�re avait signal� l'inqui�tude que causaient les Britanniques en Am�rique du Nord :

Tandis que la paix paroit avoir comme assoupi la jalousie des Anglois en Europe, elle �clate dans toute sa force en Am�rique; et si on n'y oppose d�s apresent des barri�res capables d'en arr�ter les effets, cette Nation se mettra en �tat d'envahir enti�rement les Colonies fran�oises au commencement de la premiere guerre.

En cons�quence, les deux empires se pr�par�rent � une nouvelle guerre. Pendant ce temps, quelque 500 colons britanniques devaient cohabiter avec plus de 10 000 Acadiens en Nouvelle-�cosse (la Nova Scotia).

7.3 La pr�paration � la guerre

Le M�moire sur les colonies de la France dans l'Am�rique septentrionale de d�cembre 1750 pr�sentait les �raisons essentielles et capitales� de veiller avec soin � la conservation, � la consolidation et � l'expansion de la colonie de l'Acadie, s'appuyant sur le principe de la colonisation syst�matique: �On doit se d�terminer � envoyer beaucoup de monde � la Nouvelle-France, afin de mettre ceux qui en ont l'administration en �tat de travailler en m�me temps aux diff�rents �tablissements propos�s.� La Galissoni�re insistait par la m�me occasion sur l'importance strat�gique de conserver l'Acadie.
 

Le gouverneur d�cida unilat�ralement que la France poss�dait tout l'isthme de Chignectou reliant la Nouvelle-�cosse � l'Acadie fran�aise, ainsi que toute la baie Fran�aise (baie de Fundy). En 1750, les Fran�ais avaient m�me incendi� le village de Beaubassin, situ� en Nouvelle-�cosse, afin de forcer les Acadiens � d�m�nager du c�t� fran�ais. D'autres villages furent aussi incendi�s sous l'initiative de l'abb� Le Loutre, l'objectif �tant le suivant: si leurs villages �taient d�truits, les Acadiens seraient forc�s de quitter les lieux o� ils vivaient parmi les Anglais pour aller s'�tablir dans des territoires fran�ais.

Puis le gouverneur de la Nouvelle-France, le marquis de La Jonqui�re, fit �riger sur la fronti�re ainsi trac�e les forts Beaus�jour et Gasp�reau. De l'autre c�t� de la fronti�re, les Britanniques avaient construit le fort Lawrence. Lorsque ces derniers prirent le fort Beaus�jour le 16 juin 1755, ils le renomm�rent "Fort Cumberland", apr�s avoir incendi� le fort Lawrence pour �viter toute occupation ult�rieure par les troupes fran�aises. D�s lors, la population de l'Acadie continentale �tait livr�e sans d�fense aux troupes britanniques qui s'appropri�rent le territoire en conqu�rants.  

Entretemps, certains Acadiens s'�taient enfuis vers le territoire de l'Acadie continentale et, � partir de cette r�gion, poursuivaient avec l'aide des Am�rindiens une gu�rilla sans rel�che dans les zones britanniques. Cette gu�rilla fut importante, puisque de nombreuses troupes britanniques parurent n�cessaires pour garder les fronti�res � l'ouest de la Nouvelle-�cosse, avec un succ�s bien mitig�. M�me la capitulation de l'arm�e fran�aise, en septembre 1760, n'�branla pas apparemment les partisans acadiens qui ne voulaient pas se rendre aux Britanniques. Finalement, ce sont des officiers fran�ais qui convainquirent ces Acadiens de d�poser les armes et de respecter la capitulation. �videmment, ces Acadiens ne se pr�tendaient plus des �Fran�ais neutres�.

8 La Nouvelle-�cosse - l'Acadie anglaise

Le trait� d'Utrecht de 1713 c�dait � la Grande-Bretagne bien plus que l'Acadie. En effet, la Nouvelle-France perdait trois de ses colonies: Plaisance (la colonie de Terre-Neuve) avec l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, la Baie-d'Hudson (moins la baie James) et l'Acadie p�ninsulaire (voir la carte de la Nouvelle-France apr�s le trait� d'Utrecht). Il restait � la France la Louisiane, le Canada avec les �Pays d'en haut� (Ontario actuel), puis l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard), les petites �les de la Madeleine et l'�le du Cap-Breton, ainsi que l'Acadie continentale, qui sera toujours contest�e par les Britanniques. Soulignons aussi que le Canada �tait dor�navant born� par des colonies anglaises: au nord par la Baie-d'Hudson, � l'est par Terre-Neuve et au sud-est par la Nouvelle-�cosse. Le vieux roi qu'�tait devenu Louis XIV (il avait 75 ans en 1713) avait pr�f�r� perdre l'Acadie, la Baie-d'Hudson et la colonie de Plaisance, mettre l'Europe � feu et � sang durant sept ans, et endetter la France durant des g�n�rations, afin de permettre � son petit-fils de monter sur le tr�ne d'Espagne. C'�tait le si�cle de l'absolutisme royal, les populations du royaume n'ayant aucun pouvoir sur les d�cisions de leur monarque. Pour les monarques, les peuples n'existaient pas: les pays ne repr�sentaient qu'un jeu de cartes � �changer contre d'autres. Les gens qui habitaient ces pays, avec leurs morts, leurs souffrances et leurs malheurs, n'entraient gu�re en ligne de compte.  

En obtenant le territoire de l'Acadie p�ninsulaire, la Grande-Bretagne h�ritait aussi de sa population acadienne. D�s lors, la plupart des Acadiens durent apprendre � vivre en territoire anglais � l'Acadie anglaise pour les Fran�ais, la Nova Scotia pour les Britanniques � en tant que �sujets de Sa Majest� britannique. Mais ils avaient en m�me temps �t� autoris�s par la reine Anne Stuart d'Angleterre (6 f�vrier 1665 � 1er ao�t 1714) � quitter la colonie sans conditions. Puis George Ier succ�da � la reine Anne. Le nouveau roi, �galement duc de Brunswick-Lunebourg (Hanovre) et prince-�lecteur du Saint-Empire romain germanique � partir de 1698, avait l'allemand comme langue maternelle et le fran�ais comme langue seconde. Non seulement il pr�f�rait r�sider en Allemagne, mais il ne comprit jamais l'anglais et laissa les politiciens britanniques s'occuper des affaires de son royaume. 

De son c�t�, la France tenta d'attirer les Acadiens vers la colonie de l'�le-Royale (Louisbourg), le nouveau centre �conomique qui rempla�ait Plaisance (Terre-Neuve), et qui comprenait l'�le Saint-Jean, laquelle devait servir de colonie agricole pour la forteresse de Louisbourg. L'entreprise de transfert de la population connut tr�s peu de succ�s, car la plupart des Acadiens d�cid�rent de demeurer en Nouvelle-�cosse, les conditions de vie �tant jug�es plus difficiles dans les deux �les, fussent-elles fran�aises. Ils ne voulaient pas des terres rocailleuses de l'�le Royale (Cap-Breton) et pr�f�raient leurs terres fertiles de la Nouvelle-�cosse. De plus, ils ne trouvaient pas dans ces �les les marais qui �taient essentiels � leur syst�me agricole. De toute fa�on, les Acadiens se consid�raient chez eux, car presque toute l'arm�e de la Nouvelle-Angleterre �tait repartie; il ne restait que 200 hommes de l'infanterie et 250 volontaires coloniaux. Samuel Vetch (1668-1732) assumait le commandement d'Annapolis Royal (le nouveau nom de Port-Royal) au milieu d'une population fran�aise relativement hostile. En fait, la plupart des Acadiens continu�rent d'appeler Annapolis Royal par son ancien nom de Port-Royal. Pour eux, rien n'avait vraiment chang�.

8.1 L'organisation de la colonie

De 1713 � 1720, la Nouvelle-�cosse connut un r�gime militaire. Un conseil de douze membres, pour la plupart des militaires, exer�ait les pouvoirs l�gislatifs, alors qu'une General Court administrait la justice. On introduisit le syst�me mon�taire de la colonie du Massachusetts, ce qui facilitait les �changes entre les deux colonies.

Gouverneurs de la Nouvelle-�cosse Lieutenants-gouverneurs
1657-1670 : Thomas Temple 1711-1717 : Thomas Caulfield
1710-1715 : Samuel Vetch 1724-1739 : Lawrence Armstrong
1717-1740 : Richard Philipps 1756-1761 : Robert Monckton
1740-1749 : Paul Mascar�ne 1763-1766 : Montague Wilmot
1749-1752 : Edward Cornwallis 1766-1776 : Michael Francklyn
1752-1756 : Peregrine Thomas Hopson 1780-1782 : Andrew Snape Hamond
1756-1760 : Charles Lawrence

-

En 1720, la Grande-Bretagne accorda un gouvernement civil avec un gouverneur comme repr�sentant officiel du roi. Comme peu de gouverneurs accept�rent de s�journer dans la colonie, ce sont des lieutenants-gouverneurs qui administr�rent la Nouvelle-�cosse. � l'exemple des autres colonies britanniques, le gouvernement colonial avait les pleins pouvoirs. C'�tait un Ex�cutif qui disposait d'un droit de v�to sur tout. Mais, � la diff�rence des autres colonies britanniques, la Nouvelle-�cosse ne jouissait pas d'une assembl�e l�gislative de peur que les Acadiens, la population majoritaire, puisse contr�ler son fonctionnement. 

L'Administration britannique de l'�poque �tait beaucoup plus pr�occup�e de faire des Acadiens de �bons sujets britanniques� que de former un gouvernement d�mocratique. Quoi qu'il en soit, les assembl�es l�gislatives des autres colonies ne b�n�ficiaient pas des pouvoirs qu'elles auraient bien souhait�s. Ce sont des d�l�gu�s qui votaient les lois, mais le gouverneur ou le lieutenant-gouverneur disposait d'un droit de v�to: il pouvait d�sapprouver les lois. De plus, c'�tait la premi�re fois que la Couronne anglaise de religion anglicane administrait un territoire catholique. C'est pourquoi elle exigeait un serment d'all�geance. Cette question du serment d'all�geance allait devenir une v�ritable �pine aux pieds autant des administrateurs britanniques que des Acadiens.

