Histoire du fran�ais au Qu�bec
Section 2

[Union Flag of 1801]

(2) Le R�gime britannique 
(1760-1840)

Une majorit� fran�aise
menac�e 


Plan de l'article

1. La guerre de la Conqu�te (1756-1760)
    Une question de vocabulaire
    La chute de la Nouvelle-France
    Les cons�quences imm�diates de la guerre
2. Le r�gime militaire (1760-1763): le statu quo provisoire
    Le maintien du fran�ais par d�faut
    L'organisation administrative
    La nouvelle monnaie
3. Le trait� de Paris de 1763
    Le choix de France
    La disparition de la Nouvelle-France et de ses entit�s
    Une colonie d�sormais britannique
    Le g�nocide des autochtones
4. La Proclamation royale (1763-1774)
    La r�organisation des colonies britanniques
    La province de Qu�bec
    Une voie sans issue
5. Le bref compromis de l'Acte de Qu�bec (1774)
    L'absence d'immigrants anglophones
    La fid�lisation des francophones
    Le statut juridique du fran�ais
    La r�forme scolaire avort�e

6. La R�volution am�ricaine (1775-1783) et ses cons�quences au Canada
    L'opposition des Treize Colonies
    La guerre de l'Ind�pendance am�ricaine (1775-1783)
    L'arriv�e massive des Am�ricains
 
  L'�migration am�rindienne
7. La p�riode troubl�e de 1791-1840
    Les deux colonies du Haut et du Bas-Canada
    Les seigneuries, les cantons et les comt�s
    La R�volution fran�aise de 1789
    La d�mocratie de fa�ade
    Les premiers conflits linguistiques
    La lutte pour le pouvoir
8. L'�veil du nationalisme francophone
    La persistance du fait fran�ais
    Le r�le des �coles
    L'influence des journaux
    Les partis politiques
    La r�volte des Patriotes
    Le rapport Durham et la politique d'assimilation
    L'Union politique du Haut-Canada et du Bas-Canada
9. L'�tat de la langue fran�aise sous le R�gime britannique
    Un fran�ais diff�renci�
    Un fran�ais d�j� anglicis�
    L'�volution du fran�ais de France

1 La guerre de la Conqu�te (1756-1760)

C'est au printemps de 1756 que d�buta en Europe la guerre de Sept Ans (1756-1763). La plupart des grandes puissances europ�ennes de l'�poque �taient impliqu�es dans cette guerre qui opposait, d'un c�t�, la Prusse, la Grande-Bretagne et le Hanovre, et de l'autre, l'Autriche, la Saxe, la France, la Russie, la Su�de et l'Espagne. Certains historiens parlent aussi d'une sorte de �premi�re guerre mondiale�, car le conflit couvrait le monde entier, de l'Europe aux Indes, des Antilles aux Philippines et de l'Am�rique du Nord � l'Asie. Ainsi, le conflit aux Indes opposait la France � la Grande-Bretagne, alors que celui en Am�rique du Nord opposait la Couronne anglaise et ses colonies de la Nouvelle-Angleterre aux Fran�ais et � leurs alli�s am�rindiens.

Alors que la France croyait qu'elle devait miser sur ses victoires en Europe, la Grande-Bretagne croyait plut�t que la guerre devait se gagner dans les colonies, d'o� cet effort colossal pour pr�parer une flotte pouvant ma�triser les mers du monde. Contrairement � la France, la Grande-Bretagne avait vu le potentiel �conomique que repr�sentait l'Am�rique du Nord. Pour la France, la Nouvelle-France n'avait qu'un int�r�t strat�gique: elle servait � repousser ou � arr�ter l'expansion des Britanniques en Am�rique du Nord. Ses colonies rapportaient peu, mais elles ne co�taient pas tr�s cher.  

1.1 Une question de vocabulaire

Cependant, pour l'Am�rique du Nord, on parle davantage de guerre de la Conqu�te (1756-1760) qui, tout en co�ncidant avec la guerre de Sept Ans (1756-1763), se termina trois ans avant la guerre en Europe. Or, la guerre de la Conqu�te, qui porte plusieurs noms, a eu des cons�quences d�terminantes en Am�rique du Nord. Si l'on utilise g�n�ralement en fran�ais les appellations guerre de la Conqu�te (War of the Conquest) et guerre de Sept Ans (Seven Years' War), on emploie plus souvent en anglais les termes French and Indian War (�guerre contre les Fran�ais et les Indiens� ou �Guerre franco-indienne�), Seven Years' War (guerre de Sept Ans), ou encore War for Empire (�guerre pour l'Empire�), parfois British Conquest (�Conqu�te britannique�).  Mais les deux appellations les plus significatives sont dans aucun doute guerre de la Conqu�te pour les francophones du Canada et French and Indian War pour les anglophones pour lesquels cette derni�re expression t�moigne de l'imbrication des alliances franco-indiennes.

Pendant que Louis XV gouvernait le royaume de France (1715-1774), George II gouvernait la Grande-Bretagne (1727-1760), mais ce roi anglais �tait un francophone de naissance. Jusqu'� l'�ge de quatre ans, il n'a parl� que le fran�ais pour apprendre ensuite l'allemand en tant que prince de la Maison de Hanovre. Une fois roi d'Angleterre, il apprit �galement l'anglais et l'italien, mais il ne ma�trisa jamais ces deux langues. George III (1760-1820), qui succ�da � George II dont il �tait le petit-fils, est n� en Grande-Bretagne et eut l'anglais comme langue maternelle. Cependant, la sant� de George III commen�a � se d�t�riorer d�s les ann�es 1780, car il souffrait de troubles mentaux. Il r�gna avec des hauts et des bas jusqu'� ce qu'il accepte la r�gence en 1811. Durant cette p�riode qui va de 1760 � 1840, les souverains anglais furent George III, George IV (1820-1830), Guillaume IV (1830-1837) et la reine Victoria dont le long r�gne allait se terminer en 1901.

1.2 La chute de la Nouvelle-France

Afin de prendre Qu�bec, il fallait que les nombreux navires de guerre de la Grande-Bretagne puissent franchir le fleuve Saint-Laurent qui �tait pratiquement inconnu des Anglais. L'Angleterre fit appel � James Cook qui mena ses inspections sous le couvert de la nuit, pla�ant des bou�es pour indiquer les bas-fonds, les rochers et les dangereux courants. Son minutieux travail, surtout entre l'�le d'Orl�ans et la c�tes nord, allait permettre � la flotte britannique et aux navires de ravitaillement d'atteindre sans encombre la forteresse de Qu�bec. Ses cartes marines parurent si compl�tes qu'elles allaient servir aux navigateurs pendant plus d'une centaine d'ann�es.

Au cours de cette guerre, les arm�es britanniques du jeune major g�n�ral James Wolfe assi�g�rent Qu�bec et taill�rent en pi�ces les troupes franco-canadiennes du g�n�ral Montcalm (un Fran�ais), lors de la bataille des Plaines d'Abraham du 13 septembre 1759. Pourtant, lors de cette bataille ultime, Montcalm pouvait disposer de 10 000 hommes contre les 9000 de Wolfe (dont 33 % de Rangers � des futurs Am�ricains �, 25 % d'Irlandais, 23 % d'Anglais, 15 % d'�cossais et 4 % de Suisses et d'Allemands). Au moment de la bataille des Plaines d'Abraham, il ne restera plus que 4440 hommes valides, car il y avait d�j� plus de 850 morts, un millier de bless�s et 1600 soldats d�tach�s pour d�truire les villages environnants. Pour sa part, Montcalm disposait de 4400 hommes. Les deux arm�es �taient, au point de vue du nombre, de force � peu pr�s �gale. Toutefois, l'arm�e britannique �tait compos�e uniquement de soldats r�guliers, bien entra�n�s et habitu�s � combattre en terrain d�couvert. Au contraire, l'arm�e fran�aise �tait form�e de 2000 r�guliers, le reste �tant compos� de miliciens et d'Am�rindiens (1600), de volontaires canadiens et acadiens (600), souvent inexp�riment�s dans les batailles � l'europ�enne, et mal arm�s, car ne disposant que de simples fusils d�pourvus de ba�onnettes; de plus, en arrivant sur les Plaines, ces hommes �taient fatigu�s de leur longue marche depuis Beauport.

Par ailleurs, les forces franco-canadiennes �taient command�es par deux chefs (Vaudreuil et Montcalm) aux vues diam�tralement oppos�es. Le secr�taire d'�tat � la Marine de 1758 � 1761, Nicolas Berryer, comte de la Ferri�re, nomm� ministre gr�ce � la protection de Madame de Pompadour, avait eu l'id�e insolite d'imposer � la Nouvelle-France un commandement � deux t�tes. Ce personnage, qui ne connaissait rien � la guerre, au demeurant un bon chef de police, d�tenait entre ses mains le destin de la Nouvelle-France. Pendant que Montcalm commandait l'arm�e fran�aise, Vaudreuil dirigeait la milice et les troupes du Canada. Vaudreuil demeurait responsable des plans de campagne, mais Montcalm pouvait d�cider ce qu'il voulait. Voici ce qu'avait �crit Louis-Antoine de Bougainville, d�l�gu� sp�cialement aupr�s de la Cour, le 20 novembre 1758, � M. de Vaudreuil et au g�n�ral Montcalm :
 

M. Berryer ne voulut jamais comprendre que le Canada �tait la barri�re de nos autres colonies et que les Anglais n'en attaqueraient jamais aucune autre, tant qu'ils ne nous auraient pas chass�s de celle-l�. Le ministre aimait les paraboles et me dit fort pertinemment qu'on ne cherchait point � sauver les �curies quand le feu �tait � la maison. Je ne pus donc obtenir, pour ces pauvres �curies, que 400 hommes de recrue et quelques munitions de guerre.

Le 13 octobre 1761, alors que la Nouvelle-France �tait perdue, Louis XV allait devoir d�mettre de ses fonctions le ministre Berryer en raison de son incomp�tence manifeste et le remplacer par le duc �tienne-Fran�ois de Choiseul. Apr�s la capitulation de Montr�al en 1760, Voltaire ira jusqu'� donner une grande f�te � Ferney (Suisse) pour �c�l�brer le triomphe des Anglais � Qu�bec�. En fait, Voltaire voulait c�l�brer non pas le triomphe de l'Angleterre sur la France, mais le triomphe de la libert� sur le despotisme. Il croyait que la perte du Canada serait la d�livrance des colonies britanniques et, par la suite, l'affranchissement de toute l'Am�rique. L'une des lettres les plus c�l�bres de Voltaire sur le Canada est celle qu'il �crivit, le 6 septembre 1762, au comte C�sar Gabriel de Choiseul (1712-1785), futur duc de Praslin, qui avait remplac� en 1761 son cousin �tienne-Fran�ois au poste de secr�taire d'�tat des Affaires �trang�res:
 

Si je ne voulais que faire entendre ma voix, Monseigneur, je me tairais dans la crise des affaires o� vous �tes. Mais j'entends les voix de beaucoup d'�trangers, toutes disant qu'on doit vous b�nir si vous faites la paix � quelque prix que ce soit. Permettez-moi donc monseigneur, de vous en faire mon compliment. Je suis comme le public, j'aime mieux la paix que le Canada, et je crois que la France peut �tre heureuse sans Qu�bec. Vous nous donnez pr�cis�ment ce dont nous avons besoin. Nous vous devons des actions de gr�ces. Recevez en attendant avec votre bont� ordinaire le profond respect de Voltaire.

