Histoire des Acadiens
Partie I

Royaume de
France |
La colonie fran�aise
de l'Acadie
1604-1755
|
Plan de
l'article
2.1 La d�signation des habitants de l'Acadie
- Pour les Fran�ais
- Pour les Acadiens
- Pour les Britanniques
2.2 La d�signation des Anglais
2.3 Le pays de l'Acadie
3 Les d�couvreurs
3.1 Les d�buts de la colonie
3.2 La Nova Scotia
4.1 Le gouverneur de Razilly
4.2 Le mandat de d'Aulnay
4.3 La population acadienne
4.4 La langue des Acadiens
4.5 L'instruction chez les Acadiens
4.6 La colonisation acadienne
4.7 Le territoire acadien
5 Les autochtones
5.1 Les
Ab�naquis
5.2 Les Micmacs
5.3 Les Mal�cites
|
5.4 La
religion et les langues am�rindiennes
5.5 Le sabre et le goupillon
5.6 Le baron de Saint-Castin
6.1 Les raids et
les repr�sailles
6.2 Une lutte sans
merci
7 L'Acadie
continentale (fran�aise)
7.1
La rupture de l'�quilibre des forces
7.2 Des fronti�res impr�cises
7.3 La pr�paration � la guerre
8.1 L'organisation de la
colonie
8.2 La p�riode des accommodements
8.3 L'�pineuse question du serment d'all�geance
8.4 Une neutralit� illusoire
8.5 Les pr�liminaires au �Grand D�rangement�
- La prise de Louisbourg de 1745
- Le renforcement de la colonie britannique
- L'emprise de Charles Lawrence
9.1 L'ordre de
d�portation
9.2 Les
pr�cautions
9.3 Le r�le des gouvernements britannique et fran�ais
|
Avis: cette
page a �t� r�vis�e par Lionel Jean, linguiste-grammairien. |
1 L'organisation de la
Nouvelle-France
 |
Avant
le trait�
d'Utrecht de 1713, la Nouvelle-France
comprenait cinq colonies: le Canada
(incluant les �Pays d'en haut� ou r�gion des Grands Lacs), l'Acadie
(aujourd'hui la Nouvelle-�cosse), la Baie du
Nord (aujourd'hui la baie d'Hudson),
Terre-Neuve (que la
France partageait avec la Grande-Bretagne sous le nom de
Plaisance) et la
Louisiane (voir
la carte agrandie de la Nouvelle-France avant 1713). Le �Pays des Illinois� faisait partie de la Louisiane, mais le �Pays-d'en-haut�
(Grands Lacs) �tait rattach� au Canada.
Apr�s le trait� d'Utrecht, la Nouvelle-France
a vu son territoire r�duit, qui comprenait alors le Canada, l'Acadie
continentale (aujourd'hui le Nouveau-Brunswick), l'�le-Royale (le Cap-Breton et
l'�le Saint-Jean, aujourd'hui l'�le du Prince-�douard) ainsi que la
Louisiane.
En principe, chacune des
colonies poss�dait son gouverneur local et son administration
propre. Cependant, la Nouvelle-France �tait relativement unifi�e en
vertu des pouvoirs conf�r�s au gouverneur du Canada, obligatoirement
un militaire de carri�re, qui r�sidait �
Qu�bec, mais qui �tait en m�me temps gouverneur g�n�ral de la
Nouvelle-France. |
Plus pr�cis�ment, les
colonies de l'Am�rique fran�aise �taient administr�es par un gouverneur local,
mais aussi par un gouverneur g�n�ral � Qu�bec ainsi que par le roi et ses
ministres � Versailles. Le gouverneur g�n�ral de la
Nouvelle-France avait effectivement autorit� pour intervenir dans les affaires des autres
colonies de l'Am�rique du Nord. En temps de guerre, le commandement supr�me de
la Nouvelle-France �tait � Qu�bec, mais apr�s 1748 le gouverneur du Canada ne
put commander les troupes fran�aises stationn�es � Louisbourg, parce que leur
commandement relevait directement de Versailles. En temps normal, le gouverneur local devait
non seulement rendre des comptes au roi et au
ministre de la Marine, mais
�galement au gouverneur g�n�ral et � l'intendant de Qu�bec. Certains gouverneurs
g�n�raux ont consid�r� les colonies voisines comme leur arri�re-cour et sont
intervenus r�guli�rement, souvent m�me sans en aviser le gouverneur local, tant
� Terre-Neuve, en Acadie qu'en Louisiane. Th�oriquement, la
Nouvelle-France �tait gouvern�e par un seul chef militaire pour toutes les
colonies. Toutefois, la distance et les difficult�s des communications rendaient la
mainmise du gouverneur g�n�ral de Qu�bec parfois al�atoire. Les gouverneurs
locaux
communiquaient souvent avec Versailles et les ministres du roi, sans passer par
Qu�bec.
Toutes les colonies de la
Nouvelle-France �taient administr�es par le secr�taire d'�tat � la Marine. Les plus c�l�bres
ministres furent sans nul doute
Jean-Baptiste Colbert, le comte de Maurepas, le comte de Pontchartrain, Antoine
Rouill� et �tienne-Fran�ois de Choiseul (voir
la liste). Bref, la France exer�ait un contr�le �troit sur ses colonies de
l'Am�rique du Nord et avait r�ussi une unit� n�cessaire � la d�fense
de son empire, sans oublier l'Alliance avec la quasi-totalit� des nations
am�rindiennes du continent. Cette coh�sion a d'ailleurs fait longtemps la force de la Nouvelle-France par
opposition aux colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, toutes divis�es
entre elles et peu enclines � coop�rer. Le syst�me fran�ais suscitait l'envie
des Anglais qui auraient bien appr�ci� une telle unit� pour leurs colonies.
De nos jours, l'Acadie ne b�n�ficie d'aucune
existence juridique officielle, pourtant elle existe dans une r�gion de
l'Atlantique-Nord, c'est-�-dire dans les provinces Maritimes du Canada: le
Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-�cosse et l'�le-du-Prince-�douard, mais aussi
� Terre-Neuve, au Qu�bec, aux �les de Saint-Pierre-et-Miquelon et dans
l'�tat du Maine. �
l'�poque de la Nouvelle-France, l'Acadie �tait une colonie fran�aise d�ment
cartographi�e et circonscrite � la Nouvelle-�cosse actuelle, alors que les
Acadiens y �taient dispers�s le long du littoral par petites communaut�s. Pour les
Fran�ais, l'Acadie ne comprenait pas le Nouveau-Brunswick actuel, ni l'�le
Saint-Jean (�le du Prince-�douard), ni l'�le du Cap-Breton, ni les �les de
la Madeleine (voir les cartes sur
l'�volution des �tablissements acadiens). Pour les Anglais, l'Acadia n'existait pas, car c'�tait
pour eux la Nova Scotia qui comprenait toutes les provinces Maritimes
actuelles, y compris une partie de la Gasp�sie (Qu�bec), � l'exception de Terre-Neuve.
Au cours de
l'histoire de la Nouvelle-France, l'Acadie fran�aise, celle qui
constituait le noyau essentiel de la colonie, a juridiquement pris fin en
1713 en devenant la Nouvelle-�cosse transform�e pour l'occasion en Acadie
anglaise (ou Acadie p�ninsulaire). La colonie fran�aise a d� se rabattre plus
au nord: ce fut l'Acadie continentale (le Nouveau-Brunswick actuel), alors
peu peupl�e et peu d�velopp�e, et constamment contest�e par la
Grande-Bretagne, qui v�cut de 1713 � 1755. Puis, en 1763, l'Acadie est juridiquement disparue
avec la Nouvelle-France.
Avec le retour des Acadiens apr�s 1764,
l'Acadie
est r�apparue sous une autre forme, avec des
communaut�s dispers�es aux quatre vents, en conservant un nouveau noyau g�ographique sur le
littoral atlantique du Nouveau-Brunswick (voir
la carte de l'Acadie actuelle). � partir de 1867, les colonies
britanniques des Maritimes sont devenues des �provinces� du Canada.
Aujourd'hui, bien que diss�min�es au Nouveau-Brunswick, au Qu�bec, en Nouvelle-�cosse, �
l'�le-du-Prince-�douard, � Terre-Neuve (Port-au-Port),
aux �les Saint-Pierre-et-Miquelon (France) et
dans l'�tat du Maine (Madawaska, Caribou, Presqu'�le, etc.), les Acadiens se
consid�rent comme formant une seule et m�me collectivit�. Cette
Acadie-l� ne d�tient aucune valeur juridique, elle est essentiellement historique, culturelle et
identitaire, mais elle existe.
2.1 La d�signation des
habitants de l'Acadie
Aujourd'hui, il est normal d'appeler
Acadiens les habitants de l'Acadie d'origine fran�aise et issus du
peuplement du XVIIe
si�cle. Ainsi, la majorit� des francophones du Nouveau-Brunswick sont de
descendance et d'origine acadiennes. Pr�cisons que
l'appellation �Acadien� ne peut plus �tre associ�e � tous
les francophones de cette province. De nombreux Acadiens
francophones ont subi l'assimilation � l'anglais et continuent de se d�finir comme des
Acadiens; d'un autre c�t�, des francophones du Qu�bec, de l'Ontario ou d'ailleurs (Ouest
canadien, Maghreb, etc.) sont venus s'ajouter � la population acadienne et ne
s'identifient pas du tout comme Acadiens. Cependant, tous ces locuteurs
parlent le fran�ais et sont des francophones. Autrement dit, le terme
�francophones� au Nouveau-Brunswick englobe les Acadiens et les autres qui
parlent le fran�ais, mais les francophones ne sont pas tous des Acadiens.
De plus, il ne faudrait pas croire que
le terme �Acadien/Acadienne� �tait tr�s courant � l'�poque de la
Nouvelle-France. Il �tait certes utilis�, mais peu fr�quent; il �tait employ�
uniquement par certains administrateurs ou par des visiteurs occasionnels. M�me
les Acadiens ne se d�signaient pas comme des �Acadiens�, mais comme des
�Fran�ais�; apr�s 1713, ils se d�sign�rent comme des �Fran�ais neutres�, puis
apr�s la
d�portation comme des �Acadiens�.
- Pour les Fran�ais
Pour les Fran�ais du XVIIe
si�cle, tous les habitants de la Nouvelle-France, que ce soit au Canada, en
Acadie ou en Louisiane, �taient des Fran�ais
ou des �sujets du roi� de France. Les mots �Canadiens� et �Acadiens� ne furent � peu pr�s
jamais employ�s par les
autorit�s fran�aises, du moins dans les textes �crits officiels, puisque tout le
monde �tait fran�ais, c'est-�-dire �de citoyennet� fran�aise� ou �sujet du roi�
de France.
Dans les textes de l'�poque, on ne trouve que les mots
�naturels Fran�ais� ou
�Fran�ais d'origine�. Lorsqu'ils voulaient
d�signer de mani�re particuli�re les habitants de l'Acadie, les
Fran�ais utilisaient g�n�ralement les termes �habitants de Port-Royal�,
�habitants des Mines�, �habitants de
Beaubassin�, �habitants de Port-Royal�, etc., selon la localit� habit�e. Ils employaient occasionnellement
les expressions
�Fran�ais d'Acadie�, �Fran�ais qui occupent l'Acadie� ou encore plus rarement �Fran�ais
acadiens�.
Apr�s 1713, alors que l'Acadie p�ninsulaire (la Nouvelle-�cosse) �tait devenue anglaise, les Fran�ais ont appel�
les Acadiens
�Fran�ais neutres�, comme les Britanniques ("Neutral French"),
parfois �Acadiens neutres� ou simplement �habitants neutres�. Jusqu'en 1755, l'ann�e
de la d�portation, les textes officiels ne mentionnent � peu pr�s jamais le mot Acadiens,
puisque les Acadiens ne constituaient pas encore un peuple juridiquement distinct.
Ils �taient encore des �Fran�ais�.
Lorsque les
d�port�s de la Nouvelle-�cosse arriv�rent en France apr�s 1755, les Fran�ais ont
commenc� � les d�signer autrement que par l'expression �Fran�ais neutres�, car ils ne l'�taient plus! Outre �sujets du roi�, ils furent d�sign�s
comme des �Acadiens� (�crit souvent comme Accadiens), des �Canadiens� et parfois des �habitants
de l'Am�rique septentrionale�, sans trop faire de distinction � ce sujet. En
fait, le vocabulaire de
l'�poque tenait souvent pour synonyme les termes �Acadiens� et �Canadiens�.
Le probl�me s'est pos� de fa�on plus d�licate pour les
habitants de la colonie de l'�le-Royale apr�s la chute de Louisbourg en 1758.
Ils n'�taient pas forc�ment des Acadiens ni des Canadiens, m�me s'il y en avait un certain
nombre, mais une sorte de Fran�ais �hybrides�. Une fois rapatri�s en France,
ils devinrent des �Fran�ais de l'�le Royale�, des �Fran�ais de Louisbourg� ou
des �Fran�ais de l'�le Saint-Jean� ou encore des �Fran�ais de l'Am�rique
septentrionale�. On pouvait dans tous les cas remplacer le mot �Fran�ais� par �habitants
de l'�le Royale�, �habitants de Louisbourg�, �habitants de l'�le Saint-Jean�,
etc. N�anmoins, tous les rapatri�s ou d�port�s de ces deux �les ont eu droit en
France � des secours �en tant qu'Acadiens�.
En r�alit�, l'administration fran�aise avait confectionn� des
listes officielles d'Acadiens, appel�e �r�les�, destin�es � identifier les
personnes n�cessiteuses. Pour �tre inscrits sur ces listes, il fallait d�barquer
d'un bateau d�ment identifi� ou produire un certificat � cet effet; il fallait
de plus �tre connu ou reconnu par les autres d�port�s. In�vitablement, des
erreurs et des abus se sont gliss�s dans ces listes, d'autant plus que
l'inscription sur une telle liste impliquait la promesse de secours de la part
du roi. Il est donc fort probable que certains individus ont r�ussi � se faire
d�signer comme �Acadiens�, alors qu'ils ne l'�taient gu�re. Quoi qu'il en soit,
l'administration distinguait les Acadiens des anciens
habitants de l'�le Royale ou de l'�le Saint-Jean.
�videmment, pour les historiens d'aujourd'hui, les habitants
de l'Acadie de l'�poque de la Nouvelle-France (d�s 1605) sont tous appel�s
�Acadiens�, alors qu'ils �taient juridiquement encore des �Fran�ais� et ne
devinrent effectivement des �Acadiens� qu'apr�s 1755. Il en est ainsi lorsque
certains historiens du XXIe
si�cle utilisent le terme �Qu�b�cois� pour d�signer les habitants de la
Nouvelle-France. C'est un anachronisme!
- Pour les Acadiens
Lorsque l'Acadie
faisait partie de la Nouvelle-France, les Acadiens se
consid�raient comme des Fran�ais. D'ailleurs, ils
faisaient constamment r�f�rence �
leur all�geance �au roi de France�, � la Patrie (la France) et � la religion
catholique, la langue fran�aise demeurant un �l�ment secondaire. M�me apr�s
1713, lors de la cession de l'Acadien � la Grande-Bretagne, les Acadiens sont
rest�s des �Fran�ais neutres�, rien de moins. Ils pouvaient tout aussi bien se
pr�senter comme des �Fran�ais� aupr�s des Fran�ais et comme des �neutres� aupr�s
de l'administration britannique, mais pratiquement jamais comme des �Acadiens�.
En fait, l'all�geance des Acadiens au roi de France, leur religion catholique,
leur langue maternelle, les relations familiales et les conditions mat�rielles
de survie avaient largement pr�s�ance sur un quelconque sentiment d'appartenance
au groupe acadien.
Toutefois, apr�s la
d�portation de 1755, ils se sont
progressivement d�sign�s comme �Acadiens�,
m�me s'ils venaient de l'Acadie p�ninsulaire (Nouvelle-�cosse), de l'Acadie
continentale (Nouveau-Brunswick), de
l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard) ou de l'�le Royale (�le du Cap-Breton).
Toutefois, certains n'h�sitaient pas �
s'appeler �Canadiens�, mais avec le temps, probablement une dizaine d'ann�es, le terme �Acadien� s'est
impos�, car les exil�s acadiens se sentaient
sentaient diff�rents des Fran�ais,
et ce, d'autant plus qu'ils �taient consid�r�s socialement comme des Fran�ais
�inf�rieurs�.
Sous la R�volution, la France adopta en 1791
une loi officialisant la situation des r�fugi�s et pr�voyant le
recensement, dans tous les d�partements, de l'ensemble des
�habitants de l'Am�rique septentrionale�, une expression d�signant
indistinctement les Acadiens et les Canadiens.
- Pour les Britanniques
Selon les Britanniques, les Canadiens,
les Acadiens et les Louisianais �taient tous des Fran�ais.
Qu'ils soient venus de France ou de la Nouvelle-France, du Canada, de l'Acadie, de la
Louisiane, de l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard) ou de Louisbourg, il n'y
avait pas de distinction pour eux, surtout avant la cession de l'Acadie � la
Grande-Bretagne (1713). Par exemple, la guerre de la Conqu�te (1756-1760) en
Am�rique du Nord fut appel�e par les Britanniques �French and Indian War�,
c'est-�-dire �la guerre contre les Fran�ais et les Indiens�, ce qui est
significatif sur l'imbrication des Indiens et des Fran�ais, sans distinguer les
Canadiens ou les Acadiens.
Apr�s le trait� d'Utrecht de 1713, les
Britanniques ont d�sign� les habitants francophones de la Nouvelle-�cosse par
l'expression "French neutral" ou "Neutral French",
c'est-�-dire les �Fran�ais neutres�, mais encore plus fr�quemment "Neutrals"
(les �neutres�). On employait aussi les appellations "French peasants" (�paysans fran�ais�),
"French inhabitants" (�habitants fran�ais�) ou simplement "inhabitants"
(�habitants�). Bien que les Acadiens
fussent devenus juridiquement des �sujets britanniques�, il �tait possible de les
appeler aussi "French of Nova Scotia" (�Fran�ais de la Nouvelle-�cosse�). C'�tait
alors une fa�on de distinguer les "French of
France" ou "French of Europe", les "French of New France" ou "French of Canada".
Jamais les Britanniques n'utilis�rent l'expression "French of Acadia" parce que l'Acadie, en tant qu'entit� politique, n'existait
plus. Bref, les Acadiens �taient encore des French, par opposition aux British.
Ainsi, les Britanniques employaient couramment les expressions
suivantes pour d�signer tout ce qui �tait reli� aux Fran�ais:
French neutral (ou neutrals) |
les Fran�ais neutres (ou neutres) |
French subjects |
les sujets fran�ais |
French inhabitants |
les habitants
fran�ais |
French region
|
la r�gion fran�aise |
French occupation |
l'occupation fran�aise |
French soldiers |
les soldats fran�ais |
French colonial
empire |
l'empire colonial
fran�ais |
French colonists in Canada |
les colons fran�ais du Canada |
French
administration of Acadia |
l'administration
fran�aise de l'Acadie |
French of Nova Scotia |
les Fran�ais de la
Nouvelle-�cosse |
French of Canada |
les Fran�ais du Canada |
French and Indian War |
la guerre contre les
Fran�ais et les Indiens |
Au cours des ann�es qui ont pr�c�d� la d�portation
de 1755, les Britanniques ont commenc� � ne plus consid�rer les Acadiens comme
des "French Neutral", mais comme des "Acadians". En somme, le terme �Acadien�
s'est impos� universellement pour d�signer les habitants de l'Acadie au moment
o�, dans les faits, ils n'y habitaient plus et qu'ils n'�taient plus des
Fran�ais. Les Acadiens �taient donc devenus un �peuple
distinct� lorsque les Britanniques ont d�cid� de s'en d�barrasser.
Au cours de la colonisation, l'appellation de
�Fran�ais� �tait aussi pour les Britanniques synonyme de �catholiques� ou de
�papistes�, ce qui �tait consid�r� par les protestants britanniques comme une
caract�ristique beaucoup plus dangereuse que simplement �Fran�ais�. On trouve
aussi dans les documents de l'�poque l'expression "French papist", exprimant
ainsi l'infamie dont souffraient les Fran�ais aux yeux des Britanniques.
2.2 La d�signation des Anglais
Comment appelait-on ceux qui parlaient anglais?
Les sujets de Sa Majest�
britannique �taient
tous des British,
qu'ils fussent anglais, �cossais, irlandais, virginiens, pennsylvaniens ou
n�o-angleterriens. Ils formaient donc une collectivit� unique: celle des
Britanniques. Et les
Fran�ais pouvaient les appeler des �Anglais�, sans faire la distinction entre
ceux qui habitaient l'Angleterre et les autres sujets de Sa Majest� britannique
en �cosse, au pays de Galles, en Irlande, en Nouvelle-Angleterre, etc.
Les Anglais, quant � eux, ne commettaient pas cette confusion. Les seuls vrais English
venaient d'Angleterre, tout en �tant des Britanniques, mais les Britanniques
n'�taient pas forc�ment des Anglais.
Les Am�ricains n'existaient pas
encore; ils appara�traient
avec la guerre de l'Ind�pendance. C'est donc un anachronisme de
parler des �Am�ricains� avant la reconnaissance officielle des �tats-Unis en
1783. De m�me, il a fallu la Conqu�te de
1763 et l'instauration du R�gime britannique pour
que l'appellation de Canadiens soit
syst�matiquement employ�e parce que, aux yeux des Britanniques, les Canadiens
n'�taient plus des Fran�ais � partir de ce moment-l�. Pour les distinguer
d'eux-m�mes, les British les ont appel�s Canadians. N�anmoins, les
Canadiens et les Acadiens se d�signaient comme des �Fran�ais� par oppositions
aux �Anglais�, bien que tous ces gens-l� ne soient plus des Fran�ais ni des Anglais
depuis fort longtemps. C'est un peu comme d�signer par les termes �Marocains� ou
�Alg�riens� des Fran�ais n�s en France issus de parents maghr�bins; ou par
�Italiens�, �Allemands�, �Anglais�, �Fran�ais�, etc., des citoyens n�s au
Canada, mais dont les grands-parents, par exemple, venaient d'Europe.
2.3 Le pays de l'Acadie
Alors que toute l'Acadie faisait encore partie
de la Nouvelle-France (1605-1713), elle constituait une colonie autonome au m�me
titre que le Canada, la Louisiane et, jusqu'en 1713, la colonie de Plaisance
(Terre-Neuve). Apr�s 1713, il ne restait plus que l'Acadie continentale
(Nouveau-Brunswick), mais cette Acadie n'avait plus de gouverneur attitr�, elle �tait
administr�e depuis Qu�bec, sinon de Louisbourg. Par ailleurs, une nouvelle colonie prit
naissance: la colonie de l'�le-Royale qu'on pouvait appeler aussi
�colonie de Louisbourg�, laquelle comprenait alors l'�le du Cap-Breton et l'�le Saint-Jean
(aujourd'hui l'�le du Prince-�douard). Bien
que toutes les colonies de la Nouvelle-France puissent constituer des entit�s
autonomes les unes des autres, les habitants confondaient souvent la Nouvelle-France, le Canada et
l'Acadie, mais rarement la Louisiane qui, pour eux, n'�tait pas en �Am�rique septentrionale�.
Selon les historiens, les Acadiens du XVIIe
si�cle utilisaient le
mot �Acadie� pour parler de leur pays, mais le plus souvent ils disaient habiter �au Canada�
ou �en Am�rique septentrionale�, voire en �Nouvelle-France�. Apr�s 1713, ils
disaient habiter �aux
�les du Canada�, �� l'�le Royale�, �� l'�le Saint-Jean� ou encore �dans notre pays� ou �au pays natal�. Pour les Britanniques, l'Acadia d�signait avant tout la Nova Scotia,
la Nouvelle-�cosse ou l'Acadie fran�aise d'avant 1713. Le mot Acadia dispara�tra � partir de 1713 pour faire
place uniquement � la Nova Scotia.
Rappelons en m�me temps que les termes Angleterre (England),
Grande-Bretagne (Great Britain) et Royaume-Uni (United Kingdom)
ne sont pas des synonymes. Le mot Angleterre s'est appliqu� au
royaume d'Angleterre jusqu'en 1707 pour faire place
alors � la Grande-Bretagne. En
1801, celle-ci est devenu le Royaume-Uni, officiellement appel� Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d'Irlande jusqu'en 1921 lors de la partition de
l'Irlande, puis
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. On peut dire aussi
simplement Royaume-Uni. On emploie normalement le terme
Angleterre pour d�signer la province historique en la distinguant du pays de
Galles et de l'�cosse, et le terme Grande-Bretagne pour d�signer l'�le.
Mais il ne convient pas d'employer le terme Angleterre pour d�signer le
pays en entier.
 |
La r�gion de l'actuelle Nouvelle-�cosse fut d�couverte par
Giovanni Caboto (John Cabot en anglais ou Jean Cabot en fran�ais) en 1497,
un explorateur v�nitien au service de l'Angleterre, mais elle
avait �t� sans doute visit�e par les Normands d�s le XIe
si�cle.
Pendant le r�gne de
Henri IV (1589-1610),
Pierre Dugua de Mons (v. 1560-1628) dirigea
en 1604 une exp�dition dans
la baie Fran�aise (aujourd'hui la baie de Fundy), au cours de laquelle il �tait accompagn� de Jean de Poutrincourt
et de Samuel de Champlain qui y participait en tant qu'explorateur,
g�ographe et cartographe. C'est cette ann�e-l� (1605) que de Mons donna des
noms � certains lieux: La H�ve, cap N�gre,
baie Sainte-Marie, cap Sable, baie Fran�aise, Port-Royal, fleuve Saint-Jean,
rivi�re Sainte-Croix, etc. |
3.1 Les d�buts de la
colonie
 |
Pierre Dugua de Mons fonda une colonie � l'�le
Sainte-Croix (aujourd'hui Dochet island, situ�e dans le Maine et administr�e par le
Nouveau-Brunswick), mais la moiti� des hommes de son
exp�dition (36/80) d�c�da du scorbut durant l'hiver. La colonie se d�pla�a
� l'�t� 1605 � Port-Royal, sur la rive nord du bassin d'Annapolis, o� fut
construite une �habitation� constitu�e de b�timents group�s autour d'une cour
centrale (voir l'illustration sur le timbre comm�moratif du 400e de Postes Canada
- 1605-2005). En raison d'un financement insuffisant, les colons fran�ais quitt�rent les lieux en 1607.
Le deuxi�me gouverneur de l'Acadie, Jean de Poutrincourt,
revint � Port-Royal en 1610 pour y �tablir une v�ritable colonie fran�aise. Le
16 mai 1613, d�barqu�rent � La H�ve 48 colons fran�ais, qui s'install�rent un
peu plus tard au sud de l'�le des Monts-D�serts � un endroit d�sign� comme
Saint-Sauveur (ville actuelle de Town of Lamoine, Maine). |
 |
Mais les Anglais veillaient au grain. Ils n'acceptaient pas que les Fran�ais
puissent s'installer aussi pr�s de la Nouvelle-Angleterre. Fort des pr�tentions
de l'Angleterre, le gouverneur de la Virginie, Thomas Dale, commanda � Samuel Argall, un aventurier et un officier anglais, d'aller d�loger les Fran�ais de
Saint-Sauveur.
Le petit �tablissement fut saccag�, leur navire (le Jonas) fut
saisi et les colons furent faits prisonniers et amen�s � Jamestown (Virginie). Argall planta ensuite une croix au
nom du roi d'Angleterre sur le site de Saint-Sauveur, puis d�truisit ce qui
restait de l'�tablissement de Sainte-Croix. Enfin, il se rendit � Port-Royal
dont il incendia tous les b�timents. L'Acadie fut renomm�e Nova Scotia.