Pendant ce temps, les Acadiens continu�rent en Nouvelle-�cosse de parler la langue de leurs anc�tres. Ils s'exprimaient en g�n�ral dans un fran�ais populaire rest� proche des parlers r�gionaux de France. Ils ne parlaient plus le poitevin et �taient devenus familiers avec le �fran�ais du roy�.

8.2 La p�riode des accommodements

Les Acadiens de la Nouvelle-�cosse ne se faisaient gu�re d'illusion, ils savaient que la France de Louis XIV (qui d�c�dera en 1715) les avait abandonn�s par un trait� (1713) dont ils n'avaient m�me pas �t� inform�s. Ils devenaient ipso facto des �sujets anglais� de Sa Majest� britannique, mais ils se savaient indispensables pour les autorit�s britanniques. Effectivement, comme il n'y avait pas encore d'agriculteurs britanniques en Nouvelle-�cosse, les autorit�s coloniales firent pression pour que les Acadiens fournissent en vivres la garnison; elles firent tout en leur possible pour �viter qu'ils ne quittent la colonie. Malgr� la promesse de la reine Anne Stuart, les autorit�s locales limit�rent les libert�s des Acadiens dans leurs d�placements afin de les garder sous leur contr�le, sans d'autres droits que ceux de pratiquer leur religion et de nourrir les soldats et les administrateurs. Progressivement, les Acadiens d�laiss�rent la r�gion de Port-Royal devenu Annapolis Royal, trop pr�s du pouvoir, pour se concentrer dans la r�gion du bassin des Mines au fond de la baie de Fundy (l'ancienne baie Fran�aise) et aussi � Beaubassin dans l'isthme de Chignectou.

Samuel Vetch, commandant de la garnison d'Annapolis Royal, croyait d�s 1714, donc au lendemain du trait� d'Utrecht, qu'il valait mieux exiler les Acadiens dans �les Antilles fran�aises�, mais il consid�rait aussi, dans un Memoire en date du 24 novembre 1714, que des cons�quences n�gatives pouvaient en d�couler du fait que la Nouvelle-�cosse se viderait de tous ses habitants et que leur d�part viendrait �ventuellement accro�tre et enrichir la colonie de l'�le-Royale. Il faut aussi rappeler que les Britanniques craignaient les Indiens � leurs �pires ennemis�  � comme la peste: la pr�sence des Acadiens pouvait contribuer � les calmer. Cette lettre (en traduction) �crite le 1er novembre 1715 � Annapolis Royal par le lieutenant-gouverneur Thomas Caulfield au Bureau du commerce (Board of Trade) ne laisse aucun doute � ce sujet:

[...] Depuis mon arriv�e ici, j'ai toujours remarqu� l'empressement des Acadiens � nous rendre service, chaque fois que l'occasion leur en �tait offerte. Si quelques colons anglais, choisis parmi des gens industrieux, charpentiers, forgerons, nous �taient envoy�s, le pays en retirerait certainement du profit; mais au cas o� les habitants fran�ais nous quitteraient, nous ne pourrions jamais r�ussir � mettre nos familles anglaises � l'abri des attaques des Indiens, nos pires ennemis ; tandis qu'en restant avec nous les Acadiens nous seraient une sauvegarde contre ces barbares. Vos Seigneuries verront qu'�tant donn� le nombre des troupeaux que les Acadiens ont avec eux � l'heure actuelle, nous pourrions d'ici � deux ou trois ans, pour peu qu'on y mette de bonne volont�, nous trouver pourvus de tout le n�cessaire sans avoir � recourir au dehors.

Bref, la pr�sence des Acadiens en Nouvelle-�cosse faisait l'affaire de tout le monde. Les Acadiens voulaient rester sur leurs terres, les Britanniques avaient besoin des agriculteurs acadiens pour fournir des vivres � la garnison et se prot�ger des Indiens, et la France consid�rait que la pr�sence des Acadiens en Nouvelle-�cosse pouvait emp�cher une �ventuelle colonisation britannique.

Mais le paradoxe demeurait : l'Acadie anglaise restait fran�aise et les Acadiens occupaient les meilleures terres. Quant aux Indiens, ils poursuivaient leurs mesures de harc�lement contre les Britanniques. Enfin, la colonie britannique de la Nouvelle-�cosse se trouvait dans une situation incommodante. Elle �tait coinc�e � l'est par la dangereuse forteresse de Louisbourg sur l'�le Royale (Cap-Breton) et au nord-ouest par la menace de l'alliance franco-am�rindienne. La colonie �tait donc encercl�e par une masse fran�aise qui la rendait inconfortable au plan de la s�curit�. En un sens, le trait� d'Utrecht de 1713 n'avait rien r�gl�.

8.3 L'�pineuse question du serment d'all�geance

Les Acadiens habitaient la Nouvelle-�cosse, c'est-�-dire �en territoire anglais�. Pour la Grande-Bretagne, ils �taient non seulement des �ennemis�, mais aussi des papistes honnis par tous les protestants de la Nouvelle-Angleterre. Il fallait donc s'assurer de leur fid�lit� au monarque anglais. La pratique du serment d'all�geance devait d�s lors s'appliquer aussi aux Acadiens, comme il �tait d'usage dans l'empire. Il �tait impensable qu'un sujet britannique puisse refuser de prendre les armes pour soutenir les int�r�ts du souverain. Or, un serment inconditionnel rendait les Acadiens aptes au service militaire et les contraindrait ultimement � prendre les armes non seulement contre la France, mais aussi contre les membres de leurs propres familles �parpill�es dans les r�gions limitrophes.� Pour les Acadiens, rien dans le trait� de paix de 1713 ne mentionnait qu'ils devaient pr�ter un serment d'all�geance � la couronne britannique pour devenir sujet du roi.

Les Acadiens �taient bien pr�ts � promettre fid�lit� au roi d'Angleterre, mais ils tenaient farouchement � conserver leur neutralit� en cas de guerre. C'est pourquoi ils refus�rent de pr�ter ce serment d'all�geance inconditionnelle, lui pr�f�rant un �serment de neutralit� en cas de conflit entre la Grande-Bretagne et la France, avec la promesse de pratiquer leur religion. Le 15 mars 1715, quelques Acadiens du bassin des Mines, pr�s de Grand-Pr�, accept�rent de pr�ter serment au roi d'Angleterre en ces termes:

Moy Je promes sincerement Et jure que je veu Etre fidelle et tenir une Veritable alegence a Sa majest� le Roy Goerge. Insy aide mon Dieu.

D'autres pr�f�r�rent d�m�nager � l'�le Royale. De son c�t�, Pontchartrain, le secr�taire d'�tat � la Marine et aux Colonies, d�sirait augmenter la population acadienne sur l'�le Royale, sinon, croyait-il, elle n'aurait pas la force de se d�fendre lors de la prochaine �guerre aux Anglais�. Bien que le gouverneur g�n�ral, Philippe de Vaudreuil, lui ait expliqu� la r�ticence des Acadiens � se �transplanter� ailleurs, Pontchartrain lui demanda de trouver �les moyens de les y d�terminer aussi bien que les Sauvages d'Acadie�. Au besoin, il fallait r�clamer l'aide des missionnaires pour cette t�che.

Tr�s d�vou�s, les hommes de Dieu entreprirent alors de pr�cher � leurs ouailles que leur salut �ternel �tait en danger s'ils demeuraient sujets d'une couronne protestante. Ils leur expliqu�rent que, en d�pit de l'occupation des Anglais protestants, les Acadiens n'avaient cess� d'�tre les sujets de Sa Majest� tr�s chr�tienne. Par cons�quent, ils avaient le devoir de d�fendre la vraie religion qui �tait menac�e. Puis les missionnaires mirent en garde les Ab�naquis contre le gouverneur du Massachusetts, Samuel Shute (1662-1742), qui convoitait leur pays et viendrait le prendre. Sous les ordres du ministre de la Marine, Vaudreuil dut fournir en catimini des armes et des munitions aux alli�s ab�naquis afin qu'ils commencent d�s 1718 � attaquer les �tablissements britanniques �lev�s le long de la rivi�re Kennebec, et ce, au risque de rompre les accords du trait� d'Utrecht de 1713.

Dans ce trait�, l'article 14 contenait une s�rieuse r�serve pour ce qui a trait � la pratique de la religion: �Ceux n�anmoins qui voudront y demeurer et rester sous la domination de la Grande-Bretagne doivent jouir de l'exercice de la religion catholique romaine, en tant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne.� Or, les lois de la Grande-Bretagne ne permettaient pas grand-chose au chapitre de la religion. Pour les Acadiens, il n'�tait pas question de pr�ter serment au chef d'une �glise schismatique et anticatholique. La situation se transformait en une �guerre de religion�. � cette �poque, ce qui causait r�ellement un probl�me, c'�tait la religion, pas la langue. Comme il �tait de coutume alors, aucune disposition du trait� ne pr�voyait quelque mesure que ce soit en mati�re de protection linguistique. On n'y pensait probablement m�me pas.

Cette situation conflictuelle contribua en partie � forger la culture acadienne, dont un certain esprit d'accommodement avec la pr�sence anglaise. La coexistence avec les Britanniques fut vite per�ue comme une fa�on �normale� de vivre en Am�rique du Nord, d'autant plus que toute une g�n�ration de jeunes n'avait jamais connu le R�gime fran�ais. D�s cette �poque, un certain nombre d'Acadiens apprirent l'anglais, le bilinguisme pouvant devenir d�sormais utile. La situation minoritaire allait dor�navant faire partie du destin des Acadiens. La France n'enverrait plus d'immigrants; la seule fa�on de peupler l'Acadie de francophones catholiques demeurait l'accroissement naturel, qui fut pour l'�poque exceptionnellement �lev�. 