Voltaire admirait les Anglais. Il avait s�journ� trois ans � Londres et avait appris l'anglais tout en s'impr�gnant des id�ologies de ce pays. S'il n'aimait pas le Canada, Voltaire avait en revanche une opinion beaucoup plus positive de l'�le Royale et la forteresse de Louisbourg (voir le texte).

- La bataille des Plaines

Ce matin du 13 septembre 1759, le g�n�ral Montcalm, qui contr�lait l'arm�e fran�aise, croyait alors qu'il ne pouvait attendre les renforts de Louis-Antoine de Bougainville pour coincer les Britanniques entre deux feux, mais il ne pouvait pas savoir (ce que  nous connaissons aujourd'hui) qu'il aurait eu amplement le temps d'attendre deux ou trois heures parce que l'arm�e britannique �tait d�j� au complet et ne pouvait se renforcer davantage. Il pensait que le risque d'attendre �tait plus grand que celui d'attaquer imm�diatement. Montcalm avait pris la d�cision d'incorporer � chaque r�giment de l'arm�e un corps de miliciens canadiens et acadiens, dont il se m�fait. Il aurait commis l'imprudence de faire avancer ses troupes en terrain d�couvert, ce qui �tait un risque �norme, puisque la puissance de feu adverse pouvait pleinement s'exercer, avec une arm�e britannique compos�e uniquement de soldats r�guliers et professionnels. Puis il imposa � cette milice une bataille rang�e � l'europ�enne, ce qui la paralysa en moins de quinze minutes. Montcalm donna aussit�t un ordre de repli derri�re les remparts de Qu�bec, le tout dans un d�sordre catastrophique. La milice finit par retrouver ses moyens et mitrailla f�rocement les Britanniques. Montcalm re�ut une blessure mortelle, Wolfe fut tu� ainsi que son second, le g�n�ral Monckton. Visualiser une vid�o sur la bataille des Plaines en cliquant ICI, s.v.p.

Au total: 658 tu�s ou bless�s chez les Britanniques, 644 chez les Fran�ais, le nombre de Fran�ais et de Canadiens et d'Acadiens tomb�s durant la bataille demeurant � peu pr�s �quivalent � celui des Britanniques. En fait, les combats avaient dur� pr�s de cinq heures, soit de 7 h du matin, au moment o� les Britanniques se sont pr�sent�s sur les plaines, jusqu'� midi. Le gros des pertes fran�aises a eu lieu lors de la bataille rang�e, tandis que les Britanniques ont subi leurs pertes importantes aux mains des miliciens canadiens et des Am�rindiens, qui couvraient la retraite des Fran�ais.

Dans la nuit du 13 au 14 septembre, juste avant de mourir, Montcalm exprima ses regrets � Vaudreuil et lui recommanda de reprendre le combat avec l'arm�e fran�aise qui �tait encore intacte, car elle n'avait pas particip� � la bataille des Plaines. Jusqu'� ce moment-l�, rien n'�tait jou�: aucun des deux camps n'avait gagn� ni perdu. Puis tout se pr�cipita du c�t� fran�ais.

- La retraite

Par malheur, Gaston-Fran�ois de L�vis, le commandant en second des troupes fran�aises, �tait � Montr�al. Il se passa quatre jours avant son arriv�e � Qu�bec, soit le 17 septembre. Quant � Vaudreuil, il n'eut aucune influence sur les officiers fran�ais, qui refus�rent de suivre le gouverneur canadien, un �colonial� peu cr�dible � leurs yeux. C�dant � la panique, celui-ci ordonna la retraite de l'arm�e fran�aise et il alla se r�fugier avec les troupes � 12 lieues (environ 50 km) de Qu�bec, vers la rivi�re Jacques-Cartier, laissant le commandement de la ville � Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay, qui ne disposait plus que de 2000 hommes. Ayant pris le commandement de l'arm�e fran�aise d�sorganis�e, L�vis estima que quitter Qu�bec avait �t� une grave erreur. Le 18 septembre 1759, de Ramezay, ignorant que L�vis se pr�parait � reprendre la ville, sur les plus pressantes instances des notables et des marchands, � court de vivres et intimid�s par le d�ploiement des forces britanniques, rendit la ville aux Britanniques, avec en mains le texte de la capitulation pr�vue par Montcalm (voir le texte des 11 articles). Les notables craignaient �de tomber sous le joug de l'ennemi pour devenir les victimes de leur fureur� et croyaient qu'il �n'est point honteux de c�der quand on est dans l'impossibilit� de vaincre�. Lorsque L�vis arriva devant Qu�bec, il �tait trop tard, la reddition avait �t� accept�e par le g�n�ral Towshend. L�vis s'�cria: �Il est inou� que l'on rende une place sans qu'elle ne soit attaqu�e ni investie.� Il dut alors rebrousser chemin et se diriger vers la rivi�re Jacques-Cartier.

Au printemps de 1760, L�vis revint � Qu�bec et gagna la bataille de Sainte-Foy contre les Britanniques. Qu�bec fut de nouveau assi�g�e, mais les Fran�ais manqu�rent de munitions et de vivres. La bataille de Sainte-Foy fut l'une des plus sanglantes de la Conqu�te: 193 soldats tu�s et 640 bless�s chez les Fran�ais, contre 259 morts et 829 bless�s chez les Britanniques. L�vis devait attendre des renforts de France avant de lancer l'assaut d�cisif: ils n'arriv�rent jamais, l'incomp�tent ministre Berryer ayant trouv� le moyen de faire partir en retard les navires promis avec les 400 hommes. Les premiers navires qui se pr�sent�rent � l'embouchure du Saint-Laurent arboraient le pavillon anglais...

- La capitulation de Montr�al

L'objectif des Britanniques pour la campagne de 1760 �tait la prise de Montr�al, dernier bastion fran�ais en Am�rique du Nord ; le commandant en chef de l'arm�e britannique, Jeffrey Amherst, ordonna au g�n�ral James Murray de remonter le Saint-Laurent avec ses troupes. Murray s'installa � Longueuil, en face de Montr�al, avec son arm�e en attendant celle d'Amherst et celle de William Haviland.

Le lendemain, le 6 septembre, l'arm�e britannique, qui comptait 17 000 hommes, se pr�senta devant les remparts de Montr�al. Les Britanniques et les Fran�ais parlement�rent au cours de la journ�e du 7 septembre. Le g�n�ral Jeffrey Amherst (le successeur de James Wolfe) avait pr�venu les d�fenseurs fran�ais qu'il �tait pr�t � tout: �Je suis venu prendre le Canada et je ne me contenterai de rien de moins.� Le 8 septembre 1760, sans avoir livr� bataille mais voulant prot�ger les droits des Canadiens, leur int�grit� physique, leurs biens, leur religion et leurs lois, le gouverneur g�n�ral de Vaudreuil se r�solut � signer la capitulation (voir le texte des 55 articles) du Canada, de l'Acadie fran�aise et des postes de l'Ouest (les Pays-d'en-Haut) aussi �loign�s que le �Pays des Illinois�. Sign�rent le g�n�ral en chef Amherst et le gouverneur g�n�ral Vaudreuil.

Ce trait� de capitulation �tait rigoureux pour les militaires fran�ais : Amherst refusa d'accorder � l'arm�e fran�aise les honneurs de la guerre. L'arm�e fran�aise devait imm�diatement se rembarquer pour la France. Quant aux fonctionnaires civils qui n'�taient pas canadiens, ils devaient aussi rembarquer pour la France avec leurs familles. Les Acadiens, qui s'�taient r�fugi�s au Canada pour �viter une d�portation toujours en exercice, ne re�urent aucune garantie (art. 39). Les habitants canadiens avaient la possibilit� de rentrer en France, s'ils le d�siraient. S'ils restaient, la capitulation leur assure la possession des biens tant seigneuriaux que roturiers. Les autochtones �taient maintenus sur les terres qu'ils habitaient.

Les articles 27 � 36 garantissaient le libre exercice de la religion catholique.  Pour ce qui est de la nomination du futur �v�que (Mgr Pontbriand venant de d�c�der) et de ses pouvoirs, Amherst �crit en marge de l'article 30 : Refus�. Il refusa de se prononcer sur deux autres demandes importantes : que les Canadiens continuent de jouir de la Coutume de Paris (c'est-�-dire les lois fran�aises) et qu'ils ne soient pas oblig�s de prendre les armes contre la France. Amherst se contente de r�pondre qu'ils deviennent sujets du roi d'Angleterre.

S'il voulait �viter un v�ritable bain de sang et la d�vastation compl�te du Canada, les Britanniques ayant d�j� d�montr� leur f�rocit� en Acadie avec la d�portation des Acadiens, le gouverneur g�n�ral de la Nouvelle-France n'avait plus d'autre choix. Exasp�r� d'une si longue lutte, le g�n�ral Amherst refusa �fort incivilement� aux troupes fran�aises les �honneurs de la guerre�. Humili�, le chevalier de L�vis br�la les drapeaux fran�ais plut�t que de les remettre aux Anglais.

- La fin des alliances franco-am�rindiennes

Alors que la guerre de la Conqu�te se poursuivait, la fin des alliances franco-am�rindiennes �tait commenc�e. D�s le mois d'avril 1759, plusieurs repr�sentants des Mohawks du Sault-Saint-Louis (devenu Caughnawaga, puis Kahnawake) pr�sent�rent des propositions de paix aux Britanniques, qui les accept�rent. En avril 1760, le g�n�ral Jeffrey Amherst r�digea une proclamation destin�e � gagner � sa cause les alli�s indiens de la France. Il d�clara que Sa Majest� ne l'avait pas envoy� pour priver les Indiens de leurs terres ou de leurs biens et promit que, en retour pour leur soutien, les Indiens conserveraient les droits qui leur reviennent, y compris leurs territoires de chasse. Lors d'une rencontre le 30 ao�t � Oswegatchie (ancien fort L�vis, aujourd'hui Johnstown, Ontario) avec les �Indiens domicili�s�, c'est-�-dire ceux qui habitaient Lorette, Odanak, W�linak, Sault-Saint-Louis, les Deux-Montagnes (Oka) et Akwesasne (Ontario), William Johnson, colonel et commissaire aux Affaires indiennes, sut habilement les convaincre de rester neutres durant la guerre en retour de la promesse de ne pas �tre trait�s comme des ennemis par la suite. 

Le 5 septembre 1760, pendant que le g�n�ral Murray attendait l'ordre de fondre sur Montr�al, une quarantaine de Hurons combattant pour les Fran�ais avaient d�cid� de rendre les armes, de quitter Montr�al et de conclure une paix s�par�e en se rendant aupr�s du g�n�ral anglais, afin de se �soumettre � Sa Majest� britannique� pour retourner sains et saufs chez eux � Lorette (pr�s de Qu�bec), o� vivait le reste de la tribu compos�e d'une centaine de personnes. Pour ce faire, il leur fallait un sauf-conduit que le g�n�ral Murray leur accorda (voir le texte). Quelques semaines auparavant, les m�mes Hurons avaient particip� � la bataille de Sainte-Foy; ils estimaient avoir des raisons pour craindre la vengeances des Britanniques.