De 1613 jusqu'en 1632, la r�gion v�cut sous un r�gime anglais, mais les Fran�ais continu�rent d'y faire la traite des fourrures et de
pratiquer la p�che. On aurait pu croire, d�s cette �poque, que tout �tait termin�
pour l'Acadie
fran�aise!
|
3.2 La Nova Scotia
En 1621, Jacques Ier,
roi d'Angleterre, avait conc�d� une charte � l'�cossais William Alexander
(v. 1567-1640) qui fonda la Nova Scotia, malgr� la pr�sence
des Fran�ais. Le territoire accord� comprenait alors ce qu'on
appelle aujourd'hui la Gasp�sie, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-�cosse ainsi
que l'�le du Cap-Breton, les �les de la Madeleine et l'�le du Prince-�douard (voir
la carte du territoire conc�d�). Port-Royal �tait alors sous occupation anglaise et comptait
une petite colonie britannique, dont un bon nombre d'�cossais. Lorsque la France
r�cup�ra Port-Royal en 1632 � la suite du trait� de
Saint-Germain-en-Laye, la plupart des colons �cossais et anglais
quitt�rent les lieux. Cependant, les colons de la Nouvelle-Angleterre
d�couvrirent que le trait� de 1632 ne d�finissait pas les fronti�res de
l'Acadie. L'article 3 du trait� ne faisait que rendre � la France �lesdits
lieux� occup�s par les Anglais, soit ceux de Port-Royal en Acadie, du Cap-Breton
et du fort de Qu�bec (l'Habitation de Champlain) au Canada. Par la suite, les
colons de la Nouvelle-Angleterre
n'abandonneront
plus leurs pr�tentions sur le territoire de l'Acadie.
� la signature du trait� de Saint-Germain-en-Laye
en 1632, l'Acadie, le Canada, Plaisance, la Baie-d'Hudson et la
Louisiane formaient les diff�rentes colonies de la Nouvelle-France. En principe, chacune des
administrations locales, avec � sa t�te un gouverneur, �tait subordonn�e au gouverneur g�n�ral de la
Nouvelle-France (en m�me temps gouverneur du Canada), qui r�sidait � Qu�bec. En
ce qui concerne l'Acadie, le gouverneur local devait non seulement rendre des
comptes au roi et au ministre de la
Marine, mais devait aussi d�pendre de l'autorit� directe du gouverneur g�n�ral et de l'intendant
de Qu�bec. Certains gouverneurs g�n�raux, tels le comte de
Frontenac, consid�raient l'Acadie
comme leur arri�re-cour et intervenaient militairement de fa�on r�guli�re,
souvent m�me sans en avertir le gouverneur de l'Acadie. C'est que,
juridiquement, l'Acadie �tait une division administrative au m�me titre que
Montr�al et Trois-Rivi�res. En temps de guerre, le commandement supr�me �tait �
Qu�bec, pas � Port-Royal, ni � Louisbourg, ni � La Nouvelle-Orl�ans. Mais la
distance et les difficult�s des communications rendaient la mainmise du
gouverneur g�n�ral plus al�atoire. De plus, la v�ritable autorit� �tait �
Versailles, non � Qu�bec. C'est pourquoi certains gouverneurs de l'Acadie
n'h�sitaient pas � correspondre directement avec le ministre des Colonies et �
passer outre l'�tape hi�rarchique de Qu�bec. �videmment, �tant soumis ainsi � des
autorit�s multiples, tant en France qu'au Canada, les pouvoirs du gouverneur de
l'Acadie en �taient d'autant plus limit�s.
4.1 Le gouverneur de Razilly
La cr�ation de la Compagnie des Cent-Associ�s par le
cardinal de Richelieu en 1627, durant le r�gne de
Louis XIII, avait signifi� le retour de la France en
Am�rique du Nord, notamment en Acadie. En 1631, le gouverneur
Charles de Saint-�tienne de la Tour
avait construit un fort au Cap-Sable et un autre � Saint-Jean. Charles de La
Tour �pousa une Indienne micmac; plusieurs de ses compagnons firent de m�me. Les
M�tis, n�s de Charles de La Tour et de ses compagnons d'aventure allaient former
des familles de �sang-m�l�s�. Il deviendront plus tard des alli�s naturels des
premi�res familles fran�aises qui s'�tabliront en Acadie qui
allait rester fran�aise, sans interruption, jusqu'en 1654, soit
durant vingt-deux ans.
Le nouveau gouverneur de l'Acadie,
Isaac de
Razilly, arriva � La H�ve le 8 septembre 1632. Il avait choisi ce petit port
situ� sur la c�te est de la p�ninsule pour y �tablir son quartier g�n�ral et en
faire la capitale de l'Acadie. On y construisit un fort (Sainte-Marie-de-Gr�ce),
des maisons, un magasin, une chapelle pour les capucins et d'autres b�timents �
l'intention des familles et des ouvriers. Razilly avait amen� avec lui de 12 �
15 familles originaires de l'ouest de la France.
� son arriv�e en Acadie, le gouverneur de
Razilly �tait accompagn� d'un explorateur et marchand du nom de Nicolas Denys
(1603-1686), originaire de La Rochelle mais n� � Tours.
 |
En 1653, Nicolas Denys obtint la concession de p�che de l'�le
Saint-Jean. En fait, Nicolas Denys avait obtenu la concession de
toutes les terres, �les et r�gions du littoral continental,
comprenant un territoire qui s'�tendait depuis le Cap-des-Rosiers,
sur la c�te de Gasp�, en passant par toute l'Acadie continentale,
l'�le Saint-Jean, l'�le Royale, jusqu'aux �les de la Madeleine. Il
s'agissait d'un territoire maritime immense, dont seul un roi
pouvait en principe revendiquer l'�quivalent en Europe. La propri�t�
de Nicolas Denys �quivalait � la totalit� du littoral atlantique
fran�ais, rien de moins. Tous les sites de p�che du golfe
Saint-Laurent lui revenaient en exclusivit�, mais il �tait tenu d'y
implanter des �tablissements permanents et d'y amener des colons, ce
qui fut pratiquement un �chec. |
Apr�s un s�jour de
quarante ans en Nouvelle-France, Nicolas Denys retourna en France pour publier
en 1672 le r�sultat de ses observations en terre d'Am�rique sous le titre de
Description g�ographique et historique des c�tes de l'Am�rique septentrionale,
avec l'histoire naturelle de ce pa�s (Paris), un livre qu'il avait �crit �
Nipisiguit (baie des Chaleurs en Acadie continentale). Cet ouvrage demeure
encore aujourd'hui l'un des plus pr�cieux documents du
XVIe
si�cle sur l'Acadie et la
Nouvelle-France. Autrement dit, Nicolas Denys doit sa c�l�brit� � son livre
(publi� en deux tomes), dont la valeur historique est consid�rable, plut�t qu'�
son r�le comme explorateur ou entrepreneur.
Une fois les travaux d'�tablissement termin�s,
de Razilly d�cida de
reprendre possession de Port-Royal o� il se pr�senta � la mi-d�cembre de 1632.
Le commandant de la garnison, le capitaine Andrew Forrester, lui rendit le poste
sans coup f�rir. La plupart des colons anglais accept�rent d'�tre ramen�s en
Angleterre, mais plusieurs choisirent de demeurer sur place avec les colons de
Razilly. En 1634, afin d'am�liorer les possibilit�s de la traite des fourrures,
Razilly construisit un port fortifi� � Canseau, qu'il nomma fort Saint-Fran�ois.
Au d�but de 1635, Razilly reprit le fort de Pentagouet (�crit aussi
Pentagou�t; Penobscot en anglais) sur la rivi�re Pentagouet (Penobscot);
le trait� de Saint-Germain le rendit � la France, mais les troupes de la
Nouvelle-Angleterre ne l'avaient, dans les faits, jamais abandonn�. Le fort fut
repris au mois
d'ao�t et ses occupants, chass�s. Razilly partagea le contr�le de l'Acadie avec
Charles de La Tour; il se r�serva la partie sud-ouest de la p�ninsule acadienne
et le territoire pr�s du fleuve Saint-Jean. Razilly d�c�da en 1636, laissant �
son fr�re Claude de Razilly la responsabilit� de la colonie de l'Acadie. Bien
qu'il soit difficile de d�terminer leur nombre r�el, on peut estimer � environ
120 les colons que les fr�res Razilly amen�rent en Acadie � titre permanent.
4.2 Le mandat de Charles de Menou d'Aulnay
Mais Claude de Razilly ne vint jamais en Acadie; il nomma
Charles de Menou d'Aulnay en
tant que lieutenant pour gouverner en son nom et administrer la compagnie en Acadie,
tandis qu'il g�rait les op�rations � partir de la France. D'Aulnay fit � nouveau
de Port-Royal la capitale de l'Acadie. La plupart des colons de La H�ve
vinrent graduellement s'�tablir � Port-Royal, o� le d�veloppement agricole prit
un bon essor.
Pendant ce temps, l'ancienne administration bipartite se poursuivait en
Acadie, sous l'autorit� de la Compagnie de la Nouvelle-France. D'Aulnay
commandait Port-Royal et La H�ve, alors que La Tour commandait le cap de Sable
et le fleuve Saint-Jean. Chacun touchait la moiti� de la traite et avait un
droit de contr�le sur l'autre. Ce syst�me ne pouvait qu'engendrer des conflits
d'int�r�ts. D'Aulnay d�clencha en 1640 une politique de confrontations violentes
et co�teuses contre son rival Charles de La Tour.
 |
Apr�s une longue guerre civile,
Charles de Menou d'Aulnay fut
d�sign� officiellement comme gouverneur de l'Acadie en 1647. Il faut quand m�me
souligner que, en
raison de son engagement pour la colonisation, Charles d'Aulnay contribua
consid�rablement �
l'essor de l'Acadie. Il fit construire trois forts en y maintenant des
garnisons; il avait amen� de France une vingtaine de familles et, pour les
�tablir, il avait d�frich� des terres � Port-Royal, Pentagouet et au fleuve
Saint-Jean. Pour ravitailler les Acadiens, il avait fait venir, chaque ann�e,
trois ou quatre navires de France. Il avait fait �riger deux moulins et
construire deux petits navires et des chaloupes. Il avait aussi fond� deux
�coles et laiss�, � sa mort en 1650, une population d'environ 500 habitants
r�partie en quatre agglom�rations (Port-Royal, Pantagouet, La H�ve et Saint-Jean)
et desservie par 12 pr�tres (tous des capucins). La colonie qu'il laissa en
Acadie �tait suffisamment bien enracin�e pour r�sister aux treize ans
d'occupation anglaise (de 1654 � 1667), qui allaient suivre. L'Acadie redeviendra
fran�aise apr�s 1667, pour vingt-trois ans. |
4.3 La population acadienne (apr�s 1671)
� la demande de l'intendant Talon de Qu�bec, le gouverneur
Hector d'Andign� de Grandfontaine fit appel
au r�collet Laurent Mollin, cur� de Port-Royal, pour proc�der � un recensement
en visitant syst�matiquement toutes les maisons. D'apr�s le recensement (probablement
incomplet) de 1671, l'Acadie comptait 441 habitants, dont 363 � Port-Royal
r�partis en 68 familles. Autrement dit, 82 % de toute la population
r�sidait autour de Port-Royal.
Ces Acadiens �taient issus des premi�res familles
arriv�es avec Isaac de Razilly
en 1632 et Charles de Menou d'Aulnay
en 1635. Il y avait aussi un petit nombre de soldats d�mobilis�s et d'anciens matelots
ainsi que des �cossais m�l�s aux Fran�ais. D'apr�s le tableau suivant, il
restait 78
personnes menant une existence ind�pendante et diss�min�es � Pentago�t (dont 25
soldats), � Pobomcoup (Cap-Sable), Cap-N�gre (ou Cap-Neigre), Mouskadabouet,
Rivi�re-aux-Rochelois et Saint-Pierre au Cap-Breton.
Lieu |
Port-Royal |
Pentago�t |
Cap-N�gre |
Pobomcoup |
Mouskadabouet |
Rivi�re-aux-Rochelois |
Saint-Pierre
(Cap-Breton) |
Total |
Population totale |
363 |
27 |
14 |
14 |
13 |
3 |
7 |
441 |
Source : Statistique Canada.
1667 Tableau I -
Familles, adultes, enfants, soldats, �ges, 1671.
Ont �t� omis dans ce d�nombrement 16
Fran�ais et M�tis � La H�ve, sur la c�te est. Il y avait aussi quelques
colons pr�s du fleuve Saint-Jean et � proximit� du fort Jemsek. Il faudrait aussi
mentionner un
poste de traite � Beaubassin (Chignectou) et une concession seigneuriale �
Miramichi. En 1632, le cardinal de Richelieu, un ennemi jur� des huguenots,
avait exig� que les colons destin�s � l'Acadie soient �Fran�ais, catholiques
et de m�urs irr�prochables�.
Dans une lettre en date du 11 mars 1671 au gouverneur
de Grandfontaine,
le ministre Colbert demandait d'�tablir en Acadie des p�cheries s�dentaires et
d'inciter au mariage les soldats
qui �taient sous son commandement:
Le principal
point auquel vous devez vous appliquer est de travailler par toutes
sortes de moyens � l'�tablissement des soldats et des familles dans
les postes de Port-Royal, Pentago�t, Rivi�re-Saint-Jean, et dans
toute l'�tendue de la c�te qui appartient � Sa Majest�, en les
aidant de tous les secours qui sont en vos moyens et en les
maintenant en paix et en repos, en sorte que, se voyant bien trait�s
et � leur aise, d'autres Fran�ais soient convi�s d'aller habiter ce
pays-l�. |
Ces soldats venaient du r�giment de
Carignan arriv� en 1665. Apr�s leur licenciement en 1668, plusieurs soldats
s'�tablirent en Acadie. En 1671, le gouverneur
Grandfontaine r�sidait � Pentago�t
avec sa compagnie, mais le si�ge administratif de la colonie demeurait
� Port-Royal. Il
faut consid�rer que la garnison comptait 25 soldats, tous �
Pentagouet. Il devait y avoir aussi quelques individus � La H�ve, au fort Saint-Jean, dans la baie
des Chaleurs et � Perc�. � la fin de l'ann�e 1671, Port-Royal et les r�gions
avoisinantes abritaient une population de 373 habitants r�partis en 68
familles. On d�nombrait aussi 380 b�tes � cornes, 406 moutons et
364 arpents de terre cultiv�e � Port-Royal. L'Acadie n'�tait donc pas une
destination tr�s populaire en France. Pour certains militaires fran�ais, la
colonie �tait m�me vue comme une sorte de punition. Sur les instructions du ministre Colbert,
une cinquantaine de nouveaux colons quitt�rent La Rochelle en 1671 pour
s'installer en Acadie.
Lieu (Statistique Canada), 1686, Acadie |
Population |
Port-Royal |
592 |
Beaubassin (Chignectou) |
127 |
Les Mines |
57 |
Isle Perc�e |
26 |
Chedabouctou |
21 |
La H�ve |
19 |
Fleuve Saint-Jean |
16 |
Cap-de-Sable |
15 |
Miramichi |
6 |
N�pissigny (Nipisiguit
> Bathurst) |
6 |
Total |
885 |
|
Le recensement de 1686 r�v�le la
r�partition suivante: 592 personnes � Port-Royal, 127 � Beaubassin, 57 aux
Mines, 26 � l'�le Perc�, 21 � Chedabouctou, 19 � La H�ve, 16 �
Saint-Jean, 15 au Cap-de-Sable, 6 � Miramichi et 6 � N�pissigny (Nipisiguit,
aujourd'hui Bathurst). Ce que les Fran�ais appelaient alors les �isles
Perc�es� regroupaient le rocher Perc�, l'�le Bonaventure et l'�le
Plate, connues aussi sous le nom de ��les de Gasp�. � ce nombre
il faudrait ajouter 49 individus �tablis autour du fleuve
Saint-Jean: 24 dans la seigneurie de Fr�neuse, 11 dans celle de
Jemsek, 14 � Nataxouat.
Les Acadiens �taient avant tout des agriculteurs, m�me si
plusieurs faisaient de la p�che et la traite des fourrures. Le b�tail
constituait leur plus grande richesse. Comme la colonie manquait de tout, la
Nouvelle-Angleterre devenait le d�bouch� commercial le plus naturel. Les
Acadiens vendaient du b�tail aux Bostonnais contre des tissus et autres articles
indispensables. Selon les historiens, les Acadiens constituaient un peuple rural
profond�ment religieux, aux m�urs simples, poss�dant peu d'instruction,
entretenant peu d'ambition et vivant relativement vieux. |
 |
Le peuplement initial en Acadie se limitait essentiellement � trois r�gions:
Port-Royal
dans la baie
Fran�aise,
Beaubassin
(1670) dans l'isthme de Chignectou et
Les Mines
(1682) au
fond de la baie Fran�aise dans le bassin des Mines. � partir de ces
r�gions, de nombreux autres villages furent fond�s.
Si l'on peut
retenir l'ann�e 1604 comme le d�but du peuplement en Acadie, la
v�ritable colonisation n'a commenc� qu'� partir de 1632 durant
l'administration du gouverneur
Isaac de Razilly
qui a amen� les premi�res familles fran�aises en Acadie. |
� partir de la fin du XVIIe
si�cle, la France n'enverra plus d'immigrants en Acadie, la
situation politique �tant jug�e trop instable. Et les autorit�s
fran�aises avaient toujours la hantise de ne pas d�peupler la France
au profit des colonies!
Apr�s 1670, l'immigration resta fam�lique : seulement 61 hommes
(presque tous c�libataires) et cinq femmes s'install�rent en Acadie. Ces
immigrants �taient
originaires du Canada ou de diff�rentes provinces de France, mais il
y avait aussi quelques Irlandais parmi eux. Bien que la la plupart de ces
immigrants fussent de religion catholique, certains �taient protestants
(huguenots). En effet, plusieurs Fran�ais protestants s'install�rent dans les
r�gions de Beaubassin et de Grand-Pr�, d�couvertes en 1681, o� ils deviendront
des �d�fricheurs d'eau� en utilisant des �aboiteaux�, technique emprunt�e aux
Hollandais pour ass�cher une partie du marais poitevin, ce qui leur permit de
gagner sur la mer ou les rivi�res des terres fertiles. Apr�s la d�portation de
1755, les huguenots s'assimileront aux catholiques.
En 1701, la population acadienne atteignait 1300 habitants.
Port-Royal comptait pour un peu moins de la
moiti�. Il y en avait 189 � Beaubassin, 400 aux Mines, 150 � Richibouctou, les autres �tant dispers�s en
petits groupes au Cap-Sable, � La H�ve, � Canceau.
4.4 La langue des Acadiens
 |
Au d�but du XVIIIe
si�cle, la
plupart des immigrants fran�ais qui s'�taient �tablis en Acadie �taient
install�s le long du littoral de l'actuelle Nouvelle-�cosse (voir
la carte de 1700), notamment autour de la baie Fran�aise (aujourd'hui la baie de Fundy). Ces colons
venaient tous de la province fran�aise
du Poitou. Contrairement aux immigrants de la vall�e du Saint-Laurent, qui
�taient originaires de plusieurs provinces de France, les premiers locuteurs de
l'Acadie ont �t� g�ographiquement circonscrits � quelques villages du Poitou: Martaiz�, d'Aulnay, d'Angliers, de La Chauss�e et de Guesnes, auxquels il
convient d'ajouter le village d'Oiron. Ces six villages �taient tous situ�s dans le
nord-est du Poitou (voir la
carte r�gionale), zone qui fait partie aujourd'hui du
d�partement de la Vienne (86).
Le Poitou n'a plus
d'existence administrative, puisque cette ancienne province est
disparue depuis la fin du XVIIIe
si�cle au profit des r�gions et des d�partements. Le peuplement de l'Acadie
r�sulte d'un transfert important d'agriculteurs s�dentaires du
Poitou, alors que
les immigrants des autres colonies fran�aise, y compris le Canada,
�taient majoritairement des �gens de m�tier� et des artisans, avec
une pr�f�rence marqu�e pour la vie itin�rante (coureurs des bois,
voyageurs, explorateurs, etc.). |
Les colons fran�ais du Poitou
parlaient tous poitevin avant leur arriv�e en Acadie. Mais le poitevin n'�tait
pas uniforme et �tait en grande partie influenc� par l'angevin (parl� dans
l'ancienne province d'Anjou). De plus, la r�gion du
Poitou �tait une zone de transition entre le Nord et le Sud, o� se rencontraient
les parlers m�ridionaux et ceux du Nord, c'est-�-dire
les langues d'o�l et les langues d'oc.
Ces colons �taient des paysans, des p�cheurs et
des artisans, et la
plupart ne savaient ni lire ni �crire. N�anmoins, avec le temps, et parce qu'ils
habitaient une colonie fran�aise, ils durent apprendre la langue fran�aise. Les
Acadiens en vinrent rapidement � parler une langue
fortement
apparent�e au fran�ais populaire employ� dans les
villes de France au d�but du
XVIIe si�cle. Toute la vie officielle, que ce
soit � Port-Royal, dans les forts ou dans les arm�es, y compris les milices
acadiennes, se d�roulait en �fran�ais du roy�. Ce fran�ais v�hicul� par les
Acadiens n'emp�chait nullement ces derniers d'avoir recours � de nombreux
acadianismes d'origine poitevine.
Les linguistes ont relev� 283 �poitevinismes�
dans le lexique acadien, lesquels peuvent aussi �tre d'origine angevine. Ainsi,
les termes bu�tereau (�coteau�), planche (�plat� pour un terrain),
fourgailler (�tisonner�), d�grucher (�descendre�) �taient aussi
bien connus en Anjou qu'au Poitou. Les poitevinismes sont employ�s assez
couramment encore aujourd'hui au Nouveau-Brunswick (Shippagan, Saint-Antoine,
Sainte-Joseph, Acadieville, Petit-Rocher, etc.), en Nouvelle-�cosse (Ch�ticamp,
Pointe-de-l'�glise, etc.), � l'�le-du-Prince-�douard (Mont-Carmel) et au Qu�bec,
notamment aux �les de la Madeleine et en Gasp�sie (Carleton, Bonaventure,
Pasb�biac, etc.).
Yves Cormier, l'auteur du Dictionnaire du
fran�ais acadien (1999), estime que 90 % de tous les
acadianismes
(voir l'article de Jaromir Kadlec)
sont d'origine fran�aise, alors que 6 % seraient emprunt�s � l'anglais, 3 % aux
langues am�rindiennes et 1 % seraient d'origine incertaine. Parmi les
acadianismes d'origine fran�aise, nous trouvons des archa�smes et les
dialectalismes souvent emprunt�s au Poitou (d'o� les poitevinismes), dont
beaucoup de mots li�s � l'agriculture et � la vie maritime, puis des mots issus
du fran�ais populaire des
XVIIe
et
XVIIIe
si�cles.
Au total, 815 colons fran�ais sont
partis pour la Nouvelle-France, plus pr�cis�ment en Acadie. En r�alit�,
une
cinquantaine de familles poitevines constituent la souche principale du peuple
acadien, car il ne viendra � peu pr�s plus
d'autres Fran�ais pour contribuer au
peuplement de la colonie acadienne, sauf un certain nombre de militaires
d�mobilis�s qui choisiront de rester en Acadie et de prendre pour �pouses des
jeunes filles dans les familles acadiennes.
Vers
1650 (voir la carte des fronti�res), l'Acadie comptait
environ 400 habitants, alors que la Nouvelle-Angleterre en comptait d�j� plus de 28 000.
Apr�s trois ou quatre g�n�rations, les habitants des diff�rents �tablissements
acadiens �taient reli�s les uns aux autres par des liens de parent� tr�s
�troits. Cette homog�n�it� de la population cr�a la �grande famille acadienne�.
Elle explique aussi la grande coh�sion et la grande solidarit� des Acadiens,
m�me au cours des longues ann�es qui ont suivi la d�portation. Les seuls
��trangers� en Acadie �taient les administrateurs (en nombre infime), les
soldats, les quelques grands commer�ants et les missionnaires qui, presque tous
d'origine fran�aise, prenaient fait et cause pour les Acadiens. Il fallait
compter aussi sur les autochtones, les Micmacs, les Ab�naquis et les Mal�cites, qui demeuraient
de pr�cieux alli�s pour les Acadiens.
4.5 L'instruction
chez les Acadiens
Durant le
R�gime fran�ais, soit jusqu'en 1713 en Acadie p�ninsulaire, la colonie �tait
servie par une quarantaine de religieux et de pr�tres s�culiers. Ils furent � la
fois des ministres du culte, mais aussi des instituteurs, des guides politiques
et des arbitres pour r�gler des conflits tant priv�s qu'institutionnels. Avant
l'ouverture des �coles, ce sont des missionnaires qui assuraient l'�ducation aux
jeunes Acadiens qui offraient des meilleures dispositions pour apprendre � lire
et � �crire. L'instruction �tait offerte dans des ��coles du dimanche� lorsqu'un
pr�tre �tait d�ment affect� � une paroisse. Les parents plus fortun�s envoyaient
leurs enfants � Qu�bec ou en France. De fa�on g�n�rale, les missionnaires,
d'abord des j�suites, puis des r�collets et des capucins, avaient surtout pour
t�che d'enseigner la religion aux jeunes Am�rindiens afin de les convertir � la
religion catholique.
En 1701,
une premi�re �cole pour les Acadiens fut ouverte � Port-Royal sous la
direction des religieuses de la Congr�gation de la Croix venues express�ment de
France. Mais la premi�re v�ritable �cole de Port-Royal fut fond�e en 1703 par le
p�re Patrice Ren�. Quelques ann�es plus tard, une autre �cole vit le jour �
Saint-Charles-des-Mines (Grand-Pr�) gr�ce aux bons offices de l'abb� Louis
Geoffroy. Il y en eut aussi � La H�ve, � Canseau et � Nipisiguit. Dans
l'ensemble, peu d'Acadiens savaient lire; �crire �tait encore plus rare.
D�s 1632
ou 1633, un premier �s�minaire� fut fond� et il fut suivi par plusieurs autres.
� cette �poque, il n'�tait pas question de fonder une institution, du moins en
Acadie, pour former des pr�tres.
Ces �s�minaires� correspondaient � de
petites �coles destin�es aux autochtones. En t�moigne cette lettre de
Louis XIV
en 1647 :
Nous sommes inform� que le Sieur d'Aulnay a
�rig� un s�minaire dirig� par plusieurs capucins pour l'instruction des enfants
sauvages. |
Tous les missionnaires durent apprendre
les langues des Indiens, notamment le micmac, l'ab�naqui et le mal�cite. Ils
apprenaient aux enfants quelques rudiments de fran�ais. Il existait dans
certaines paroisses plus importantes des �s�minaires� pour les enfants acadiens,
les Am�rindiens et parfois les filles de colons. Cependant, il fut toujours
difficile de maintenir ces �coles pour des raisons financi�res parce que ces
�tablissements ne recevaient aucun secours du Tr�sor royal. C'est g�n�ralement
le gouverneur qui devait entretenir ces �coles � m�me sa cassette personnelle.
Normalement, les �l�ves restaient � l'�cole quelques mois, mais certains ont pu
la fr�quenter jusqu'� un an, rarement deux ans.