Apr�s 1713, soit durant tout le R�gime britannique, les Acadiens furent plus souvent en contact avec les Anglais et les Am�rindiens qu'avec les Fran�ais, une situation qui explique les d�buts d'anglicisation du fran�ais acadien, ainsi que de l'usage fr�quent de mots micmacs (plus d'une centaine de mots), sans oublier l'attitude d'accommodement face � la domination britannique.

8.4 Une neutralit� illusoire

En 1727, afin d'apaiser les �embarrassants et encombrants� Acadiens, le gouverneur Richard Philipps (de 1717 � 1740) leur avait conc�d� le privil�ge de pr�ter serment d'all�geance � la Couronne anglaise, avec la r�serve qu'ils n'auraient pas � prendre les armes contre le roi de France. Il avait eu la pr�caution de ne pas informer les autorit�s de Londres qu'il avait fait cette promesse verbale aux Acadiens. 

- Une garantie verbale

Rassur�s par cette garantie (non �crite), les Acadiens observ�rent une neutralit� g�n�rale pendant vingt-cinq ans. En pr�tant un serment d'all�geance au roi d'Angleterre, ils craignaient de voir les Indiens se retourner contre eux. Les d�l�gu�s acadiens avaient affirm� au gouverneur Philipps en 1720: �Il est notoire que nous ne pouvons pas prester serment � Sa Majest� britannique sans courir un risque tr�s certain d'estre esgorg�s dans nos maisons par les Sauvages, lesquels nous en menacent tous les jours.� Il �tait toutefois peu probable que les Acadiens aient vraiment eu � craindre d'�tre �esgorg�s par les Sauvages�, sauf si les Fran�ais exer�aient des repr�sailles contre les Acadiens en se servant de leurs alli�s indiens.

En 1730, les Acadiens obtinrent une formule de serment d'all�geance qui ne contenait aucune disposition expresse concernant l'obligation de porter les armes dans l'�ventualit� d'un conflit majeur.

Je Promets et Jure sincerement en Foi de Chretien que Je serai entierement Fidele, et Obeirai Vraiment Sa Majeste Le Roy George Second qui Je reconnoi pour le Souverain Seigneur de l'Acadie ou Nouvelle-Ecosse.

En 1720, au moment o� Paul Mascar�ne devenait gouverneur de la Nouvelle-�cosse, il trouvait les Acadiens bien r�calcitrants:

All the orders sent to them (inhabitants of Mines), if not suiting to their humors, are scoffed and laughed at, and they put themselves upon the footing of obeying no Government. [Tous les ordres qui leur sont envoy�s (aux habitants des Mines), s'ils ne correspondent pas � leur �tat d'�me, sont bafou�s et ridiculis�s, et ils estiment ne devoir ob�ir � aucun gouvernement.]

Les habitants des Mines, issus en grande partie de Port-Royal, avaient d�velopp� un fort particularisme r�gional, dont s'�tait plaint d�j� en 1701 l'ancien gouverneur Jacques-Fran�ois Monbeton Brouillan de Saint-Andr�. De toute fa�on, ils semblaient peu r�ceptifs � recevoir des ordres de la part des autorit�s.

Mais les Acadiens ignoraient alors qu'ils avaient pr�t� leur dernier serment d'all�geance avec conditions. Pour les Britanniques, les Acadiens n'�taient pas une population �loyale�, mais �passive�. �The great majority remained passive, if not loyal�, comme le croyait Paul Mascar�ne. Les Britanniques ne pouvaient leur faire une grande confiance. D'apr�s l'historien Michel Roy: �Un revirement d'attitude ferait passer dans le camp fran�ais des milliers de fusils.� �a, les Anglais le savaient. Et il y avait aussi le danger am�rindien...

- Entre l'arbre et l'�corce

En m�me temps, les Acadiens �taient pris entre l'arbre et l'�corce: d'une part, la Grande-Bretagne demandaient un serment d'all�geance, d'autre part, la France les d�claraient �rebelles� s'ils ne soutenaient pas la m�re patrie. C'est pourquoi les Acadiens tent�rent de demeurer �neutres� dans les conflits engendr�s par les deux m�tropoles, ce qui explique que les Britanniques les ont appel�s "Neutral French" (les �Fran�ais neutres�). Mais seuls les Acadiens se croyaient �neutres�, car Fran�ais et Britanniques les consid�raient �de leur c�t�. Pendant que les Britanniques tentaient de faire pr�ter serment d'all�geance aux Acadiens de la Nouvelle-�cosse, les Fran�ais exigeaient qu'ils pr�tent all�geance au roi de France.

Le 12 avril 1751, le gouverneur de la Nouvelle-France, le marquis de La Jonqui�re, �mit une ordonnance proclamant �rebelle� tout Acadien refusant l'all�geance inconditionnelle et l'incorporation aux milices sous peine d'expulsion. En 1754, le m�me gouverneur mena�ait les Acadiens sous contr�le fran�ais de les chasser de leurs terres s'ils ne se soumettaient pas � son ordonnance. En m�me temps, Charles Lawrence, le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-�cosse, proclama que tout Acadien qui aurait jur� fid�lit� au roi d'Angleterre et �tait trouv� en possession d'armes serait consid�r� comme �criminel�. Comme si ce n'�tait pas suffisant, l'abb� Jean-Louis Le Loutre (1709-1772), un pr�tre fran�ais influent en Acadie et ennemi jur� des Anglais, mena�ait d'excommunier les Acadiens et de leur envoyer �ses Micmacs� pour les scalper. Il leur p�chait qu'�tre fid�le au roi de France c'�tait rester fid�le � Dieu et que vivre chez les Anglais h�r�tiques c'�tait ouvrir toutes grandes les portes de l'enfer.

Terroris�s, les Acadiens ne savaient plus vraiment � qui il �tait moins risqu� d'ob�ir. Dans ces conditions, plusieurs se montraient favorables au maintien de la domination britannique en Acadie. En m�me temps, les Acadiens ne pouvaient pas vraiment jouer la carte anglaise sans risquer de tr�s graves repr�sailles advenant une victoire fran�aise. Les infortun�s Acadiens seraient rest�s plut�t indiff�rents aux rivalit�s imp�riales s'ils n'avaient pas eu � les subir: ils auraient sans doute pr�f�r� vivre en paix sur leurs terres.

Si les Acadiens � et les colons de la Nouvelle-Angleterre � avaient v�cu dans une d�mocratie, il est probable que la France et la Grande-Bretagne en seraient venues � cohabiter pacifiquement. Mais les colons acadiens, comme les colons anglais, �taient tous � la merci d'un monarque absolu, qui les projetait dans d'incessants conflits. M�me si les gouverneurs de l'Acadie et du Massachusetts, par exemple, avaient �t� de connivence pour vivre en paix, une simple lettre de Versailles ou de Londres aurait suffi � les propulser � la guerre.

- L'�migration en territoire fran�ais

L'abb� Jean-Louis Le Loutre s'acharnait � convaincre les Acadiens d'aller s'installer dans les territoires fran�ais, g�n�ralement en Acadie fran�aise ou � l'�le Saint-Jean. Ils leur promettait, au nom de la France, qu'ils vivraient dans des terres aussi fertiles et qu'ils produiraient alors des exc�dents qu'ils pourront ensuite vendre � la garnison de Louisbourg. Le Loutre promettait aussi de les indemniser pour leurs pertes et de les aider pour les trois prochaines ann�es. Il dut m�me se rendre en France en 1753 pour supplier vainement le ministre des Colonies, Antoine-Louis Rouill�, d'envoyer des renforts et des provisions en Acadie continentale. 

En r�alit�, lorsque des Acadiens se r�signaient � quitter leurs terres fertiles pour se transplanter en territoires fran�ais, ils redevenaient pauvres. Ils savaient qu'il leur fallait recommencer � d�fricher la terre qui ne produirait rien durant au moins deux ans, qu'ils manqueraient d'instruments aratoires, de victuailles, d'armes, de v�tements, etc. Il leur faudrait quand m�me se nourrir alors que leurs terres demeuraient encore improductives. En raison du blocus anglais, les vaisseaux de ravitaillement fran�ais n'arrivaient pratiquement plus. Les Acadiens savaient aussi qu'une fois sur le territoire fran�ais ils seraient oblig�s de s'engager dans la milice pour faire la guerre au lieu de cultiver leurs terres. Beaucoup d'Acadiens qui avaient d�m�nag� en territoire fran�ais, que ce soit en Acadie continentale, � l'�le Saint-Jean ou � l'�le Royale, regrettaient d'avoir abandonn� leurs terres. Affam�s et d�munis, ils pr�f�raient parfois repasser �chez les Anglais�.      

- Le meilleur des deux mondes

Devant les exigences de leur survie en territoire britannique, les Acadiens avaient choisi les conditions qui leur apparaissaient les plus avantageuses pour r�pondre � leurs besoins: d'une part, il leur fallait m�nager les susceptibilit�s fran�aises en conservant une fid�lit� acceptable pour la France, d'autre part, chercher � b�n�ficier du commerce anglais et de la �paix anglaise�, tout en tirant profit de tous les avantages de la proximit� avec Louisbourg. C'�tait le meilleur des deux mondes! C'�taient donc la neutralit� politique et l'adh�sion commerciale avec les Anglais et les Fran�ais. D'ailleurs, les Acadiens connurent sous la R�gime anglais plus de prosp�rit� que le r�gime ant�rieur n'avait m�me jamais laiss� entrevoir. La population quadrupla en un peu plus d'une g�n�ration. C'est pourquoi beaucoup d'Acadiens pr�f�raient vivre sous un r�gime anglais. L'intendant de la Nouvelle-France, Jacques de Meulles (1682-1686), avait observ� ce ph�nom�ne: �Les peuples de l'Acadie sont excusables de l'inclination qu'ils ont pour les Anglais.� Il ajoutait aussi :

L'Acadie est pr�sentement si peu de chose, n'estant aucunement maintenue et ne tirant aucun secours de la France que la plupart des habitants par la fr�quentation qu'ils ont avec les Anglois et le commerce qu'Ils font continuellement avec eux ont abandonn� ces costes pour s'establir autour de Boston, et aussy parce qu'ils ont �t� tourment�s et pill�s plusieurs fois par les forbans.