Apr�s la capitulation de Montr�al, le 8 septembre 1760, soit les 15 et 16 septembre, les d�l�gu�s des Sept-Nations sign�rent un trait� (comprendre un �change de colliers de wampum ou enfilade de coquillages) en pr�sence des Anglais � Caughnawaga officialisant leur neutralit�. Dans une lettre au premier ministre britannique, William Pitt, William Johnson confirma que les Indiens avaient ratifi� le trait�. La guerre avec les Indiens �tait termin�e... jusqu'� la r�volte du chef Pontiac dans les Pays-d'en-Haut. Pour les Fran�ais, il leur fallait attendre le trait� de Paris du 10 f�vrier 1763.

1.3 Les cons�quences imm�diates de la guerre

Le 18 octobre, le gouverneur Pierre Rigaud de Vaudreuil partit de Qu�bec sur un navire britannique et d�barqua � Brest le 28 novembre. Louis XV rendit Vaudreuil personnellement responsable d'avoir capitul� �sans les honneurs de la guerre�, ce qui �tait consid�r� � l'�poque comme une infamie qui frappait toute l'arm�e fran�aise. Le dernier gouverneur de la Nouvelle-France, un Canadien, devait payer pour cet �chec militaire d�shonorant. Enferm� � la Bastille, Vaudreuil allait �tre finalement disculp� de toute accusation, le 10 d�cembre 1763, apr�s un interminable proc�s de deux ans, l'un des plus fameux du si�cle, et quinze mois de d�tention, par le tribunal du Ch�telet qui jugea l'�Affaire du Canada�. Le roi voulut faire la lumi�re sur la corruption qui aurait contribu� � la perte du Canada. En cons�quence, les hauts fonctionnaires fran�ais rapatri�s furent tous appel�s � compara�tre et certains furent condamn�s, dont l'ex-intendant Fran�ois Bigot, � �1000 livres d'amende, � un million et demi de restitution, � la confiscation de ses biens et au bannissement � vie�. En septembre 1764, Louis XV permit � Vaudreuil de recevoir la grand-croix de l'Ordre de Saint-Louis, qui lui avait �t� d�cern�e en 1756-1757, mais que l'on avait jusque-l� diff�r� de lui remettre. Le marquis de Vaudreuil allait d�c�der en 1778 � l'�ge de 80 ans au ch�teau de Colliers � Muides-sur-Loire (pr�s de Chambord).

- La nouvelle puissance dominante

Au point de vue diplomatique, la Grande-Bretagne s'imposait dor�navant comme la plus grande puissance mondiale. Sa flotte et son arm�e lui permettaient de contr�ler toute l'Am�rique du Nord et l'Inde, ainsi que la plupart des mers du monde. Quant � la France, elle sortait tr�s affaiblie par le conflit. Pour certains historiens, la perte de la Nouvelle-France constitue dans l'histoire de la France �la plus grande d�faite du monde fran�ais�. La monarchie fran�aise ne s'en remit jamais. Par comparaison, les d�faites de Napol�on peuvent �tre consid�r�es comme �n�gligeables�. Mais pour la France, la perte de la Nouvelle-France semblait minime en comparaison de ce que serait la perte des Treize Colonies de la Nouvelle-Angleterre pour la Grande-Bretagne. Douze ans plus tard, ces colonies se soul�veront contre la m�re patrie et ce sera gr�ce au soutien de la marine fran�aise qu'elles pourront acc�der � l'ind�pendance.

Ironie du sort, la Grande-Bretagne allait perdre les Treize Colonies qu'elle d�tenait depuis longtemps, pour ne conserver essentiellement que les anciennes possessions fran�aises : l'Acadie, l'�le du Cap-Breton, l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard), le Canada et la colonie de Terre-Neuve (Plaisance).  

- Les exactions et les destructions

Cependant, les m�thodes des Britanniques en Nouvelle-France furent aussi extr�mement cruelles lors de cette longue guerre. Il suffit de penser � la d�portation des Acadiens et l'incendie de leurs fermes et de leurs maisons, sans oublier la fa�on dont les Britanniques ont trait� les civils en les entassant comme du b�tail dans des navires infects pour les envoyer �en territoire ennemi�, en s�parant les familles, alors que la moiti� des d�port�s allait mourir de maladies et de privations. Au Canada, les troupes du g�n�ral Wolfe furent aussi sans piti�. Wolfe avait comme mission de �nettoyer les c�tes�, ce qu'il fit avec un z�le ravageur. La moiti� des villes du Canada fut d�truite, la plupart des maisons et des fermes le long du Saint-Laurent ont �t� incendi�es. Le g�n�ral Wolfe avait mis � contribution les Rangers de la Nouvelle-Angleterre, dont la mission �tait d'incendier et de d�truire sur leur passage toutes les habitations, de tuer tout le b�tail et les chevaux, et de ravager enti�rement les campagnes.

En route vers Qu�bec, alors qu'il traversait l'Atlantique, James Wolfe avait pris la d�cision, � bord du Neptune, un navire de guerre de 90 canons, de d�vaster le pays. Voici ce qu'il �crivait � Amherst le 6 mars 1759, d�montrant ainsi bien sa r�solution dans un contexte qui avait �t� celui de la d�portation des Acadiens : 
 

If, by accident in the river, by the enemy's resistance, by sickness or slaughter in the army, or, from any other cause, we find that Quebec is not likely to fall into our hands (persevering however to the last moment), I propose to set the town on fire with shells, to destroy the harvest, houses and cattle, both above and below, to send off as many Canadians as possible to Europe and to leave famine and desolation behind me; but we must teach these scoundrels to make war in a more gentleman like manner. [ S'il arrivait que, soit lors d'un accident maritime, soit par r�sistance de l'ennemi, soit par maladie, soit que nos troupes aient �t� d�cim�es, nous r�alisions que Qu�bec malgr� tous nos efforts, a peu de chance de tomber entre nos mains (en pers�v�rant cependant jusqu'au dernier moment), je me propose de l'incendier par nos tirs de boulets, de d�truire les r�coltes, les maisons et le b�tail, tant en aval qu'en amont, d'exiler le plus grand nombre possible en Europe, et de ne laisser derri�re moi que famine et d�solation; mais nous devons apprendre � ces crapules � faire la guerre d'une mani�re qui soit plus digne d'un gentilhomme.]

Wolfe mit ses menaces � ex�cution, mais non � la mani�re d'un gentilhomme. Non seulement le g�n�ral anglais n'�pargna aucune ferme sur les deux c�t�s du Saint-Laurent, mais les habitants qui r�sist�rent furent aussit�t tu�s, parfois pendus haut et court s'ils �taient pris avec des armes � la main. Wolfe n'h�sita pas � l'occasion de demander � ses Rangers de scalper �� l'indienne� les habitants. Il fit incendier les villages abandonn�s, m�me vides de femmes, d'enfants et de vieillards. Il ne faut pas oublier qu'il ne restait plus beaucoup d'hommes valides dans les campagnes. Tous ceux qui �taient en �tat de porter les armes, y compris de nombreux Acadiens, �taient rassembl�s � Qu�bec, � Carillon, sur le lac Ontario, � Niagara, dans les postes du lac �ri� et de la partie de la vall�e de l'Ohio. La ville de Qu�bec fut pratiquement ras�e, alors que l'arm�e fran�aise �tait stationn�e � Beauport, et qu'il ne restait essentiellement que des civils � l'int�rieur des fortifications. Le Canada vit p�rir le dixi�me de sa population.

Avant de prendre Qu�bec, James Wolfe envoya aux Canadiens, � partir de l'�le d'Orl�ans o� son arm�e �tait cantonn�e, un �Manifeste� destin� � assurer leur neutralit�, sinon � les terroriser (voir le texte en cliquant ICI, s.v.p.). Ce Manifeste �tait un leurre, car Wolfe avait sem� la d�solation des deux c�t�s du fleuve, alors que la plupart des habitants demeuraient impassibles et impuissants. Le 24 mai 1758, Wolfe exprimait ainsi ses sentiments de vengeance au lieutenant-g�n�ral George Sackville:
 

It would give me pleasure to see the Canadian vermin sacked and pillaged and justly repaid their unheard-of cruelty. [J'aurai plaisir, je l'avoue, � voir la vermine canadienne saccag�e, pill�e et justement r�tribu�e de ses cruaut�s inou�es.]

La vengeance constituait une bonne partie des motivations de Wolfe qui �crivit que, si les Fran�ais continuaient d'employer les �Sauvages�, il ferait fusiller tous les prisonniers de guerre, que ce soit des Fran�ais ou des Canadiens. On sait que le g�n�ral Wolfe, lui-m�me un gentilhomme et un chr�tien, sachant aussi parler le fran�ais qu'il avait appris � Paris au cours de l'hiver 1752-1753, �tait rempli de haine et de fanatisme contre les Fran�ais et surtout contre la religion qu'ils pratiquaient. Il avait maintenant l'occasion d'assouvir sa vengeance. Wolfe avait �crit le 22 ao�t: �J'ai l'intention de br�ler toute la campagne depuis Kamouraska jusqu'� Pointe-L�vy.� L'entreprise de destruction (plus de 4000 fermes), qui dura tout le mois d'ao�t et une partie du mois de septembre de 1759. Seules les �glises furent �pargn�es, parfois les presbyt�res. Durant toutes ces semaines, la fum�e des fermes en feu obscurcit constamment le ciel du Saint-Laurent. De plus, le g�n�ral obligea les soldats britanniques � des actes abominables, dont des viols, des tortures, des scalps, des massacres, etc., une boucherie incroyable contre des civils. La plupart des soldats ne les ont probablement pas commis de bonne gr�ce. Chose certaine, George Townshend, qui prit le commandement de l'arm�e britannique apr�s la mort de Wolfe, le d�sapprouvait, de m�me qu'une bonne partie des officiers britanniques. Ainsi, James Gibson, aum�nier naval des forces britanniques, �crivit, horrifi� :
 

I fear that the campaign ended in the total ruin of this country. We have burned all wheat fields on foot and all the houses on each side of the River 30 miles which means all lands inhabited up to Quebec. [Je crains que la campagne ne se solde par la ruine totale de ce pays. Nous avons br�l� tous les champs de bl� sur pied et toutes les maisons sur 30 milles de chaque c�t� du fleuve, ce qui veut dire toutes les terres habit�es jusqu'� Qu�bec.]

S'il y avait eu � l'�poque la notion de �crime de guerre�, Wolfe aurait s�rement comparu devant un tribunal international. � l'automne de 1758, en Nouvelle-�cosse, les troupes de Robert Monckton (Moncton) avaient proc�d� m�thodiquement � la destruction des maisons, du b�tail et des r�coltes des Acadiens. Les Canadiens savaient que les g�n�raux qui avaient pris Qu�bec �taient ceux qui avaient orchestr� la d�portation des Acadiens et saccag� l'Acadie, donc qu'ils pouvaient commettre les m�mes exactions au Canada : Robert Monckton, le bras droit de Wolfe, en avait �t� le concepteur, assist� par James Murray, puis Jeffrey Amherst, le grand patron responsable de la d�cision finale, appel� �le Br�lot� par les Acadiens. Les Canadiens avaient des motifs d'avoir peur, d'autant plus que les m�urs de l'�poque n'�taient pas particuli�rement tendres, mais f�roces et barbares. 

Avant de prendre Qu�bec, Wolfe fit bombarder la ville durant deux mois et demi; la ville fut presque enti�rement d�truite. Pourtant, Wolfe savait que ses habitants avaient �t� �vacu�s, de m�me que les troupes fran�aises. Les historiens se sont demand� pourquoi le g�n�ral Wolfe s'�tait autant acharn� sur Qu�bec. C'�tait �videmment pour forcer Montcalm � intervenir et le sortir de ses retranchements.   