4.6 La colonisation acadienne
Le peuplement en Acadie r�v�le que les habitants ont pr�f�r�
cultiver les terres d'alluvions pr�s de la mer, au fond de la baie Fran�aise,
plut�t que de d�fricher des terres hautes. C'est que l'amplitude des mar�es,
parmi les plus hautes au monde, permettaient l'ass�chement des terres
basses sans que l'eau sal�e ne puisse y p�n�trer. Venant du Poitou et de la
Saintonge, deux r�gions mar�cageuses de France, les colons acadiens savaient
comment construire de puissantes digues (les �aboiteaux�) pour mettre rapidement en culture des sols
fertiles assurant la subsistance de la colonie, malgr� les guerres incessantes.
Le tableau qui suit illustre la croissance respective des trois r�gions majeures
de peuplement, Port-Royal, Beaubassin et Les Mines:
Ann�e |
Port-Royal |
Beaubassin |
Les
Mines |
1671 |
350 |
127 |
- |
1686 |
583 |
119 |
57 |
1693 |
499 |
174 |
305 |
1698 |
575 |
- |
- |
1701 |
456 |
188 |
487 |
1703 |
504 |
246 |
527 |
1707 |
570 |
326 |
677 |
1714 |
900 |
345 |
1031 |
1730 |
900 |
1010 |
2500 |
1737 |
1406 |
1816 |
3736 |
1748-1750 |
1750 |
2800 |
5000 |
Source: ROY, Muriel K. �Peuplement et
croissance d�mographique en Acadie� dans Les Acadiens des
Maritimes, Moncton, Centre d'�tudes acadiennes, Universit�
de Moncton, 1980, p. 148.
Au d�but de la colonie,
Port-Royal �tait la r�gion la plus peupl�e, mais graduellement la r�gion de Beaubassin
et surtout celle des Mines surpass�rent la r�gion de la capitale. Comme
l'Acadie �tait aux portes de la Nouvelle-Angleterre et que les moyens mis �
la disposition des administrateurs demeuraient limit�s, les p�cheurs
acadiens et les p�cheurs anglais de Boston avaient des contacts fr�quents.
 |
La p�n�tration �conomique et
commerciale de la colonie du Massachusetts en Acadie devint une constante durant
tout le R�gime fran�ais. Les communications avec la France �tant
sporadiques, la colonie manquait de tout. Or, la puissance commerciale des
Bostonnais pouvait compenser admirablement, car la France n'�tait pas en mesure de
rivaliser avec les Britanniques.
� l'�poque, la colonie du
Massachusetts comprenait l'actuel �tat du Massachusetts (la partie sud) ainsi qu'une
partie du Maine actuel (la partie nord), la fronti�re demeurant floue au nord avec
la Nouvelle-France, et � l'ouest, ce qui
constitue aujourd'hui le comt� d'Aroostook dans le
Maine
cr�� en 1819
et int�gr� dans
l'Union le 15 mars 1820 . C'est pourquoi la colonie du Massachusetts consid�rait
le territoire de l'Acadie comme l'une de �ses� zones. L'extension du
peuplement acadien dans la baie Fran�aise (baie de Fundy) ne pouvait
qu'accro�tre l'ins�curit� des Britanniques, surtout en raison des attaques
incessantes des Micmacs et des Ab�naquis � la solde des Fran�ais. Quant aux Acadiens, ils
essuyaient les repr�sailles des attaques anglaises. Autant le moral faiblissait
sur le front acadien, autant celui des colons de la Nouvelle-Angleterre
s'affermissait.
|
� partir des ann�es 1670, le peuplement de
l'Acadie deviendra un peu plus diversifi�. Le gouverneur g�n�ral de la
Nouvelle-France conc�dera des seigneuries � de nombreux Canadiens qui
s'�tabliront alors en Acadie, surtout dans la baie des Chaleurs et dans la r�gion
de Beaubassin. Au total, il y eut 55 seigneuries en Acadie, mais
la plupart des seigneurs ne se
pr�occup�rent gu�re d'exploiter leur territoire et de le peupler: la superficie
des seigneuries �tait trop grande
et le gouvernement colonial n'exer�ait aucun contr�le.
Seules quelques rares seigneuries (Beaubassin, Port-Royal et Cobeguit) connurent un
peuplement et la colonisation.
L'Acadie
fut tellement
n�glig�e que les gouverneurs successifs de la colonie ont d� changer de
capitale en fonction des besoins du moment. Il y eut surtout Port-Royal,
mais aussi Pentagouet, Fort Saint-Jean, Beaubassin, Jemsek et Nataxouat.
Cette mobilit� dans le choix d'une capitale locale t�moignait de
l'ins�curit� et du d�sarroi des administrations coloniales. Les
gouverneurs, tous nomm�s par Versailles, �taient mal pay�s et laiss�s �
eux-m�mes, livr�s � toutes les tentations et tous les abus. Les documents
historiques attestent la
mis�re des fortifications de Port-Royal, ainsi que la pauvret� et l'exigu�t�
des maisons des paysans, dispers�es �a et l�. Les Acadiens pratiquaient g�n�ralement une �conomie
de subsistance dans une colonie o� n'existait aucune ville. Seule une tr�s petite �lite fran�aise acc�dait � la culture au
sein d'une soci�t� rurale o� l'�crit demeurait une dent�e rare. La plupart
des Acadiens vivaient � l'�cart de l'�tat, ne payaient pas d'imp�t
et se m�fiaient des lev�es d'hommes (miliciens) pour la guerre.
En 1701, le
gouverneur Brouillan se
plaignait du caract�re indocile des Acadiens en ces termes: �Les habitants
des Mines sont � demi r�publicains, tr�s ind�pendants de caract�re, et
habitu�s � d�cider de tout par eux-m�mes.� Les Acadiens formaient
ainsi une communaut� agricole autosuffisante form�e de petits producteurs
ind�pendants, famili�rement nomm�s �habitants�. Seuls une poign�e de
Fran�ais pratiquaient un commerce v�ritable. L'annexion de l'Acadie en 1713
n'allait pas encore mettre fin � cette minuscule soci�t�, mais elle
introduisait l'av�nement du capitalisme et des grands commer�ants
anglo-saxons arriv�s de la Nouvelle-Angleterre.
4.7 Le territoire acadien
 |
L'Acadie, du moins telle qu'elle existait en 1700, c'est-�-dire
en tenant compte de la population r�sidante, ne comprenait
essentiellement que la
Nouvelle-�cosse actuelle, sans l'�le du Cap-Breton, ainsi qu'une partie du Maine actuel, �
l'est de la rivi�re Kennebec. L'Acadie continentale (le
Nouveau-Brunswick) ne comptait que de petits villages le long de
la baie Fran�aise (baie de Fundy), sur les bords du fleuve Saint-Jean au sud et
dans l'isthme de Chignectou, notamment � Beaubassin.
Pour le reste, les fronti�res de la colonie de l'Acadie sont toujours
demeur�es fluctuantes, surtout � l'ouest. Avant 1713, les gouverneurs de Port-Royal
administraient l'Acadie p�ninsulaire et, en Acadie
continentale, seulement le long de la baie Fran�aise jusqu'� la rivi�re Kennebec, dont Pantagou�t fut l'ultime limite avec la Nouvelle-Angleterre. Pour plus de pr�cision,
consulter la carte de l'Acadie en 1700
en cliquant ICI, s.v.p.
|
Seuls des p�cheurs bretons, basques et malouins occupaient durant la saison
estivale des sites � l'�le du Cap-Breton et � l'�le Saint-Jean. En 1700, �
l'exception du bourg de Port-la-Joy de l'�le Saint-Jean, il ne restait que le
fort Sainte-Anne au Cap-Breton, le fort de Simon Denys ayant �t� abandonn� en 1659.
� la m�me �poque, une autre colonie fran�aise faisait concurrence �
l'Acadie, Plaisance sur
l'�le de Terre-Neuve, une colonie
royale distincte de l'Acadie, fond�e en 1662, au sud-ouest de la p�ninsule d'Avalon.
Au m�me moment, la
"Newfoundland" restait la colonie des Anglais qui avaient install� leur
capitale � Saint John's, au nord-est de la m�me p�ninsule. Il n'y avait
pas d'Acadiens dans la colonie de Plaisance.
Ainsi, l'�le de Terre-Neuve comptait deux colonies: une anglaise, la
"Newfoundland", l'autre fran�aise, Plaisance.
� la mort d'Henri IV en 1610, la r�gente Marie de
M�dicis d�cida d'envoyer deux j�suites � Port-Royal. Ceux-ci arriv�rent le 27
mai 1611. Le premier souci des p�res Biard et Mass� fut d'instruire les enfants
indig�nes. Comme c'�tait courant � l'�poque, les autochtones �taient d�sign�s
par le terme Sauvages (mais par
Indians ou
Indiens par les Britanniques). Ces mots n'avaient en principe
rien de d�pr�ciatif, surtout pour les Acadiens qui avaient besoin de l'alliance
des Indiens. Mais les officiers fran�ais les
consid�raient aussi comme des �brutes� et des �pa�ens� qu'ils
fallait convertir ou exterminer. Ils les regardaient g�n�ralement avec m�pris,
mais estimaient qu'il �tait pr�f�rable de les avoir avec eux plut�t que contre
eux. En Nouvelle-France, on employait aussi le mot �Barbares� pour d�signer les
autochtones ennemis des Fran�ais, en l'occurrence les Natchez en Louisiane,
alors qu'au Canada le m�me terme �tait synonyme d'�Iroquois�. En Acadie, les
Fran�ais n'avaient pas d'ennemis am�rindiens. M�me s'ils vivaient en Nouvelle-France sous la
juridiction du roi de France, les autochtones ne reconnurent jamais la
souverainet� du roi et conserv�rent toujours leur autonomie.
 |
Du temps de la Nouvelle-France, il n'y avait que trois peuples
autochtones en Acadie: les Micmacs, les Ab�naquis et les Mal�cites. Afin de communiquer avec les autochtones,
il a fallu que les missionnaires fran�ais apprennent les �langues du pays�.
Ceux-ci
ont bien tent� de faire apprendre le fran�ais aux petits enfants autochtones.
Comme ils ne voyaient pas l'utilit� de cet enseignement, les enfants ne s'y sont
gu�re int�ress�s. Le r�collet Gabriel-Th�odat Sagard (v.
1590-1636) �crivit �
ce sujet: �H�las! ces pauvres �l�ves oubliaient en trois jours ce que nous leur
aurions appris en quatre.� Puis le programme de francisation fut vite mis au rancart en raison
du �caract�re pervers� des Indiens! De fait, les Fran�ais se rendirent compte de
l'objectif utopique de toute assimilation. Les �Sauvages� se sont
montr�s tr�s r�fractaires � toute francisation. �Ils ne se soucient gu�re
d'apprendre nos langues�, lit-on dans les Relations des j�suites. Ce sont
les Fran�ais, donc aussi les Acadiens, qui durent �se mettre � l'�cole des Sauvages� et
apprendre leurs langues.
|
En Acadie, dans certains villages, m�me les enfants
fran�ais (ou acadiens) apprenaient le micmac, le mal�cite ou l'ab�naqui
lorsqu'ils s'amusaient avec les petits autochtones. Les
Micmacs, les Mal�cites et les Ab�naquis parlaient des
langues algonkiennes, le
micmac, le mal�cite et l'ab�naqui. Au XVIIe
si�cle, on croit qu'il y avait 10 000
autochtones en Acadie au d�but du R�gime fran�ais.
5.1 Les Ab�naquis
Les Ab�naquis (ou Ab�nakis) �taient parfois appel�s
Kinib�quis. Au nombre d'environ 3000
personnes (entre 500 et 1000 guerriers), ils habitaient un grand territoire
couvant aujourd'hui les �tats du Maine, du Vermont, du New Hampshire, du
Massachusetts et du Connecticut, ainsi que toute la vall�e du Saint-Laurent, sur
la rive sud, depuis la rivi�re Chaudi�re jusqu'au pays des Iroquois; ils
allaient
chasser parfois sur le littoral du c�t� nord du Saint-Laurent. Bref, le
territoire des Ab�naquis commen�ait en Acadie � partir du fleuve Saint-Jean et se prolongeait jusqu'en Nouvelle-Angleterre, offrant ainsi une zone
tampon entre les Fran�ais et les Anglais. Avant les contacts avec les Blancs,
les Ab�naquis formaient un peuple
d'environ 10 000 � 12 000 personnes. Les Ab�naquis furent les plus redoutables
guerriers alli�s des Fran�ais pour combattre les Britanniques. Ils
repr�sentaient
l'�quivalent des Iroquois pour les Fran�ais. Les Ab�naquis semaient la terreur et
l'effroi en Nouvelle-Angleterre, comme les Iroquois le faisaient dans la vall�e
du Saint-Laurent.
5.2 Les Micmacs
Les Micmacs �taient appel�s par
les Fran�ais Souriquois.
La forme �crite officielle est Mi'kmaq, mais on trouve aussi Mikmak
et Mikmaq). Les Micmacs ont
�t� de grands alli�s pour les Fran�ais qui les d�signaient par diff�rents
noms: Souriquois, mais aussi �Indiens du Cap-Sable�, �Gasp�siens� ou
�Micmacs de Gasp�. Entre eux, les Micmacs se nommaient L'nu'k �le
peuple�.

Guerrier micmac vers 1740 |
En 1611, le p�re Pierre Nilard en d�nombrait environ 3000 en
Acadie, pour moins de 200 guerriers. Ils occupaient presque
toute la superficie des Maritimes actuelles, y compris le sud de la Gasp�sie et
l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard). En 1605, Pierre Dugua de Mons et
Samuel de Champlain ont rencontr� les Micmacs, alors qu'ils installaient une
petite colonie fran�aise � Port-Royal, territoire habit� par cette communaut�
am�rindienne. Les maladies europ�ennes ont r�duit
consid�rablement la population des Micmacs, notamment apr�s 1620.
L'�le du
Cap-Breton (�le Royale) abritait des Indiens micmacs depuis des
temps imm�moriaux. Ils appelaient leur �le �Onamag�, qui servait de
si�ge au grand sachem de tous les Micmacs de cette partie de l'est
de la Nouvelle-France; ils se d�signaient eux-m�mes comme les
Onamag. Il y avait des Micmacs sur l'�le Saint-Jean (les
Pigtogeoag), sur le littoral de l'Acadie continentale (les
Sigenigteoag et les Epegoitnag), ainsi que dans toute
l'Acadie p�ninsulaire (les Esgigeoag, Segepenegatig et
les Gespogoitnag). La r�gion identifi�e aujourd'hui comme la
Gasp�sie comptait aussi des Micmacs: les Gespegeoag. Bref, la
nation micmac comptait sept nations qui occupaient chacune un
territoire d�fini. |
5.3 Les Mal�cites
Les Mal�cites furent �galement de grands alli�s pour les
Fran�ais et les Acadiens. Les Fran�ais les appelaient Passamaquoddy, en
r�f�rence � la vall�e de Passamaquoddy o� vivaient de nombreux Mal�cites. Mais
l'histoire a surtout retenu le nom de Etchemins
qui a davantage �t� utilis� par les autorit�s coloniales. Les Mal�cites
formaient une petite communaut� dispers�e de 2000 � 2500 personnes (environ 200
guerriers). Ils habitaient surtout en Acadie fran�aise, notamment sur les rives
du fleuve Saint-Jean et vers l'ouest au-del� de la rivi�re Kennebec (aujourd'hui
dans le Maine). En 1605, les Fran�ais furent accueillis
par le chef micmac Membertou lorsqu'ils d�barqu�rent � l'endroit qui allait
devenir Port-Royal. D�s cette �poque, les Fran�ais se li�rent aux Mal�cites en
leur manifestant une
confiance qui a certainement contribu� � l'expansion de la petite colonie de
Port-Royal. Cependant, les contacts entretenus avec les Fran�ais ne furent pas
toujours b�n�fiques pour les Mal�cites. En effet, comme ils n'�taient pas immunis�s contre
les maladies europ�ennes, la peste ravagea leur population en 1694 en emportant
plus de 120 Mal�cites. En 1728, les Mal�cites abandonn�rent leur alliance avec
la France en ratifiant le trait� de paix conclu � Boston avec les Anglais; ils
reconnurent d�s lors la souverainet� britannique sur la Nouvelle-�cosse.
La nation mal�cite est aujourd'hui disparue,
le dernier survivant �tant d�c�d� en 1972.
5.4 Des alli�s incontournables
Les Fran�ais en Acadie, comme dans toute la
Nouvelle-France (Canada, Louisbourg, r�gion des Grands Lacs, Louisiane, etc.)
furent plut�t exceptionnels (comme Europ�ens!) dans la fa�on dont ils
s'alli�rent avec les Premi�res Nations. En effet, alors que les Britanniques,
les Espagnols et les Portugais �rigeaient leur empire sur la conqu�te, la
suj�tion et la servitude, contrairement aussi aux Am�ricains qui massacreront
les autochtones pour s'approprier leurs terres, les Fran�ais ne furent jamais
assez puissants pour agir de cette fa�on. Au contraire, il combl�rent les
autochtones de cadeaux (outils, armes et munitions, aliments, v�tements,
ustensiles de cuisine, animaux, etc.), afin de b�n�ficier de leur collaboration
dans la traite des fourrures ou pour recevoir leur appui militaire. C'est
pourquoi les Fran�ais ont pu d�velopper une version �plus subtile� du
colonialisme europ�en.
En Acadie, les Fran�ais devaient toutefois faire face � la
concurrence des Britanniques. Ceux-ci avaient compris le man�ge des Fran�ais et
ils se sont mis � offrir aux Indiens des produits de meilleure qualit� et
surtout � meilleur prix. Les Micmacs, les Ab�naquis et les Mal�cites ne furent
pas lents � s'apercevoir que le commerce avec les Britanniques pouvait �tre plus
avantageux. Dans le but de contrecarrer l'influence anglaise,
Louis XIV exigea
que les fonctionnaires en Acadie ach�tent �au prix des Anglois� tout ce que les
Indiens leur apporteraient. La distribution des cadeaux �tait certes une coutume
indienne, mais les Fran�ais l'�rig�rent en �v�nement annuel. Ces pr�sents
�taient essentiels pour la diplomatie indienne. Ils tenaient lieu de paroles et
ils devenaient des contrats d'affaires. Chaque cadeau �tait pr�sent� avec
un discours de circonstance. Comme cette coutume indienne apparaissait
raisonnable, les gouverneurs de l'Acadie, � l'exemple du gouverneur g�n�ral de
la Nouvelle-France, rendaient g�n�ralement discours pour discours, pr�sent pour
pr�sent.
5.5 La religion et les langues
am�rindiennes
Tous les missionnaires fran�ais �uvrant en Acadie
apprenaient le micmac, l'ab�naqui ou le mal�cite, parfois les trois langues. Ce
n'�tait pas une t�che facile pour un Europ�en d'apprendre ces langues, en raison
des �normes diff�rences dans la structure des syst�mes linguistiques
indo-europ�en et
am�rindiens. L'abb�
Le Loutre admettait � ce sujet qu'il �tait encore
incapable de pr�cher aupr�s des Micmacs, et ce, apr�s trois ans d'apostolat :
�Je les entends suffisamment pour les confesser. Je leur apprends leur pri�res,
je parle et m'entretiens avec eux, mais je ne suis assez savant pour leur
pr�cher.�
Malgr� les difficult�s d'apprendre les
langues indiennes, certains y r�ussissaient n�anmoins, tel
l'abb�
Pierre-Antoine Maillard (1710-1762) qui, en
quelques mois, put non seulement poss�der
rapidement le micmac, mais �galement mettre au point un syst�me de signes
hi�roglyphiques pour transcrire les mots de la langue micmac. Malgr� tout, dans
sa �Lettre de M. l'abb� Maillard sur les missions de l'Acadie et
particuli�rement sur les missions micmaques� (mars 1757), l'abb�
fut assez honn�te pour admettre que, apr�s huit ans d'efforts soutenus, il ne
saisissait pas compl�tement �le g�nie de cette langue�. Toutefois, il a
pu consigner dans des �cahiers� les formules des principales pri�res, des
psaumes et des r�ponses du cat�chisme, afin que les Indiens les apprennent plus
facilement. L'abb� Maillard a toujours eu recours au micmac
pour la quasi-totalit� des pri�res et des chants ex�cut�s par les Micmacs lors
des c�r�monies liturgiques. D'ailleurs, l'abb� Maillard fut r�primand� par les
autorit�s de sa communaut�, les pr�tres des Missions �trang�res. � cette �poque,
tout devait se faire en latin, non dans les langues vernaculaires.
- La langue maternelle des autochtones
L'abb� Maillard a m�me con�u un corpus de grammaires, de dictionnaires et de
manuscrits liturgiques. Dans un ouvrage intitul� �Eucologe micmac�, r�dig� entre
1757 et 1759 (publi� dans Manuscrits am�rindiens conserv�s aux Archives de l'archidioc�se
de Qu�bec), Maillard �crit les instructions suivantes:
Les Messieurs Missionnaires qui voudrons bien venir travailler apr�s
nous au salut des �mes de la nation Mickmaque, ne pourrons jamais
mieux faire que de s'appliquer d'abord � bien lire tout ce qui est
contenu dans ce livre ecrit en leur langue, � en transcrire tous les
jours quelques feuilles, pour s'en faciliter au plut�t la lecture
[�] C'est � quoy un Pr�tre missionnaire doit s'appliquer avant que
de chercher � bien entendre; parce que tous d'un coup il se trouve
propre � instruire et catechiser, � prier, � chanter et � faire ses
pr�nes. |
Au besoin, l'abb� n'h�site pas � modifier certains passages de l'�criture
afin de les rendre intelligibles aux Micmacs, ce qui ne pouvait que favoriser
leur �vang�lisation. En c�l�brant publiquement la messe en
micmac, l'abb� Maillard faisait la d�monstration aux autorit�s fran�aises de
l'attachement des Micmacs � la religion catholique et � leur missionnaire. Si
les Missions �trang�res de Paris n'approuvaient gu�re cette pratique, les
autorit�s religieuses de Qu�bec ne s'y opposaient pas.
- La religion au service de l'�tat
Ainsi, les missionnaires fran�ais consid�raient que la religion constituait la
seule fa�on de �civiliser� les Indiens. En septembre 1748, l'abb� Maillard fit
parvenir une lettre � un officier anglais, Thomas Hopson,
colonel du r�giment britannique alors post� � Louisbourg:
Si vous saviez,
Monsieur, ce que c'est que d'avoir � conduire un troupeau semblable,
tant pour le spirituel que pour le temporel, ce qu'il faut faire
pour les maintenir dans l'ordre et la tranquillit�, de quel art
oratoire il faut se servir pour le mettre au niveau de la raison,
vous seriez tent� de dire qu'il faut que leurs conducteurs aient une
magie qui leur soit propre et inconnue � tout autre. Je suis avec
les Sauvages depuis maintenant quatorze ans [...] et je puis vous
dire, Monsieur, qu'il n'y a que la Religion, qui soit capable de les
rendre quelquefois traitables et dociles. |
L'abb� Maillard tentait alors d'expliquer � l'officier anglais que les
missionnaires fran�ais n'avaient aucune responsabilit� dans le d�clenchement des
hostilit�s entre la France et la Grande-Bretagne, et qu'ils essayaient le plus
possible de �les maintenir dans l'ordre et la tranquillit� pour les actes
qu'ils jugent barbares chez les Indiens, entre autres, l'usage de la torture sur
les prisonniers de guerre.
Le colonel Hopson, qui deviendra plus tard gouverneur de la Nouvelle-�cosse,
n'�tait pas dupe. Il savait que la �magie� des missionnaires fran�ais �tait la
m�me que chez les pasteurs britanniques. Il savait aussi que n'importe quel
officier, qu'il soit fran�ais ou britannique, pouvait convaincre des Indiens de
faire la guerre moyennant des pr�sents, des armes ou m�me de l'alcool. La
diff�rence avec les militaires, c'est que les missionnaires et les pasteurs
utilisaient la religion comme arme. En r�alit�, tout officier pouvant haranguer
les Am�rindiens dans leur langue pouvait aussi bien les influencer. Mais les
officiers-interpr�tes dignes de confiance �taient rares en Nouvelle-France. Dans
toute l'histoire de l'Acadie, on ne recense que deux ou trois interpr�tes de ce
type. En g�n�ral, on faisait appel aux missionnaires, notamment les Maillard, Le
Loutre et Picquet. En raison de leur pr�sence soutenue aupr�s des
Am�rindiens et de leur ascendant sur eux, ces pr�tres constituaient des
candidats de choix pour servir les int�r�ts politiques des autorit�s coloniales.
D'ailleurs, ces missionnaires �taient r�mun�r�s par l'�tat comme des
fonctionnaires. Dans ces conditions, il n'est gu�re surprenant que les diff�rentes fonctions que
ces missionnaires ont occup�es sur la sc�ne diplomatique en firent de v�ritables
interm�diaires politiques au service de la France.
- La langue fran�aise
Contrairement aux usages en vigueur au Canada, les missionnaires �uvrant en
Acadie s'assuraient que les Am�rindiens n'apprennent ni � lire ni � �crire en
fran�ais, de fa�on � pouvoir conserver le monopole de la connaissance des
langues am�rindiennes et fran�aise. Il s'agissait d'une question d'autorit� pour
eux, afin de restreindre les possibilit�s d'insubordination de la part des
Am�rindiens. Ces missionnaires devaient demeurer les seuls interm�diaires
permettant aux Am�rindiens d'entrer en contact avec les Fran�ais; ils se
m�fiaient des Indiens qui baragouinaient le fran�ais ou m�me le parlaient.
Maillard, craignant d'�tre contest�, a m�me �crit dans une lettre du 1er
octobre 1738 r�dig� � Louisbourg: �Autrement, vous les verriez sans cesse
�piloguer sur tout ce que vous pourriez dire et m�me faire.�
- La question
huguenote
Jusqu'en 1627,
les protestants fran�ais, appel�s les huguenots, furent totalement libres de s'�tablir en
Nouvelle-France, y compris en Acadie. Plusieurs figures marquantes du d�but de la colonisation
fran�aise furent des huguenots: Pierre Dugua de Mons, Samuel de Champlain et H�l�ne Boull� (�pouse de
Champlain), Jean-Fran�ois de La Rocque de Roberval, Fran�ois Pontgrav�, Pierre
de Chauvin, Guillaume de Caen, etc. Les huguenots fond�rent des comptoirs commerciaux � Tadoussac, � Qu�bec
et en Acadie (Port-Royal).
Cependant, les j�suites d�barqu�s � Qu�bec en 1625 ne
purent tol�rer une �ventuelle concurrence de religions et voulurent chasser les
huguenots de la Nouvelle-France. Ils accus�rent aussit�t les marchands huguenots
d'�tre responsables de tous les probl�mes qui accablaient la colonie. D�s
lors, la Compagnie des Cent-Associ�s ou Compagnie de la Nouvelle-France re�ut
l'ordre, d'apr�s l'article 2 de l'�dit du roi pour l'�tablissement de la
Compagnie de la Nouvelle-France (1628), de n'accepter au pays que des
�naturels Fran�ais catholiques�:
Article II
Sans toute fois qu'il soit loisible aux dits
associ�s et autres, faire passer aucun �tranger
�s dits lieux, ains peupler la dite colonie de
naturels Fran�ais catholiques ; et sera enjoint
� ceux qui commanderont en la Nouvelle-France,
de tenir la main � ce qu'exactement le pr�sent
article soit ex�cut� selon sa forme et teneur,
ne souffrant qu'il y soit contrevenu pour
quelque cause ou occasion que ce soit, � peine
d'en r�pondre en leur propre et priv� nom.
|
En fait, les v�ritables exclus �taient,
d'apr�s le texte, �les �trangers�, non les �naturels Fran�ais� qu'�taient les
huguenots. �tant donn� que la religion catholique constituait la religion
officielle du Royaume, il apparaissait normal que la Nouvelle-France ne soit
peupl�e que de catholiques, y compris en Acadie. � cette �poque de guerres
religieuses, le droit r�gissant l'appartenance religieuse �tait bas� sur le
principe
Cujus regio,
ejus religio (litt�ralement �tel prince, telle
religion�). Autrement dit, les �sujets du roy� n'avaient les pleins droits
politiques que s'ils professaient la religion du souverain.