Les Acadiens pr�f�raient donc le libre commerce sous occupation anglaise aux contraintes commerciales sous occupation fran�aise. En m�me temps, les Acadiens demeuraient profond�ment fran�ais et catholiques. Ils ne pouvaient rien contre l'histoire qui les avait fait na�tre �fran�ais� et �sujets du roi� de France, ce qui d�j� rendait leur neutralit� plus al�atoire.

- La fausse neutralit�

Dans les faits, les Acadiens n'�taient pas �neutres�. D'abord, ils �taient d'origine fran�aise et catholique, ce qui suffisait amplement � les rendre suspects aux yeux des Britanniques pour qui une population cens�ment �neutre� �tait n�anmoins une population �ennemie�. Or, les Acadiens avaient la responsabilit� de leurs �racines�, c'est-�-dire celle d'�tre �fran�ais� et �catholiques� dans une colonie �britannique� et �protestante�.

Pour les Anglais, la neutralit� des Acadiens n'�tait qu'une apparence. Non seulement ces derniers refusaient de vendre des provisions aux soldats britanniques, mais ils les refilaient aux garnisons fran�aises. Ils renseignaient les troupes fran�aises sur les mouvements des bateaux et des troupes britanniques. D�guis�s en Indiens, ils harcelaient les colons isol�s qui avaient pr�t� le serment d'all�geance. Les Anglais �taient convaincus que, dans l'�ventualit� o� un escadron fran�ais s'aventurerait en Acadie anglaise, les Acadiens les accueilleraient en lib�rateurs.

8.5 Les pr�liminaires au �Grand D�rangement� 

L'expression �Grand D�rangement� est une cr�ation lexicale des Acadiens pour parler de �leur� d�portation. C'�tait un euph�misme, car il s'agissait d'une op�ration de �nettoyage ethnique� de grande envergure, compte tenu de la repr�sentation d�mographique plus restreinte de l'�poque, impliquant au moins 15 000 Acadiens. Quant aux Britanniques, ils utilis�rent ouvertement les mots "expulsion", "deportation", "eviction" et "elimination".  

Le projet de d�portation �tait dans l'air depuis un certain temps. D�j�, en 1745, le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-�cosse de 1740 � 1749, Jean-Paul Mascar�ne (1684-1760), un huguenot fran�ais, avait �crit � ce sujet � Londres :

We humbly propose that the French settlers be removed from the Province of Nova Scotia and be replaced by good Protestant subjects. [Nous proposons humblement que les colons fran�ais soient retir�s de la province de la Nouvelle-�cosse et remplac�s par de bons sujets protestants.]

Mascar�ne avait aussi avis� le gouverneur du Massachusetts, William Shirley, de ne pas d�voiler le projet d'expulsion aux Acadiens, pas m�me aux Bostonnais:

Every preparation for this eviction must be made without their knowledge and with the greatest secrecy, even at Boston. [Toute pr�paration pour cette expulsion doit �tre faite � leur insu et avec le plus grand secret, m�me � Boston.]

Expulser les Acadiens apparaissait comme l'unique solution aux difficult�s de la colonisation anglaise. En effet, il �tait difficile d'inciter des colons anglais � venir s'installer dans une Nouvelle-�cosse � la fois habit�e encore par des �Fran�ais� occupant les meilleures terres et infest�e d'Indiens alli�s aux Fran�ais. Le 14 octobre 1747, le roi d'Angleterre ordonna une enqu�te sur les moyens d'expulser les Acadiens. La m�me ann�e, le gouverneur Shirley du Massachusetts conseillait le premier ministre de Grande-Bretagne, le duc de Newcastle, sur les mesures � adopter � ce sujet. Comme Shirley �tait l'un des plus fervents antipapistes de toute la Nouvelle-Angleterre, ses propositions allaient forc�ment dans le sens de l'expulsion des Acadiens.

- La prise de Louisbourg de 1745

De leur c�t�, les marchands de la Nouvelle-Angleterre acceptaient mal l'emprise de la forteresse de Louisbourg (sur l'�le Royale) devenue un centre commercial florissant et un s�rieux concurrent pour les commer�ants britanniques du continent. Le succ�s des p�cheries de l'�le Royale �tait tel qu'il entra�nait le d�clin de l'industrie de la p�che dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre. Les Acadiens avaient particip�, eux aussi, � ce florissant commerce avec l'�le Royale, m�me si cela leur �tait formellement interdit. Ils avaient ainsi contribu� � la ruine des colons anglais. Parfois, les Acadiens devaient collaborer aux raids organis�s par les Canadiens. Ainsi, en 1747, quelque 240 Canadiens, 60 Ab�naquis et 20 Acadiens attaqu�rent les Britanniques aux Mines et remport�rent la victoire, ce qui eut pour effet d'exposer encore davantage les Acadiens aux repr�sailles des Britanniques. Par ailleurs, jamais depuis le trait� d'Utrecht de 1713 les Acadiens n'avaient v�cu une aussi longue p�riode de paix. Ils avaient donc prosp�r�, car en quarante ans la population acadienne avait quintupl�, passant de 1700 en 1713 � plus de 15 000 en 1755 (voir les cartes sur l'�volution des �tablissements acadiens).  

Le destin des Acadiens allait changer � la suite d'un �v�nement majeur : la prise de Louisbourg en juin 1745 par les troupes de la Nouvelle-Angleterre. La garnison fran�aise fut rapatri�e en France et la plupart des p�cheurs partirent pour la France ou pour le Canada. Seuls quelques centaines d'Acadiens demeur�rent dans l'�le Royale. Durant pr�s de quatre ans, la forteresse de Louisbourg resta sous le contr�le des troupes britanniques. Puis, le trait� d'Aix-la-Chapelle de 1748 restitua la forteresse aux Fran�ais, ce qui irrita profond�ment les colons anglais de la Nouvelle-Angleterre, qui se voyaient ainsi priv�s de leur victoire. Ce fut le coup de pouce qui, sous la pression des colonies de la Nouvelle-Angleterre, d�cida Londres de changer radicalement sa politique � l'�gard des Acadiens et de la Nouvelle-�cosse.

- Le renforcement de la colonie britannique

Pendant des ann�es, Londres avait n�glig� la Nouvelle-�cosse britannique demeur�e massivement francophone et catholique. Un nouveau gouverneur fut d�sign� en la personne d'Edward Cornwallis (1713-1776) qui devait inaugurer la nouvelle politique du gouvernement britannique. Cornwallis mit peu de temps � redresser la situation et � faire de la Nouvelle-�cosse une v�ritable colonie anglaise et protestante, laquelle servirait de zone tampon entre la Nouvelle-Angleterre et l'Acadie fran�aise (Nouveau-Brunswick) plus au nord. Il convainquit le gouvernement anglais qu'il �tait essentiel de donner � la Nouvelle-�cosse une base militaire et un effectif suffisant pour faire contrepoids � Louisbourg, et prot�ger la Nouvelle-Angleterre et son commerce. Il fallait fonder une nouvelle ville avec une citadelle et un port pour recevoir des navires de ligne, et recruter des colons anglais.


Port d'Halifax en 1750

Le choix de la nouvelle ville porta sur Chibouctou appel� dor�navant Halifax, en l'honneur de lord Halifax, pr�sident du Board of Trade. La nouvelle ville d'Halifax rempla�a Annapolis Royal comme capitale et devint le plus important avant-poste militaire britannique de la r�gion. Tout fut fait en quelques ann�es, avec une extr�me rapidit�, gr�ce � des fonds sp�ciaux de la m�re patrie. Les Acadiens furent tr�s heureux de constater que le centre du pouvoir s'�loignait d'eux, car la ville d'Halifax �tait situ�e sur la c�te oppos�e, l� o� on trouvait peu d'Acadiens. En trois ans, la ville d'Halifax atteignit 4000 habitants, soit autant qu'� Montr�al pourtant fond�e en 1642. La citadelle, construite avec une ma�onnerie solide et arm�e de 70 canons, fut termin�e en 1856; elle �tait alors consid�r�e comme l'une des fortifications les plus solides au monde. Dans toute la Nouvelle-�cosse, le nombre des Acadiens atteignait environ 12 000 personnes.

Edward Cornwallis fit venir des colons de la Grande-Bretagne, soit plus de 2500. Des Suisses et des Allemands suivirent durant le mandat de ce gouverneur; ils venaient des �tats allemands de Hanovre et de Brunswick, alors sous la juridiction de la Grande-Bretagne. En 1753, ils allaient �tablir leur propre village � Lunenburg. Ensuite des colons de la Nouvelle-Angleterre afflu�rent au point d'atteindre une population de quelque 4000 bons sujets anglais, sans compter un fort contingent de militaires. Cornwallis prit soin d'avoir � son service le major Charles Lawrence r�put� pour sa fermet�, afin d'entreprendre une guerre de gu�rillas contre les Fran�ais et les Sauvages. C'est lui qui  �rigea en 1750, sur les ruines de Beaubassin, le fort Lawrence, s�par� de 3 km de celui de Beaus�jour. 

D�s lors, le visage de la colonie s'en trouva transform�, mais les Acadiens demeuraient encore majoritaires, malgr� les nombreux d�parts vers l'Acadie fran�aise, soit environ 5000 entre 1749 et 1755. Halifax �tait devenu rapidement le centre du peuplement britannique. Les colons r�clam�rent une Chambre d'Assembl�e, comme il �tait de r�gle dans les colonies britanniques. Cependant, la Couronne n'�tait pas pr�te � accorder cette chambre � une colonie encore trop peupl�e de francophones et de catholiques (�papistes�). Puis les colons britanniques se mirent � convoiter ouvertement les terres des Acadiens, d'autant plus que ces derniers poursuivaient leur exode en Acadie fran�aise (l'actuel Nouveau-Brunswick), en Gasp�sie et � l'�le Saint-Jean. Beaucoup d'Acadiens se laissaient convaincre par les agents et les missionnaires fran�ais de passer �en terre fran�aise�, soit au Canada, � l'�le Royale ou � l'�le Saint-Jean. En 1752, Cornwallis retourna en Grande-Bretagne o� il poursuivit sa carri�re militaire.