Il est probable que les m�mes atrocit�s auraient pu �tre perp�tr�es par les Fran�ais. Depuis le mandat de Frontenac, les incendies, les meurtres et les scalps �taient monnaie courante en Nouvelle-France et en Nouvelle-Angleterre. Il est manifeste que les raids fran�ais � l'encontre des colonies anglaises avaient laiss� des traces ind�l�biles. Il n'en demeure pas moins que la politique de d�vastation syst�matique du g�n�ral Wolfe suscite encore aujourd'hui un certain malaise. Quant aux Am�rindiens, ils ne repr�sentaient plus rien pour les Britanniques, le g�nocide allait pouvoir commencer.

- Les d�c�s et les d�parts

Le Canada avait perdu, on le sait, au cours de cette guerre le dixi�me de sa population, soit plus de 7000 personnes, d'apr�s les historiens. En r�alit�, la population enregistra un recul de 10 000 personne sur un total de 70 000 en raison des d�c�s dus aux maladies et � la famine. Les m�urs de l'�poque n'�taient pas tr�s �difiantes en temps de guerre, et les Britanniques allaient utiliser les m�mes exactions contre les colons de la Nouvelle-Angleterre lors de la guerre d'Ind�pendance, en d�truisant leurs fermes et leurs r�coltes. Quant ils voulaient gagner, les Britanniques ne faisaient pas de quartier. Ils se comportaient comme les �Sauvages� dont ils d�non�aient la f�rocit�. � la fin de la guerre, ce sont les populations civiles qui avaient pay� le lourd tribut des exactions anglaises, l'arm�e fran�aise �tant sortie pratiquement indemne, bien que grandement humili�e. 

Il y a eu aussi les d�parts de Fran�ais et de Canadiens du pays. L'article 4 du trait� de Paris de 1763 accordait dix-huit mois aux habitants pour vendre leurs biens et quitter le pays en toute libert�, s'ils le souhaitaient. Dans les faits, une assez grande libert� de circuler semble avoir subsist� au-del� de cette date limite. Quant au nombre total des d�parts, il demeure assez difficile � �valuer. D�s la capitulation de Qu�bec (1759), quelque 1200 marins et officiers de la marine marchande avaient quitt� la colonie, sans compter un certain nombre d'administrateurs, de civils et de n�gociants fran�ais. Apr�s la capitulation g�n�rale de Montr�al (1760), plus de 2560 officiers et soldats, accompagn�s de leur suite, s'embarqu�rent pour la France sur 22 navires. Toute la noblesse fran�aise (env. 200 personnes) quitta le pays, ce qui repr�sente une v�ritable d�capitation; seule la noblesse canadienne resta. Il faudra deux ou trois g�n�rations avant que les Canadiens ne se donnent de nouveaux leaders. Entre 1754 et 1770, plus de 4000 Canadiens de naissance ou �tablis par mariage allaient aussi quitter le Canada, ce qui repr�sentait n�anmoins 5,7 % de la population (sur 70 000). Ces Canadiens et Fran�ais allaient se disperser dans l'ensemble du royaume de France et dans les autres colonies fran�aises. Cependant, en vertu du trait� (�Capitulation de Montr�al�) conclu entre le gouverneur g�n�ral Pierre de Rigaud de Vaudreuil et le g�n�ral Jeffrey Amherst, ceux qui restaient au pays devenaient ipso facto des sujets britanniques:
 

Article XLI

Les Fran�ois, Canadiens et Acadiens, qui resteront dans la colonie, de quelque �tat et condition qu'ils soient, ne se seront ni ne pourront �tre forc�s � prendre les armes contre Sa majest� tr�s Chr�tienne ni ses Alli�s, directement ni indirectement, dans quelque occasion que ce soit; le gouvernement britannique ne pourra exiger d'eux qu'une exacte neutralit�. Ils deviennent sujets du Roi. (�Capitulation de Montr�al�)

Amherst reconna�tra, dans les ordres g�n�raux adress�s � ses troupes, que les Canadiens �taient devenus, en raison de leur d�faite, des �sujets britanniques� et qu'en cons�quence ils avaient le droit � la protection du souverain anglais.

2 Le r�gime militaire (1760-1763): le statu quo provisoire


Jeffrey Amherst

Apr�s la capitulation de Montr�al (1760) par le gouverneur Vaudreuil, les Britanniques prirent le commandement de la colonie de ce qui �tait encore juridiquement la Nouvelle-France. Pendant que se poursuivait l'occupation militaire du Canada, le g�n�ral anglais Jeffrey Amherst, le successeur de Wolfe, proc�da � l'organisation d'un r�gime administratif provisoire, car, tant que la guerre continuait en Europe, le sort du pays demeurait incertain. Jeffrey Amherst fut le premier gouverneur sous le r�gime de la loi martiale au Canada, soit de 1760 � 1763.

En 1761, les francophones formaient 99,7 % de la population; le poids du nombre interdisait aux Anglais de pratiquer une politique colonisatrice trop radicale. Le nombre d'anglophones n'�tait en effet pas tr�s �lev�, il ne d�passait pas les 600 en 1765.

Pragmatique, le conqu�rant adopta le statu quo. �tant donn� que le peuple ne pouvait ob�ir aux ordres que s'il les comprenait, les autorit�s britanniques �mirent leurs ordonnances en fran�ais et permirent aux Canadiens d'occuper de nombreux postes dans l'administration et la justice.

2.1 Le maintien du fran�ais par d�faut

L'administration de la colonie conquise s'organisa donc en fran�ais, par d�faut peut-on dire. D'ailleurs, gouverneurs et officiers sup�rieurs �taient bilingues et pouvaient communiquer directement avec les Canadiens. Les actes notari�s continu�rent d'�tre r�dig�s en fran�ais, de m�me que les registres de l'�tat civil tenus par les cur�s. Autrement dit, rien ne paraissait avoir chang�. Cependant, la connaissance de la langue anglaise allait devenir dor�navant tr�s utile pour assurer la promotion sociale et �conomique; l'�lite canadienne se mit lentement � l'apprentissage de la nouvelle langue.

2.2 L'organisation administrative

Au point de vue administratif, la colonie fut divis�e en trois entit�s distinctes, qui correspondaient aux trois anciens gouvernements de Qu�bec, des Trois-Rivi�res et de Montr�al.  La diff�rence, c'est qu'il s'agissait de trois �pays� maintenant distincts, chacun ayant sa capitale (Qu�bec, Trois-Rivi�res et Montr�al), son administration propre, son arm�e, etc.

Pour passer d'un secteur � l'autre, il fallait un passeport accord� par le gouverneur du lieu, car les fronti�res �taient prot�g�es par des garnisons militaires. M�me l'�glise catholique ne pouvait plus d�signer un repr�sentant unique qui pouvait exercer une autorit� sur l'ensemble des trois colonies.

2.3 La nouvelle monnaie

1 denier = monnaie de cuivre 00,02 $
1 sol (sous) = 12 deniers 00,20 $
1 livre = 20 sols ou 240 deniers 03,75 $
1 �cu = 6 livres en or 22,50 $
1 louis d'or = 4 �cus 90,00 $
Il en �tait ainsi de la monnaie qui �tait plus ou moins diff�rente selon les trois secteurs de la colonie. Durant le r�gime militaire, la monnaie fran�aise et la monnaie anglaise �taient toutes deux accept�es. Mais le tout devenait complexe � comptabiliser. Ainsi, la livre sterling en argent, la pound, suivait un cours diff�rent � Qu�bec (cours d'Halifax), � Montr�al (cours de New York) et aux Trois-Rivi�res (les deux cours). � Qu�bec, la livre anglaise valait 24 livres fran�aises; � Montr�al, 14 livres fran�aises.

De plus, la livre fran�aise �tait une monnaie �imaginaire� (une monnaie de compte), car aucune pi�ce d'une livre n'a �t� �mise ni mise en circulation. Il fallait distinguer aussi les �cus en or, les �cus en argent, les sols (ou sous), dont les sols �vieux� et les sols �marqu�s�, les liards (le quart d'un sol), les louis, les deniers, les pistoles (10 livres), sans oublier la piastre (piastra) espagnole, la piastre (piastra) portugaise, la guin�e (guinea) anglaise, etc. Il fallait 12 deniers pour faire un sol (ou sous), 3 deniers pour un liard, mais 20 sols ou 240 deniers pour faire une livre fran�aise, 120 sols (ou 4 x 30 sols) pour une piastre espagnole. Pour les monnaies les plus �lev�es, un �cu valait 6 livres en or et 1 louis d'or valait 4 �cus. Il fallait distinguer aussi le louis d'or (double-louis, louis et demi-louis) valant 24 livres et le louis d'argent (demi-�cu de 30 sols, quart d'�cu de 15 sols, sixi�me d'�cu de 10 sols, douzi�me d'�cu de 5 sols). Comme si ce n'�tait pas suffisant, les pi�ces ne portaient pas toutes un chiffre pour en indiquer la valeur, ce qui impliquait d'interminables discussions et variations dans les �changes commerciaux; il fallait donc peser les pi�ces. En fait, comme en France, le denier �tant la monnaie courante, la livre de 240 deniers (20 sols) jouait le r�le de monnaie de compte.

Apr�s la signature du trait� de Paris de 1763, la livre sterling rempla�a d�finitivement la monnaie fran�aise en �tant subdivis�e en 20 shillings (ou chelins), chacune de 12 pence (singulier : un penny), avec la piastre espagnole circulant � une valeur de 5 shillings (selon le cours d'Halifax). La guin�e anglaise valait 21 shillings ou une livre et un shilling, alors que la livre anglaise valait 240 pence. Le syst�me mon�taire anglais connaissait aussi le mark qui valait les deux tiers d'une livre, un mark �quivalait � 160 pennies ou � 13 shillings et 4 pennies. �videmment, c'�tait avant la d�cimalisation des monnaies.

De cette courte p�riode militaire, il n'y que peu � dire dans la mesure o� une sorte de statu quo se perp�tuait. En r�alit�, Londres a laiss� perdurer le syst�me fran�ais durant environ cinq ann�es, c'est-�-dire jusqu'� ce que le gouverneur James Murray r�organise la colonie.

3 Le trait� de Paris de 1763

Avec le trait� de Paris du 10 f�vrier 1763, l'empire fran�ais en Am�rique �tait d�finitivement termin�, y compris la Louisiane qui �tait devenue espagnole. Seules les �les Saint-Pierre et Miquelon restaient fran�aises. Forc�ment, les articles de la capitulation de Montr�al devenaient caducs comme clauses temporaires et transitoires. Les capitulations de Qu�bec (voir le texte original) et de Montr�al (voir le texte) furent r�dig�es en fran�ais, ainsi que le trait� de Paris de 1763. Donc, les documents officiels qui ont fait du Canada une colonie britannique ont �t� r�dig�s en fran�ais, m�me si la France avait perdu la guerre. Voici ce qu'on peut lire dans un article s�par� (art. 2) au sujet de la langue:

Article s�par� - 2

Il a �t� convenu et arr�t� que la Langue Fran�oise, employ�e dans tous les Exemplaires du pr�sent Trait�, ne formera point un Exemple, qui puisse �tre all�gu�, ni tir� � cons�quence, ni porter pr�judice, en aucune Mani�re, � aucune des Puissances Contractantes; Et que l'on se conformera, � l'avenir, � ce qui a �t� observ�, et doit �tre observ�, � l'�gard, et de la Part, des Puissances, qui sont en usage, et en Possession, de donner, et de recevoir, des Exemplaires, de semblables Trait�s, en une autre Langue que la Fran�oise.