Les monarchies europ�ennes tol�raient
ais�ment une multitude de langues dans leur �tat, mais elles ne pouvaient
g�n�ralement admettre que deux religions puissent cohabiter au sein de leur
propre �tat. En ce sens,
l'�dit de Nantes de 1598 �mis par Henri IV, qui
reconnaissait la libert� de culte pour les protestants de France, constituait
une exception parmi les royaumes d'Europe.
Malgr� les exigences de l'�glise
catholique, les autorit�s civiles et militaires de la Nouvelle-France
manifest�rent une assez grande tol�rance � l'�gard des huguenots et ne
filtr�rent pas m�ticuleusement leur entr�e dans la colonie. C'est pourquoi les
autorit�s eccl�siastiques du Canada se plaignirent en 1641 par trois fois au
Conseil de la Marine, ce qui n'a d'ailleurs pas sembl� troubler le ministre
Maurepas. En r�alit�, l'arriv�e de
protestants en Nouvelle-France, notamment en
Acadie, fut
constante, sauf durant les quelques ann�es qui ont suivi la r�vocation de
l'�dit de Nantes de 1685. �tant donn� que la
plupart des Acadiens �taient originaires du Poitou, un r�gion r�put�e pour la
pratique de la religion r�form�e, il �tait normal qu'un certain nombre de
huguenots fasse partie des �migrants fran�ais. Au moins le tiers des Poitevins
et des Saintongeais devaient �tre huguenots, mais une fois install�s en Acadie
ils se convertirent tous progressivement au catholicisme.
Dans le contexte nord-am�ricain de
l'�poque, les autorit�s fran�aises se m�fiaient des huguenots parce qu'ils
�taient protestants et que le voisinage des Britanniques, �galement protestants,
semblait repr�senter un trop grand risque en raison de la d�loyaut� �ventuelle
des colons huguenots. C'�tait
amplement suffisant pour susciter la parano�a tant en France qu'en
Nouvelle-France. C'est pourquoi seulement
un peu plus de 500 huguenots pass�rent au Canada, en Acadie et � l'�le Royale (Louisbourg).
5.6
Le sabre et le
goupillon
Les missionnaires fran�ais prenaient soin d'�duquer les
autochtones dans la crainte de Dieu et des... Anglais, des ennemis jur�s de la
religion catholique et du roi de France. Ils �taient g�n�ralement tout dispos�s
� servir les int�r�ts conjoints de la religion catholique et de la France. �
partir de Qu�bec, les autorit�s fran�aises
organisaient r�guli�rement, avant la d�portation de 1755, des exp�ditions (gu�rillas) en Nouvelle-Angleterre, surtout au Massachusetts (qui comprenait alors
le Maine actuel), avec la complicit� et l'aide des Ab�naquis ou
des Micmacs, terrorisant ainsi les colons britanniques. En
temps de paix, la collaboration des autochtones �tait essentielle, car ces
derniers pouvaient se battre � la place des Fran�ais (ce qui incluait les Acadiens).
Malgr�
l'interdiction impos�e par l'�v�que de Qu�bec, selon
laquelle les missionnaires ne devaient pas intervenir directement dans les
affaires politiques de la colonie, certains missionnaires n'h�sitaient gu�re �
pousser
les Indiens � la guerre, en leur disant qu'ils perdraient leurs
terres et leur �me s'ils ne chassaient pas les Anglais � l'ouest de la Kennebec, la rivi�re
qui s�parait en principe l'Acadie de la Nouvelle-Angleterre (alors le Massachusetts).
Ces pr�tres furent parfois charg�s de recruter les
guerriers indiens, � la demande m�me des autorit�s fran�aises.
En g�n�ral, les pr�tres �taient peu nombreux en Acadie, jamais plus de six
pour couvrir tout le territoire, incluant les Acadiens et les Am�rindiens,
tout ce monde �tant pratiquement illettr�. Parfois, deux ou trois de ces missionnaires �taient
hors d'�tat de servir, parce qu'ils �taient malades ou d�c�daient. Finalement, la plupart des paroisses �taient priv�es de
pr�tres; les habitants des c�tes pouvaient n'�tre desservis qu'une fois par
ann�e.
Certains missionnaires ont certes jou� le r�le d'agents officiels
aupr�s des autorit�s fran�aises. Il y eut quelques personnages c�l�bres: le
j�suite S�bastien
R�le (1657-1724), le j�suite Louis-Pierre Thury (1644-1699), le j�suite Pierre
de La Chasse (1670-1749), le sulpicien Fran�ois Picquet
(1708-1781), l'abb� Pierre-Antoine Maillard (1710-1762) et surtout l'abb�
Jean-Louis Le Loutre
(1709-1772), pr�tre s�culier, un personnage tr�s
appr�ci� des ministres de Versailles. L'abb� Le Loutre fut fait
prisonnier par les Anglais durant huit ans, puis rel�ch� en ao�t
1763. Revenu en France, l'abb� Le Loutre s'occupera activement des exil�s
acadiens afin de les aider � se procurer des �tablissements o� ils
pourrait s'installer, notamment � Belle-�le-en-Mer et dans le
Poitou, puis en Corse et m�me aux Antilles. Le ministre de la Marine et
des Colonies, le duc de
Choiseul, retiendra ses tr�s pr�cieux services en lui assurant
une pension de 3000
livres. L'abb� Le Loutre fut probablement le personnage religieux le
plus influent de l'histoire de l'Acadie fran�aise. Le 29 juillet 1749, l'abb� Le
Loutre �crivait ainsi au ministre de la Marine et des Colonies (Antoine-Louis Rouill�)
ce
qu'il pensait au sujet du recours aux Indiens:
Comme
on ne peut s'opposer ouvertement aux entreprises des Anglois, je
pense qu'on ne peut mieux faire que d'exciter les Sauvages �
continuer de faire la guerre aux Anglois, mon dessein est d'engager
les Sauvages de faire dire aux Anglois qu'ils ne souffriront pas que
l'on fasse de nouveaux �tablissemens dans l'Acadie [...] je feray
mon possible de faire para�tre aux Anglois que ce dessein vient des
Sauvages et que je n'y suis pour rien. |
Mais les attaques indiennes contre les �Anglois�
amen�rent le gouverneur de la Nouvelle-�cosse,
Edward Cornwallis, �
jurer la perte de l'abb� Le Loutre, en le d�crivant en octobre 1749
comme �un bon � rien, un sc�l�rat comme il n'y en eut jamais�.
Cornwallis tenta de le capturer mort ou vif en promettant une
r�compense 50 livres pour son scalp.
Pour leur part, les Fran�ais voyaient en ces pr�tres de pr�cieux
alli
�s.
Le 4 septembre 1706,
Philippe de Rigaud de
Vaudreuil (p�re) �crivit cette lettre au
ministre Pontchartrain:
J'ai �crit aux p�res
La Chasse et Aubry, qui sont retourn�s chez les Ab�naquis au bord
de la mer, et je leur marque de faire continuer la guerre par
leurs Sauvages aux Anglais tant qu'il leur sera possible, �
moins qu'ils ne re�ussent des lettres de M. de Subercase ou du
sieur de Bonaventure en son absence, ce qui par des raisons tr�s
fortes les priassent au contraire; en ce cas, de faire suspendre
la hache aux Sauvages et de m'en faire donner avis au plus t�t,
en m'envoyant copie des lettres de ces messieurs, afin de
recevoir ensuite mes ordres et de savoir mes sentiments. |
Le 25 septembre 1721, le
m�me Vaudreuil �crivait cette lettre au p�re S�bastien R�le (�crit
aussi comme Rasles, R�les, Rale, Racle), laquelle ne laisse
aucun doute sur le r�le de ce pr�tre, et de bien d'autres comme agents des autorit�s
coloniales:
Je suis bien
aise que vous-m�me et le p�re La Chasse ayez incit� les Indiens �
traiter les Anglais comme ils ont fait. Mes ordres sont de ne les
priver de rien et de leur fournir beaucoup de munitions. |
Le p�re R�le pr�f�rait sans aucun doute inciter les Indiens � la
paix, mais il �tait aussi sous les ordres du gouverneur de la Nouvelle-France.
Or, nous savons aujourd'hui que les ordres du gouverneur g�n�ral furent suivis.
D'ailleurs, les Britanniques rendaient le p�re R�le responsable de
l'intervention � main arm�e des guerriers ab�naquis. Ils mirent sa t�te � prix
et offrirent jusqu'� 4000 livres sterling pour se procurer ce chef pr�cieux qui
parlait l'ab�naqui, le huron, l'illinois et l'outaouais. Il a m�me r�dig� un
dictionnaire de l'ab�naqui, dont le manuscrit est conserv� aujourd'hui �
l'Universit� de Harvard.
� la longue,
les Ab�naquis devinrent les plus farouches adversaires des Anglais d�sign�s par
les missionnaires comme des �enfants du diable�, des �ennemis de Dieu� et des
�infid�les�. Comme il �tait normal � l'�poque, beaucoup de pr�tres avaient la
conviction d'accomplir la volont� de Dieu en incitant les Indiens � la guerre
contre les Anglais. C'�tait le catholicisme contre le protestantisme.
Le j�suite
Louis-Pierre Thury �tait,
par exemple, un v�ritable religieux-guerrier, il n'h�sitait pas � participer � des
raids d�vastateurs avec le baron de Saint-Castin et � des exp�ditions militaires avec nul
autre que Pierre Le Moyne d'Iberville. Parlant couramment le micmac et l'ab�naqui,
il contribua � garder les autochtones sous l'influence fran�aise. Il en fut
�galement ainsi avec le p�re La Chasse, qui servit � la fois d'agent de liaison,
d'informateur, de conseiller, tout en se montrant particuli�rement convaincant
pour stimuler le �patriotisme� des Ab�naquis.
Philippe de Rigaud de Vaudreuil
voyait en lui un �missaire efficace. Apr�s le trait� d'Utrecht de 1713,
Pierre de La Chasse fut le principal instigateur de la politique des �pr�sents
aux Sauvages�, laquelle devait retenir les Ab�naquis dans l'alliance fran�aise.
En 1726, alors qu'il participait � une discussion sur le commerce de
l'eau-de-vie, il �mit l'opinion �que l'usage de l'eau-de-vie �tait n�cessaire
pour la conservation et la domination du Roi et de la religion catholique�.
En somme, les missionnaires fran�ais �taient utilis�s pour entretenir la
fid�lit�, tant chez les Acadiens que chez les Am�rindiens. �videmment, la plupart des pr�tres catholiques n'intervenaient pas dans la
politique fran�aise, mais tous �taient au service de Dieu et du roi.
Pour les Britanniques, les missionnaires fran�ais �taient
consid�r�s comme des provocateurs et de dangereux agitateurs politiques. Au
XIXe
si�cle, les historiens anglophones tels Thomas Chandler Haliburton, Beamish
Murdoch, James Hannay, Francis Parkman, Philip H. Smith, Adams George Archibald
et William Kingsford se sont prononc�s sur le r�le jou� par ces missionnaires �
la fin du R�gime fran�ais; ceux-ci �taient appel�s �French priests�, �popish
missionaries� ou �French missionaries�.
 |
Tous ces historiens ont
discr�dit�, par exemple, le r�le controvers� de l'abb� Jean-Louis
Le Loutre dans les conflits menant � la d�portation des
Acadiens. Ils se sont tous �lev�s contre le fait que l'abb� Le
Loutre avait eu recours � l'intimidation des guerriers micmacs et �
des menaces d'excommunication pour forcer le d�part des Acadiens
vers Beaus�jour � partir de 1750. Dans Acadia, A Lost Chapter in
American History (1884), Philip H. Smith d�peint l'abb� Le Loutre comme
�the most dangerous and determined enemy to British power ever came
to Acadia� ("l'ennemi le plus dangereux et le plus d�termin� contre
les autorit�s britanniques jamais venu en Acadie"). Le fait de
d�nigrer syst�matiquement l'abb� Le Loutre a fini par faire ombrage
� l'ensemble de tous les missionnaire fran�ais en Acadie. |
D�crit comme �agitateur
politique� par les historiens anglophones, louang� comme �ap�tre de la
religion� par les historiens francophones et pr�sent� comme un �h�ros de la
r�sistance acadienne� par les historiens acadiens, l'abb� Le Loutre est demeur�
un personnage controvers� qui a certainement jou� un r�le politique
important avant la D�portation, mais son r�le fut encore plus consid�rable apr�s la
D�portation.
Dans le cadre conflictuel des guerres de la Succession
d'Autriche (1744-1748) et de la Conqu�te (1754-1763), les missionnaires
fran�ais s'impliquaient aupr�s des Am�rindiens et des autorit�s dans la
mesure o� ils agissaient aussi � titre d'aum�niers militaires ou comme
interpr�tes. � la
d�charge des Fran�ais, il faut pr�ciser que les Britanniques proc�daient exactement de
la m�me fa�on avec leurs
pasteurs qui devaient �tre au service de leur roi. Quoi qu'il en soit, les
relations entre le clerg� et les autorit�s anglaises n'ont jamais �t�
�branl�es par l'action politique ou diplomatique d'une minorit� de pr�tres
catholiques.
5.7 Le baron de Saint-Castin
 |
Signalons aussi le r�le de Jean-Vincent d'Abbadie de Saint-Castin, baron de Saint-Castin (1652-1707). Le
c�l�bre baron quitta la France en 1665
pour devenir porte-�tendard dans le r�giment de Carignan-Sali�res, qui devait
combattre les Iroquois. Il retourna en France apr�s avoir �t� d�mobilis�, mais revint
s'installer quelques ann�es plus tard en Acadie, au fort Pentagou�t situ� � la
fronti�re de la Nouvelle-Angleterre. En 1670, il �pousa une Ab�naquie, la fille
du chef des Pentagou�ts (d'o� le nom du fort), dont il aura deux enfants. Apr�s 1677, Saint-Castin
s'unit � Misoukdkosi�, une autre fille du chef Madockawando dont il aura huit
enfants. Apr�s la mort de Madockawando en 1698, Saint-Castin devint le grand
sachem (�chef�) des Pentagou�ts.
Pendant plusieurs ann�es, le baron de Saint-Castin, avec
la complicit� de ses Ab�naquis, prit part � de nombreux combats contre les
Britanniques, poursuivit des raids un peu partout en semant la terreur en
Nouvelle-Angleterre
et en faisant croire � une puissance militaire de la Nouvelle-France bien
sup�rieure � la r�alit�. Par exemple, en ao�t 1689, les Ab�naquis ras�rent
16 villages du Massachusetts (aujourd'hui dans le Maine) et
massacr�rent de sang froid plus de 200 personnes. |
Pour r�compenser Saint-Castin, le gouverneur de
Qu�bec, le marquis de Denonville,
lui accorda une seigneurie �de deux lieues de front, � prendre en terres non
conc�d�es le long de la rivi�re Saint-Jean, joignant les terres de Jemsec � sa
discr�tion, sur pareille profondeur de deux lieues�.
 |
Saint-Castin fut donc militaire, chef ab�naqui, entrepreneur-commer�ant
et corsaire (avec Pierre Le Moyne d'Iberville). Il servait le gouverneur g�n�ral
de la Nouvelle-France, le marquis de Denonville
ou le comte de Frontenac, avec l'aide des Ab�naquis, tout en
faisant fortune en approvisionnant en armes les Acadiens. La population de la
Nouvelle-Angleterre, terrifi�e, exigea des autorit�s britanniques de r�gler le sort
de ce �Dam Baron�. Saint-Castin et ses Ab�naquis ont s�rement voulu servir la
France, mais ils ont aussi suscit� la grogne et les repr�sailles chez les Britanniques
qui se veng�rent en prenant Port-Royal � plusieurs reprises. Juste le fait
de
prononcer le mot �Ab�naqui� r�pandait
l'effroi dans toute la Nouvelle-Angleterre... comme le mot �Iroquois� dans les
villages canadiens pr�s de Montr�al. Il n'y avait probablement pas plus de 1000 guerriers ab�naquis en Acadie, mais l'appui
militaire des Fran�ais les rendait extr�mement
redoutables parce qu'ils �taient arm�s et fanatis�s. Avant un raid, les
guerriers se confessaient, alors que les femmes r�citaient le chapelet
sans interruption jusqu'� leur retour. |
L'influence du baron de Saint-Castin fut
consid�rable en Acadie, car il disposait, en raison de ses alliances
indiennes, d'une puissance militaire nettement sup�rieure � celle des
troupes coloniales fran�aises. Il faisait trembler, � lui seul et ses alli�s
indiens, toute la Nouvelle-Angleterre, sans compter qu'il pouvait aussi
mobiliser quelque 1200 combattants acadiens dans la gu�rilla. En 1700, le baron revint en France pour r�gler des
affaires, mais il ne retourna jamais en Nouvelle-France et d�c�da en France en 1707.
Apr�s 1760, les cultivateurs, artisans et petits commer�ants du
Massachusetts prirent possession des propri�t�s autour de Pentagou�t (devenu
Castine depuis) qu'ils appel�rent �Major Baggadoose�. Un fait est
ind�niable: ce sont les Am�rindiens qui ont rendu l'Acadie possible en
Nouvelle-France, la colonie
�tant trop faible pour se d�fendre seule parce que les troupes fran�aises �taient insuffisantes.
La Grande-Bretagne a toujours conserv�
des
pr�tentions sur le territoire de la Nouvelle-France, notamment sur l'Acadie et
Terre-Neuve. Cette situation conflictuelle ne pouvait que susciter des rivalit�s entre les
deux grandes puissances.
Alors qu'il �tait gouverneur g�n�ral de
la Nouvelle-France (de 1672 � 1682
et de 1689 � 1698), le comte de Frontenac avait toujours consid�r� que la cl� de la
conservation de la Nouvelle-France reposait sur le maintien de l'Acadie. Tant que la France occuperait l'Acadie,
le Canada �tait sauf. Si elle tombait, le Canada succomberait �dans la foul�e�.
C'est pourquoi le gouverneur Frontenac avait toujours soutenu l'Acadie. L'intendant de la
Nouvelle-France, Jacques de Meulles (1682�1686),
r�sume tr�s bien la probl�matique fran�aise dans une lettre de 1686 au ministre
Colbert:
Si la France un
jour avait une guerre avec l'Angleterre, la colonie du Canada �tant
renferm�e dans les terres, il n'y aurait rien de si ais� aux Anglais
de ce continent que de se rendre les ma�tres du fleuve du
Saint-Laurent et en deux ou trois ans de faire p�rir facilement
l'ouvrage de tant d'ann�es. Mais, par l'�tablissement de la c�te de
l'Acadie et de la ville de Port-Royal, il serait ais� � la France
tout au contraire de d�truire enti�rement Boston et les autres
�tablissements anglais. |
L'intendant de Meulles, � l'exemple du gouverneur Frontenac, comprenait
l'importance strat�gique de l'Acadie pour la Nouvelle-France et le Canada:
l'Acadie permettait l'ouverture du Saint-Laurent vers l'Atlantique et servait
d'avant-poste offensif pour la Nouvelle-Angleterre. Cependant, jamais les
ministres et les gouverneurs fran�ais n'ont pu mettre en �uvre les moyens (route
entre Qu�bec et Pentagouet, augmentation de la population, postes militaires,
etc.) qu'il aurait fallu pour int�grer l'Acadie en Nouvelle-France. L'Acadie est
toujours demeur�e trop petite en terme de d�mographie: elle ne comptait que 885 habitants en 1686.
C'�tait un embryon de colonie, avec un territoire immens�ment vide. En plus, les
agglom�rations �taient dispers�es, les maisons elles-m�mes se trouvant souvent �
de grandes distances les unes des autres. Que restait-il
comme moyen avec une si pauvre d�mographie trou�e de grands vides, et ce, sans appui massif
d'outre-mer?
6.1 Les raids et les repr�sailles
Les gouverneurs de la Nouvelle-France, dont le comte de Frontenac fut le parfait
repr�sentant, en vinrent � consid�rer que le seul moyen de conserver la mainmise fran�aise sur l'Acadie,
c'�tait d'entretenir les autochtones dans leur haine contre les Anglais en les
incitant � perp�tuer des attaques � on parlerait aujourd'hui d'�actes
terroristes� � contre la Nouvelle-Angleterre. � partir de Qu�bec, afin
d'entretenir
le feu sacr�, le gouverneur incitait ses alli�s iroquois � attaquer les villages de leurs
fr�res de sang de l'autre c�t� de la fronti�re, pour ensuite se livrer � des
raids et � des actes de pillage contre les colons anglais, sans que ces
territoires ne soient
suivis d'une quelconque occupation. Au point de vue tactique, c'�tait
l'arme du plus faible! Comme il �tait impossible pour la France d'attaquer en
force la Nouvelle-Angleterre, il restait le harc�lement perp�tuel. Mais les
paisibles colons acadiens allaient aussi en subir les contrecoups.
Les
Britanniques avaient pour eux la force en temps de guerre et la puissance
commerciale en temps de paix. L'Acadie n'avait rien de tout cela! Les Britanniques ont
souvent attribu� � tort ces raids � des initiatives acadiennes. C'est pourquoi
ils accumul�rent contre l'Acadie de l'animosit� et de la haine. Il est vrai que
des
Acadiens ont particip� � ce genre d'attaques, mais celles-ci provenaient surtout
des Canadiens ou des gouverneurs fran�ais. Selon les historiens, il s'agit l� de
l'une des causes qui allaient entra�ner la d�portation des Acadiens et, par voie
de cons�quence, la chute de la Nouvelle-France.
Confront�s � deux empires coloniaux, les Acadiens se sont rendu
compte qu'ils demeuraient impuissants � contr�ler leur avenir. Tout se d�cidait
� Versailles, � Londres, � Qu�bec ou � Boston. C'est l'interpr�tation que
faisait de cette situation sir Adams George Archibald (1814-1893) devant la Nova Scotia
Historical Society ("Soci�t� historique de la Nouvelle-�cosse") en 1886,
l'ann�e au cours de laquelle il fut �lu � la pr�sidence de l'organisme. Pour
lui, les vrais responsables de la trag�die des Acadiens ont �t� les gouverneurs
fran�ais de la Nouvelle-France qui ont manipul� les Acadiens:
The
true authors of the tragic event, were the French Governors at
Quebec and Louisbourg, and their agents, lay and clerical, in the
Province. They created the necessity, the British only met it.
They played with cruel skill
on the ignorance, credulity and superstition, as well as on the
generous affections, of the poor Acadians, and if that followed,
which could not but follow, under such circumstances, surely they
ought to bear the blame whose intrigues and instigations brought
about a natural and inevitable result. The Acadians may therefore
say with truth, that if they suffered calamity beyond the common lot
of humanity, they owe it to men of their own race and creed-pretended
friends, but real enemies. |
[Les
vrais responsables de ce tragique �v�nement �taient les gouverneurs
fran�ais de Qu�bec et de Louisbourg, ainsi que leurs agents,
la�cs comme religieux,
dans la colonie.
Ils ont utilis� la force �
laquelle ont r�agi les Britanniques.
Ils ont jou� avec une cruelle
habilet� sur l'ignorance, la cr�dulit� et la superstition, ainsi que
sur les
sentiments g�n�reux des pauvres Acadiens et, si ceux-ci ont suivi
parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement dans les
circonstances, les responsables doivent certainement en porter le bl�me,
car les intrigues et les incitations ont entra�n� cette cons�quence
normale et in�vitable. On peut affirmer en v�rit� que, si les
Acadiens ont �t� victimes d'un malheur au-del� du lot commun de
l'humanit�, ils le doivent aux hommes de leur propre race et � leur
pr�tendus amis, qui �taient de r�els ennemis.] |
�videmment, sir
Archibald
oublie que certains Anglais fanatis�s, tel William Shirley, le
gouverneur du Massachusetts, ont largement contribu� � d�t�riorer la situation.
Les extr�mistes existaient aussi en Nouvelle-Angleterre, particuli�rement chez
les pasteurs protestants. Il est vrai cependant que les exactions commises �
l'initiative de certains gouverneurs fran�ais de Qu�bec contre les colonies de
la Nouvelle-Angleterre ont attis� la col�re des Britanniques et suscit� de
terribles repr�sailles. Un historien canadien-anglais du Nouveau-Brunswick, John
Clarence Webster, auteur de Acadia at the End of the Seventeenth Century
(1934), en arrive aux m�mes conclusions:
These people
loved their homes and their life in Acadia. They learned too late
that they had been mere pawns in the game of high politics directed
from Quebec. Many of them had been cajoled and terrorized, mainly
through the machinations of priests like Le Loutre, to sacrifice
their homes and possessions for the nebulous promises of the French
authorities, which were never realized, and which only precipitated
the entire Acadian people into a morass of prolonged sorrows and
miseries. |
[Ces gens, qui
aimaient leurs foyers et leur vie en Acadie, ont appris trop tard
qu'ils avaient �t� de simples pions dans le jeu de la haute
politique dirig�e � partir de Qu�bec. Beaucoup d'entre eux ont �t� tromp�s et
ont v�cu sous la menace, principalement en raison des machinations de pr�tres
comme Le Loutre, au point de sacrifier leurs maisons et leurs biens
contre les promesses n�buleuses des autorit�s fran�aises, qui n'ont
jamais �t� respect�es et qui ont seulement pr�cipit� tout le peuple
acadien dans un bourbier de douleurs et de mis�res prolong�es.] |
Or, le sang appelle le sang; la vengeance invite � la vengeance; les repr�sailles
attirent d'autres repr�sailles. Lorsque, en 1696, d'Iberville reprit la baie
d'Hudson et toute l'�le de Terre-Neuve, et d�truisit le fort anglais de Pemaquid pr�s de
Pentagouet, les Bostonnais se veng�rent aussit�t sur Beaubassin en br�lant les
maisons des Acadiens, en d�truisant leurs r�coltes et en tuant leurs bestiaux.
Ce n'est pas un hasard si les Britanniques frappaient l'Acadie en guise de
repr�sailles : c'�tait la colonie la plus faible de toute la Nouvelle-France. Le tableau qui suit permet d'�tablir des comparaisons entre
les populations du Canada, de l'Acadie et de la Nouvelle-Angleterre.
Ann�e |
Canada |
Acadie |
Nouvelle-Angleterre |
1608 |
28 |
10 |
100 |
1640 |
220 |
200 |
28 000 |
1680 |
9 700 |
800 |
155 000 |
1710 |
16 000 |
1
700 |
357 000 |
1750 |
55 000 |
8
000 |
1
200 000 |
En 1710, � la veille de la cession de l'Acadie p�ninsulaire (1713), la colonie
acadienne de 1700 �mes ne pesait pas lourd face au quelque 357 000 habitants de la
Nouvelle-Angleterre. Quant � la
France,
elle manifestait peu d'int�r�t au peuplement et � la d�fense de sa colonie, une situation qui se perp�tua durant tout le XVIIe
si�cle. Ainsi, le gouverneur
Joseph Robinau de Villebon
(1691 � 1700
)
se plaignait au ministre des Colonies, le
comte de Maurepas, que l'Acadie
manquait de troupes (� peine 70 soldats), de vivres et de munitions pour
repousser toute �ventuelle attaque anglaise. En 1705, il y aura 185 soldats, dont 52
malades, pour couvrir un immense territoire. Au plus fort de la guerre, en 1710,
l'Acadie disposera de 300 soldats, contre 3500 pour les forces britanniques, soit
un contre 12.