Il fut remplac� par Peregrine Thomas Hopson (1685�1759) dont le mandat commen�a le 3 ao�t de la m�me ann�e. Celui-ci se rendit compte que les Acadiens et les Indiens subissaient l'influence de Qu�bec et de Louisbourg, et qu'ils �taient les instruments d'une politique fran�aise d�lib�r�e d'empi�tement sur le territoire britannique. La France construisait des forts en pr�paration d'une guerre qui allait commencer. Hopson tenta de pratiquer une politique conciliante avec les Acadiens, mais une s�rieuse maladie des yeux l'obligea � passer les r�nes du pouvoir � Charles Lawrence. Il quitta la colonie pour l'Angleterre le 1er novembre 1753.

Avant de partir, Peregrine Hopson avait permis la fondation de la ville de Lunenburg, sur le site de Merligueche, un village acadien. Lunenburg fut nomm�e en l'honneur du roi de Grande-Bretagne et d'Irlande, George II, qui �tait aussi le duc de Brunswick-Lunenburg. Quelque 2700 protestants vinrent s'y installer.  Ils �taient originaires de la vall�e du Rhin, en Allemagne, ainsi que des cantons francophones et germanophones de Suisse et de la principaut� de Montb�liard. Le gouvernement britannique voulait ainsi encourager des protestants �trangers � s'�tablir dans la r�gion afin de la coloniser et d'�viter le retour des Acadiens catholiques.

- L'emprise de Charles Lawrence

Contrairement � P.T. Hopson, Charles Lawrence n'�tait pas un homme de compromis. Il d�testait les Fran�ais et encore plus la religion catholique et les papistes; il r�vait � la destruction de l'empire fran�ais en Am�rique du Nord. C'�tait aussi un autocrate avis� qui ne voulait surtout pas se laisser berner par les paysans acadiens. Il avait �t� commandant � Louisbourg durant l'occupation britannique (1745-1748) et savait comment mener les hommes avec une poigne de fer. Il �tait aussi tr�s li� avec le gouverneur du Massachusetts, William Shirley, le plus fervent antipapiste de la Nouvelle-Angleterre.

Comme lieutenant-gouverneur par int�rim, il convoqua le 3 juillet 1755 un groupe de �d�put�s� acadiens afin qu'ils soumettent leurs griefs au Conseil de la Nouvelle-�cosse. Non seulement le Conseil ne tint nullement compte de leurs plaintes, mais Lawrence exigea des Acadiens un nouveau serment d'all�geance inconditionnelle � George II, sans libert� religieuse ni neutralit� d'aucune sorte, sachant tr�s bien qu'ils refuseraient. Les Acadiens ne mesur�rent certainement pas cette fois-l� les cons�quences de leur refus, car il n'y en avait jamais eu dans le pass�. Ils ne comprirent pas que les circonstances avaient chang�, tout comme les repr�sentants britanniques qui prenaient les d�cisions.  Devant le refus appr�hend� des Acadiens, qui donn�rent leur r�ponse le 4 juillet, Lawrence leur expliqua que le Conseil �ne peut plus les consid�rer comme des sujets du Sa Majest� britannique, mais comme des sujets du roi de France�.

Lorsque les d�put�s comprirent v�ritablement les enjeux, et qu'ils exprim�rent leur volont� de pr�ter le serment demand�, Lawrence leur r�pondit qu'il �tait �trop tard�. Il leur apprit qu'un serment de loyaut� ne peut plus �tre pr�t� apr�s avoir �t� refus�. Les d�put�s acadiens furent emprisonn�s sur-le-champ.  Lawrence contesta leurs droits de propri�t� et accusa les Acadiens �d'ent�tement, de tricheries, de partialit� envers les Fran�ais, d'ingratitude envers Sa Majest� britannique qui les comble de gr�ces et de protections�. Il recommanda l'expulsion en haut lieu et ordonna � ses subalternes de ne plus �apporter du bois pour le chauffage� dans les garnisons et de s'emparer plut�t �des maisons des Acadiens pour en faire du combustible�.

Dor�navant, la neutralit� cadrait mal avec une situation de conflit ouvert en territoire occup�. La politique de neutralit�, qui avait bien servi les Acadiens jusqu'ici, devenait dor�navant une politique insoutenable, puisqu'elle se retournait contre eux. En 1755, c'est la neutralit� qui perdit les Acadiens, encore appel�s les �Fran�ais neutres�, lesquels n'avaient pas compris que, cette fois-l�, c'�tait la confrontation finale entre deux m�caniques imp�rialistes. Pire, il �tait m�me trop tard pour se rebeller � les Acadiens �tant maintenant d�sarm�s � ou pour collaborer avec les Britanniques. Fait plus surprenant encore, les Acadiens n'ont pas vu venir la d�portation qui �tait ouvertement annonc�e � Boston depuis au moins dix ans (1745). Ils rest�rent frapp�s de stupeur devant la catastrophe qui leur tombait sur la t�te en 1755, eux qui croyaient n'avoir �rien fait� ni contre la Grande-Bretagne ni contre la France. Charles Lawrence justifiait ainsi l'expulsion dans une lettre d�j� adress�e, le 1er ao�t 1754, aux autorit�s britanniques:
 

While they remain without taking oaths to His Majesty (which they will never do till they are forced) and have the incendiary priests among them, there are no hopes of their amendment. As they possess the best and largest tracts of land in this province, it cannot be settled while they remain in this situation.  

And tho' I would be very far from attempting such a step without your Lordships' approbation yet I cannot help being of the opinion that it would be much better, if they refuse the oaths, that they were away.

The only ill consequences that can attend their going would be their taking arms and joining the Indians to distress our settlements as they are numerous and our troops much divided; tho' I believe that a very large part of the inhabitants would submit to any terms rather than take up arms on either side; but that is only my conjecture and not to be depended on in so critical a circumstance.

[Tant qu'ils [Acadiens] n'auront pas pr�t� serment � Sa Majest� (ce qu'ils ne feront jamais � moins qu'ils n'y soient forc�s) et qu'ils auront des pr�tres incendiaires au milieu d'eux, il n'y a aucun espoir qu'ils s'amendent. Comme ils poss�dent les plus vastes �tendues et les meilleures terres en cette province, rien ne peut se faire tant qu'ils demeureront dans cette situation.

Et bien que soit loin de moi l'id�e d'entreprendre une telle mesure, sans l'approbation de Vos Seigneuries, je ne puis m'emp�cher de croire qu'il serait pr�f�rable, s'ils refusent le serment, qu'ils s'en aillent.

Les seules mauvaises cons�quences qui peuvent r�sulter de � leur d�part seraient que leurs armes soient prises et qu'ils joignent les Indiens pour harceler nos �tablissements, car ils sont nombreux, alors que nos troupes sont tr�s dispers�es; je crois qu'une tr�s grande partie des habitants se soumettrait � n'importe quelle condition plut�t que de prendre les armes contre l'un ou l'autre camp; mais c'est de ma part une simple hypoth�se dans laquelle il ne faut pas se limiter dans une situation si critique.]

L'expression �qu'ils s'en aillent� ('' that they were away'') devait signifier �qu'on les expulse� de la Nouvelle-�cosse. Auparavant, il fallait trouver un moyen de les chasser �l�galement� malgr� les conventions et trait�s consentis. Lawrence devint officiellement lieutenant-gouverneur en titre le 6 ao�t 1754.

Les autorit�s anglaises lui recommand�rent de consulter le juge en chef de la Nouvelle-�cosse, Jonathan Belcher (1710-1776). Celui-ci conclut que les Acadiens s'�taient conduits �comme des rebelles� et qu'ils ne pouvaient plus longtemps �tre tol�r�s dans la colonie. Il pr�tendit aussi que les Acadiens ne disposaient d'aucun droit que les Anglais �taient tenus de respecter et que le gouvernement colonial pouvait agir envers les �Fran�ais neutres� comme il lui plaisait. En fait, Lawrence et son conseil estimaient que la tol�rance dont les Acadiens, les �Fran�ais neutres�, avaient b�n�fici� depuis 1713 en faisait un groupe privil�gi� dans l'Empire britannique.

Dans une lettre r�dig�e � Boston en date du 14 d�cembre 1754, le gouverneur William Shirley du Massachusetts avait accord� officiellement son soutien � Lawrence:
 
J'ai eu l'honneur de recevoir vos d�p�ches transmises par le lieutenant-colonel Monckton contenant les moyens de chasser les Fran�ais de la Nouvelle-�cosse suivant le projet expos� dans les lettres que vous m'adressez et dans les instructions que vous donnez au colonel Monckton. J'ai consid�r� avec le plus grand plaisir ce plan si bien calcul� par Votre Honneur, pour le bien du service de Sa Majest�, et je n'ai pas h�sit� � vous envoyer le secours que vous d�sirez pour l'ex�cution de ce plan apr�s en avoir pris connaissance.

Puis les Anglais, les Virginiens et les Bostonnais pass�rent � l'offensive en temps de paix. Monckton prit le fort Beaus�jour (devenu le fort Cumberland), le 16 juin 1755; ensuite le colonel John Winslow s'empara du fort Gasp�reau (devenu le fort Monckton) et du fort Managou�che (ou Saint-Jean), ce qui pla�ait toute la population acadienne sous la mainmise des Britanniques et marquait le d�clenchement des op�rations de d�portation. Le lieutenant-colonel John Winslow (1702-1774), l'un des officiers de l'arm�e britannique camp�e au fort Cumberland (ex-Beaus�jour), transmettait ainsi son opinion sur les �Fran�ais neutres� (Acadiens) dans son Journal de juillet 1755 (lettre publi�e dans la New-York Gazette le 25 ao�t et dans la Pennsylvania Gazette du 4 septembre) tout en pr�cisant qu'il consid�rait la d�portation comme �l'un des plus grands exploits qu'aient jamais accomplis les Anglais en Am�rique�:

We are now hatching the noble and great project of banishing the French Neutrals from this province; they have ever been our secret enemies and have encouraged the Indians to cut our throats. If we can accomplish this expulsion, it will have been one of the greatest deeds the English in America have ever achieved; for, among other considerations, the part of the country which they occupy is one of the best soils in the world, and, in the event, we might place some good farmers on their homesteads. [Nous formons maintenant le noble et grand projet de chasser les Fran�ais neutres de cette province; ils ont toujours �t� secr�tement nos ennemis et ont encourag� les Indiens � nous couper la gorge. Si nous pouvons effectuer cette expulsion, ce sera l'un des plus grands exploits qu'aient jamais accomplis les Anglais en Am�rique; car, entre autres consid�rations, la partie du pays qu'ils occupent est l'une des meilleures terres qui soient au monde et, dans ce cas, nous pourrions placer quelques bons fermiers (anglais) dans leurs habitations.]