Ce genre de disposition n'a rien � voir avec un quelconque droit linguistique. Cet article ne concerne que la langue du trait�. Bref, aucune garantie n'est accord�e � la langue fran�aise, ni aux lois de la Coutumes de Paris. Les droits concernent le libre possession des biens, la libert� du commerce, la libert� d'�migrer au cours des dix-huit prochains mois et le libre exerce de la religion catholique, mais uniquement dans la mesure o� le permettent les lois de l'Angleterre.

3.1 Le choix de la France

Dans un premier temps, Louis XV tenta d'�changer le Canada contre l'�le du Cap-Breton jug�e plus rentable que le Canada. Dans son M�moire historique sur la n�gociation de la France et de l'Angleterre, depuis le 26 mas 1761 jusqu'au 20 septembre de la m�me ann�e, le duc de Choiseul que le roi de France �tait pr�t � renoncer au Canada moyennement d�dommagement: 
 

La libert� de la p�che et un abri sans fortification �taient la compensation de la cession totale du Canada.

Le g�n�ral James Murray, l'un des principaux acteurs anglais de la Conqu�te, avait confi� en juin 1760 � un officier fran�ais du r�giment de B�arn qu'il avait en haute estime, Maur�s de Malartic (1730-1800), au sujet des intentions des Anglais pour le Canada:
 

Si nous sommes sages, nous ne le garderons pas. Il faut que la Nouvelle Angleterre ait un frein � ronger et nous lui en donnerons un qui l'occupera en ne gardant pas ce pays-ci.

Au cours des n�gociations de paix de l'�t� 1761, le duc �tienne-Fran�ois de Choiseul fit une confidence au n�gociateur britannique, Hans Stanley (1721-1780), qui m�rite d'�tre rapport�e:
 

Je m'�tonne que votre grand Pitt attache tant d'importance � l'acquisition du Canada, territoire trop peu peupl� pour devenir jamais dangereux pour vous, et qui, entre nos mains, servirait � garder vos colonies dans une d�pendance dont elles ne manqueront pas de s'affranchir le jour o� le Canada sera c�d�. 

De son c�t�, le ministre William Pitt se consid�rait vainqueur de la guerre de Sept-Ans (1756-1763). En tant que tel, il se montra intraitable. La Grande-Bretagne avait rafl� la mise. Non seulement, elle avait conquis le Louisbourg, le Canada et l'Acadie, mais elle venait de prendre le contr�le des ��les � sucre�, c'est-�-dire la Martinique et la Guadeloupe, ainsi que leurs d�pendances. Bref, toutes les possessions fran�aises, y compris Belle-�le au sud de la Bretagne, se trouvaient entre les mains du roi George III. Toutefois, le roi anglais ne pouvait tout garder sans s'ali�ner l'appui des autres puissances europ�ennes. Son sens politique lui dictait une certaine mod�ration. Il accepta donc de r�troc�der � la France des colonies, sans pr�ciser lesquelles. Louis XV s'est trouv� � devoir choisir entre le Canada ou les Antilles ! 

- Les ��les � sucre� plut�t que le Canada

Louis XV a pr�f�r� c�der le Canada pour conserver plut�t les ��les � sucre� des Cara�bes, notamment la Guadeloupe, la Martinique, Sainte-Lucie et surtout Saint-Domingue (Ha�ti), consid�r�es au plan �conomique comme des colonies rentables. Par exemple, les seules exportations de sucre de la Guadeloupe rapportaient deux fois plus que toutes les exportations de fourrure du Canada consid�r�, pour sa part, comme une vaste territoire glac� et sans importance strat�gique. La canne � sucre �tait au XVIIIe si�cle un peu ce que sera le p�trole au XXe si�cle! D'ailleurs, de nombreux hommes d'affaires ainsi que des politiciens britanniques auraient pr�f�r�, eux aussi, conserver les Antilles, qu'ils avaient captur�es et enlev�es � la France, et rendre par le fait m�me le Canada aux Fran�ais.

Lors des pourparlers de paix, qui se d�roul�rent de 1762 et 1763, la France ne revendiqua jamais le Canada; il n'en fut m�me pas question. Le 22 f�vrier 1762, le secr�taire d'�tat britannique, lord Egremont, re�ut une lettre de la main du duc �tienne-Fran�ois de Choiseul d�clarant clairement que le roi de France �trouve juste que l'Angleterre conserve le Canada�, mais qu'il voulait en d�dommagement �la restitution de la Martinique et de la Guadeloupe�. Les �les en question allaient �tre rendues � la France, et l'Angleterre allait garder le Canada.

En fait, la perte du Canada pouvait constituer une douce revanche pour la France, en favorisant la querelle entre les colonies britanniques et la Grande-Bretagne. C'�tait comme une sorte de prix de consolation. Au moment de signer le trait� de Paris de 1763, le comte C�sar-Gabriel de Choiseul aurait chuchot� � son entourage: �Nous les tenons�, en parlant des Britanniques. C'est Louis XVI qui allait prendre prendre sur lui la revanche de la France lors de l'ind�pendance am�ricaine de 1783. C'est le trait� de Paris, sign� et n�goci� au nom de Louis XV par le ministre des Affaires �trang�res (13 octobre 1761 - avril 1766), le comte C�sar-Gabriel de Choiseul (1712-1785), duc de Praslin � � distinguer de son cousin le duc �tienne-Fran�ois de Choiseul �, qui scella d�finitivement le sort du Canada et de la Nouvelle-France, et non pas les batailles perdues ou gagn�es en Am�rique ou en Europe! Les article 4 et 8 du trait� de Paris sont r�v�lateurs:
 

Article 4

Sa Majest� Tr�s Chr�tienne renonce � toutes les pr�tentions qu'Elle a form�es autrefois, ou p� former, � la Nouvelle �cosse ou l'Acadie [...] De plus Sa Majest� Tr�s Chr�tienne c�de et garantit � Sa dite Majest� Britannique, en toute propri�t�, le Canada avec toutes ses d�pendances, ainsi que l'�le du Cap Breton, et toutes les autres iles, et c�tes, dans le golphe et fleuve St Laurent [...].

Article 8

Le Roi de la Grande Bretagne restituera � la France les isles de la Guadeloupe, de Marie-Galante, de la D�sirade, de la Martinique et de Belle-Isle [...].

Les termes employ�s dans le trait� de Paris en disent long sur le rapport de force jouant en faveur de la Grande-Bretagne: le roi fran�ais renon�ait � ses pr�tentions sur l'Acadie, et c�dait le Canada qu'il n'avait plus, tandis que le roi anglais restituait des colonies qu'il occupait. Autrement dit, Louis XV renon�ait au Canada, m�me si on ne l'y for�ait pas, et jetait son d�volu sur les �les sucri�res.

- Un bon d�barras!

Contre toute attente, le trait� de Paris fut plut�t bien accueilli en France. En f�vrier 1763, quelques semaines avant  la signature du trait� de Paris, Voltaire, qui n'avait jamais aim� le Canada, avait �crit cette lettre au duc �tienne-Fran�ois de Choiseul, alors ministre de la Guerre:
 

Le 6 septembre 1762

Monseigneur,

Pr�occup� dans la crise des affaires o� vous �tes, je voudrais vous faire entendre ma voix et celles de beaucoup d'�trangers. Je suis comme le public, j'aime mieux la paix que le Canada et je crois que la France peut �tre heureuse sans Qu�bec. Recevez, avec votre compr�hension ordinaire, le profond respect de Voltaire.

Dans son dernier rapport � Louis XV en 1770, alors qu'il quittait ses fonctions, le duc de Choiseul �crivit qu'il n'y avait aucun regret � avoir abandonn� le Canada : �Je crois que je puis avancer que la Corse est plus utile de toutes les mani�res � la France que ne l'�tait ou ne l'avait �t� le Canada.�  La Corse avait �t� achet�e aux G�nois en 1768 � pour 200 000 livres tournois, somme devant �tre pay�e chaque ann�e pendant dix ans � afin de r�tablir la ma�trise de la France en M�diterran�e. En r�alit�, les Fran�ais n'�taient pas malheureux d'avoir perdu le Canada, mais ils �taient humili�s d'avoir �t� �vaincus� par la Grande-Bretagne. M�me les Britanniques eurent du mal � croire que la France avait abandonn� le Canada si ais�ment.

La France avait pourtant engag� en 1759 plus de 25 millions de livres fran�aises pour le Canada, mais elle �tait maintenant � court d'argent et de vaisseaux, la guerre en Europe accaparant toutes les �nergies. Pour la France, le Canada �tait avant tout un gouffre financier; il co�tait plus cher qu'il ne rapportait, surtout depuis la perte de Louisbourg, la seule colonie rentable de toute la Nouvelle-France! Bref, c'�tait un bon d�barras!

- Un choix strat�gique pour les Britanniques

Le ministre Choiseul n'avait pas compris que les Britanniques voulaient le Canada avant tout comme base strat�gique, c'est-�-dire une t�te de pont, pour se d�fendre dans les guerres � venir contre les Treize Colonies. Les 70 000 habitants de la vall�e du Saint-Laurent pourraient fournir � l'arm�e britannique une partie de la logistique dont elle aurait besoin dans l'�ventualit� d'une guerre majeure contre les Yankees. La pr�diction de Choiseul � Hans Stanley, le charg� d'affaires pour la Grande-Bretagne en France, allait se r�aliser quinze ans plus tard. Mais, pour le moment, ce fut la vision expansionniste et belliciste du diplomate am�ricain Benjamin Franklin, qui l'emporta, car celui-ci avait convaincu les ministres britanniques que jamais les Treize Colonies ne se ligueraient contre �leur propre nation� et qu'il faudrait plut�t que la m�re patrie se comporte de fa�on tr�s hostile pour envisager un tel sc�nario invraisemblable, par exemple en remettant le Canada � la France. Pourtant, les Treize Colonies allaient se r�volter contre la Grande-Bretagne d�s 1775. Franklin sera m�me l'un des plus ardents partisans de l'ind�pendance et de la r�bellion contre l'Angleterre.

Si Montcalm avait gagn� la bataille des Plaines, il n'est pas certain que la Grande-Bretagne aurait �t� en mesure de r�p�ter l'exp�rience l'ann�e suivante (1760), compte tenu de l'�norme effort entrepris en 1759. Dans l'�ventualit� d'une victoire des Fran�ais, il en aurait r�sult� un grand d�sarroi tant en Grande-Bretagne qu'en Nouvelle-Angleterre, ce qui aurait contribu� � changer le cours des �v�nements, mais ce n'est pas ce qui s'est pass�.

Les Britanniques ont donc conserv� le Canada, mais ils ont accord� aux Fran�ais des droits de p�che au large des c�tes de Terre-Neuve. D�s les n�gociations avec la Grande-Bretagne en 1761, les repr�sentants du gouvernement fran�ais avaient affirm� que la p�che � Terre-Neuve demeurait plus pr�cieuse que le Canada et la Louisiane r�unis �comme source de richesse et de puissance�. L'honneur �tait sauf pour la France.

- La garantie des droit civils et religieux

En acceptant les capitulations de Qu�bec et de Montr�al, les successeurs de Wolfe avaient garanti les droits civils et religieux, ainsi que les propri�t�s des Canadiens.