6.2 Une lutte
sans merci
En
1690, l'Acadie avait �t� � nouveau conquise, cette fois par
William Phipps qui ne l'occupa gu�re, puis elle fut retourn�e � la France en 1697 lors
du trait� de Ryswick. Rappelons-le, Port-Royal et Beaubassin avaient �t� ravag�s
en 1696. En Nouvelle-Angleterre, Pemaquid avait �t� ras� par les Fran�ais et des attaques
franco-am�rindiennes avaient d�vast� plusieurs centres de peuplement anglais. Le
gouverneur g�n�ral, Philippe de
Rigaud de Vaudreuil, voulait rendre irr�versible la haine entre les
Indiens et les Britanniques. La situation attira des corsaires fran�ais dans
la r�gion. Dans la seule ann�e 1709, ces corsaires saisirent plus de 35
navires anglais et firent au moins 400 prisonniers. Cette Acadie �tait pour
les colons de la Nouvelle-Angleterre le tremplin des corsaires et des
effroyables Ab�naquis. C'est pourquoi la plupart des attaques britanniques
contre l'Acadie furent d�cid�es par les coloniaux qui firent pression aupr�s de Londres. Les
assauts successifs, les pillages et le blocus �conomique organis� par la
colonie du Massachusetts finirent par entraver s�rieusement le d�veloppement de
l'Acadie. On assista alors � une d�gradation continuelle des conditions de
vie des Acadiens. Comme d'habitude, Versailles intervint tr�s peu, car la situation
militaire en Europe restait inqui�tante.
L'Acadie �tait entra�n�e dans un combat sans merci entre deux
imp�rialismes; elle constituait le fer de lance qui mena�ait toujours d'enfoncer
les positions britanniques du littoral atlantique. �videment, ce n'�taient pas
les 1700 colons acadiens qui devenaient mena�ants pour les Britanniques, mais l'empire fran�ais
qui, gr�ce aux moyens dont disposait le gouverneur de la Nouvelle-France aupr�s
des Am�rindiens �
Qu�bec, pouvait contr�ler l'Acadie comme il le d�sirait.
M�me si le gouverneur de
l'Acadie avait voulu absolument vivre en paix avec la Nouvelle-Angleterre,
ce n'est pas lui qui d�cidait du d�clenchement des hostilit�s. Le gouverneur
de la Nouvelle-France avait les pleins pouvoirs en ce domaine. G�n�ralement,
celui-ci s'appuyait sur ses alli�s ab�naquis de l'Acadie pour couvrir d'�pouvante les
populations frontali�res des colons de la Nouvelle-Angleterre. �Il semblait, �crit un
historien n�o-angleterrien, qu'� la port�e de chaque maison un Sauvage cach�
�piait sa proie� (cit� par Robert Rumilly).
Sans les Ab�naquis, l'Acadie n'aurait pu survivre longtemps. Non seulement
la colonie ne fut plus ravitaill�e par la France � partir de 1706, mais le
seul palliatif r�sidait dans le pillage des vaisseaux britanniques. Par voie de cons�quence, les Britanniques en
�taient venus �
consid�rer que leur s�curit� r�sidait dans l'offensive: l'Acadie devait �tre
prise et colonis�e par eux, et non plus par les Fran�ais. Les
Am�rindiens, surtout les Ab�naquis, deviendraient alors moins dangereux.
Ainsi, pendant qu'on mangeait � Port-Royal, on ne dig�rait plus � Boston.
Port-Royal fut attaqu�
en 1704, deux fois en 1707 et de nouveau en 1710, ce qui, cette fois-l�, sonna le glas de
l'Acadie fran�aise. Londres avait accord� cinq vaisseaux de guerre et des
troupes au Massachusetts. Lorsque la petite armada britannique se pr�senta devant
Port-Royal, le 12 octobre 1710, le gouverneur de l'Acadie,
Daniel d'Auger de Subercase,
n'ayant � sa disposition que 150 soldats, dut capituler face aux 3500 soldats
britanniques stimul�s par des pasteurs fanatis�s et antipapistes. Le lendemain,
Port-Royal �tait nomm�e Annapolis en l'honneur d'Anne Stuart, reine
d'Angleterre et d'�cosse depuis 1702. L'article 5 de
la reddition accept�e par la capitaine Francis Nicholson concernait la
population acadienne:
Article 5
Les habitants, � une port�e de canon
du fort, auront le droit de conserver leurs biens, en pr�tant
serment d'all�geance � Sa Majest� britannique; s'ils s'y refusent,
ils auront deux ans pour vendre leurs propri�t�s et se retirer
ailleurs. |
Cette question du serment d'all�geance ne faisait que commencer.
Elle prendra quarante-cinq ans � se r�gler et ce sera par la d�portation des
Acadiens. Les Britanniques occup�rent l'Acadie d�s le 13 octobre 1710.
La garnison fran�aise, les officiers civils et quelques familles, formant un peu
plus de 250 personnes, s'embarqu�rent pour la France sur trois navires; ils
arriv�rent � Nantes le ler
d�cembre 1710.
L'ex-gouverneur Subercase,
accus� de n�gligence par quelques officiers, bl�m� par le gouverneur g�n�ral de
la Nouvelle-France, Philippe de Rigaud de
Vaudreuil
�pour la facilit� avec laquelle la ville s'est rendue�
(Vaudreuil au ministre, 25 avril 1711), et le
ministre Pontchartrain, fut traduit
en conseil de guerre � Rochefort, mais rapidement acquitt�.
De son c�t�, le capitaine Nicholson avait aussit�t
d�baptis� Port-Royal en Annapolis Royal, en l'honneur de la reine
Anne Stuart, reine d'Angleterre, d'�cosse et d'Irlande. Avant de rentrer � Boston, Francis Nicholson transmit le commandement de la
colonie au colonel Samuel Vetch qui devait parcourir le pays en despote hant�
par la frayeur d'un soul�vement de masse. Il imposa des contributions de guerre,
exigea le serment d'all�geance et incendia les fermes de ceux qui manifestaient
la moindre r�sistance. Quant au gouverneur de la Nouvelle-France,
Philippe Rigaud de Vaudreuil, il
fut averti que le colonel Vetch se vengerait sur les Acadiens s'il
intervenait. Vaudreuil fit en sorte de maintenir les Ab�naquis dans l'alliance
fran�aise afin de saper le moral des Britanniques et d'entretenir les Acadiens
�dans la fid�lit� qu'ils doivent au roi de France�. Au d�but de 1711, le
ministre Pontchartrain, tardivement convaincu de l'importance de l'Acadie,
�baucha de vagues projets pour reprendre Port-Royal. � cette fin, il voulut
envoyer de Subercase servir � Qu�bec sous les ordres de Vaudreuil, mais
l'ex-gouverneur refusa. Apr�s 1713 (trait�
d'Utrecht), Francis Nicholson servit comme gouverneur de la Nouvelle-�cosse,
puis de Terre-Neuve et devint le premier gouverneur royal de Caroline du Sud.
Depuis sa fondation
en 1604, l'Acadie avait chang� d'all�geance pas moins de huit
fois (en un si�cle):
P�riode |
Nombre d'ann�es |
R�gime |
1604-1613 |
9 |
France |
1613-1632 |
19 |
Grande-Bretagne |
1632-1654 |
22 |
France |
1654-1667 |
13 |
Grande-Bretagne |
1667-1690 |
23 |
France |
1690-1697 |
7 |
Grande-Bretagne |
1697-1710 |
13 |
France |
1710-1713 |
3 |
Grande-Bretagne |
Entre 1604 et 1713, soit durant cent neuf ann�es, la France
avait administr� l'Acadie pendant soixante-sept ans (61 %); la Grande-Bretagne,
quarante-deux ans (39 %). La
colonie de l'Acadie avait �t� tour � tour fran�aise et anglaise, et
avait servi de monnaie d'�change entre la France et la Grande-Bretagne. Ce fut donc un
territoire aux fronti�res constamment contest�es, fluctuant au gr� des attaques
et des trait�s : le trait� de Saint-Germain-en-Laye (1632), le trait� de Breda (1667),
le trait� de Ryswick
(1697) et le trait� d'Utrecht (1713), ce dernier c�dant d�finitivement
la colonie � la
Grande-Bretagne. En somme, la t�nacit� des Britanniques pouvait appara�tre sans �gale dans
le monde. Une d�faite n'avait jamais �t� d�finitive.
Jusqu'en 1710, les Acadiens en �taient venus � croire que
l'occupation anglaise �tait temporaire et cesserait au prochain trait�.
Pour terminer sur l'Acadie de la Nouvelle-�cosse, laissons
au chirurgien Di�reville (Relation du voyage du Port Royal, 1708) qui y
s�journait en 1700, le soin de tracer l'�mouvant bilan de cette Acadie bient�t perdue:
Ne
finissons pas leur Histoire
Sans y mette un beau trait de leur fidelit�.
Cent fois la Nouvelle Angleterre,
La plus voisine de leur terre,
A voulu les so�mettre & ranger sous sa loy;
Ils ont pl�t�t souffert tous les maux de la guerre,
Que de vouloir quitter le parti de leur Roy.
De tous leurs Bestiaux le carnage,
De leurs maisons le br�lement,
Et de leurs meubles le pillage,
C'�toit des
Ennemis le commun traitement. |
Dans quel temps
marquoient-ils avoir tant de constance?
Dans le temps m�me que la France
Ne pouvoit pas les soulager,
Et qu'on leur promettoit une enti�re assistance,
S'ils avoient bien voulu changer.
Ils ne se laissoient point aller � cette amorce,
Ils ne vouloient point �tre Anglois,
Et de tout leur courage ils d�fendoient leurs droits ;
Contraints de c�der � la force,
Tous vaincus qu'ils �toient, ils demeuroient Fran�ois. |
Vaincus mais fran�ais, les Acadiens le vivront et le
prouveront, un demi-si�cle plus tard, lors de la D�portation!
Au moment de la signature du trait� d'Utrecht
de 1713,
la France
perdait le c�ur
historique de l'Acadie, l� o� r�sidaient la plupart des Acadiens. Malgr� les
pressions exerc�es par la France
pour les d�placer vers les territoires rest�s fran�ais, par exemple l'Acadie
continentale ou l'Acadie �de la terre ferme�, sinon l'�le Saint-Jean ou l'�le
Royale, les r�sultats furent �
peu pr�s nuls. Les Acadiens pr�f�r�rent demeurer en Nouvelle-�cosse, sous r�gime
anglais, parce que leurs terres y �taient nettement sup�rieures. Leur population
en 1714 �tait estim�e � environ 2500 individus.
Les Acadiens
habitaient ce pays depuis plus d'un si�cle. Que s'est-il pass� apr�s 1713
dans la portion de ce qui restait de l'Acadie fran�aise?
Jusqu'alors, l'Acadie continentale n'avait pas beaucoup �t�
colonis�e par les
Fran�ais, sauf sur les abords de la baie Fran�aise (baie de Fundy) et du fleuve Saint-Jean, et
ce territoire constituait une sorte de �terre vierge� en Nouvelle-France entre l'Acadie
p�ninsulaire (Nova Scotia) et le Canada.
7.1 La rupture de l'�quilibre des forces
 |
Au lendemain du trait� d'Utrecht, afin de
modifier l'�quilibre des forces politiques � son avantage, la France avait d�cid� de remplacer sa
colonie de Plaisance qu'elle venait de perdre sur l'�le de Terre-Neuve par la
cr�ation d'une nouvelle colonie, la
colonie de l'�le-Royale, qui comprenait l'�le du Cap-Breton
dor�navant renomm�e �le
Royale, avec Louisbourg comme capitale, ainsi que l'�le Saint-Jean
(aujourd'hui l'�le du Prince-�douard), incluant les petites �les de la Madeleine
dans le golfe Saint-Laurent.
Ainsi, dans cette grande r�gion des Maritimes, la France d�pla�ait son centre
de gravit� de Port-Royal vers Louisbourg, o� on allait construire une grande
forteresse au co�t de 30 millions de livres,
l'Acadie p�ninsulaire, devenue anglaise, ne faisant manifestement plus partie, du moins dans
l'imm�diat, des pr�occupations
de Versailles. � long terme cependant, la France disait vouloir reprendre
l'Acadie � partir de Louisbourg. Par ailleurs, la France n'avait pas oubli�
l'int�r�t strat�gique de l'Acadie comme t�te de pont
entre Louisbourg, le Canada et la Louisiane. |
- L'Acadie
continentale
C'est alors qu'elle
s'�tait retranch�e sur cette Acadie
continentale qu'on appelait �l'Acadie de terre ferme�, zone qui
correspond aujourd'hui au Nouveau-Brunswick. Cette r�gion �tait demeur�e peu
d�velopp�e et encore peu peupl�e; elle abritait surtout des Micmacs et
des Ab�naquis, mais aussi un certain nombre d'Acadiens dispers�s le
long de la rive nord de la baie Fran�aise, ainsi que sur les bords du fleuve Saint-Jean et dans
l'isthme de Chignectou. Il n'y avait que fort peu de Fran�ais
ou
d'Acadiens au nord de l'Acadie continentale. Quant aux fronti�res de l'Ouest, les Fran�ais
soutenaient que la limite de l'Acadie �tait � la rivi�re Kennebec,
les Anglais la ramenaient � la rivi�re Pentagouet (Penobscot, en
anglais) plus �
l'est, parfois m�me � la rivi�re Sainte-Croix, encore plus � l'est.
Au milieu de ces disputes entre Blancs, le pays restait aussi et
avant tout le territoire des Ab�naquis, appel�s aussi les Pentagouets.
Au cours des prochaines d�cennies, les Fran�ais tent�rent de
d�velopper l'Acadie continentale en exer�ant des pressions pour que les
Acadiens viennent peupler la r�gion. De fait, quelque 3000 Acadiens de la
Nouvelle-�cosse finiront par traverser en Acadie fran�aise. Les Fran�ais
se mirent aussi � construire des forts (Beaus�jour,
Gasp�reau, Saint-Jean), afin
de se prot�ger contre les Britanniques, d�limiter leur territoire et
solliciter plus facilement les Acadiens.
Effectivement, alors que l'Acadie continentale �tait auparavant tr�s peu
peupl�e, les Acadiens commenc�rent � y affluer. Avant la prise de Louisbourg
� l'�le Royale,
ils avaient fond� de nombreux villages. Mentionnons Sainte-Anne-des-Pays-Bas
(aujourd'hui Fredericton) pr�s du fleuve Saint-Jean. Puis, sur la c�te est,
G�da�que (Ch�diac),
devant la baie Verte (d�troit de Northumberland); et, plus au nord, Miramichi,
Pointe-�-l'�glise, Tracadie, Shippagan, Nipisiguit, Caraquet.
 |
Pour les Fran�ais, il
�tait capital d'attirer le plus grand nombre possible d'Acadiens vers des
centres de peuplement p�riph�riques. Or, les Britanniques n'avaient pas
int�r�t � laisser se d�velopper ce mouvement migratoire, car celui-ci
contribuait � fortifier la pr�sence fran�aise, d'autant plus que l'�le
Saint-Jean et l'�le du Cap-Breton (�le Royale) �taient
rest�es fran�aises, et que la France pr�tendait toujours � l'Acadie
continentale.
De plus, selon un m�moire de l'intendant
Jean Talon rentr� � Paris, le roi de France comptait renforcer la colonie � Pentagouet (aujourd'hui dans le Maine), la fronti�re la plus � l'ouest de
l'Acadie continentale, et la relier � Qu�bec par terre, distant de seulement
huit ou dix jours de marche, ou par la rivi�re Kennebec et la rivi�re
Chaudi�re. Il ne restait qu'� pr�voir des entrep�ts et des forts jalonnant
le chemin de Qu�bec � la baie Fran�aise. Comme le Canada manquait d'un port
d'hiver, les exportations pourraient se faire par l'Acadie durant les mois
o� le Saint-Laurent �tait gel�. Pr�voyants, les Britanniques s'empar�rent du
fort de Pentagouet, le 17 juillet 1670, soit trois ans apr�s le
trait� de 1767 rendant toute l'Acadie � la France.
|
Les Fran�ais reprirent possession de Pentagouet le 5 ao�t suivant. Il devenait urgent pour les
Britanniques de s'emparer de l'Acadie. Malheureusement pour les habitants,
l'Acadie continentale avait �t� contest�e aussit�t apr�s 1713 par la
Grande-Bretagne qui consid�rait que ce territoire lui appartenait.
L'Acadie fran�aise n'�tait s�par�e de l'Acadie anglaise que par
l'isthme de
Chignectou, entre la baie Fran�aise � l'ouest et la baie Verte � l'est.
- L'�le Royale
Les autorit�s fran�aises firent des efforts
pour inciter les Acadiens � venir s'installer � l'�le Royale, mais peu d'entre
eux finirent par accepter: entre 1713 et 1734, seules 67 familles acadiennes,
sur un total de 500, �migr�rent � l'�le Royale. On peut croire que ces Acadiens
sont ceux qui ont le plus
manifest� leur d�sir de �rester Fran�ais�, mais il est difficile d'�valuer dans
quelle mesure leur d�cision a pu �tre contrainte.
Au
recensement de 1752, la population de l'�le atteignait 3500, dont plus de la
moiti� � Louisbourg m�me. L'�le n'attirait pas beaucoup les Acadiens parce que
la vie agricole y �tait peu d�velopp�e : la p�che constituait l'industrie
principale, alors que la traite des fourrures �tait inexistante. Les Acadiens
�taient avant tout des agriculteurs et des �leveurs, non des p�cheurs ou des
navigateurs.
� partir de 1750, plus d'Acadiens, qui
cherchaient � �viter la tourmente imminente, ont commenc� � affluer � l'�le
Royale, surtout � Port-Toulouse. D'une
centaine en 1749, ils �taient plus de 550 en 1752. Ces Acadiens y ont s�journ�
pendant un certain temps, mais la majorit� serait retourn�e en Acadie ou aurait
travers� � l'�le Saint-Jean. En 1753, il ne restait plus que 200 Acadiens sur
l'�le Royale. La plupart fuiront � l'�le Madame.
Lors du si�ge de Louisbourg en 1758, il restait moins de 100 Acadiens dans la
ville fortifi�e.
- L'�le Saint-Jean
L'�le Saint-Jean faisait partie de la colonie de l'�le-Royale.
L'�le Saint‑Jean passa aux mains des Britanniques en 1726, pour �tre restitu�e
aux Fran�ais en 1730. On d�nombrait alors environ 1000 habitants sur l'�le
Saint-Jean, dont seulement 200 Acadiens. De nombreux �tablissements furent
fond�s un peu partout dans le centre de l'�le:
Trois-Rivi�res, Tracadie, Belair, Anse-aux-Sangliers, La Traverse, Grande-Anse,
Anse-aux Matelots, Anse-du-comte-Saint-Pierre, Anse-�-Pinnet, etc. Le
village de Malpec (Malp�que) fut fond� au nord-ouest. L'immigration fran�aise
s'arr�ta au milieu des ann�es 1730. Dor�navant, seuls des Acadiens allaient
venir peupler l'�le consid�r�e alors comme une annexe agricole ou le �grenier�
de Louisbourg. En 1735, quelque 37 % de la population �tait d'origine acadienne,
les autres habitants �taient des Fran�ais ou des Basques. Le recensement de 1755
r�v�lait une population de 2969 habitants, dont 2000 Acadiens qui s'�taient
r�fugi�s � l'�le Saint-Jean en raison de la d�portation annonc�e par les
Britanniques en Nouvelle-�cosse.
7.2 Des fronti�res impr�cises
� la signature du trait� d'Utrecht
de 1713, les Fran�ais avaient insist� pour que l'Acadie
continentale ne f�t pas incluse dans la Nouvelle-�cosse, mais le texte du trait�
n'�tait pas tr�s clair sur les fronti�res, notamment sur ce que signifiaient �les anciennes
limites�. En r�alit�, Fran�ais et Anglais ignoraient la d�limitation de ces
fronti�res. L'article 12 du trait� demeura ambigu, de sorte que les
fronti�res de l'Acadie
continentale furent contest�es de part et d'autre... durant quarante ans.
Article 12
Le Roy T.C. fera
remettre � la Reine de la G.B. le jour de l'�change des
ratifications du pr�sent trait� de paix, des lettres et actes
authentiques qui feront foi de la cession faite � perp�tuit� � la
Reine et � la couronne de la G.B. de l'isle de Saint-Christophe que
les sujets de Sa Majest� B. d�sormais poss�deront seuls,
de la
nouvelle Ecosse autrement dite Acadie, en son entier conform�ment �
ses anciennes limites, comme aussi de la ville de Port-Royal,
maintenant appel�e Annapolis-Royale, et g�n�ralement de tout ce
qui d�pend desdites terres et isles de ce pa�s l�, avec la
souverainet�, propri�t�, possession et tous droits acquis par
traitez ou autrement que le Roi T.C., la couronne de France ou ses
sujets quelconques ont eus jusqu'� pr�sent sur lesdits isles,
terres, lieux et leurs habitants, ainsi que le Roi T.C. c�de et
transporte le tout � ladite Reine et � la couronne de la G.B., et
cela d'une mani�re et d'une forme si ample qu'il ne sera pas permis
� l'avenir aux sujets du Roy T.C. d'exercer la p�che dans lesdites
mers, bayes, et autres endroits � trente lieues pr�s des costes de
la nouvelle Ecosse, au Sud-Est en commen�ant par l'isle appel�e
vulgairement de Sable inclusivement et en tirant au Sud-Ouest.
|
La France interpr�ta l'article 12 du trait�
d'Utrecht de fa�on � minimiser les gains territoriaux de la Grande-Bretagne. D�s
le mois de juin 1713, le ministre de la Marine, le
comte de Pontchartrain, ordonna,
dans une lettre du 28 juin 1713 adress�e au gouverneur g�n�ral, Philippe de Rigaud de
Vaudreuil (p�re) et � l'intendant B�gon, de trouver des cartes et des
documents officiels qui t�moignent d'une d�limitation r�duite des fronti�res de
l'Acadie. L'automne suivant, l'intendant B�gon fournit � Pontchartrain
l'interpr�tation qu'il attendait:
Les Anglois de
la Nouvelle-Angleterre pr�tendent outre la presqu'�le connue de tout
temps sous le nom d'Acadie, l'�tendu de terre qui se trouve depuis
Beaubassin jusqu'� Kask�b� [Casco, colonie du Massachusetts]. Que
leur pr�tention est insoutenable, cette terre n'ayant jamais �t�
l'Acadie, comme il paro�t dans les cartes anciennes tant angloises
que hollandoises ou fran�oises sur lesquelles le nom d'Acadie est
marqu� sur la p�ninsule. Que l'�tendue de terre qui est depuis
Beaubassin jusqu'� la rivi�re St-Georges [rivi�re Kennebec] fait de
tout tems partie du continent de la Nouvelle-France. (Lettre de B�gon � Pontchartrain, Qu�bec, 15 novembre 1713). |
Ainsi, pour l'intendant B�gon, les anciennes
limites de l'Acadie correspondaient � l'Acadie p�ninsulaire, soit la
Nouvelle-�cosse. Par cons�quent, le territoire au nord de l'isthme de Chignecto
rel�verait de la juridiction de la Nouvelle-France, c'est-�-dire de
l'administration du gouverneur g�n�ral de Qu�bec. Pour sa part,
Clerbaud Bergier, un marchand huguenot de La Rochelle, qui avait obtenu une
concession pour la p�che sur les c�tes acadiens,
puis nomm� en 1684 lieutenant du roi en Acadie, d�crivait
dans un m�moire la r�gion comme �tant un territoire
qui s'�tendait de l'�le de Perc� jusqu'� la rivi�re Kennebec. Bref, pour la
France, l'Acadie initiale comprenait la Nouvelle-�cosse
et ce qui constitue aujourd'hui le Nouveau-Brunswick et la Gasp�sie.
Toutefois,
pour la Grande-Bretagne, ce m�me territoire lui revenait.
En effet, les Anglais consid�raient qu'en 1621 Jacques VI d'�cosse avait conc�d�
un fief � William Alexander (v. 1570-1640), qui voulait fonder une nouvelle
�cosse en Am�rique. Ce fief englobait alors les territoires actuels de la
Gasp�sie, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-�cosse (incluant l'�le du Cap-Breton),
l'�le du Prince-�douard et les �les de la Madeleine (voir
la carte). Pour les Fran�ais, la Grande-Bretagne ne poss�dait
rien, car ils ne reconnaissaient pas la Charte royale de 1621, qui avait �t�
annul�e par le trait� de Breda de
1667, lequel accordait l'enti�re souverainet� de la France � toute l'Acadie.
�videmment,
les Fran�ais
conc�daient les dispositions pr�vues au trait� d'Utrecht de 1713, c'est-�-dire
Port-Royal et la Nouvelle-�cosse p�ninsulaire, ainsi que l'�le de Sable au sud-ouest.
Par cons�quent, tout le reste de l'ancien fief de William Alexander redevenait une possession
fran�aise. En r�alit�, les deux puissances
europ�ennes continu�rent d'organiser leurs politiques coloniales en fonction de
leurs propres revendications territoriales.
La France
et la Grande-Bretagne form�rent en 1750 une commission mixte pour fixer les
fronti�res. Le marquis Roland-Michel
Barrin de La Galissonni�re, alors commissaire du roi et
chef d'escadre, et �tienne de Silhouette,
contr�leur g�n�ral des Finances, faisaient
partie de la d�l�gation fran�aise; William Shirley, gouverneur du Massachusetts, et William Mildmay,
diplomate anglais,
repr�sentaient la d�l�gation britannique. Pour les Britanniques, toute la r�gion du
fleuve Saint-Jean comprise entre Canseau (Canso) et Gasp� �tait un territoire anglais, ce
qui semblait nettement exag�r� pour les Fran�ais. En effet, c'�tait couper toute
communication par terre avec le Canada et l'�le Royale (Louisbourg). De plus, la
Grande-Bretagne soutint m�me que le fleuve Saint-Laurent constituait la ligne
de d�marcation la plus naturelle et la plus juste entre les possessions des deux
royaumes. De quoi faire bondir l'ancien gouverneur
Frontenac de sa tombe! Pendant ce
temps, les autorit�s coloniales de la Nouvelle-France durent se tourner vers
leurs alli�s ab�naquis, mal�cites et micmacs, qui occupaient d�j� le territoire
convoit� par les deux puissances europ�ennes, et s'engager � soutenir
militairement ces nations pour qu'elles s'opposent � la colonisation
britannique. La France fit valoir que le territoire situ� au nord de l'Acadie
p�ninsulaire (la Nova Scotia) ne pouvait devenir une possession anglaise,
puisqu'il avait toujours appartenu aux Ab�naquis, aux Mal�cites et aux Micmacs.