Pendant ce temps, soit de 1750 � 1760, d'apr�s les estimations des historiens, quelque 7000 colons britanniques �taient venus s'�tablir en Nouvelle-�cosse. De fait, les Britanniques n'avaient plus besoin de ces encombrants �Fran�ais neutres�.

Il est difficile d'�valuer avec pr�cision la population d'Acadiens d'avant la D�portation, car leur nombre varie selon les sources consult�es. Pour sa part, le g�ographe et historien Andrew Hill Clark (Acadia, The Geography of Early Nova Scotia to 1760, Universit� du Wisconsin, 1868) situait ce total entre 11 000 et 12 500. Mais, en 1889, l'historien fran�ais Fran�ois-Edm� Rameau de Saint-P�re (Une colonie f�odale en Am�rique: l'Acadie 1604-1881, 1889) le fixait � plus de 16 000. Quant au d�mographe Raymond Roy (La croissance d�mographique en Acadie, 1671-1763, Universit� de Montr�al, 1975), il estime le nombre � 13 000 Acadiens, dont 10 355 en Acadie p�ninsulaire, 200 dans l'�le Royale et 2445 dans l'�le Saint-Jean. Il semble que les donn�es de Raymond Roy soient les plus fiables, mais, quoi qu'il en soit, ces diff�rences de mesure ne sont pas tr�s �loign�es. 

Cinq hommes allaient jouer un r�le pr�pond�rant dans la d�portation des Acadiens: Charles Lawrence, Alexander Murray, John Winslow, Robert Monckton et William Shirley.

Nom Dates
(Naissance-d�c�s)
Fonction R�le
Charles Lawrence 1709-1760 Lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-�cosse Ce fut le grand d�cideur de la D�portation qu'il mena avec succ�s.
Alexander Murray v. 1715-1762 Commandant du fort Sackville, puis du fort Edward Il confisqua les bateaux et les armes des Acadiens; il supervisa les d�portations dans la r�gion du fort Edward et expulsa plus de 1000 Acadiens.
John Winslow 1703-1774 Lieutenant-colonel du r�giment des provinciaux lev� par Shirley Il proc�da au d�placement de toute la population de Grand-Pr�.
Robert Monckton 1726-1782 Lieutenant g�n�ral d'Annapolis Royal Il dirigea la d�portation de plus de 1000 Acadiens dans le district des Mines et fit br�ler de nombreux �tablissements pr�s du fleuve Saint-Jean et de la rivi�re Petitcodiac.
William Shirley 1694 -1771 Gouverneur du Massachusetts L'un des grands responsables de la D�portation; il fit venir de nombreux Acadiens dans sa colonie en sachant qu'ils serait mieux surveill�s qu'ailleurs.

En r�alit�, Murray, Winslow et Monckton furent davantage des ex�cutants, alors que Charles Lawrence et William Shirley �taient des acteurs de tout premier ordre. Aujourd'hui, ils seraient accus�s de g�nocide, mais � l'�poque les m�urs �taient plus �lib�rales�.

9 La d�portation des Acadiens

En Nouvelle-�cosse, l'objectif de Charles Lawrence, le lieutenant-gouverneur, �tait d'expulser les Acadiens, serment d'all�geance ou non, et de les remplacer par des fid�les colons anglo-protestants de la Nouvelle-Angleterre. Il avait � r�ussi � amasser plusieurs griefs contre les Acadiens : leurs relations avec leurs voisins Fran�ais pour lesquels ils travaillaient et � qui ils vendaient leurs denr�es; l'�migration ill�gale d'un certain nombre d'habitants; la connivence tacite avec l'ennemi dont ils ne d�non�aient point les secr�tes intentions; la complicit� avec les Indiens, etc. Dans une lettre dat�e du 9 ao�t 1755, Charles Lawrence r�v�la ses intentions d'expulser les  Acadiens :
 
I will propose to them the Oath of Allegiance a last time. If they refuse, we will have in that refusal a pretext for the expulsion. If they accept, I will refuse them the Oath, by applying to them the decree which prohibits from taking the Oath all persons who have once refused to take it. In both cases I shall deport them. [Je leur proposerai le serment d'all�geance une derni�re fois. S'ils refusent, nous aurons dans ce refus un pr�texte pour les expulser. S'ils acceptent, je leur refuserai le serment, en appliquant le d�cret qui interdit � quiconque ayant d�j� refus� de pr�ter serment d'all�geance de le pr�ter. Dans les deux cas, je les d�porterai.]

Le sort des �Fran�ais de la Nouvelle-�cosse� ("French of Nova Scotia") �tait d�cid�, serment d'all�geance ou pas, car les Britanniques n'en avaient plus besoin pour nourrir la garnison, les colons anglophones �tant d�sormais suffisamment nombreux pour accomplir la besogne. C'est Charles Lawrence qui eut l'id�e d'exp�dier les Acadiens dans les diff�rentes colonies britanniques o� la population leur �tait forc�ment hostile, et toujours en petits groupes, dans plusieurs villes et villages, de sorte qu'ils ne puissent jamais se regrouper et soient soumis � des travaux forc�s. Par la suite, les colons britanniques pourraient prendre possession des terres des Acadiens, qui �taient les plus fertiles de la Nouvelle-�cosse.

9.1 L'ordre de d�portation

En tant que lieutenant-gouverneur de la colonie, Lawrence avait la responsabilit� de signifier l'ordre de d�portation des Acadiens, en s'�tant s'assur� auparavant l'approbation et la coop�ration pr�cieuse du gouverneur du Massachusetts, William Shirley, l'un des plus ardents ennemis des Fran�ais. Le 31 juillet 1755, Lawrence donnait ses instructions et d�ployait les forces britanniques comprenant 250 soldats anglais et 2000 coloniaux de la Nouvelle-Angleterre. Il avait demand� de veiller � ce que les Acadiens ne puissent regagner le Canada et avait veill� � louer des vaisseaux au plus bas prix possible pour le transport de toute la population.


L'Ordre de d�portation - Toile de Claude Picard

Le vendredi 5 septembre 1755, le lieutenant-colonel John Winslow lut en anglais la proclamation suivante aux 418 hommes et jeunes gar�ons convoqu�s dans l'�glise Saint-Charles-des-Mines de Grand-Pr�: 

Gentlemen,

I have received from his Excellency, Governor Lawrence, the King's Commission which I have in my hand, and by whose orders you are conveyed together, to Manifest to you His Majesty's final resolution to the French inhabitants of this his Province of Nova Scotia, who for almost half a century have had more Indulgence Granted them than any of his Subjects in any part of his Dominions. What use you have made of them you yourself Best Know.

The Part of Duty I am now upon is what thoh Necessary is Very Disagreeable to my natural make and temper, as I Know it Must be Grievous to you who are of the Same Speciea.

But it is not my business to annimadvert, but to obey Such orders as I receive, and therefore without Hesitation Shall Deliver you his Majesty's orders and Instructions, Vist::

That your Land & Tennements, Cattle of all Kinds and Livestocks of all Sorts are forfeited to the Crown with all other your effects Savings your money and Household Goods, and you yourselves to be removed form this Province.

Thus it is Peremptorily his Majesty's orders That the whole French Inhabitants of these Districts be removed, and I am Throh his Majesty's Goodness Directed to allow you Liberty to Carry of your money and Household Goods as Many as you Can without Discommoding the Vessels you Go in. I shall do Every thing in my Power that all those Goods be Secured to you and that you are Not Molested in Carrying of them of, and also that whole Family Shall go in the Same Vessel, and make this remove, which I am Sensable must give you a great Deal of Trouble, as Easey as his Majesty's Service will admit, and hope that in what Ever part of the world you may Fall you may be Faithful Subjects, a Peasable & Happy People.

I Must also Inform you That it is his Majesty's Pleasure that you remain in Security under the Inspection and Direction of the Troops that I have the Honr. to Command.

[Messieurs, 

J'ai re�u de Son Excellence le gouverneur Lawrence, les instructions du roi. C'est par ses ordres que vous �tes assembl�s pour entendre la r�solution finale de Sa Majest� concernant
les habitants fran�ais de cette province de la Nouvelle-�cosse qui, durant un demi-si�cle, ont jou� de plus d'indulgence que tous les autres Sujets britanniques du Dominion de Sa Majest�. Quel usage vous en avez fait, vous seuls le savez. 

Le devoir qui m'incombe, quoique n�cessaire, est tr�s d�sagr�able � ma nature et � mon caract�re, de m�me qu'il doit vous �tre p�nible � vous qui avez la m�me nature. 

Mais il ne m'appartient pas de critiquer les ordres que je re�ois, mais de m'y conformer. Je vais donc vous communiquer, sans h�sitation, les ordres et instructions de Sa Majest�, � savoir que toutes... 

Vos terres, vos maisons, votre b�tail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqu�s au profit de la Couronne, avec tous vos autres effets, except� votre argent et vos mobiliers, et que vous-m�mes vous devez �tre transport�s hors de cette province. 