Article 4

Sa Majest� Tr�s Chretienne renonce � toutes les Pretensions, qu'Elle a form�es autrefois, ou p� former, � la Nouvelle Ecosse, ou l'Acadie, en toutes ses Parties, & la garantit toute entiere, & avec toutes ses Dependances, au Roy de la Grande Bretagne. De plus, Sa Majest� Tr�s Chretienne cede & garantit � Sa dite Majest� Britannique, en toute Propriet�, le Canada avec toutes ses Dependances, ainsi que l'Isle du Cap Breton, & toutes les autres Isles, & C�tes, dans le Golphe & Fleuve S' Laurent, & generalement tout ce qui depend des dits Pays, Terres, Isles, & C�tes, avec la Souverainet�, Propriet�, Possession, & tous Droits acquis par Trait�, ou autrement, que le Roy Tr�s Chretien et la Couronne de France ont eus jusqu'� present sur les dits Pays, Isles, Terres, Lieux, C�tes, & leurs Habitans, ainsi que le Roy Tr�s Chretien cede & transporte le tout au dit Roy & � la Couronne de la Grande Bretagne, & cela de la Maniere & de la Forme la plus ample, sans Restriction, & sans qu'il soit libre de revenir sous aucun Pretexte contre cette Cession & Garantie, ni de troubler la Grande Bretagne dans les Possessions sus-mentionn�es. De son Cot� Sa Majest� Britannique convient d'accorder aux Habitans du Canada la Libert� de la Religion Catholique; En Consequence Elle donnera les Ordres les plus precis & les plus effectifs, pour que ses nouveaux Sujets Catholiques Romains puissent professer le Culte de leur Religion selon le Rit de l'Eglise Romaine, en tant que le permettent les Loix de la Grande Bretagne.-Sa Majest� Britannique convient en outre, que les Habitans Fran�ois ou autres, qui auroient et� Sujets du Roy Tr�s Chretien en Canada, pourront se retirer en toute S�ret� & Libert�, o� bon leur semblera, et pourront vendre leurs Biens, pourv� que ce soit � des Sujets de Sa Majest� Britannique, & transporter leurs Effets, ainsi que leurs Personnes, sans �tre gen�s dans leur Emigration, sous quelque Pretexte que ce puisse �tre, hors celui de Dettes ou de Proc�s criminels; Le Terme limit� pour cette Emigration sera fix� � l'Espace de dix huit Mois, � compter du Jour de l'Echange des Ratifications du present Trait�.

D�s 1760, la Nouvelle-France �tait pass�e sous administration britannique. Le g�n�ral Jeffrey Amherst nomma James Murray gouverneur militaire provisoire de Qu�bec. Apr�s le trait� de Paris, qui ent�rinait la supr�matie de la Grande-Bretagne sur le monde, le gouvernement britannique assura aux habitants qui d�cidaient de rester au Canada le droit de conserver leurs propri�t�s et de pratiquer leur religion catholique �en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne�. Or, les lois de la Grande-Bretagne ne permettaient pas grand-chose � ce sujet!

- L'absence de protection linguistique

Au sujet de la langue, soulignons qu'aucune disposition du trait� de cession ne garantissait aux Fran�ais, aux Canadiens ou aux Acadiens quelque droit que ce soit en la mati�re. La France de Louis XV n'a aucunement song� � faire ins�rer une quelconque disposition linguistique dans le trait�, ce que la Grande-Bretagne n'aurait certainement pas refus�. Les n�gociateurs fran�ais savaient probablement comment prot�ger les biens et d�fendre les int�r�ts des personnes, notamment en mati�re de religion, mais la survie de la langue ne les pr�occupait gu�re. La France fera de m�me en 1803 lors de la vente par Bonaparte de la Louisiane aux Am�ricains (trait� d'achat de la Louisiane) et en 1954 lors de la cession de Pondich�ry � l'Inde (trait� officiel de la cession de Pondich�ry). En somme, la langue fran�aise ne semble pas pr�occuper les Fran�ais en dehors de leur pr� carr�. 

- Une guerre de religion

Nous pouvons imaginer sans peine que la chute de la Nouvelle-France fut per�ue en Nouvelle-Angleterre comme une grande victoire de Dieu sur les �papistes�. Les cloches sonn�rent � toute vol�e dans toutes les villes. Le pasteur Eli Forbes (1726-1804), un aum�nier des troupes coloniales du Massachusetts, en donnait ainsi ce t�moignage en 1763:

God has given us to sing this day the downfall of New France, the North American Babylon, New England's rival. [Dieu a permis, en ce jour, que nous chantions la chute de la Nouvelle-France, la Babylone nord-am�ricaine, rivale de la Nouvelle-Angleterre.]

Comme Eli Forbes, la victoire britannique fut per�ue par les Britanniques comme une �guerre sainte� :

Thus God was our salvation and our strength ; yet he who directs the great events of war suffered not our joy to be uninterrupted, for we had to lament the fall of the valiant and good General Wolfe, whose death demands a tear from every British eye, a sigh from every Protestant heart. Is he dead? I recall myself. Such heroes are immortal; he lives on every loyal tongue ; he lives in every grateful breast ; and charity bids me give him a place among the princes of heaven. [Ainsi Dieu �tait notre salut et notre force; pourtant, lui qui dirige les grands �v�nements de la guerre n'a pas partag� notre joie ininterrompue, car nous n'avions � d�plorer la fin de l'h�ro�que et bon g�n�ral Wolfe, dont la mort exige une larme de tout �il britannique, un soupir de tout c�ur protestant. Est-il mort? Je me le rappelle � moi-m�me. De tels h�ros sont immortels; Wolfe vit dans chaque langue loyale; il vit dans chaque poitrine reconnaissante; et la charit� me commande de lui laisser une place parmi les princes du ciel.]

Ce genre de perception �tait tr�s courant � l'�poque dans une soci�t� puritaine o� les Fran�ais �taient consid�r�s comme des �imposteurs�, des �adversaires du Christ�, des �faux Christs� et des Ant�christs. La plupart des pasteurs protestants ont cru que la chute de la Nouvelle-France �tait une �uvre voulue par Dieu pour punir les Fran�ais de leurs nombreux p�ch�s. Les victoires fran�aises �taient aussi per�ues par les Fran�ais comme une b�n�diction divine pour les r�compenser de leur pi�t� envers la vraie religion. On n'en sort pas !

3.2 La disparition de la Nouvelle-France et de ses entit�s
 

Selon les dispositions du trait� de Paris de 1763, la Grande-Bretagne contr�lait dor�navant un immense territoire couvrant la Terre de Rupert, la baie d'Hudson, le Canada (l'actuelle province de Qu�bec, la grande r�gion des Grands Lacs et la vall�e de l'Ohio), l'�le de Terre-Neuve, l'�le du Cap-Breton, l'Acadie (qui deviendra la Nouvelle-�cosse et le Nouveau-Brunswick), l'�le Saint-Jean (�le du Prince-�douard), toute la Nouvelle-Angleterre (treize colonies) et la Floride prise aux Espagnols. Le trait� de Paris se trouvait � confirmer que la Grande-Bretagne �tait devenue le plus grand empire du monde et que l'Am�rique du Nord serait dor�navant anglaise. De son empire en Am�rique du Nord, la France ne conservait que les �les de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve et des droits de p�che.

Quant � la lointaine Louisiane, elle avait �t� c�d�e � l'Espagne; le 3 novembre 1762, donc un an avant le trait� de Paris, l'Espagne avait sign� l'acte d'acceptation de la Louisiane (Acte d'acceptation de la Louisiane par le roi d'Espagne) � Fontainebleau. C'est le duc �tienne-Fran�ois de Choiseul (1719-1785) � cousin de C�sar-Gabriel de Choiseul �, alors secr�taire d'�tat aux Affaires �trang�res (de 1758 � 1761), qui avait n�goci� ce trait� secret entre la France et l'Espagne, un pays alli�.

En fait, des probl�mes financiers avaient convaincu le ministre Choiseul qu'il valait mieux larguer la Louisiane afin de faire des �conomies, et ce, sans aucune consultation aupr�s de la population concern�e. Le ministre pr�f�rait recevoir six millions de livres de l'Espagne, comme pr�vu au trait� de Fontainebleau pour l'abandon de la Louisiane, plut�t que d'en d�penser le double pour la conserver. Tout � ses amours avec la comtesse du Barry, Louis XV ne voulait surtout pas entendre parler de la Louisiane et de ses habitants. Son bien-aim� cousin, le roi d'Espagne, n'avait qu'� prendre soin lui-m�me de sa nouvelle colonie! Quant � la France, il ne lui restait plus de son immense empire en Am�rique du Nord (8 millions km�) que le minuscule archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon (242 km�). De fa�on  paradoxale, la France abandonnait son empire au moment o� le fran�ais allait devenir la langue v�hiculaire de l'Europe. C'�tait le pr�lude � l'invasion de l'anglais qui d�coulerait des victoires de la Grande-Bretagne.

3.3 Une colonie d�sormais britannique

Au moment o�, vraisemblablement, les autorit�s coloniales apprennent la signature du trait� de Paris (10 f�vrier 1763), l'�v�que de Qu�bec, Mgr �tienne Montgolfier, demanda � tous les cur�s de chanter un Te Deum en action de gr�ces pour �le bienfait de la paix�. Le dimanche suivant la r�ception de ce mandement, tous les cur�s durent lire la directive �piscopale aux paroissiens :

Soyez exacts � remplir les devoirs de sujets fid�les et attach�s � leur prince ; et vous aurez la consolation de trouver un roi d�bonnaire, bienveillant et appliqu� � vous rendre heureux, et favorable � votre religion. [...] Rien ne peut vous dispenser d'une parfaite ob�issance, d'une scrupuleuse et exacte fid�lit�, et d'un inviolable et sinc�re attachement � votre nouveau Monarque et aux int�r�ts de la nation � laquelle nous venons d'�tre agr�g�e.

De son c�t�, le cardinal Castelli �crivit de Rome, le 17 d�cembre 1766, � l'abb� de l'Isle-Dieu: � De leur c�t�, il faudra que les eccl�siastiques et l'�v�que oublient sinc�rement � cet �gard qu'ils sont Fran�ais.�  L'abb� de l'Isle-Dieu, qui r�sidait en France, �tait le grand vicaire g�n�ral du Canada et de l'Acadie (jusqu'� la nomination de Mgr de Pontbriand). Il paraissait �vident que, dans la colonie du Canada, l'appartenance fran�aise devait s'effacer devant l'appartenance catholique. Dans l'esprit et l'int�r�t de l'�glise, la religion avait priorit� sur la langue et la culture. Telle allait �tre d�sormais la trame de l'histoire de l'�glise catholique au Canada fran�ais: alliance de l'�tat et de l'�glise, loyalisme envers les autorit�s constitu�es, primaut� de la religion sur d'autres caract�ristiques culturelles.

La Conqu�te britannique de la Nouvelle-France et du Canada entra�na non seulement une rupture politique, mais aussi une rupture �conomique, sociale et, comme il se doit, linguistique. En devenant une colonie britannique, le pays se vit d�capit� de sa classe dirigeante fran�aise en transf�rant le pouvoir politique et �conomique aux conqu�rants anglais. D�s lors, les habitants du Canada n'�taient plus des Fran�ais, mais des sujets britanniques.
 