Afin de respecter le
trait� d'Utrecht, la
France ne pouvait officiellement envoyer des soldats pour soutenir ses alli�s
am�rindiens. C'est pourquoi, � partir de 1722, elle finan�a une v�ritable
gu�rilla en faisant parvenir une aide annuelle de 2000 livres fran�aises aux Ab�naquis, un montant qui fut doubl� trois ans plus tard. C'est dans un tel
contexte qu'�clata une guerre entre Britanniques et Ab�naquis, apr�s une succession de raids am�rindiens dans les campagnes
de la Nouvelle-Angleterre, suivis de contre-attaques britanniques dans les
villages indiens. Quant aux Micmac et aux Mal�cites, ils attaqu�rent
intensivement les �tablissements britanniques de la Nova Scotia. Les
missionnaires fran�ais servirent d'interpr�tes entre les autorit�s coloniales et
les chefs am�rindiens; l'abb� Pierre-Antoine Maillard, l'abb� Jean-Louis Le Loutre et le
sulpicien Fran�ois Picquet furent les missionnaires fran�ais qui se sont le plus
illustr�s. Toute cette strat�gie �tait une fa�on pour la France de maintenir sa
pr�sence en Acadie, tout en minimisant les co�ts strat�giques du trait�
d'Utrecht... en attendant de reprendre l'Acadie p�ninsulaire (la Nova Scotia).
De fait, les autorit�s fran�aises avaient tout int�r�t � ce que leurs alli�s
am�rindiens occupent les zones territoriales dont la souverainet� fran�aise
�tait revendiqu�e par la Grande-Bretagne.
Les n�gociations
franco-britanniques sur les fronti�res de l'Acadie perdur�rent d�lib�r�ment sans grands r�sultats jusqu'en 1755 � Paris. En
d�cembre 1750,
dans son M�moire sur les colonies de la France dans l'Am�rique septentrionale,
La Galissoni�re avait signal� l'inqui�tude que
causaient les Britanniques en Am�rique
du Nord :
Tandis que la paix paroit avoir comme assoupi la jalousie des
Anglois en Europe, elle �clate dans toute sa force en Am�rique; et
si on n'y oppose d�s apresent des barri�res capables d'en arr�ter
les effets, cette Nation se mettra en �tat d'envahir enti�rement les
Colonies fran�oises au commencement de la premiere guerre. |
En cons�quence, les deux empires se
pr�par�rent � une nouvelle guerre. Pendant ce temps, quelque 500 colons
britanniques devaient cohabiter avec plus de 10 000 Acadiens en
Nouvelle-�cosse (la Nova Scotia).
7.3 La pr�paration �
la guerre
Le M�moire sur les colonies de
la France dans l'Am�rique septentrionale de d�cembre 1750 pr�sentait les �raisons
essentielles et capitales� de veiller avec soin � la conservation, � la
consolidation et � l'expansion de la colonie de l'Acadie, s'appuyant sur le
principe de la colonisation syst�matique: �On
doit se d�terminer � envoyer beaucoup de monde � la Nouvelle-France, afin de
mettre ceux qui en ont l'administration en �tat de travailler en m�me temps aux diff�rents �tablissements propos�s.�
La Galissoni�re insistait
par la m�me occasion sur l'importance
strat�gique de conserver l'Acadie.
 |
Le gouverneur d�cida unilat�ralement que la
France poss�dait tout l'isthme de Chignectou reliant la Nouvelle-�cosse �
l'Acadie fran�aise, ainsi
que toute la baie Fran�aise (baie de Fundy). En 1750, les Fran�ais
avaient m�me incendi� le village de Beaubassin, situ� en Nouvelle-�cosse,
afin de forcer les Acadiens � d�m�nager du c�t� fran�ais.
D'autres villages furent aussi incendi�s sous l'initiative de l'abb�
Le Loutre, l'objectif �tant le suivant: si leurs villages �taient
d�truits, les Acadiens seraient forc�s de quitter les lieux o� ils
vivaient parmi les Anglais pour aller s'�tablir dans des territoires
fran�ais.
Puis le gouverneur de la
Nouvelle-France, le marquis de La
Jonqui�re, fit �riger sur la fronti�re ainsi trac�e les forts Beaus�jour
et Gasp�reau. De l'autre c�t� de la fronti�re, les Britanniques avaient construit le
fort Lawrence. Lorsque ces derniers prirent le fort Beaus�jour le 16 juin 1755, ils le renomm�rent "Fort Cumberland",
apr�s avoir incendi� le fort Lawrence pour �viter toute occupation
ult�rieure par les troupes fran�aises. D�s lors, la population de
l'Acadie continentale �tait livr�e sans d�fense aux troupes
britanniques qui s'appropri�rent le territoire en conqu�rants. |
Entretemps, certains Acadiens s'�taient enfuis vers le territoire de
l'Acadie continentale et, � partir de cette r�gion, poursuivaient avec l'aide
des Am�rindiens une gu�rilla
sans rel�che dans les zones britanniques. Cette gu�rilla fut importante, puisque
de nombreuses troupes britanniques parurent n�cessaires pour garder les
fronti�res � l'ouest de la Nouvelle-�cosse, avec un succ�s bien mitig�. M�me la
capitulation de l'arm�e fran�aise, en septembre 1760, n'�branla pas apparemment
les partisans acadiens qui ne voulaient pas se rendre aux Britanniques.
Finalement, ce sont des officiers fran�ais qui convainquirent ces Acadiens de
d�poser les armes et de respecter la capitulation. �videmment, ces Acadiens ne
se pr�tendaient plus des �Fran�ais neutres�.
Le trait� d'Utrecht de 1713 c�dait � la Grande-Bretagne
bien plus
que l'Acadie. En effet, la Nouvelle-France perdait trois de ses colonies:
Plaisance (la
colonie de Terre-Neuve) avec l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon,
la Baie-d'Hudson (moins la baie James) et
l'Acadie p�ninsulaire (voir
la carte de la Nouvelle-France apr�s le trait� d'Utrecht).
Il restait � la France la Louisiane, le
Canada avec les �Pays d'en haut� (Ontario actuel), puis l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard), les
petites �les de la Madeleine et
l'�le du Cap-Breton, ainsi que l'Acadie continentale, qui sera toujours
contest�e par les Britanniques. Soulignons aussi que le
Canada �tait dor�navant born� par des colonies anglaises: au nord par la Baie-d'Hudson, � l'est par
Terre-Neuve et au sud-est par la Nouvelle-�cosse. Le vieux roi qu'�tait devenu
Louis XIV
(il avait 75 ans en 1713) avait pr�f�r� perdre l'Acadie, la Baie-d'Hudson et la
colonie de Plaisance,
mettre l'Europe � feu et � sang durant sept ans, et endetter la France durant des
g�n�rations, afin de permettre � son petit-fils de monter sur le tr�ne d'Espagne.
C'�tait le si�cle de l'absolutisme royal, les populations du royaume n'ayant aucun pouvoir
sur les d�cisions de leur monarque. Pour les monarques, les peuples n'existaient
pas: les pays ne repr�sentaient qu'un jeu de cartes � �changer contre d'autres.
Les gens qui habitaient ces pays, avec leurs morts, leurs souffrances et leurs
malheurs, n'entraient gu�re en ligne de compte.
En obtenant le territoire de l'Acadie p�ninsulaire, la Grande-Bretagne
h�ritait aussi de sa population acadienne. D�s lors, la plupart des Acadiens durent apprendre � vivre en territoire anglais
� l'Acadie anglaise pour les Fran�ais, la Nova Scotia pour les Britanniques � en
tant que �sujets de Sa Majest� britannique. Mais ils avaient en m�me temps �t� autoris�s par la
reine Anne Stuart d'Angleterre (6 f�vrier 1665 � 1er ao�t 1714) � quitter la colonie sans conditions.
Puis George Ier succ�da � la reine Anne. Le
nouveau roi, �galement duc de Brunswick-Lunebourg (Hanovre) et prince-�lecteur
du Saint-Empire romain germanique � partir de 1698, avait l'allemand comme
langue maternelle et le fran�ais comme langue seconde. Non seulement il
pr�f�rait r�sider en Allemagne, mais il ne comprit jamais l'anglais et laissa
les politiciens britanniques s'occuper des affaires de son royaume.
De
son c�t�, la France tenta d'attirer les Acadiens vers la
colonie de l'�le-Royale (Louisbourg), le nouveau centre
�conomique qui rempla�ait Plaisance (Terre-Neuve), et qui comprenait l'�le Saint-Jean,
laquelle devait servir de
colonie agricole pour la forteresse de Louisbourg. L'entreprise de transfert de
la population connut tr�s peu de succ�s, car
la plupart des Acadiens d�cid�rent de demeurer en Nouvelle-�cosse, les
conditions de vie �tant jug�es plus difficiles dans les deux �les, fussent-elles
fran�aises. Ils ne
voulaient pas des terres rocailleuses de l'�le Royale (Cap-Breton) et pr�f�raient leurs
terres fertiles de la Nouvelle-�cosse. De plus, ils ne trouvaient pas dans ces �les les marais qui �taient essentiels � leur
syst�me agricole. De toute fa�on, les Acadiens se consid�raient chez eux,
car presque toute l'arm�e de la Nouvelle-Angleterre �tait repartie; il ne
restait que 200 hommes de l'infanterie et 250 volontaires coloniaux. Samuel Vetch
(1668-1732) assumait le commandement d'Annapolis Royal (le nouveau nom de Port-Royal) au
milieu d'une population fran�aise relativement hostile. En fait, la plupart des
Acadiens continu�rent d'appeler Annapolis Royal par son ancien nom de
Port-Royal. Pour eux, rien n'avait vraiment chang�.
8.1 L'organisation de la colonie
De 1713 � 1720, la Nouvelle-�cosse connut un r�gime militaire.
Un conseil de douze membres, pour la plupart des militaires,
exer�ait les pouvoirs l�gislatifs, alors qu'une General Court
administrait la justice. On introduisit le syst�me mon�taire de la
colonie du Massachusetts, ce qui facilitait les �changes entre les
deux colonies.
Gouverneurs de la
Nouvelle-�cosse |
Lieutenants-gouverneurs |
1657-1670 : Thomas Temple |
1711-1717 : Thomas Caulfield |
1710-1715 : Samuel Vetch
|
1724-1739 : Lawrence Armstrong |
1717-1740 : Richard Philipps |
1756-1761
: Robert Monckton |
1740-1749 : Paul Mascar�ne |
1763-1766 : Montague Wilmot |
1749-1752 : Edward Cornwallis |
1766-1776 : Michael Francklyn |
1752-1756 :
Peregrine Thomas
Hopson |
1780-1782 : Andrew Snape Hamond |
1756-1760 : Charles Lawrence |
- |
|
En 1720, la
Grande-Bretagne accorda un gouvernement civil avec un gouverneur comme
repr�sentant officiel du roi. Comme peu de gouverneurs accept�rent de s�journer
dans la colonie, ce sont des lieutenants-gouverneurs qui administr�rent la
Nouvelle-�cosse. � l'exemple des autres colonies britanniques, le
gouvernement colonial avait les pleins pouvoirs. C'�tait un Ex�cutif
qui disposait d'un droit de v�to sur tout. Mais, � la diff�rence des
autres colonies britanniques, la Nouvelle-�cosse ne jouissait pas
d'une assembl�e l�gislative de peur que les Acadiens, la population
majoritaire, puisse contr�ler son fonctionnement.
|
L'Administration britannique de l'�poque �tait beaucoup plus pr�occup�e de
faire des Acadiens de �bons sujets britanniques� que de former un gouvernement
d�mocratique. Quoi qu'il en soit, les assembl�es l�gislatives des autres colonies ne
b�n�ficiaient pas des pouvoirs qu'elles auraient bien souhait�s. Ce sont des d�l�gu�s qui
votaient les lois, mais le gouverneur ou le lieutenant-gouverneur disposait
d'un droit de v�to: il pouvait d�sapprouver les lois. De plus, c'�tait la premi�re fois que la Couronne anglaise de religion anglicane administrait un
territoire catholique. C'est pourquoi elle exigeait un serment d'all�geance. Cette
question du serment d'all�geance allait devenir une v�ritable �pine aux pieds
autant des
administrateurs britanniques que des Acadiens.
Pendant ce temps, les Acadiens continu�rent en Nouvelle-�cosse de parler la
langue de leurs anc�tres. Ils s'exprimaient en g�n�ral dans un fran�ais populaire
rest� proche des parlers r�gionaux de France. Ils ne parlaient plus le poitevin
et �taient devenus familiers avec le �fran�ais du roy�.
8.2 La p�riode des accommodements
Les Acadiens de la Nouvelle-�cosse ne se faisaient gu�re d'illusion, ils
savaient que la France de Louis XIV (qui d�c�dera en 1715) les avait abandonn�s par un trait�
(1713) dont ils
n'avaient m�me pas �t� inform�s. Ils devenaient ipso facto
des �sujets anglais� de Sa Majest� britannique, mais ils se savaient indispensables
pour les autorit�s britanniques. Effectivement, comme il n'y avait pas
encore d'agriculteurs britanniques en Nouvelle-�cosse, les autorit�s coloniales
firent pression pour que les Acadiens fournissent en vivres la garnison; elles firent
tout en leur
possible pour �viter qu'ils ne quittent la colonie. Malgr� la promesse de la
reine Anne Stuart, les autorit�s locales limit�rent les libert�s des Acadiens dans leurs
d�placements afin de les garder sous leur contr�le, sans d'autres
droits que ceux de pratiquer leur religion et de nourrir les soldats et les
administrateurs. Progressivement, les Acadiens d�laiss�rent la r�gion
de Port-Royal devenu Annapolis Royal, trop pr�s du pouvoir, pour se concentrer dans la r�gion du
bassin des Mines au fond de la baie de Fundy (l'ancienne baie Fran�aise) et
aussi � Beaubassin dans l'isthme de Chignectou.
Samuel Vetch,
commandant de la garnison d'Annapolis Royal, croyait d�s 1714, donc au lendemain
du trait� d'Utrecht, qu'il valait
mieux
exiler les Acadiens dans �les Antilles fran�aises�, mais il consid�rait aussi,
dans un Memoire en date du 24 novembre 1714, que des cons�quences
n�gatives pouvaient en d�couler du fait que la Nouvelle-�cosse se viderait de
tous ses habitants et que leur d�part viendrait �ventuellement accro�tre et enrichir la
colonie de
l'�le-Royale. Il faut aussi rappeler que les Britanniques craignaient les Indiens
� leurs �pires ennemis� � comme
la peste: la pr�sence des Acadiens pouvait contribuer � les calmer. Cette
lettre (en traduction) �crite le 1er novembre 1715 � Annapolis
Royal par le lieutenant-gouverneur Thomas Caulfield au Bureau du commerce
(Board of Trade) ne laisse aucun doute � ce sujet:
[...] Depuis
mon arriv�e ici, j'ai toujours remarqu� l'empressement des Acadiens
� nous rendre service, chaque fois que l'occasion leur en �tait
offerte. Si quelques colons anglais, choisis parmi des gens
industrieux, charpentiers, forgerons, nous �taient envoy�s, le pays
en retirerait certainement du profit; mais au cas o� les habitants
fran�ais nous quitteraient, nous ne pourrions jamais r�ussir �
mettre nos familles anglaises � l'abri des attaques des Indiens, nos
pires ennemis ; tandis qu'en restant avec nous les Acadiens nous
seraient une sauvegarde contre ces barbares. Vos Seigneuries verront
qu'�tant donn� le nombre des troupeaux que les Acadiens ont avec eux
� l'heure actuelle, nous pourrions d'ici � deux ou trois ans, pour
peu qu'on y mette de bonne volont�, nous trouver pourvus de tout le
n�cessaire sans avoir � recourir au dehors. |
Bref, la pr�sence des Acadiens en Nouvelle-�cosse faisait l'affaire de tout
le monde. Les Acadiens voulaient rester sur leurs terres, les Britanniques avaient
besoin des agriculteurs acadiens pour fournir des vivres � la garnison et se
prot�ger des Indiens, et la
France consid�rait que la pr�sence des Acadiens en Nouvelle-�cosse pouvait
emp�cher une �ventuelle colonisation britannique.
Mais le paradoxe demeurait :
l'Acadie anglaise restait fran�aise et les Acadiens occupaient les
meilleures terres. Quant aux Indiens, ils poursuivaient leurs mesures de
harc�lement contre les
Britanniques. Enfin, la colonie britannique de la Nouvelle-�cosse se trouvait dans une
situation incommodante. Elle �tait coinc�e � l'est par la
dangereuse forteresse de Louisbourg sur l'�le Royale (Cap-Breton) et au
nord-ouest par la menace de l'alliance franco-am�rindienne. La colonie �tait
donc encercl�e par une masse fran�aise qui la rendait inconfortable au plan de la
s�curit�. En un sens, le trait� d'Utrecht de 1713 n'avait rien r�gl�.
8.3 L'�pineuse question du serment d'all�geance
Les Acadiens habitaient la Nouvelle-�cosse, c'est-�-dire �en
territoire anglais�. Pour la Grande-Bretagne, ils �taient non
seulement des
�ennemis�, mais aussi des papistes honnis par tous les protestants de la
Nouvelle-Angleterre. Il fallait donc s'assurer de leur fid�lit� au monarque
anglais. La
pratique du serment d'all�geance devait d�s lors s'appliquer aussi aux Acadiens, comme il
�tait d'usage dans l'empire. Il �tait impensable qu'un sujet britannique puisse
refuser de prendre les armes pour soutenir les int�r�ts du souverain. Or, un serment
inconditionnel rendait les Acadiens aptes au service militaire et les
contraindrait ultimement � prendre les armes non seulement contre la France,
mais aussi contre les membres de leurs propres familles �parpill�es dans les
r�gions limitrophes.� Pour les Acadiens, rien dans le trait� de paix de 1713 ne
mentionnait qu'ils devaient pr�ter un serment d'all�geance � la couronne
britannique pour devenir sujet du roi.
Les Acadiens �taient bien pr�ts � promettre
fid�lit� au roi d'Angleterre, mais ils tenaient farouchement � conserver leur
neutralit� en cas de guerre. C'est pourquoi ils refus�rent de pr�ter
ce serment d'all�geance inconditionnelle, lui pr�f�rant un �serment de neutralit� en cas de
conflit entre la Grande-Bretagne et la France, avec la promesse de
pratiquer leur religion. Le 15 mars 1715, quelques Acadiens du bassin des Mines,
pr�s de Grand-Pr�, accept�rent de pr�ter serment au roi d'Angleterre en ces
termes:
Moy Je promes
sincerement Et jure que je veu Etre fidelle et tenir une Veritable
alegence a Sa majest� le Roy Goerge. Insy aide mon Dieu. |
D'autres pr�f�r�rent d�m�nager � l'�le Royale. De son c�t�,
Pontchartrain, le secr�taire d'�tat
� la Marine et aux Colonies, d�sirait augmenter la population acadienne sur
l'�le Royale, sinon, croyait-il, elle n'aurait pas la force de se d�fendre lors
de la prochaine �guerre aux Anglais�. Bien que le gouverneur g�n�ral,
Philippe de Vaudreuil, lui ait
expliqu� la r�ticence des Acadiens � se �transplanter� ailleurs, Pontchartrain
lui demanda de trouver �les moyens de les y d�terminer aussi bien que les
Sauvages d'Acadie�. Au besoin, il fallait r�clamer l'aide des missionnaires pour
cette t�che.
Tr�s d�vou�s, les hommes de Dieu entreprirent alors de pr�cher
� leurs ouailles que leur salut �ternel �tait en danger s'ils demeuraient sujets
d'une couronne protestante. Ils leur expliqu�rent que, en d�pit de l'occupation
des Anglais protestants, les Acadiens n'avaient cess� d'�tre les sujets de Sa
Majest� tr�s chr�tienne. Par cons�quent, ils avaient le devoir de d�fendre la
vraie religion qui �tait menac�e. Puis les missionnaires mirent en garde les
Ab�naquis contre le gouverneur du Massachusetts, Samuel Shute (1662-1742), qui
convoitait leur pays et viendrait le prendre. Sous les ordres du ministre de la
Marine, Vaudreuil dut fournir en catimini des armes et des munitions aux alli�s
ab�naquis afin qu'ils commencent d�s 1718 � attaquer les �tablissements
britanniques �lev�s le long de la rivi�re Kennebec, et ce, au risque de rompre
les accords du trait� d'Utrecht
de 1713.
Dans ce trait�, l'article 14
contenait une s�rieuse r�serve pour ce qui a trait � la pratique de la religion: �Ceux
n�anmoins qui voudront y demeurer et rester sous la domination de la Grande-Bretagne doivent jouir de l'exercice de la religion catholique romaine,
en tant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne.� Or, les lois
de la Grande-Bretagne ne permettaient pas grand-chose au chapitre de la
religion. Pour les Acadiens, il n'�tait pas question de pr�ter
serment au chef d'une �glise schismatique et anticatholique. La situation se
transformait en une �guerre de religion�. � cette �poque, ce qui causait
r�ellement un probl�me, c'�tait la
religion, pas la langue. Comme il �tait de coutume alors, aucune
disposition du trait� ne pr�voyait quelque mesure que ce soit en mati�re de protection
linguistique. On n'y pensait probablement m�me pas.
Cette situation conflictuelle contribua en partie � forger la culture acadienne,
dont un certain esprit d'accommodement avec la pr�sence anglaise. La
coexistence avec les Britanniques fut vite per�ue comme une fa�on �normale� de vivre en Am�rique
du Nord, d'autant plus que toute une g�n�ration de jeunes n'avait jamais connu
le R�gime fran�ais. D�s cette �poque, un certain nombre d'Acadiens apprirent l'anglais, le
bilinguisme pouvant devenir d�sormais utile. La situation minoritaire allait
dor�navant faire partie du destin des Acadiens. La France n'enverrait plus d'immigrants; la
seule fa�on de peupler l'Acadie de francophones catholiques demeurait l'accroissement
naturel, qui fut pour l'�poque exceptionnellement �lev�.
Apr�s 1713, soit durant tout le R�gime britannique, les Acadiens furent plus
souvent en contact avec les Anglais et les Am�rindiens qu'avec les Fran�ais, une
situation qui explique les d�buts d'anglicisation du fran�ais acadien, ainsi que
de l'usage fr�quent de mots micmacs (plus d'une centaine de mots), sans oublier
l'attitude d'accommodement face � la domination britannique.
8.4 Une neutralit� illusoire
En 1727, afin d'apaiser les �embarrassants et encombrants�
Acadiens, le gouverneur Richard Philipps
(de 1717 � 1740) leur avait conc�d� le privil�ge de pr�ter serment d'all�geance
� la Couronne anglaise, avec la r�serve qu'ils n'auraient pas � prendre les
armes contre le roi de France. Il avait eu la pr�caution de ne pas informer les
autorit�s de Londres qu'il avait fait cette promesse verbale aux Acadiens.
- Une garantie verbale
Rassur�s par cette garantie
(non �crite), les Acadiens observ�rent une neutralit� g�n�rale pendant vingt-cinq
ans. En pr�tant un serment d'all�geance au roi d'Angleterre, ils
craignaient de voir les Indiens se retourner contre eux. Les d�l�gu�s
acadiens avaient affirm� au gouverneur Philipps en 1720: �Il est notoire que nous ne pouvons
pas prester serment � Sa Majest� britannique sans courir un risque tr�s certain
d'estre esgorg�s dans nos maisons par les Sauvages, lesquels nous en menacent
tous les jours.� Il �tait toutefois peu probable que les Acadiens aient vraiment
eu � craindre
d'�tre �esgorg�s par les Sauvages�, sauf si les Fran�ais exer�aient des
repr�sailles contre les Acadiens en se servant de leurs alli�s indiens.
En 1730, les Acadiens obtinrent une formule de serment d'all�geance qui ne
contenait aucune disposition expresse concernant l'obligation de porter les
armes dans l'�ventualit� d'un conflit majeur.
Je Promets et Jure sincerement en Foi de
Chretien que Je serai entierement Fidele, et Obeirai Vraiment Sa
Majeste Le Roy George Second qui Je reconnoi pour le Souverain
Seigneur de l'Acadie ou Nouvelle-Ecosse. |
En 1720, au moment o�
Paul Mascar�ne devenait
gouverneur de la Nouvelle-�cosse, il trouvait les Acadiens bien r�calcitrants:
All the orders
sent to them (inhabitants of Mines), if not suiting to their humors,
are scoffed and laughed at, and they put themselves upon the footing
of obeying no Government. |
[Tous les ordres qui leur sont envoy�s
(aux habitants des Mines), s'ils ne correspondent pas � leur �tat
d'�me,
sont bafou�s et ridiculis�s, et ils estiment ne devoir ob�ir � aucun
gouvernement.] |
Les habitants des Mines, issus en grande partie de Port-Royal, avaient
d�velopp� un fort particularisme r�gional, dont
s'�tait plaint d�j� en 1701 l'ancien gouverneur Jacques-Fran�ois Monbeton
Brouillan de Saint-Andr�. De toute fa�on, ils semblaient peu
r�ceptifs � recevoir des ordres de la part des autorit�s.
Mais les Acadiens ignoraient alors qu'ils avaient pr�t� leur
dernier serment d'all�geance avec conditions. Pour les Britanniques, les Acadiens n'�taient pas une population
�loyale�, mais �passive�. �The great majority remained passive, if not loyal�,
comme le croyait Paul Mascar�ne. Les Britanniques ne pouvaient leur faire une grande confiance.
D'apr�s l'historien Michel Roy: �Un
revirement d'attitude ferait passer dans le camp fran�ais des milliers de
fusils.� �a, les Anglais le savaient. Et il y avait aussi le danger am�rindien...
- Entre l'arbre et l'�corce
En m�me temps, les Acadiens �taient pris entre l'arbre et
l'�corce: d'une
part, la Grande-Bretagne
demandaient un serment d'all�geance, d'autre part, la France les d�claraient �rebelles�
s'ils ne soutenaient pas la m�re patrie. C'est pourquoi les Acadiens tent�rent de demeurer �neutres� dans les
conflits engendr�s par les deux m�tropoles, ce qui explique que les Britanniques
les ont appel�s
"Neutral French" (les �Fran�ais neutres�). Mais seuls les Acadiens se
croyaient �neutres�, car Fran�ais et Britanniques les consid�raient �de leur
c�t�. Pendant
que les Britanniques tentaient de faire pr�ter serment d'all�geance aux
Acadiens de la Nouvelle-�cosse, les Fran�ais exigeaient qu'ils
pr�tent all�geance au roi de France.
Le 12 avril 1751, le gouverneur de la
Nouvelle-France, le marquis de La
Jonqui�re, �mit une ordonnance proclamant �rebelle� tout Acadien
refusant l'all�geance inconditionnelle et l'incorporation aux milices sous peine
d'expulsion. En 1754, le m�me gouverneur mena�ait les Acadiens sous contr�le
fran�ais de les chasser de leurs terres s'ils ne se soumettaient pas � son
ordonnance. En m�me temps,
Charles Lawrence, le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-�cosse, proclama que tout Acadien
qui aurait jur� fid�lit� au roi d'Angleterre et �tait trouv� en possession
d'armes serait consid�r� comme �criminel�. Comme si ce n'�tait pas suffisant,
l'abb� Jean-Louis Le Loutre (1709-1772), un pr�tre
fran�ais influent en Acadie
et ennemi jur� des Anglais, mena�ait d'excommunier les Acadiens et de leur
envoyer �ses Micmacs� pour les scalper. Il leur p�chait qu'�tre fid�le au roi de
France c'�tait rester fid�le � Dieu et que vivre chez les Anglais
h�r�tiques c'�tait ouvrir toutes grandes les portes de l'enfer.
Terroris�s, les Acadiens ne savaient plus
vraiment � qui il �tait moins risqu� d'ob�ir. Dans ces conditions, plusieurs se
montraient favorables au maintien de la domination britannique en Acadie. En m�me
temps, les Acadiens ne pouvaient pas vraiment jouer la carte anglaise sans
risquer de tr�s graves repr�sailles advenant une victoire fran�aise. Les
infortun�s Acadiens
seraient rest�s plut�t indiff�rents aux
rivalit�s imp�riales s'ils n'avaient pas eu � les subir: ils auraient
sans doute pr�f�r� vivre en paix sur leurs terres.