Les ordres imp�rieux de Sa Majest� sont que tous les habitants fran�ais de ces districts soient d�port�s, et selon la bont� de Sa Majest� vous permettant la libert� d'apporter tout argent et biens personnels que vous pourrez transporter sans incommoder les navires sur lesquels vous serez d�port�s. Je ferai l'impossible pour assurer la s�curit� de vos biens, pour vous prot�ger contre toute acte de brutalit� durant leur transport et pour que des familles enti�res soient transport�es ensemble sur le m�me vaisseau. Je peux vous assurer que, malgr� tous vos ennuis durant ce d�placement, nous souhaitons que, quelle que soit la partie du monde ou vous serez, vous demeuriez des sujets fid�les � Sa Majest� tout en �tant un peuple heureux et paisible. 

Je dois aussi vous aviser que, selon son bon plaisir, Sa Majest� d�sire vous garder en s�curit� sous le contr�le et la supervision des troupes que j'ai l'honneur de commander.]

Comme l'ordre de d�portation �tait lu en anglais, c'est un commis huguenot arriv� en Nouvelle-�cosse en 1749, parfaitement bilingue, du nom de Isaac Deschamps, � l'emploi du riche armateur Joshua Mauger et fournisseur de la marine royale, qui servit d'interpr�te au lieutenant-colonel Winslow aupr�s des Acadiens. Ce dernier affirmait lui-m�me au sujet des Acadiens : �Nous avons entrepris de nous d�barrasser de l'une des plaies d'�gypte.� 

9.2 Les pr�cautions

Lawrence avait d'abord pris soin de faire arr�ter tous les pr�tres ou missionnaires en exercice et les avait fait conduire sous bonne escorte jusqu'� Halifax pour �tre exp�di�s comme prisonniers de guerre en Angleterre. Il avait aussi pr�vu de faire dispara�tre toutes les armes et toutes les embarcations des Acadiens. Ceux-ci n'avaient donc plus leurs pr�tres pour les conseiller, ni leurs armes pour se d�fendre, ni leurs embarcations pour s'enfuir. Avant la fin de la seule ann�e 1755, la plupart des Acadiens vivant sur la p�ninsule auront �t� d�port�s, soit plus de 6000 personnes; il faudra ensuite �vider� l'Acadie continentale, l'�le Saint-Jean et l'�le Royale (o� vivaient beaucoup de Fran�ais). Malgr� les pr�cautions de Lawrence, de nombreux Acadiens r�ussirent � s'enfuir au Canada (env. 2000), notamment ceux de la r�gion de Beaubassin et d'Annapolis Royal. C'est essentiellement en Nouvelle-�cosse que fit mise en �uvre la d�portation des Acadiens. Pour ce faire, Charles Lawrence avait pr�vu recourir � 2000 miliciens recrut�s en Nouvelle-Angleterre, dont beaucoup au Massachusetts. De cette fa�on, il ne mettait pas � contribution les garnisons anglaises qui, plus professionnelles et connaissant bien les Acadiens, risquaient de prendre partie pour la population. Les miliciens coloniaux avaient, au contraire, d�velopp� depuis longtemps des sentiments de haine � l'�gard des Acadiens et de leurs alli�s, les Sauvages. Ils �taient donc plus enclins � commettre toutes les exactions possibles. 

De toute fa�on, les Britanniques m�prisaient ouvertement les Acadiens. Pour eux, c'�taient simplement des paysans et de petits �leveurs, illettr�s, sans �coles, sans villes, pratiquant une �conomie de subsistance, avec des canons franco-anglais braqu�s sur eux depuis toujours. De nombreux t�moignages �crits par certains officiers ne laissent aucun doute � ce sujet. Le terme le plus fr�quent pour d�signer les Acadiens �tait vermin (�vermine�). Ce mot fut �galement utilis� par le g�n�ral Wolfe en 1758 pour d�signer les Canadiens avant la conqu�te de Qu�bec:
 

It would give me pleasure to see the Canadian vermin sacked and pillaged and justly repaid their unheard-of cruelty. [J'aurai plaisir, je l'avoue, � voir la vermine canadienne saccag�e, pill�e et justement r�tribu�e de ses cruaut�s inou�es.]

Les Britanniques avaient le m�pris facile: d'ailleurs, le m�me terme ("vermin") servait � d�signer les Am�rindiens. Ils comparaient �galement les Acadiens aux �plaies d'�gypte�. Le capitaine John Knox exprima ainsi sa satisfaction de participer � la d�portation des Acadiens: �Avec un inconcevable plaisir, on a vu les mis�rables, Fran�ais et Aborig�nes, payer cher et porter le poids de notre juste ressentiment.� Cette expulsion �tait consid�r�e par les Britanniques comme normale et juste.

�tant donn� que les Acadiens n'�taient pas des Noirs mais des Blancs, leur d�portation n'�tait sans doute pas justifiable politiquement pour une simple question de race, mais pour des motifs religieux : les Acadiens �taient catholiques, donc des papistes, et r�put�s comme peu loyaux envers la Couronne anglaise. Officiellement, les motifs religieux suffisaient amplement. Le gouvernement colonial croyait l�gitime de d�placer cette population de mauvais sujets britanniques dans le reste de son immense empire. Par ailleurs, une d�portation � grande �chelle permettait � des protestants anglophones d'accaparer gratuitement les meilleures terres des Acadiens. En outre, les 118 300 bovins, moutons, porcs et chevaux appartenant aux Acadiens se retrouvaient en possession du gouvernement colonial. Il s'agissait l� d'avantages non n�gligeables.

Mais les m�thodes utilis�es par les Britanniques au cours de la d�portation furent inhumaines, voire machiav�liques. Les membres d'une m�me famille furent plac�s d�lib�r�ment dans des navires ou des rafiots diff�rents et dispers�s dans des colonies diff�rentes. Les hommes revenaient de leur travail � la maison pour trouver leur famille disparue, leurs maisons br�l�es, tandis que les miliciens de la Nouvelle-Angleterre les attendaient pour les arr�ter et les forcer avec leurs ba�onnettes � monter � bord des vaisseaux pour un exil permanent hors de leur pays. Les Britanniques saisirent les fermes, les biens et le b�tail, puis pill�rent et ruin�rent les terres acadiennes afin de s'assurer que les Acadiens ne reviendraient jamais. Ce fut la politique de la terre br�l�e et l'Acadie fut � peu pr�s enti�rement d�truite.

9.3 Le r�le des gouvernements britannique et fran�ais

Pour sa part, le gouvernement britannique n'autorisa jamais formellement la d�portation massive des Acadiens. Ce n'est qu'apr�s l'expulsion qu'il en prit officiellement connaissance. Quoi qu'il en soit, la d�portation des populations jug�es ind�sirables faisait partie des m�urs de l'�poque. C'est pourquoi Londres r�compensa Lawrence en l'envoyant comme membre de l'�tat-major au si�ge de Louisbourg en 1758, le promut colonel, puis g�n�ral de brigade. Ensuite, Lawrence obtint le poste de gouverneur qu'il occupa jusqu'� sa mort en 1760. Le 2 octobre 1758, il avait obtenu pour la Nouvelle-�cosse la premi�re Chambre l�gislative au Canada. Son r�le dans la d�portation des Acadiens n'aurait suscit� que fort peu de commentaires � l'�poque, sauf au Canada. Les Anglais expurg�rent des archives de la Nouvelle-�cosse les documents relatifs � la d�portation des Acadiens. L'objectif �tait d'an�antir ces �rebelles� qui avaient tant donn� de fil � retordre aux Britanniques parce qu'ils avaient voulu rester fid�les � leur patrie, � leur religion et � leur langue. 

Quant � la France de Louis XV, elle n'a jamais r�agi officiellement au drame qui affligeait son ancienne colonie. Pour elle, l'Acadie constituait un poids financier, c'est-�-dire une stricte d�pense, sans aucune rentabilit� autre que strat�gique. La perte de l'Acadie �tait m�me vue comme une lib�ration. Rappelons ce mot m�prisant de Voltaire apr�s le tremblement de terre qui avait d�vast�, le 1er novembre 1755, Lisbonne au Portugal, avec des r�percussion jusqu'� Mekn�s au Maroc: �Je voudrais que le tremblement de terre e�t englouti cette mis�rable Acadie, au lieu de Lisbonne et de Mekn�s.� Selon certaines sources, le s�isme avait fait entre 60 000 et 100 000 victimes et d�truit 85 % de la ville de Lisbonne. Par comparaison, la trag�die qui frappait les quelque 12 000 victimes acadiennes paraissait moins importante dans l'actualit� de l'�poque.

Rappelons que l'�limination des communaut�s conquises au moyen de la d�portation massive ne constituait pas � l'�poque une mesure exceptionnelle, non seulement elle n'�tait pas contraire aux lois de la guerre, elle faisait partie des m�urs: Fran�ais et Britanniques utilis�rent souvent ce proc�d� au cours de leur histoire coloniale. Mais ce qui appara�t comme diff�rent par rapport aux usages en cours, c'est que les Acadiens furent d�port�s plus de quarante ans apr�s leur conqu�te (1713), fait d�j� en soi tr�s exceptionnel, et qu'ils ne furent pas relocalis�s dans des territoire fran�ais, mais au contraire dans un milieu hostile, c'est-�-dire en pays ennemi, dans des colonies anglaises et en Angleterre. � cette �poque, il �tait plut�t habituel de reconduire les populations conquises dans leur m�re patrie ou encore dans l'une de ses colonies, mais jamais �en territoire ennemi�.

On peut donc interpr�ter cette d�portation comme un acte r�solument g�nocidaire perp�tr� par des individus fanatis�s et r�actionnaires, un peu comme cela se passe dans une guerre de religion ou une guerre sainte. Des protestants contre des papistes! De plus, la d�portation de plus de 12 000 sujets de l'Empire britannique constituait aussi une premi�re. G�n�ralement, on s'en tenait � des groupes beaucoup plus restreints de 2000 ou 3000 individus, comme � Plaisance ou � Louisbourg.