Les gouverneurs
de la province de Qu�bec

Jeffery Amherst (1760-1763)
Thomas Gage
(1763-1764)
James Murray
(1764-1768)
Guy Carleton
(1768-1778)
Frederick Haldimand
(1778-1786)
Guy Carleton
(1786-1796)

On assista � la r�duction de l'univers �conomique des Canadiens fran�ais qui, pour survivre, se repli�rent sur l'agriculture, l'artisanat et le petit commerce. Les Canadiens durent apprendre � vivre dans une Am�rique britannique. La soci�t� canadienne-fran�aise d�veloppa des r�flexes de survivance ax�s sur la d�fense de sa religion, de sa langue et de ses droits. Toute l'histoire des Canadiens fran�ais sera marqu�e par cette trilogie religion - langue - loi, c'est-�-dire la religion catholique, la langue fran�aise et les lois civiles fran�aises.

La Conqu�te anglaise marqua aussi le d�but de la �travers�e du d�sert� qui entamait le processus de d�t�rioration du statut de la langue fran�aise au Canada. Malgr� les vis�es assimilatrices des conqu�rants, les francophones allaient survivre gr�ce � leur opini�tret�, � leur isolement, � leur surnatalit� et... aux erreurs de leurs ma�tres. Mais il faut retenir surtout que, � partir de cette p�riode, l'histoire de la langue fran�aise au Canada devint le reflet d'une langue domin�e. Le r�gime britannique dotera aussi les Canadiens de nouveaux outils pour se d�fendre, dont la presse (journaux), les imprimeries, les biblioth�ques publiques (une pour commencer) et le recours aux avocats, sans oublier une �glise catholique devenue officiellement la porte-parole du nationalisme canadien-fran�ais. En m�me temps, l'�glise va figer les francophones dans l'agriculture et prendre le contr�le des �coles, des h�pitaux, de la presse, etc. 

� partir de cette �poque, le terme de �Canadiens� (ou Canadians en anglais) d�signa les descendants des colons fran�ais qui s'�taient �tablis en Nouvelle-France et qui avaient continu� � parler fran�ais, par opposition aux �Britanniques� (ou British) ou aux �Anglais�, les nouveaux occupants et les nouveaux immigrants, qui parlaient anglais, voire l'�cossais ou l'irlandais. Mais tout ce beau monde �tait dor�navant des �sujets britanniques�, y compris les francophones du Canada. Quant aux Fran�ais de la Louisiane, ils �taient devenus des Espagnols.

3.4 Le g�nocide des autochtones

La conqu�te anglaise allait aussi entra�ner un grand d�sastre au plan humain : le g�nocide des populations autochtones. La chute de la Nouvelle-France laissait la plupart des autochtones � la merci des Britanniques, qui rendirent caduques toutes les alliances franco-am�rindiennes. Les Iroquois alli�s des Britanniques, parfois appuy�s par des soldats, d�cid�rent aussit�t de se d�dommager des co�ts subis par la guerre en pillant les villages algonquins, en incendiant et accaparant tout ce qu'ils pouvaient. De leur c�t�, beaucoup de militaires britanniques se montr�rent arrogants, des sp�culateurs avides de terres firent des pressions et, contrairement aux Fran�ais, les nouveaux administrateurs se r�v�l�rent peu empress�s de combler les autochtones de pr�sents pour s'en faire des alli�s. Il est vrai que les Fran�ais avaient longtemps excell� dans l'art de couvrir les autochtones de cadeaux. Avec la disparition de la Nouvelle-France, les Am�rindiens trouveront un gouvernement britannique beaucoup moins accommodant. Contrairement � la France, la Grande-Bretagne n'avait pas besoin d'alli�s autochtones, y compris les Iroquois.

Les Am�rindiens allaient vite s'en rendre compte. Au plan militaire, aucun groupe d'autochtones ne repr�sentait une r�elle menace pour les britanniques. � l'exception des Iroquois, maintenant des Mohawks, et des Hurons, aucune nation n'avait de pr�sence significative et organis�e dans ce qui sera la nouvelle province de Qu�bec. Les autochtones furent laiss�s � eux-m�mes, car les Britanniques n'en avaient pas besoin. Avec la prise du Canada par les Britanniques, les nouvelles autorit�s allaient commencer � assigner aux autochtones des territoires d�termin�s. Apr�s la guerre de l'Ind�pendance am�ricaine, la majorit� des autochtones furent repouss�s � la fois par les Am�ricains et les Britanniques, car ils nuisaient au d�veloppement des nouveaux colons.

Ce fut l'�poque o� des proph�tes autochtones firent leur apparition dans les tribus. Leurs propos soulevaient l'enthousiasme en pr�chant l'indianit� et la renaissance des valeurs am�rindiennes. Selon le �Ma�tre de la vie�, il fallait �jeter les Blancs � la mer�, c'est-�-dire les Britanniques! Mais les autochtones n'�taient pas de taille � se mesurer � la plus grande arm�e du monde.

En 1763, le chef outaouais Pontiac (vers 1714�1769) rassembla une coalition de tribus autochtones (les Outaouais, les Miamis, les Wyandots, les Chippewas, les Potawatomies, les Shawnees, les Renards, les Winnebagos, etc.) et d�truit tous les postes de la r�gion des Grands Lacs, � l'exception de Niagara et D�troit. Ainsi, les autochtones massacr�rent ou amen�rent en captivit� les garnisons et les r�fugi�s vaincus; ils firent plus de 2000 morts. Le g�n�ral Jeffrey Amherst envisagea m�me de renoncer au colonies d'Am�rique du Nord. Mais les autorit�s britanniques ne firent pas de quartier : la r�pression fut sanglante et terrible. Par la suite, les diverses tribus firent la paix les unes apr�s les autres et, en 1766, tous les Am�rindiens avaient enterr� la hache de guerre. Le chef Pontiac se rendit m�me au grand rassemblement organis� au fort Oswego par le surintendant britannique des Affaires indiennes, William Johnson, afin de signer avec les autres chefs am�rindiens le trait� qui mettait fin aux �conflit de l'Ohio�.

En 1764, le g�n�ral Amherst proposait de contaminer des couvertures � petite v�role et de les distribuer aux Indiens, afin de les rendre malades et de les faire mourir. Voici un passage de sa correspondance du 16 juillet 1763 avec le colonel Henri Bouquet, d'origine suisse:

You will do well to try to innoculate the Indians by means of blankets, as well as every method that can serve to extirpate this execrable race. [Vous feriez bien d'essayer d'infecter les Indiens au moyen de couvertures, ainsi que par toute autre m�thode visant � exterminer cette race ex�crable].

En fait, les Britanniques connaissaient bien la faiblesse immunitaire des autochtones, de m�me que les effets d�vastateurs qu'auraient sur eux la variole. Une �pid�mie de variole s'est effectivement r�pandue parmi les Am�rindiens � cette �poque, mais le colonel aurait apparemment refus� d'obtemp�rer aux ordres d'Amherst qui d�testait les Am�rindiens. Si son intention d'�radiquer les Am�rindiens �tait �vidente, il est possible que la mise en pratique de cette volont� n'ait pas eu lieu � ce moment-l�, puis remise � plus tard. Cette �pid�mie serait alors le premier cas de guerre biologique recens� en Am�rique du Nord.

Les mots qui revenaient le plus souvent dans les documents laiss�s par le g�n�ral Amherst �taient en anglais: Vermin (�vermine�), Savage (�sauvage�), Total Extermination (�extermination totale�) ou Total Extirpation (��radication totale�). Selon l'historien Denis Vaugeois, Amherst n'aurait rien invent�, car il �tait courant � l'�poque d'inoculer la variole pour d�cimer des populations consid�r�es comme ind�sirables. Aujourd'hui, Amherst serait jug� comme criminel de guerre.

Au final, les Am�rindiens durent se soumettre, ce qui allait entra�ner un long processus d'assujettissement. Les ann�es qui suivirent la d�faite fran�aise apport�rent � la plupart des autochtones un surcro�t de maladies, de famines et de d�cadence culturelle. Durant les deux si�cles qui allaient suivre, les autochtones passeront du statut de seconde zone (maintenant occup� par les Canadiens) � celui de troisi�me zone. Tr�s rapidement, les autochtones seront non seulement exclus de tout r�le social, mais g�ographiquement isol�s, et vivront dans la pauvret� et la mis�re, parqu�s dans des �r�serves�. Beaucoup de langues am�rindiennes allaient �tre en voie d'extinction. M�me la plupart des Iroquois pli�rent bagage et �migr�rent vers les Treize Colonies, sauf � Sault-Saint-Louis (aujourd'hui Kahnawake) et � Oka (Kanesatake), plut�t que s'installer sur le territoire de la nouvelle province de Qu�bec.

4 La Proclamation royale (1763-1774)

Apr�s le trait� de Paris (1763), la Grande-Bretagne pouvait d�sormais doter ses colonies d'Am�rique du Nord d'un cadre politique et juridique conforme aux int�r�ts de la Couronne. Le gouvernement de Sa majest� se trouvait dor�navant devant 13 colonies autonomistes, une nouvelle province habit�e par un peuple conquis et hostile, ainsi qu'un immense territoire inexplor� et habit� par des autochtones qu'il m�prisait. La solution trouv�e par la Grande-Bretagne fut la Proclamation royale (Royal Proclamation) du 7 octobre 1763, consid�r�e comme le texte fondateur de ce qui allait devenir le Canada d'aujourd'hui. Avec la Proclamation royale, toute r�f�rence au Canada et � la Nouvelle-France �tait abolie. Dor�navant, le Canada s'appelait Province of Quebec (province de Qu�bec). � cette �poque, le mot �province� (< latin vincere: �vaincre�) d�signait un �pays conquis� par opposition � une �colonie�, une r�gion peupl�e de colons comme en Nouvelle-Angleterre. Cette distinction est importante: l'ancien Canada n'�tait plus une �colonie� mais une �province�. Cependant, l'expression "Province of Quebec" n'appara�t pas dans le texte de la Proclamation royale. On y trouve le mot "Province" appliqu� pour le "Government of Quebec". Le texte distingue aussi les "Colonies" et les "Provinces" en Am�rique:  "those Colonies and Provinces in America". En r�alit�, la province de Qu�bec demeurait une colonie britannique, mais ne portait pas ce nom, contrairement � celles de la Nouvelle-Angleterre. D'ailleurs, le texte mentionne trois nouvelles colonies: "Our said Three new Colonies" (�Nosdites trois nouvelles colonies�).

4.1 La r�organisation des colonies britanniques

En effet, la Proclamation royale ne concernait pas seulement la province de Qu�bec, mais aussi les autres colonies de l'Am�rique du Nord, dont les Treize Colonies et les Florides, ces derni�res �tant aussi des �provinces�. En effet, la Proclamation royale cr�ait trois nouvelles provinces appel�es Province of Quebec ("province de Qu�bec"), East Florida ("Floride orientale") et West Florida ("Floride occidentale"), en plus de pr�voir sur une base temporaire une �r�serve indienne�, les Indian Territories ("Territoires indiens") � partir du c�t� ouest de la cha�ne des Appalaches et couvrant la partie ouest des Treize Colonies. En fait, n'ayant pas �t� arpent�s, ces territoires demeuraient avec des limites assez floues au nord et � l'ouest. 

- Le Qu�bec

La Proclamation royale d�limitait officiellement les fronti�res de la nouvelle province de Qu�bec en la r�duisant � la zone habit�e, c'est-�-dire la vall�e du Saint-Laurent. Rappelons-le, toute r�f�rence au Canada fut volontairement exclue afin de bien marquer la rupture entre la Nouvelle-France et la nouvelle province britannique. D�sormais, tout le reste de l'Am�rique devenait inaccessible aux Canadiens.