Si les Acadiens � et les
colons de la Nouvelle-Angleterre � avaient v�cu dans une d�mocratie, il est
probable que la France et la Grande-Bretagne en seraient venues � cohabiter
pacifiquement. Mais les colons acadiens, comme les colons anglais, �taient tous
� la merci d'un monarque absolu, qui les projetait dans d'incessants conflits.
M�me si les gouverneurs de l'Acadie et du Massachusetts, par exemple, avaient
�t� de connivence pour vivre en paix, une simple lettre de Versailles ou de
Londres aurait suffi � les propulser � la guerre.
- L'�migration en territoire fran�ais
L'abb�
Jean-Louis Le Loutre
s'acharnait � convaincre les Acadiens d'aller s'installer dans les territoires
fran�ais, g�n�ralement en Acadie fran�aise ou � l'�le Saint-Jean. Ils leur
promettait, au nom de la France, qu'ils vivraient dans des terres aussi fertiles
et qu'ils produiraient alors des exc�dents qu'ils pourront ensuite vendre � la
garnison de Louisbourg. Le Loutre promettait aussi de les indemniser pour leurs
pertes et de les aider pour les trois prochaines ann�es. Il dut m�me se rendre
en France en 1753 pour supplier vainement le ministre des Colonies,
Antoine-Louis Rouill�,
d'envoyer des renforts et des provisions en Acadie continentale.
En r�alit�, lorsque des Acadiens se r�signaient � quitter
leurs terres fertiles pour se transplanter en territoires fran�ais, ils
redevenaient pauvres. Ils savaient qu'il leur fallait recommencer � d�fricher la
terre qui ne produirait rien durant au moins deux ans, qu'ils manqueraient
d'instruments aratoires, de victuailles, d'armes, de v�tements, etc. Il leur
faudrait quand m�me se nourrir alors que leurs terres demeuraient encore
improductives. En raison du blocus anglais, les vaisseaux de ravitaillement
fran�ais n'arrivaient pratiquement plus. Les Acadiens savaient aussi qu'une fois
sur le territoire fran�ais ils seraient oblig�s de s'engager dans la milice pour
faire la guerre au lieu de cultiver leurs terres. Beaucoup d'Acadiens qui
avaient d�m�nag� en territoire fran�ais, que ce soit en Acadie continentale, �
l'�le Saint-Jean ou � l'�le Royale, regrettaient d'avoir abandonn� leurs terres.
Affam�s et d�munis, ils pr�f�raient parfois repasser �chez les Anglais�.
- Le meilleur des deux mondes
Devant les exigences de
leur survie en territoire britannique, les Acadiens avaient choisi les conditions qui
leur apparaissaient les plus avantageuses pour r�pondre � leurs besoins: d'une
part, il leur fallait m�nager les susceptibilit�s fran�aises en conservant une
fid�lit� acceptable pour la France, d'autre part, chercher � b�n�ficier du commerce anglais
et de la �paix anglaise�, tout en tirant profit de tous les avantages de la
proximit� avec Louisbourg. C'�tait le meilleur des deux mondes! C'�taient donc la neutralit� politique et
l'adh�sion commerciale avec les Anglais et les Fran�ais. D'ailleurs, les
Acadiens connurent sous la R�gime anglais plus de prosp�rit� que le r�gime
ant�rieur n'avait m�me jamais laiss� entrevoir. La population quadrupla en un
peu plus d'une g�n�ration. C'est pourquoi
beaucoup d'Acadiens pr�f�raient vivre sous
un r�gime anglais. L'intendant de la Nouvelle-France,
Jacques de Meulles (1682-1686),
avait observ� ce ph�nom�ne: �Les peuples de l'Acadie sont excusables de
l'inclination qu'ils ont pour les Anglais.� Il
ajoutait aussi :
L'Acadie est pr�sentement si peu de chose, n'estant aucunement
maintenue et ne tirant aucun secours de la France que la plupart des
habitants par la fr�quentation qu'ils ont avec les Anglois et le
commerce qu'Ils font continuellement avec eux ont abandonn� ces
costes pour s'establir autour de Boston, et aussy parce qu'ils ont
�t� tourment�s et pill�s plusieurs fois par les forbans. |
Les Acadiens pr�f�raient donc le libre
commerce sous occupation anglaise aux contraintes commerciales sous
occupation fran�aise. En m�me temps, les Acadiens demeuraient profond�ment
fran�ais et catholiques.
Ils ne pouvaient rien contre l'histoire qui les
avait fait na�tre �fran�ais� et �sujets du roi� de France, ce qui d�j� rendait
leur neutralit� plus al�atoire.
- La
fausse neutralit�
Dans les faits, les Acadiens n'�taient pas �neutres�. D'abord, ils �taient
d'origine fran�aise et catholique, ce qui suffisait amplement � les rendre
suspects aux yeux des Britanniques pour qui une population cens�ment �neutre� �tait
n�anmoins une population
�ennemie�. Or, les Acadiens avaient la responsabilit� de leurs �racines�,
c'est-�-dire celle d'�tre �fran�ais� et �catholiques� dans une colonie �britannique�
et �protestante�.
Pour les Anglais, la
neutralit� des Acadiens n'�tait qu'une apparence. Non seulement ces derniers
refusaient de vendre des provisions aux soldats britanniques, mais ils les
refilaient aux garnisons fran�aises. Ils renseignaient les troupes fran�aises
sur les mouvements des bateaux et des troupes britanniques. D�guis�s en Indiens,
ils harcelaient les colons isol�s qui avaient pr�t� le serment d'all�geance. Les
Anglais �taient convaincus que, dans l'�ventualit� o� un escadron fran�ais
s'aventurerait en Acadie anglaise, les Acadiens les accueilleraient en
lib�rateurs.
8.5 Les pr�liminaires au �Grand D�rangement�
L'expression �Grand D�rangement� est une cr�ation lexicale des Acadiens pour parler de
�leur� d�portation. C'�tait un euph�misme, car il s'agissait d'une op�ration de
�nettoyage ethnique� de grande envergure, compte tenu de la repr�sentation d�mographique plus
restreinte de
l'�poque, impliquant au moins 15 000 Acadiens. Quant aux Britanniques, ils utilis�rent
ouvertement les mots "expulsion", "deportation", "eviction"
et "elimination".
Le projet de d�portation �tait dans l'air depuis un
certain temps. D�j�, en 1745, le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-�cosse de
1740 � 1749,
Jean-Paul
Mascar�ne (1684-1760), un huguenot fran�ais, avait �crit � ce sujet � Londres :
We
humbly propose that the French settlers be removed from the Province
of Nova Scotia and be replaced by good Protestant subjects. |
[Nous proposons
humblement que les colons fran�ais soient retir�s de la province de
la Nouvelle-�cosse et remplac�s par de bons sujets
protestants.] |
Mascar�ne avait aussi avis� le gouverneur du Massachusetts,
William
Shirley, de ne pas d�voiler le projet d'expulsion aux Acadiens, pas m�me aux
Bostonnais:
Every preparation for this eviction must be made without their
knowledge and with the greatest secrecy, even at Boston. |
[Toute pr�paration pour cette expulsion
doit �tre faite � leur insu et avec le plus grand secret,
m�me � Boston.] |
Expulser les Acadiens apparaissait comme l'unique solution aux
difficult�s de la colonisation anglaise. En effet, il �tait difficile d'inciter
des colons anglais � venir s'installer dans une Nouvelle-�cosse � la fois
habit�e encore par des �Fran�ais� occupant les meilleures terres et infest�e d'Indiens
alli�s aux Fran�ais. Le 14 octobre 1747, le roi d'Angleterre ordonna une
enqu�te sur les moyens d'expulser les Acadiens. La m�me ann�e, le gouverneur
Shirley du Massachusetts conseillait le premier ministre de Grande-Bretagne, le duc de Newcastle,
sur les mesures � adopter � ce sujet. Comme Shirley �tait l'un des plus fervents
antipapistes de toute la Nouvelle-Angleterre, ses propositions allaient
forc�ment dans le sens de l'expulsion des Acadiens.
- La prise de Louisbourg de 1745
De leur c�t�, les marchands de la
Nouvelle-Angleterre acceptaient mal l'emprise de la forteresse de Louisbourg (sur l'�le
Royale)
devenue un centre commercial florissant et un s�rieux concurrent pour les
commer�ants britanniques du continent. Le succ�s des p�cheries de l'�le Royale �tait tel
qu'il entra�nait le d�clin de l'industrie de la p�che dans les colonies de la
Nouvelle-Angleterre. Les Acadiens avaient particip�, eux aussi, � ce florissant commerce
avec l'�le Royale, m�me si cela leur �tait formellement interdit. Ils avaient
ainsi
contribu� � la ruine des colons anglais. Parfois, les
Acadiens devaient collaborer aux raids organis�s par les Canadiens. Ainsi, en 1747,
quelque 240 Canadiens, 60 Ab�naquis et 20 Acadiens attaqu�rent les Britanniques aux Mines
et remport�rent la victoire, ce qui eut pour effet d'exposer encore davantage les
Acadiens aux repr�sailles des Britanniques. Par ailleurs, jamais depuis le trait�
d'Utrecht de 1713 les Acadiens n'avaient v�cu une aussi longue p�riode de paix.
Ils avaient donc prosp�r�, car en quarante ans la population acadienne avait quintupl�,
passant de 1700 en 1713 � plus de 15 000 en 1755 (voir
les cartes sur l'�volution des �tablissements acadiens).
Le destin des Acadiens allait changer � la suite d'un �v�nement majeur : la prise de Louisbourg en juin 1745 par les troupes de la Nouvelle-Angleterre. La garnison
fran�aise fut rapatri�e en France et la plupart des p�cheurs partirent
pour la France ou pour le Canada. Seuls quelques centaines d'Acadiens demeur�rent dans l'�le
Royale. Durant pr�s de quatre ans, la forteresse de Louisbourg resta sous le contr�le des
troupes britanniques. Puis, le trait� d'Aix-la-Chapelle de 1748 restitua la
forteresse aux
Fran�ais, ce qui irrita profond�ment les colons anglais de la Nouvelle-Angleterre,
qui se voyaient ainsi priv�s de leur victoire. Ce fut le coup de pouce qui, sous la
pression des colonies de la Nouvelle-Angleterre, d�cida
Londres de changer radicalement sa politique � l'�gard des Acadiens et de la Nouvelle-�cosse.
- Le renforcement de la colonie britannique
Pendant des ann�es, Londres avait n�glig� la Nouvelle-�cosse britannique demeur�e
massivement francophone et catholique. Un nouveau gouverneur fut d�sign� en la personne d'Edward Cornwallis
(1713-1776) qui devait inaugurer la nouvelle politique du gouvernement britannique. Cornwallis
mit peu de temps � redresser la situation et � faire de la Nouvelle-�cosse une v�ritable colonie anglaise et
protestante, laquelle servirait de zone tampon
entre la Nouvelle-Angleterre et l'Acadie fran�aise (Nouveau-Brunswick) plus au nord.
Il convainquit le
gouvernement anglais qu'il �tait essentiel de donner � la Nouvelle-�cosse
une base militaire et un effectif suffisant pour faire contrepoids � Louisbourg,
et prot�ger la Nouvelle-Angleterre et son commerce. Il fallait fonder une
nouvelle ville avec une citadelle et un port pour recevoir des navires de ligne,
et recruter des colons anglais.
 |

Port d'Halifax en 1750 |
Le choix de la nouvelle ville porta sur Chibouctou appel�
dor�navant Halifax, en l'honneur de lord Halifax, pr�sident du Board of Trade.
La nouvelle ville d'Halifax rempla�a Annapolis Royal comme capitale et devint le plus important avant-poste militaire
britannique de la r�gion. Tout fut fait en quelques ann�es, avec une extr�me rapidit�,
gr�ce � des fonds sp�ciaux de la m�re patrie. Les Acadiens furent tr�s heureux
de constater que le centre du pouvoir s'�loignait d'eux, car la ville d'Halifax �tait
situ�e sur la c�te oppos�e, l� o� on trouvait peu d'Acadiens. En trois ans, la
ville d'Halifax atteignit 4000 habitants, soit autant qu'� Montr�al pourtant fond�e en
1642. La citadelle, construite avec une ma�onnerie solide et arm�e de 70 canons,
fut termin�e en 1856; elle �tait alors consid�r�e comme l'une des fortifications les plus solides au monde. Dans toute la Nouvelle-�cosse, le
nombre des
Acadiens atteignait environ 12 000 personnes.
Edward Cornwallis fit venir des colons de la Grande-Bretagne,
soit plus de 2500.
Des Suisses et des Allemands suivirent durant le mandat de ce gouverneur; ils
venaient des �tats allemands de Hanovre et de Brunswick, alors sous la juridiction de la
Grande-Bretagne. En
1753, ils allaient �tablir leur propre village � Lunenburg. Ensuite des colons de la
Nouvelle-Angleterre afflu�rent au point d'atteindre une population de quelque
4000 bons sujets anglais, sans compter un fort contingent de militaires.
Cornwallis prit soin d'avoir � son service le major Charles Lawrence
r�put� pour sa fermet�, afin d'entreprendre une guerre de gu�rillas contre les
Fran�ais et les Sauvages. C'est lui qui �rigea en 1750, sur les ruines de Beaubassin, le fort Lawrence, s�par� de 3 km de celui de Beaus�jour.
D�s lors, le visage de la colonie s'en trouva transform�, mais
les Acadiens demeuraient encore majoritaires, malgr� les nombreux d�parts vers
l'Acadie fran�aise, soit environ 5000 entre 1749 et 1755. Halifax �tait devenu rapidement le
centre du peuplement britannique. Les colons
r�clam�rent une Chambre d'Assembl�e, comme il �tait de r�gle dans les colonies
britanniques. Cependant, la Couronne n'�tait pas pr�te � accorder cette chambre �
une colonie encore trop peupl�e de francophones et de catholiques (�papistes�).
Puis les colons britanniques se mirent � convoiter ouvertement les terres des
Acadiens, d'autant plus que ces derniers poursuivaient leur exode en Acadie
fran�aise (l'actuel Nouveau-Brunswick), en Gasp�sie et � l'�le Saint-Jean.
Beaucoup d'Acadiens se laissaient convaincre par les agents et les missionnaires
fran�ais de passer �en terre fran�aise�, soit au Canada, � l'�le Royale ou � l'�le
Saint-Jean. En 1752, Cornwallis retourna en Grande-Bretagne o� il poursuivit sa
carri�re militaire.
Il fut remplac� par
Peregrine Thomas
Hopson
(1685�1759) dont
le mandat commen�a le 3 ao�t de la m�me ann�e. Celui-ci se rendit compte que les
Acadiens et les Indiens subissaient l'influence de Qu�bec et de Louisbourg, et
qu'ils �taient les instruments d'une politique fran�aise d�lib�r�e d'empi�tement
sur le territoire britannique. La France construisait des forts en pr�paration
d'une guerre qui allait commencer. Hopson
tenta de pratiquer une politique conciliante avec les Acadiens, mais une
s�rieuse maladie des yeux l'obligea � passer les r�nes du pouvoir � Charles
Lawrence. Il quitta la colonie pour l'Angleterre le 1er
novembre 1753.
Avant de partir, Peregrine Hopson avait permis la fondation de la ville de
Lunenburg, sur le site de Merligueche, un village acadien. Lunenburg fut
nomm�e en l'honneur du roi de Grande-Bretagne et d'Irlande, George II, qui �tait
aussi le duc de Brunswick-Lunenburg. Quelque 2700 protestants vinrent s'y
installer. Ils �taient originaires
de la vall�e du Rhin, en Allemagne, ainsi que des cantons francophones et
germanophones de Suisse et de la principaut� de Montb�liard. Le gouvernement
britannique voulait ainsi encourager des protestants �trangers � s'�tablir dans
la r�gion afin de la coloniser et d'�viter le retour des Acadiens catholiques.
- L'emprise de Charles Lawrence
 |
Contrairement � P.T. Hopson,
Charles Lawrence n'�tait pas un homme de compromis.
Il d�testait les Fran�ais et encore plus la religion catholique
et les papistes; il
r�vait � la destruction de l'empire fran�ais en Am�rique du Nord.
C'�tait aussi un autocrate avis� qui ne voulait surtout pas se laisser
berner par les paysans acadiens. Il avait �t� commandant � Louisbourg durant
l'occupation britannique (1745-1748) et savait comment mener les hommes avec
une poigne de fer. Il �tait aussi tr�s li� avec le gouverneur du Massachusetts,
William Shirley, le plus fervent antipapiste de la
Nouvelle-Angleterre.
Comme lieutenant-gouverneur
par int�rim, il convoqua le 3 juillet 1755
un groupe de �d�put�s� acadiens afin qu'ils soumettent leurs griefs au Conseil
de la Nouvelle-�cosse. Non seulement le Conseil ne tint nullement compte de
leurs plaintes, mais Lawrence exigea des Acadiens un nouveau serment
d'all�geance inconditionnelle � George II, sans libert� religieuse ni neutralit� d'aucune sorte, sachant tr�s
bien qu'ils refuseraient.
Les Acadiens ne mesur�rent certainement pas cette fois-l� les
cons�quences de leur refus, car il n'y en avait jamais eu dans le pass�. Ils ne
comprirent pas que les circonstances avaient chang�, tout comme les
repr�sentants britanniques qui prenaient les d�cisions.
Devant le refus appr�hend� des Acadiens, qui donn�rent leur r�ponse
le 4 juillet, Lawrence leur expliqua que le Conseil �ne peut plus les consid�rer
comme des sujets du Sa Majest� britannique, mais comme des sujets du roi de
France�.
|
Lorsque les d�put�s comprirent v�ritablement les enjeux, et qu'ils
exprim�rent leur volont� de pr�ter le serment demand�, Lawrence leur
r�pondit qu'il �tait �trop tard�. Il leur apprit qu'un serment de
loyaut� ne peut plus �tre pr�t� apr�s avoir �t� refus�. Les d�put�s
acadiens furent emprisonn�s sur-le-champ. Lawrence contesta leurs droits de
propri�t� et
accusa les Acadiens
�d'ent�tement, de tricheries, de partialit� envers les Fran�ais,
d'ingratitude envers Sa Majest� britannique qui les comble de gr�ces
et de protections�. Il recommanda l'expulsion
en haut lieu et ordonna � ses subalternes de ne plus �apporter du
bois pour le chauffage� dans les garnisons et de s'emparer plut�t
�des maisons des Acadiens pour en faire du combustible�.
Dor�navant,
la neutralit� cadrait mal avec une situation de conflit ouvert en
territoire occup�. La politique de neutralit�, qui avait bien servi
les Acadiens jusqu'ici, devenait dor�navant une politique
insoutenable,
puisqu'elle se retournait contre eux. En 1755, c'est la neutralit�
qui perdit les Acadiens, encore appel�s les �Fran�ais
neutres�, lesquels n'avaient pas compris que, cette fois-l�, c'�tait
la confrontation finale entre deux m�caniques imp�rialistes. Pire, il �tait m�me trop tard
pour se rebeller � les Acadiens �tant
maintenant d�sarm�s �
ou pour collaborer avec les Britanniques. Fait
plus surprenant encore, les Acadiens n'ont pas vu venir la d�portation qui �tait
ouvertement annonc�e � Boston depuis au moins dix ans (1745). Ils
rest�rent frapp�s de stupeur devant la catastrophe qui leur
tombait sur la t�te en 1755, eux qui croyaient n'avoir �rien fait� ni contre
la Grande-Bretagne ni contre la France. Charles Lawrence justifiait ainsi l'expulsion dans une lettre
d�j� adress�e, le 1er
ao�t 1754, aux autorit�s britanniques:
While they remain without taking oaths to His Majesty
(which they will never do till they are forced) and have the
incendiary priests among them, there are no hopes of their
amendment. As they possess the best and largest tracts of land in
this province, it cannot be settled while they remain in this
situation.
And tho' I would be very far from attempting such
a step without your Lordships' approbation yet I cannot help being
of the opinion that it would be much better, if they refuse the
oaths, that they were away.
The only ill consequences that can attend their
going would be their taking arms and joining the Indians to distress
our settlements as they are numerous and our troops much divided;
tho' I believe that a very large part of the inhabitants would
submit to any terms rather than take up arms on either side; but
that is only my conjecture and not to be depended on in so critical
a circumstance. |
[Tant qu'ils [Acadiens]
n'auront pas pr�t�
serment � Sa Majest� (ce qu'ils ne feront jamais � moins qu'ils n'y
soient forc�s) et qu'ils auront des pr�tres incendiaires au milieu
d'eux, il n'y a aucun espoir qu'ils s'amendent. Comme ils poss�dent
les plus vastes �tendues et les meilleures terres en cette province,
rien ne peut se faire tant qu'ils demeureront dans cette situation.
Et bien que soit loin de
moi l'id�e d'entreprendre une telle mesure, sans
l'approbation de Vos Seigneuries, je ne puis m'emp�cher de
croire qu'il serait pr�f�rable, s'ils refusent le serment,
qu'ils
s'en aillent.
Les seules mauvaises cons�quences qui peuvent
r�sulter de � leur d�part seraient que leurs armes soient prises et
qu'ils joignent les Indiens pour harceler nos �tablissements, car
ils sont nombreux, alors que nos troupes sont tr�s dispers�es; je
crois qu'une tr�s grande partie des habitants se soumettrait �
n'importe quelle condition plut�t que de prendre les armes contre
l'un ou l'autre camp; mais c'est de ma part une simple hypoth�se
dans laquelle il ne faut pas se limiter dans une situation si critique.] |
L'expression
�qu'ils s'en aillent� ('' that they
were away'') devait signifier �qu'on les expulse� de la Nouvelle-�cosse.
Auparavant, il fallait trouver un moyen de les chasser �l�galement� malgr� les conventions
et trait�s consentis.
Lawrence devint officiellement
lieutenant-gouverneur en titre le 6 ao�t 1754.
Les
autorit�s anglaises lui recommand�rent de consulter le juge en chef de la
Nouvelle-�cosse, Jonathan Belcher (1710-1776). Celui-ci conclut
que les Acadiens s'�taient conduits �comme des
rebelles� et qu'ils ne pouvaient plus longtemps �tre tol�r�s dans la colonie.
Il pr�tendit aussi que les Acadiens ne disposaient d'aucun droit que les Anglais
�taient tenus de respecter et que le gouvernement colonial pouvait agir envers
les �Fran�ais neutres� comme il lui plaisait. En fait, Lawrence et son conseil
estimaient que la tol�rance dont les Acadiens, les �Fran�ais neutres�, avaient b�n�fici� depuis 1713 en
faisait un groupe privil�gi� dans l'Empire britannique.
 |
Dans une lettre r�dig�e
� Boston en date du 14 d�cembre 1754, le gouverneur William Shirley
du
Massachusetts avait accord� officiellement son soutien � Lawrence:
J'ai eu l'honneur de recevoir vos d�p�ches transmises par le
lieutenant-colonel Monckton contenant
les moyens de chasser les
Fran�ais de la Nouvelle-�cosse
suivant le projet expos� dans
les lettres que vous m'adressez et dans les instructions que vous
donnez au colonel Monckton. J'ai consid�r� avec le plus grand
plaisir ce plan si bien calcul� par Votre Honneur, pour le bien du
service de Sa Majest�, et je n'ai pas h�sit� � vous envoyer le
secours que vous d�sirez pour l'ex�cution de ce plan apr�s en avoir
pris connaissance. |
|
Puis les Anglais, les Virginiens et les Bostonnais pass�rent �
l'offensive en temps de paix. Monckton prit le fort Beaus�jour (devenu le fort
Cumberland), le 16 juin 1755; ensuite le colonel John Winslow s'empara du
fort Gasp�reau (devenu le fort Monckton) et du fort Managou�che (ou Saint-Jean), ce
qui pla�ait toute la population acadienne sous la mainmise des Britanniques et marquait le
d�clenchement des op�rations de d�portation. Le lieutenant-colonel
John Winslow (1702-1774), l'un des officiers
de l'arm�e britannique camp�e au fort Cumberland (ex-Beaus�jour),
transmettait ainsi son opinion sur les �Fran�ais neutres� (Acadiens) dans son Journal de juillet 1755 (lettre
publi�e dans la New-York Gazette le 25 ao�t et dans la Pennsylvania
Gazette du 4 septembre) tout en pr�cisant qu'il consid�rait la d�portation comme �l'un des plus
grands exploits qu'aient jamais accomplis les Anglais en Am�rique�:
We are now hatching the noble and great project of
banishing the French Neutrals from this province; they have ever
been our secret enemies and have encouraged the Indians to cut our
throats. If we can accomplish this expulsion, it will have been one
of the greatest deeds the English in America have ever achieved;
for, among other considerations, the part of the country which they
occupy is one of the best soils in the world, and, in the event, we
might place some good farmers on their homesteads. |
[Nous formons
maintenant le noble et grand projet de chasser les Fran�ais neutres
de cette province; ils ont toujours �t� secr�tement nos ennemis
et ont encourag� les Indiens � nous couper la gorge. Si nous
pouvons effectuer cette expulsion, ce sera l'un des plus grands
exploits qu'aient jamais accomplis les Anglais en Am�rique; car,
entre autres consid�rations, la partie du pays qu'ils occupent est
l'une des meilleures terres qui soient au monde et, dans ce cas,
nous pourrions placer quelques bons fermiers (anglais) dans leurs
habitations.] |
Pendant ce temps, soit de 1750 � 1760, d'apr�s les estimations des
historiens, quelque 7000 colons britanniques �taient venus s'�tablir en
Nouvelle-�cosse. De fait, les Britanniques n'avaient plus besoin de ces encombrants
�Fran�ais neutres�.
Il est difficile d'�valuer avec pr�cision la population d'Acadiens d'avant
la D�portation, car leur nombre varie selon les sources consult�es. Pour sa
part,
le g�ographe et historien Andrew Hill Clark (Acadia, The Geography of Early
Nova Scotia to 1760, Universit� du Wisconsin, 1868) situait ce total entre 11
000 et 12 500. Mais, en 1889, l'historien fran�ais Fran�ois-Edm� Rameau de
Saint-P�re (Une colonie f�odale en Am�rique: l'Acadie 1604-1881,
1889) le fixait � plus de 16 000. Quant au d�mographe
Raymond Roy (La croissance d�mographique en Acadie, 1671-1763, Universit�
de Montr�al, 1975), il estime le nombre � 13 000 Acadiens, dont 10 355 en Acadie
p�ninsulaire, 200 dans l'�le Royale et 2445 dans l'�le Saint-Jean. Il semble que les donn�es de Raymond Roy soient
les plus fiables, mais, quoi qu'il en soit, ces diff�rences de mesure ne sont pas tr�s
�loign�es.
Cinq hommes allaient jouer un r�le pr�pond�rant
dans la d�portation des Acadiens: Charles Lawrence, Alexander Murray,
John Winslow,
Robert Monckton
et
William Shirley.
Nom |
Dates
(Naissance-d�c�s) |
Fonction |
R�le |
Charles
Lawrence |
1709-1760 |
Lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-�cosse |
Ce fut
le grand d�cideur de la D�portation qu'il mena avec succ�s.
|
Alexander
Murray |
v.