Par ailleurs, la moiti� des 3600 Acadiens d�port�s en Nouvelle-Angleterre, qui surv�curent, allaient r�ussir, apr�s avoir transit� par la France durant des ann�es, � se r�fugier en Louisiane devenue espagnole ou � regagner les Maritimes. On allait trouver des Acadiens en Nouvelle-Angleterre, dans la �province de Qu�bec�, aux �les Saint-Pierre-et-Miquelon, en Angleterre, en France, aux Antilles et jusqu'aux lointaines �les Malouines (voir la carte de la dispersion des Acadiens). De plus, les historiens am�ricains estiment que plus de la moiti� des 12 600 Acadiens et Fran�ais expuls�s de la Nouvelle-�cosse, de l'�le Saint-Jean et de l'�le Royale p�rirent des suites de la d�portation, c'est-�-dire par la maladie, les �pid�mies, le froid, la mis�re, la malnutrition, les naufrages, etc.  

10 La chute de Louisbourg en 1758 et ses cons�quences sur les expulsions

Lors de la d�portation de 1755, des milliers d'Acadiens r�ussirent � s'enfuir en territoire fran�ais, c'est-�-dire � l'�le Royale et � l'�le Saint-Jean. Devant le flux des Acadiens, le gouverneur de Louisbourg, Augustin de Ducourt, se vit aux prises avec deux probl�mes suppl�mentaires: d'une part, les r�fugi�s devaient �tre nourris de toute urgence, d'autre part, l'�le Royale ne recevrait plus d'animaux d'�levage et de provisions que les Acadiens vendait � la colonie. En novembre 1755, le grand vicaire g�n�ral du Canada et de l'Acadie (jusqu'� la nomination de Mgr de Pontbriand), qui r�sidait en France, Pierre de La Rue (1688-1779), abb� de l'Isle-Dieu, transmit l'information au ministre de la Marine, Jean-Baptiste de Machault, comte d'Arnouville, du fait que les Britanniques avaient �substitu� des colons et cultivateurs anglois, qui auront trouv� la nappe mise, et qui auront pu profiter de leur travail et des cultivations de nos pauvres Acadiens fran�ois, aussy bien que de leurs effets morts et vifs�. Au printemps de 1756, le gouverneur de l'�le Royale, Augustin de Ducourt, et le commissaire-ordonnateur, Jacques Pr�vost, inform�rent leurs sup�rieurs en France du �traitement indigne� que les Britanniques avaient fait subit aux Acadiens, dont beaucoup se cachaient dans les bois et � l'�le Saint-Jean. M�me si le drapeau du roi de France flottait encore sur la colonie de l'�le-Royale, les Britanniques savaient qu'il leur �tait possible de s'emparer de la forteresse de Louisbourg, car ils l'avaient fait en 1745. La seule diff�rence, c'est que la forteresse comptait plus de soldats que jamais et que le port abritait beaucoup plus de navires de guerre. Au d�but du mois de juin 1758, une flotte de 40 navires de guerre �quip�s de 1842 canons, sous les ordres de l'amiral Edward Boscawen, escort�e de 127 vaisseaux transportant � leur bord plus de 14 000 hommes de troupes, se pr�senta au large de l'�le Royale, devant Louisbourg. Le si�ge commen�a le 8 juin; il se termina le 27 juillet 1758 par la capitulation de Louisbourg.

Apr�s la prise de Louisbourg, les Britanniques occup�rent aussit�t l'�le Royale et ensuite l'�le Saint-Jean (qui deviendra sous peu St John Island). Apr�s avoir d�port� les Acadiens de la Nouvelle-�cosse, ils entreprirent d'expulser aussi tous les �sujets fran�ais� de l'�le Royale et de l'�le Saint-Jean. S'il n'y avait que peu d'Acadiens sur l'�le Royale, ils constituaient alors la moiti� de la population de l'�le Saint-Jean. On peut consulter une carte de l'�le Saint-Jean en 1758 (cliquer ICI, s.v.p.) et une autre de l'�le Royale (cliquer ICI, s.v.p.), juste avant la prise de Louisbourg et la chute de la colonie de l'�le-Royale.

En juillet 1758, il y avait encore au moins 4000 Fran�ais et Acadiens � l'�le Royale. La plupart des habitants furent d�port�s vers la France, et pr�s de 400 d'entre eux moururent en mer. L'ann�e suivante, il ne restait plus qu'environ 500 habitants dans l'�le, mais l'ancien gouverneur fran�ais, Augustin de Ducourt, affirmait qu'il pouvait y en avoir 1500.

� l'�le Saint-Jean, la population enti�re, soudainement gonfl�e depuis 1755 par les r�fugi�s acadiens de la Nouvelle-�cosse, connut le m�me sort. Le nombre des insulaires a �t� �valu� entre 5000 et 6000 personnes, mais le tiers r�ussit � s'�chapper: une trentaine de familles v�cut clandestinement dans les for�ts avec les autochtones, alors que les autres se r�fugi�rent au Canada (province de Qu�bec) ou aux �les Saint-Pierre-et-Miquelon. Il y eut n�anmoins plus de 3000 Fran�ais et Acadiens exp�di�s dans les ports de France et d'Angleterre, dont plus de 1600 p�rirent durant la travers�e. Les quelques milliers d'Acadiens qui habitent aujourd'hui l'�le du Prince-�douard sont les descendants des familles qui y sont revenues apr�s 1764 apr�s avoir transit� par l'Angleterre, puis par la France, avant d'aboutir � l'�le. En 1768, le recensement indiquait 63 Britanniques et 203 Acadiens vivant � Havre-Saint-Pierre, Tracadie, Rustico et Malp�que, ou dans les environs.

Des 18 000 individus habitant la p�ninsule n�o-�cossaise, l'isthme de Chignectou, l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard) et l'�le Royale (Cap-Breton), plus de 12 000 Acadiens furent d�port�s au total, et 8000 pass�rent � tr�pas avant d'arriver � destination. La d�portation allait durer pr�s de sept ans, soit de 1755 � 1762. Mais beaucoup d'Acadiens allaient poursuivre leurs p�r�grinations pendant plusieurs ann�es, sinon des d�cennies, avant qu'ils ne puissent trouver une nouvelle terre d'accueil. Ainsi, deux nouveaux territoires allaient devenir totalement anglais, apr�s en avoir expuls� tous les occupants, dont cette fois-ci une majorit� de Fran�ais. 

L'�pisode dramatique de la d�portation des Acadiens ne fait pas l'unanimit� au Canada. Si la d�portation est per�ue comme une trag�die par les Acadiens et les Qu�b�cois, il n'en est pas ainsi au Canada anglais. Au lieu de l'appeler �d�portation des Acadiens�, on emploie plut�t les expressions suivantes en anglais: "Expulsion of the Acadians", "Great Upheaval" (bouleversement) ou "Great Expulsion". De fa�on g�n�rale, on tend au Canada anglais � banaliser cette �pisode, comme il est courant de le faire pour d'autres �v�nements de violence et de terreur, qui ont marqu� l'histoire canadienne. Voici un exemple tir� de l'organisme f�d�ral "Biblioth�que et Archives Canada" :

The Expulsion (version originale anglaise)

Beginning in 1755, British soldiers went from town to town, tricking the Acadians into gathering in one place, where they were imprisoned. With only the possessions they could carry, the Acadians were loaded onto ships. Sometimes families were separated. The Acadians were sent to British colonies along the Atlantic coast : Massachusetts, Connecticut, Pennsylvania, New York, Maryland, North Carolina, South Carolina, Georgia and Virginia.

The Acadians who were sent to New England found they were not welcome. Many starved and died. Some moved on to Louisiana. Some even made their way to England and then to France.

Some of the Acadians had managed to escape the soldiers by hiding in the woods. They went to �le Royale, �le Saint-Jean or to what is now the province of Quebec. Perhaps as many as 10 000 people were forced to leave their homes in Acadia from 1755 to 1763.

The lands they left behind were the best farmland in Nova Scotia. The land was taken over by New Englanders, Loyalists and other Protestant settlers.
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Source: Library and Archives Canada

La d�portation (version fran�aise traduite)

En 1755, les soldats anglais sont all�s de ville en ville et ont rassembl� les Acadiens sous un faux pr�texte. Ils les ont faits prisonniers et les ont entass�s sur des navires, avec les biens qu'ils pouvaient apporter avec eux. Parfois, ils s�paraient les familles. Ils les ont d�port�s dans les colonies anglaises qui longent la c�te atlantique : le Massachusetts, le Connecticut, la Pennsylvanie, New York, le Maryland, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, la G�orgie et la Virginie, ainsi qu'en Europe et en Louisiane.

Les Acadiens qui ont �t� envoy�s en Nouvelle-Angleterre ne se sont pas sentis bien accueillis. Un grand nombre ont souffert de la faim et sont morts. Quelques-uns ont �t� s'installer en Louisiane. Il y en a m�me qui sont all�s jusqu'en Angleterre, puis en France.

Certains Acadiens sont parvenus � �chapper aux soldats en se cachant dans les bois. Ils se sont rendus � l'�le Royale, � l'�le Saint-Jean ou au Qu�bec de l'�poque. Il est probable que pr�s de 10 000 personnes ont �t� forc�es de quitter leur maison en Acadie entre 1755 et 1763.

Les terres que les Acadiens ont laiss�es derri�re eux �taient les meilleures terres agricoles de la Nouvelle-�cosse. Ce sont des colons de la Nouvelle-Angleterre, des loyalistes et d'autres colons protestants qui les ont prises.
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Source: Biblioth�que et Archives Canada

Dans les faits, la colonisation fran�aise de l'Acadie se termine avec la d�portation des Acadiens. Pourtant, l'Acadie revivra sous une autre forme avec le retour des Acadiens apr�s 1764, mais �videmment ce ne sera plus une colonie fran�aise, puisque m�me la Nouvelle-France �tait disparue en 1763.

Cartes sur l'�volution des �tablissements acadiens.

Pour lire la suite �La Nouvelle Acadie de 1755 � aujourd'hui�, il suffit de cliquer ICI, svp.

Derni�re mise � jour: 15 oct. 2023

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Partie II

Histoire des Acadiens
(La Nouvelle Acadie de 1755 � aujourd'hui)
 


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