1715-1762 |
Commandant du fort Sackville, puis du fort Edward |
Il
confisqua les bateaux et les armes des Acadiens; il supervisa les
d�portations dans la r�gion du fort Edward et expulsa plus de
1000 Acadiens. |
John
Winslow |
1703-1774 |
Lieutenant-colonel du r�giment des provinciaux lev� par Shirley
|
Il
proc�da au d�placement de toute la population de Grand-Pr�. |
Robert
Monckton |
1726-1782 |
Lieutenant g�n�ral d'Annapolis Royal |
Il dirigea
la d�portation de plus de 1000 Acadiens
dans le district des Mines et fit br�ler de nombreux �tablissements
pr�s du fleuve Saint-Jean et de la rivi�re Petitcodiac. |
William
Shirley |
1694 -1771 |
Gouverneur du Massachusetts |
L'un
des grands responsables de la D�portation; il fit venir de nombreux
Acadiens dans sa colonie en sachant qu'ils serait mieux surveill�s
qu'ailleurs. |
En r�alit�, Murray, Winslow et Monckton furent
davantage des ex�cutants, alors que Charles Lawrence et William Shirley �taient des acteurs de tout premier
ordre. Aujourd'hui, ils seraient accus�s de g�nocide, mais � l'�poque les m�urs
�taient plus �lib�rales�.
En Nouvelle-�cosse,
l'objectif de Charles Lawrence, le lieutenant-gouverneur,
�tait d'expulser les Acadiens, serment d'all�geance ou non, et de les remplacer par des
fid�les colons anglo-protestants de la
Nouvelle-Angleterre. Il avait � r�ussi � amasser plusieurs griefs contre les
Acadiens : leurs relations avec leurs voisins Fran�ais pour lesquels ils travaillaient
et � qui ils vendaient leurs denr�es; l'�migration ill�gale d'un certain nombre
d'habitants; la connivence tacite avec l'ennemi dont ils ne d�non�aient point
les secr�tes intentions; la complicit� avec les Indiens, etc. Dans une lettre dat�e du 9 ao�t 1755, Charles Lawrence
r�v�la
ses intentions d'expulser les Acadiens :
I will propose to them
the Oath of Allegiance a last time. If they refuse, we will have in
that refusal a pretext for the expulsion. If they accept, I will
refuse them the Oath, by applying to them the decree which prohibits
from taking the Oath all persons who have once refused to take it.
In both cases I shall deport them. |
[Je
leur proposerai le serment d'all�geance une derni�re fois. S'ils
refusent, nous aurons dans ce refus un pr�texte pour les expulser.
S'ils acceptent, je leur refuserai le serment, en appliquant le
d�cret qui interdit � quiconque ayant d�j� refus� de pr�ter serment
d'all�geance de le pr�ter. Dans les
deux cas, je les d�porterai.] |
Le sort des �Fran�ais de la Nouvelle-�cosse�
("French of Nova Scotia") �tait d�cid�, serment d'all�geance ou pas, car
les Britanniques n'en avaient plus besoin pour nourrir la garnison,
les colons anglophones �tant d�sormais suffisamment nombreux pour
accomplir la besogne. C'est Charles Lawrence qui eut l'id�e d'exp�dier les Acadiens dans les
diff�rentes colonies britanniques o� la population leur �tait forc�ment
hostile, et toujours en petits groupes, dans plusieurs villes et
villages, de sorte qu'ils ne puissent jamais se regrouper et soient
soumis � des travaux forc�s. Par la suite, les colons britanniques
pourraient prendre possession des terres des Acadiens, qui �taient les plus
fertiles de la Nouvelle-�cosse.
9.1 L'ordre de d�portation
En tant que lieutenant-gouverneur de la
colonie, Lawrence avait la responsabilit� de signifier l'ordre de d�portation des
Acadiens, en s'�tant s'assur� auparavant l'approbation et la coop�ration
pr�cieuse du gouverneur du Massachusetts, William Shirley, l'un des plus ardents ennemis
des Fran�ais. Le 31 juillet 1755, Lawrence donnait ses instructions et d�ployait
les forces britanniques comprenant 250 soldats
anglais et 2000 coloniaux de la Nouvelle-Angleterre. Il avait demand� de
veiller � ce que les Acadiens ne puissent regagner le Canada et avait veill� �
louer des vaisseaux au plus bas prix possible pour le transport de toute la
population.

L'Ordre de d�portation -
Toile de Claude Picard
Le vendredi 5
septembre 1755, le lieutenant-colonel John Winslow
lut en anglais la proclamation suivante aux 418 hommes et jeunes gar�ons
convoqu�s dans l'�glise Saint-Charles-des-Mines de Grand-Pr�:
Gentlemen,
I have received from his
Excellency, Governor Lawrence, the King's Commission which I have in
my hand, and by whose orders you are conveyed together, to Manifest
to you His Majesty's final resolution to
the French inhabitants of this his Province
of Nova Scotia, who for almost half a century have had more
Indulgence Granted them than any of his Subjects in any part of his
Dominions. What use you have made of them you yourself Best Know.
The Part of Duty I am now
upon is what thoh Necessary is Very Disagreeable to my natural make
and temper, as I Know it Must be Grievous to you who are of the Same
Speciea.
But it is not my business to
annimadvert, but to obey Such orders as I receive, and therefore
without Hesitation Shall Deliver you his Majesty's orders and
Instructions, Vist::
That your Land & Tennements, Cattle of all Kinds and Livestocks
of all Sorts are forfeited to the Crown with
all other your effects Savings your money and Household Goods, and
you yourselves to be removed form this Province.
Thus it is Peremptorily his Majesty's orders That the whole
French Inhabitants of these Districts be removed,
and I am Throh his Majesty's Goodness Directed to allow you Liberty
to Carry of your money and Household Goods as Many as you Can
without Discommoding the Vessels you Go in. I shall do Every thing in
my Power that all those Goods be Secured to you and that you are Not
Molested in Carrying of them of, and also that whole Family Shall go
in the Same Vessel, and make this remove, which I am Sensable must give
you a great Deal of Trouble, as Easey as his Majesty's Service will
admit, and hope that in what Ever part of the world you may Fall you
may be Faithful Subjects, a Peasable & Happy People.
I Must also Inform you That
it is his Majesty's Pleasure that you remain in Security under the
Inspection and Direction of the Troops that I have the Honr. to
Command.
|
[Messieurs,
J'ai re�u de Son Excellence le gouverneur Lawrence, les instructions
du roi. C'est par ses ordres que vous �tes assembl�s pour entendre
la r�solution finale de Sa Majest� concernant
les habitants fran�ais de cette
province de la
Nouvelle-�cosse qui, durant un demi-si�cle, ont jou� de plus
d'indulgence que tous les autres Sujets britanniques du Dominion de
Sa
Majest�. Quel usage vous en avez fait, vous seuls le savez.
Le devoir qui m'incombe, quoique n�cessaire, est tr�s d�sagr�able �
ma nature et � mon caract�re, de m�me qu'il doit vous �tre p�nible �
vous qui avez la m�me nature.
Mais il ne m'appartient pas de critiquer les ordres que je re�ois, mais
de m'y conformer. Je vais donc vous communiquer, sans h�sitation, les
ordres et instructions de Sa Majest�, � savoir que toutes...
Vos terres, vos maisons, votre b�tail et vos troupeaux de toutes
sortes sont confisqu�s au profit de la Couronne,
avec tous vos autres effets, except� votre argent et vos mobiliers,
et que vous-m�mes vous devez �tre transport�s hors de cette
province.
Les ordres imp�rieux de Sa Majest� sont que tous les habitants
fran�ais de ces districts soient d�port�s, et
selon la bont� de Sa Majest� vous permettant la libert� d'apporter
tout argent et biens personnels que vous pourrez transporter sans
incommoder les navires sur lesquels vous serez d�port�s. Je ferai
l'impossible pour assurer la s�curit� de vos biens, pour vous
prot�ger contre toute acte de brutalit� durant leur transport et
pour que
des familles enti�res soient transport�es ensemble sur le m�me
vaisseau. Je peux vous assurer que, malgr� tous vos ennuis durant ce
d�placement, nous souhaitons que, quelle que soit la partie du monde ou vous serez,
vous demeuriez des sujets fid�les � Sa Majest� tout en �tant un
peuple heureux et paisible.
Je dois aussi vous aviser que, selon son bon plaisir, Sa Majest� d�sire vous
garder en s�curit� sous le contr�le et la supervision des troupes que j'ai l'honneur de commander.] |
Comme l'ordre de d�portation �tait lu en anglais,
c'est un commis huguenot arriv� en Nouvelle-�cosse en 1749, parfaitement bilingue, du nom de Isaac Deschamps, �
l'emploi du riche armateur Joshua Mauger et fournisseur de la marine royale, qui
servit d'interpr�te au lieutenant-colonel Winslow aupr�s des Acadiens. Ce
dernier affirmait lui-m�me au sujet des Acadiens : �Nous avons entrepris de nous
d�barrasser de l'une des plaies d'�gypte.�
9.2 Les pr�cautions
Lawrence avait d'abord pris soin de faire arr�ter tous les pr�tres ou
missionnaires en
exercice et les avait fait conduire sous bonne escorte jusqu'� Halifax pour �tre
exp�di�s comme prisonniers de guerre en Angleterre. Il avait aussi pr�vu de faire dispara�tre
toutes les armes et toutes les embarcations des Acadiens. Ceux-ci n'avaient donc plus leurs pr�tres
pour les conseiller, ni leurs armes pour se d�fendre, ni leurs embarcations pour
s'enfuir.
Avant la fin de la seule ann�e 1755, la plupart des Acadiens vivant sur la p�ninsule
auront �t� d�port�s, soit plus de 6000 personnes; il faudra ensuite �vider�
l'Acadie continentale, l'�le Saint-Jean et l'�le Royale (o� vivaient beaucoup de
Fran�ais). Malgr� les pr�cautions de
Lawrence, de nombreux Acadiens
r�ussirent � s'enfuir au Canada (env. 2000), notamment ceux de la r�gion
de Beaubassin et d'Annapolis Royal.
C'est essentiellement en Nouvelle-�cosse que fit mise en
�uvre la
d�portation des Acadiens. Pour ce faire, Charles Lawrence avait pr�vu recourir
� 2000 miliciens recrut�s en Nouvelle-Angleterre, dont beaucoup au Massachusetts. De cette fa�on, il ne
mettait pas � contribution les garnisons anglaises qui, plus professionnelles et connaissant bien les
Acadiens, risquaient de prendre partie pour la population. Les
miliciens coloniaux avaient, au contraire, d�velopp� depuis longtemps des sentiments de haine �
l'�gard des Acadiens et de leurs alli�s, les Sauvages. Ils �taient donc plus
enclins � commettre toutes les exactions possibles.
De toute fa�on, les Britanniques m�prisaient ouvertement les Acadiens.
Pour eux, c'�taient simplement des paysans et de petits �leveurs, illettr�s,
sans �coles, sans villes, pratiquant une �conomie de subsistance, avec des canons
franco-anglais braqu�s sur eux depuis toujours. De
nombreux t�moignages �crits par certains officiers ne laissent aucun doute � ce
sujet. Le terme le plus fr�quent pour d�signer les Acadiens �tait vermin
(�vermine�).
Ce mot fut �galement utilis� par le
g�n�ral Wolfe en 1758 pour d�signer les Canadiens avant la conqu�te de Qu�bec:
It
would give me pleasure to see the Canadian vermin sacked and
pillaged and justly repaid their unheard-of cruelty. |
[J'aurai plaisir, je
l'avoue, � voir la vermine canadienne saccag�e, pill�e et justement
r�tribu�e de ses cruaut�s inou�es.] |
Les Britanniques avaient le m�pris facile: d'ailleurs, le m�me
terme ("vermin") servait � d�signer les Am�rindiens.
Ils comparaient �galement les Acadiens aux �plaies
d'�gypte�. Le capitaine John Knox exprima ainsi sa satisfaction de participer �
la d�portation des Acadiens: �Avec un inconcevable plaisir, on a vu les
mis�rables, Fran�ais et Aborig�nes, payer cher et porter le poids de notre juste
ressentiment.� Cette expulsion �tait consid�r�e par les Britanniques comme
normale et juste.
�tant donn� que les Acadiens n'�taient pas
des Noirs mais des Blancs, leur d�portation n'�tait sans doute pas
justifiable politiquement pour une simple question de race, mais pour des
motifs religieux : les Acadiens �taient catholiques, donc des papistes, et
r�put�s comme peu loyaux envers la Couronne anglaise. Officiellement, les
motifs religieux suffisaient amplement. Le gouvernement colonial croyait
l�gitime de d�placer cette population de mauvais sujets britanniques dans le reste de
son immense empire. Par ailleurs, une d�portation � grande �chelle permettait
� des protestants anglophones d'accaparer gratuitement les meilleures terres des Acadiens. En
outre, les 118 300 bovins, moutons, porcs et chevaux appartenant aux Acadiens se
retrouvaient en possession du gouvernement colonial. Il
s'agissait l� d'avantages non n�gligeables.
Mais les m�thodes utilis�es par les Britanniques
au cours
de la d�portation furent inhumaines, voire machiav�liques. Les membres d'une
m�me famille furent plac�s d�lib�r�ment dans des navires ou des rafiots diff�rents et dispers�s
dans des colonies diff�rentes. Les hommes revenaient de leur travail � la maison
pour trouver leur famille disparue, leurs maisons br�l�es, tandis que les
miliciens de la Nouvelle-Angleterre les attendaient pour les arr�ter et les forcer
avec leurs ba�onnettes � monter � bord des vaisseaux pour un exil permanent hors
de leur pays. Les Britanniques saisirent les fermes, les biens et le b�tail,
puis pill�rent et ruin�rent les terres acadiennes afin de s'assurer que les Acadiens ne
reviendraient jamais. Ce fut la politique de la terre br�l�e et l'Acadie fut
� peu pr�s enti�rement d�truite.
9.3 Le r�le des gouvernements
britannique et fran�ais
Pour sa part, l
e
gouvernement britannique n'autorisa jamais formellement la
d�portation massive des
Acadiens. Ce n'est qu'apr�s l'expulsion qu'il en prit officiellement connaissance.
Quoi qu'il en soit, la d�portation des populations jug�es ind�sirables faisait
partie des m�urs
de l'�poque. C'est pourquoi
Londres r�compensa Lawrence en l'envoyant comme
membre de l'�tat-major au si�ge de Louisbourg en 1758,
le promut colonel,
puis g�n�ral de brigade. Ensuite, Lawrence obtint le poste de gouverneur qu'il
occupa jusqu'� sa mort en 1760. Le 2 octobre 1758, il
avait obtenu pour la Nouvelle-�cosse
la premi�re Chambre l�gislative au Canada. Son r�le dans la d�portation
des Acadiens n'aurait suscit� que fort peu de commentaires � l'�poque, sauf au
Canada. Les Anglais expurg�rent des archives de
la Nouvelle-�cosse les documents relatifs � la d�portation des Acadiens.
L'objectif �tait d'an�antir ces �rebelles� qui avaient tant donn� de
fil � retordre aux Britanniques parce qu'ils avaient voulu rester fid�les � leur
patrie, � leur religion et � leur langue.
Quant � la France de Louis XV, elle n'a jamais r�agi
officiellement au drame qui affligeait son ancienne colonie. Pour elle, l'Acadie
constituait un poids financier, c'est-�-dire une stricte d�pense, sans aucune
rentabilit� autre que strat�gique. La perte de l'Acadie �tait m�me vue
comme une lib�ration. Rappelons ce mot m�prisant de Voltaire apr�s le
tremblement de terre qui avait d�vast�, le 1er
novembre 1755, Lisbonne au Portugal, avec des r�percussion jusqu'� Mekn�s au Maroc:
�Je voudrais que le tremblement de terre e�t
englouti cette mis�rable Acadie, au lieu de Lisbonne et de Mekn�s.� Selon
certaines sources, le s�isme avait fait entre 60 000 et 100 000 victimes et d�truit 85
% de la ville de Lisbonne. Par comparaison, la trag�die qui frappait les quelque 12 000
victimes acadiennes paraissait moins importante dans l'actualit� de l'�poque.
Rappelons que l'�limination des communaut�s
conquises au moyen de la d�portation massive ne constituait pas � l'�poque une mesure
exceptionnelle, non seulement elle n'�tait pas contraire aux lois de la guerre,
elle faisait partie des m�urs: Fran�ais et Britanniques utilis�rent
souvent ce
proc�d� au cours de leur histoire coloniale. Mais ce qui appara�t comme diff�rent par
rapport aux usages en cours, c'est que les Acadiens furent d�port�s plus de quarante
ans apr�s leur conqu�te (1713), fait d�j� en soi tr�s exceptionnel, et qu'ils ne
furent pas relocalis�s dans des territoire
fran�ais, mais au contraire dans un milieu
hostile,
c'est-�-dire en pays ennemi, dans des colonies anglaises et en Angleterre. � cette �poque, il �tait
plut�t habituel de
reconduire les populations conquises dans leur m�re patrie ou encore dans l'une de ses
colonies, mais jamais �en territoire ennemi�.
On peut
donc interpr�ter cette d�portation comme un acte r�solument g�nocidaire perp�tr� par
des individus fanatis�s et r�actionnaires, un peu comme cela se passe dans une guerre de religion
ou une guerre sainte. Des protestants contre des papistes! De
plus, la d�portation de plus de 12 000 sujets de l'Empire britannique
constituait aussi une premi�re. G�n�ralement, on s'en tenait � des groupes
beaucoup plus restreints de 2000 ou 3000 individus, comme � Plaisance ou � Louisbourg.
Par ailleurs, la moiti� des 3600 Acadiens
d�port�s en Nouvelle-Angleterre, qui surv�curent, allaient r�ussir, apr�s avoir
transit� par la France durant des ann�es, � se r�fugier
en Louisiane devenue espagnole ou � regagner les Maritimes. On allait trouver
des Acadiens en Nouvelle-Angleterre, dans la �province de Qu�bec�, aux �les
Saint-Pierre-et-Miquelon, en Angleterre, en France, aux Antilles et jusqu'aux
lointaines �les Malouines (voir la carte de
la dispersion des Acadiens). De plus, les historiens
am�ricains estiment que plus de la moiti� des 12 600 Acadiens et Fran�ais expuls�s de la
Nouvelle-�cosse, de l'�le Saint-Jean et de l'�le Royale p�rirent des suites de la d�portation, c'est-�-dire par la
maladie, les �pid�mies, le froid, la mis�re, la malnutrition, les naufrages,
etc.
Lors de la d�portation de 1755, des milliers d'Acadiens
r�ussirent � s'enfuir en territoire fran�ais, c'est-�-dire � l'�le Royale et �
l'�le Saint-Jean. Devant le flux des Acadiens, le gouverneur de Louisbourg,
Augustin de Ducourt,
se vit aux prises avec deux probl�mes suppl�mentaires: d'une part, les r�fugi�s
devaient �tre nourris de toute urgence, d'autre part, l'�le Royale ne recevrait
plus d'animaux d'�levage et de provisions que les Acadiens vendait � la colonie.
En novembre 1755,
le grand vicaire g�n�ral du Canada
et de l'Acadie (jusqu'�
la nomination de Mgr
de Pontbriand), qui r�sidait en France,
Pierre de La Rue (1688-1779),
abb� de l'Isle-Dieu, transmit l'information au ministre
de la
Marine,
Jean-Baptiste de Machault,
comte d'Arnouville, du fait que les Britanniques avaient
�substitu� des colons et cultivateurs anglois, qui auront trouv� la nappe mise,
et qui auront pu profiter de leur travail et des cultivations de nos pauvres
Acadiens fran�ois, aussy bien que de leurs effets morts et vifs�. Au printemps
de 1756, le gouverneur de l'�le Royale, Augustin de Ducourt,
et le commissaire-ordonnateur, Jacques Pr�vost, inform�rent leurs sup�rieurs en
France du �traitement indigne� que les Britanniques avaient fait subit aux
Acadiens, dont beaucoup se cachaient dans les bois et � l'�le Saint-Jean. M�me
si le drapeau du roi de France flottait encore sur la colonie de l'�le-Royale,
les Britanniques savaient qu'il leur �tait possible de s'emparer de la
forteresse de Louisbourg, car ils l'avaient fait en 1745. La seule diff�rence,
c'est que la forteresse comptait plus de soldats que jamais et que le port
abritait beaucoup plus de navires de guerre. Au d�but du mois de juin 1758, une
flotte de 40 navires de guerre �quip�s de 1842 canons, sous les ordres de
l'amiral Edward Boscawen, escort�e de 127 vaisseaux transportant � leur bord
plus de 14 000 hommes de troupes, se pr�senta au large de l'�le Royale, devant
Louisbourg. Le si�ge commen�a le 8 juin; il se termina le 27 juillet 1758 par la
capitulation de Louisbourg.
Apr�s la prise de Louisbourg, les Britanniques
occup�rent aussit�t l'�le Royale et ensuite l'�l
e Saint-Jean (qui deviendra sous
peu St John Island). Apr�s avoir d�port� les Acadiens de la
Nouvelle-�cosse, ils entreprirent d'expulser aussi tous les �sujets
fran�ais� de l'�le Royale et de l'�le Saint-Jean. S'il n'y avait que peu
d'Acadiens sur l'�le Royale, ils constituaient alors la moiti� de la population de
l'�le Saint-Jean.
On peut consulter une carte de l'�le Saint-Jean en 1758 (cliquer
ICI, s.v.p.) et une autre de l'�le
Royale (cliquer
ICI, s.v.p.), juste avant la prise de Louisbourg et la chute de la colonie
de l'�le-Royale.
En juillet 1758, il y avait encore au moins 4000
Fran�ais et Acadiens � l'�le Royale. La plupart des habitants furent d�port�s vers la
France, et pr�s de 400 d'entre eux moururent en mer. L'ann�e suivante, il ne
restait plus qu'environ 500 habitants dans l'�le, mais l'ancien gouverneur
fran�ais,
Augustin de Ducourt, affirmait qu'il pouvait y
en avoir 1500.
� l'�le Saint-Jean, la population enti�re,
soudainement gonfl�e depuis 1755 par les r�fugi�s acadiens de la Nouvelle-�cosse, connut le m�me
sort. Le nombre des insulaires a �t� �valu� entre 5000 et 6000 personnes, mais
le tiers r�ussit � s'�chapper: une trentaine de familles v�cut clandestinement
dans les for�ts avec les autochtones, alors que les autres se r�fugi�rent au
Canada (province de Qu�bec) ou aux �les Saint-Pierre-et-Miquelon. Il y eut
n�anmoins plus de 3000
Fran�ais et Acadiens exp�di�s dans les ports de France et d'Angleterre, dont plus de 1600 p�rirent durant la
travers�e. Les quelques milliers d'Acadiens qui habitent aujourd'hui
l'�le du Prince-�douard sont les descendants des familles qui y sont revenues
apr�s 1764 apr�s avoir transit� par l'Angleterre, puis par la
France, avant d'aboutir � l'�le. En 1768, le recensement indiquait 63
Britanniques et 203 Acadiens vivant � Havre-Saint-Pierre, Tracadie,
Rustico et Malp�que, ou dans les environs.
Des 18 000 individus habitant la p�ninsule n�o-�cossaise,
l'isthme de
Chignectou, l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard) et l'�le Royale (Cap-Breton),
plus de 12 000 Acadiens furent d�port�s au total, et 8000 pass�rent � tr�pas avant
d'arriver � destination. La d�portation allait durer pr�s de sept ans, soit de 1755 �
1762. Mais beaucoup d'Acadiens allaient poursuivre leurs p�r�grinations pendant
plusieurs ann�es, sinon des d�cennies, avant qu'ils ne puissent trouver une nouvelle
terre d'accueil.
Ainsi, deux nouveaux
territoires
allaient devenir totalement anglais, apr�s en avoir expuls� tous les
occupants, dont cette fois-ci une majorit� de Fran�ais.

L
'�pisode
dramatique de la d�portation des Acadiens ne fait pas l'unanimit� au Canada. Si
la d�portation est per�ue comme une trag�die par les Acadiens et les Qu�b�cois,
il n'en est pas ainsi au Canada anglais. Au lieu de l'appeler �d�portation des
Acadiens�, on emploie plut�t les expressions suivantes en anglais: "Expulsion of
the Acadians", "Great Upheaval" (bouleversement) ou "Great Expulsion". De fa�on
g�n�rale, on tend au Canada anglais � banaliser cette �pisode, comme il est
courant de le faire pour d'autres �v�nements de violence et de
terreur, qui ont marqu� l'histoire canadienne. Voici un exemple tir� de
l'organisme f�d�ral "Biblioth�que et Archives Canada" :
The Expulsion (version
originale anglaise)
Beginning in 1755, British soldiers went from town to town, tricking
the Acadians into gathering in one place, where they were imprisoned.
With only the possessions they could carry, the Acadians were loaded
onto ships. Sometimes families were separated. The Acadians were
sent to British colonies along the Atlantic coast : Massachusetts,
Connecticut, Pennsylvania, New York, Maryland, North Carolina, South
Carolina, Georgia and Virginia.
The Acadians who were sent to New England found they were not
welcome. Many starved and died. Some moved on to Louisiana. Some
even made their way to England and then to France.
Some of the Acadians had managed to escape the soldiers by hiding in
the woods. They went to �le Royale, �le Saint-Jean or to what is now
the province of Quebec. Perhaps as many as 10 000 people were forced
to leave their homes in Acadia from 1755 to 1763.
The lands they left behind were the best farmland in Nova Scotia.
The land was taken over by New Englanders, Loyalists and other
Protestant settlers.
_______
Source: Library and Archives Canada |
La
d�portation (version fran�aise
traduite) En 1755, les
soldats anglais sont all�s de ville en ville et ont rassembl� les
Acadiens sous un faux pr�texte. Ils les ont faits prisonniers et les
ont entass�s sur des navires, avec les biens qu'ils pouvaient
apporter avec eux. Parfois, ils s�paraient les familles. Ils les ont
d�port�s dans les colonies anglaises qui longent la c�te atlantique
: le Massachusetts, le Connecticut, la Pennsylvanie, New York, le
Maryland, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, la G�orgie et la
Virginie, ainsi qu'en Europe et en Louisiane.
Les Acadiens qui ont �t� envoy�s en Nouvelle-Angleterre ne se sont
pas sentis bien accueillis. Un grand nombre ont souffert de la faim
et sont morts. Quelques-uns ont �t� s'installer en Louisiane. Il y
en a m�me qui sont all�s jusqu'en Angleterre, puis en France.
Certains Acadiens sont parvenus � �chapper aux soldats en se cachant
dans les bois. Ils se sont rendus � l'�le Royale, � l'�le Saint-Jean
ou au Qu�bec de l'�poque. Il est probable que pr�s de 10 000
personnes ont �t� forc�es de quitter leur maison en Acadie entre
1755 et 1763.
Les terres que les Acadiens ont laiss�es derri�re eux �taient les
meilleures terres agricoles de la Nouvelle-�cosse. Ce sont des
colons de la Nouvelle-Angleterre, des loyalistes et d'autres colons
protestants qui les ont prises.
_______
Source: Biblioth�que et Archives Canada |
Dans les faits, la colonisation fran�aise de l'Acadie se termine
avec la d�portation des Acadiens. Pourtant, l'Acadie revivra sous une autre
forme avec le retour des Acadiens apr�s 1764, mais �videmment ce ne sera plus
une colonie fran�aise, puisque m�me la Nouvelle-France �tait disparue en 1763.

Cartes sur
l'�volution des �tablissements acadiens.

Pour lire la suite
�La Nouvelle Acadie
de 1755 � aujourd'hui�,
il suffit de
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Derni�re mise � jour:
15 oct. 2023



Bibliographie portant sur la Nouvelle-France

La Nouvelle-France


Am�rique du Nord