- Les Treize Colonies

Quant aux Treize Colonies ("Thirteen Colonies"), leur expansion territoriale �tait stopp�e net vers l'ouest, ce qui signifiait que le d�veloppement des territoires de l'Am�rique du Nord relevait exclusivement du bon vouloir du roi. C'�tait l� une fa�on pour la Grande-Bretagne d'asseoir son autorit� sur ses colonies autonomistes. Cette politique � l'�gard des Treize Colonies souleva la col�re de colons, parce que nombre d'entre eux s'�taient d�j� install�s dans les nouveaux territoires devenus �britanniques�; ils durent rendre les terres aux Indiens et revenir en Nouvelle-Angleterre.

- Les Florides

Il y avait aussi le cas des Florides. Selon les termes du trait� de Paris de 1763, la France c�dait ses colonies � la Grande-Bretagne, sauf la Louisiane qui revenait � l'Espagne. Mais celle-ci c�dait � son tour le territoire situ� � l'est et au sud-est du Mississippi � la Grande-Bretagne. Par la Proclamation royale de 1763, les Britanniques divis�rent le territoire de la Floride en deux parties, la Floride orientale (Est Florida), avec comme capitale Saint Augustine, et la Floride occidentale (West Florida), avec comme capitale Pensacola. Dans ces territoires, les habitants blancs parlaient le fran�ais, l'espagnol ou l'anglais, alors que les populations autochtones parlaient des langues am�rindiennes.

- Les territoires indiens

Les territoires indiens ne pouvaient pour le moment �tre contr�l�s par l'arm�e britannique. Il fallait les r�server pour un usage futur de la part de la Couronne. On cr�ait ainsi la premi�re �r�serve indienne� en Am�rique du Nord. Quoi qu'il en soit, les autorit�s britanniques savaient que cette situation ne pouvait �tre que provisoire et que, avec l'immigration �ventuelle de colons anglais, il serait plus facile de d�loger les autochtones s'ils devenaient trop encombrants. En attendant, il s'agissait d'apaiser les craintes indiennes de toute arriv�e massive de colons blancs sur leurs terres, le tout �tant destin� � pacifier les anciens alli�s des Fran�ais. C'est pourquoi la Proclamation reconnaissait l'existence du droit des autochtones, toujours appel�s Indians (�Indiens�) dans la Proclamation royale, et d�signait la Couronne anglaise comme protectrice de ce droit. Bien s�r, les Britanniques n'ont pas cr�� les �territoires indiens� pour le bien-�tre des autochtones.

En fait, la Couronne se r�servait le monopole dans l'acquisition des terres indiennes: �Si quelques-uns des Indiens, un jour ou l'autre, devenaient enclins � se d�partir desdites terres, elles ne pourront �tre achet�es que pour Nous, en Notre Nom, � une r�union publique ou � une assembl�e desdits Indiens, qui devra �tre convoqu�e � cette fin par le gouverneur ou le commandant en chef de la colonie, dans laquelle elles se trouvent situ�es.� Autrement dit, seuls le roi et ses h�ritiers avaient l'autorit� d'acheter des parties de cette immense r�serve indienne de ses habitants autochtones, car dor�navant nul, que ce soit une personne morale ou une personne physique, ne pouvait acqu�rir des terres par le truchement de trait�s conclus directement avec les Indiens. Tous les futurs trait�s conclus avec les autochtones du Canada allaient donc �tre men�s directement avec le repr�sentant dont la Couronne symbolise la souverainet� de l'Empire britannique.

Les autorit�s ont cr�� ces territoires indiens dans le but d'�viter les d�bordements incontr�l�s de leurs Treize Colonies vers l'ouest, afin de favoriser les surplus de population vers le nord, c'est-�-dire le Qu�bec et la Nouvelle-�cosse (qui englobait alors le Nouveau-Brunswick et l'�le du Prince-�douard). La Proclamation interdisait aux habitants des Treize Colonies de s'installer et d'acheter des terres � l'ouest de la ligne de partage des eaux qui court le long des Appalaches.

La Proclamation royale pr�voyait comment devaient se d�rouler les n�gociations pour acheter les terres des populations am�rindiennes de l'Am�rique du Nord. C'est pourquoi elle a �t� appel�e la �Grande Charte am�rindienne� ou la �Charte des droits des autochtones�. La Proclamation royale de 1663 fut jug�e par William Murray (1705-1793), premier lord Mansfield et magistrat en chef de la Cour du banc du roi, comme �tant la Constitution de facto du Canada (�Province of Quebec�) jusqu'� la l'Acte de Qu�bec de 1774.

4.2 La province de Qu�bec

Le premier gouverneur anglais de la nouvelle �province de Qu�bec�, James Murray (qui parlait fran�ais avec facilit�), devait mettre en application la politique du gouvernement britannique: faire du Qu�bec une nouvelle colonie en favorisant l'immigration anglaise et l'assimilation des francophones, en implantant la religion officielle de l'�tat — l'anglicanisme — et en instaurant de nouvelles structures politiques et administratives conformes � la tradition britannique. La Proclamation royale pr�voyait que le gouverneur devait convoquer une assembl�e g�n�rale des repr�sentants du peuple, quand les circonstances le permettraient. Cette convocation ne vint jamais.

D�s 1764, James Murray �tablit les premi�res institutions judiciaires et d�cr�ta que dor�navant il fallait juger �toutes les causes civiles et criminelles conform�ment aux lois de l'Angleterre et aux ordonnances de cette province�. De plus, tout employ� de l'�tat devait pr�ter le �serment du test� ("Test Oath"), lequel comportait une abjuration de la foi catholique et la non-reconnaissance de l'autorit� du pape.

Ces mesures �taient destin�es � �carter presque automatiquement tous les Canadiens fran�ais (� l'exception de quelques huguenots, donc protestants, rest�s au pays) des fonctions publiques telles que fonctionnaire, greffier, avocat, apothicaire, capitaine, lieutenant, sergent, etc. Les Britanniques interdirent que les contrats soient r�dig�s en fran�ais et que le syst�me judiciaire soit administr� en fran�ais.

- La politique de tol�rance

Mais James Murray se rendit vite compte que les objectifs d'assimilation de la Proclamation royale �taient tout � fait irr�alistes, parce que 99 % de la population �tait fran�aise et catholique. Il fut donc impossible d'appliquer � la lettre les lois civiles anglaises; le gouverneur Murray (1763-1766) dut faire preuve de tol�rance. Il se rendit compte aussi que la population canadienne subissait des injustices flagrantes qu'une minorit� anglaise � les Montrealers � imposait aux nouveaux conquis. Il �crivait au gouvernement de Londres en 1764:
 

Little, very little, will content the new subjects, but nothing will satisfy the licentious fanatics trading here but the expulsion of the Canadians, who are perhaps the bravest and the best race upon the globe. A race who, could they be indulged with a few privileges, which the laws of England deny to Roman Catholics at home, would soon get the better of every natural antipathy to their conquerors, and become the most faithful and most useful men in the American Empire. [Peu, tr�s peu suffira � contenter les nouveaux sujets, mais rien ne pourra satisfaire les fanatiques d�r�gl�s qui font le commerce, hormis l'expulsion des Canadiens, qui constituent la race la plus brave et la meilleure du globe peut-�tre, et qui, encourag�s par quelques privil�ges que les lois anglaises refusent aux catholiques romains en Angleterre, ne maqueront pas de vaincre leur antipathie nationale � l'�gard de leurs conqu�rants, et deviendront les hommes les plus fid�les et les plus utiles dans l'Empire am�ricain.]

James Murray consid�rait qu'il fallait prot�ger les sujets fran�ais de Sa Majest� parce qu'�ventuellement ils constitueraient un rempart face aux Treize Colonies; c'�tait en somme un acte de pr�vention. Comme preuve de la fid�lit� des Canadiens, il signalait avec une �vidente satisfaction �qu'il n'y a pas plus de 270 �mes, hommes, femmes et enfants, qui vont �migrer de cette province � la suite du trait� de Paris� ("that there are no more than two hundred and seventy souls, men, women, and children, who will emigrate from this province in consequence of the Treaty of Paris").

Mais Murray se mit � dos les marchands anglais, les Montrealers, qui ne tard�rent pas � se liguer contre lui, l'accusant de ne pas respecter la Constitution et de ne pas pr�ner la cause de l'anglicanisme anglais. Murray dut regagner l'Angleterre d�s 1766. Il fut lav� des accusations port�es contre lui et conserva officiellement son poste de gouverneur jusqu'au 12 avril 1768, tout en demeurant en Angleterre. Entre-temps, il continua de d�fendre la cause des Canadiens. Le 20 ao�t 1766, il fit un rapport � lord Shelburne, alors secr�taire d'�tat (1766-1768) dans le gouvernement de William Pitt:
 

I glory in having been accused of warmth and firmness in protecting the King's Canadian Subjects and of doing the utmost in my Power to gain to my Royal Master the affection of that brave hardy People; whose Emigration, if ever it shall happen, will be an irreparable Loss to this Empire, to prevent which I declare to your Lordship, I would chearfully submit to greater Calumnies & Indignities if greater can be devised, than hitherto I have undergone. [Je me fais gloire d'�tre accus� d'avoir accord� une ferme et chaleureuse protection aux sujets canadiens du roi et d'avoir fait tout ce que je pouvais pour gagner � mon royal ma�tre l'affection de ce peuple brave et courageux, dont l'�migration, si jamais elle se produisait, serait une perte irr�parable pour cet empire, afin d'�viter que je d�clare � votre seigneurie, je me soumettrais volontiers � de plus grandes calomnies et indignit�s si de plus grandes peuvent exister que celles que j'ai subi auparavant.]

Le 27 octobre 1764, il �crivit m�me � lord Eglinton : "I cannot be witness to the misery of a people I love and admire" (�Je ne peux �tre t�moin de la mis�re d'un peuple que j'aime et que j'admire�). Au cours de son mandat, Murray aura permis aux Canadiens de ne pas s'assimiler et de conserver leur religion catholique.
 

Toutefois, Londres finit par d�savouer Murray qui fut remplac� par Guy Carleton (1766-1778). Le nouveau gouverneur poursuivit la politique de conciliation envers les Canadiens. Il laissa la hi�rarchie catholique exercer ses fonctions, dispensa du serment du test (destin� � exclure les catholiques de toute charge administrative) les Canadiens dont il avaient besoin pour les postes publics et tol�ra qu'on puisse plaider en fran�ais en recourant aux lois civiles d'avant la Conqu�te.

Commentant cette situation, l'historien et archiviste qu�b�cois Andr� Vachon (1933-2003) d�crivit ainsi la situation dans son Histoire du notariat canadien (Qu�bec, 1962):

L'on assista alors � ce spectacle insolite d'une population fran�aise de 70 000 �mes gouvern�e par des conseillers de langue anglaise, repr�sentants de quelque deux cent marchands et fonctionnaires anglais install�s aux pays: d'une population fran�aise jug�e suivant des lois dont elle ignorait le premier mot, et par des juges qui ne comprenaient pas les parties, pas plus que celles-ci ne comprenaient les juges; les jur�s m�mes, aussi de langue anglaise, n'entendait rien aux t�moignages des parties de langue fran�aise. De tout cela ne pouvait r�sulter qu'incertitudes, confusions et quiproquos.

- La pr�dominance de l'anglais

Devant ce fait, les Canadiens fran�ais boud�rent syst�matiquement les tribunaux et la fonction publique, laissant toute la place aux Anglais qui remplac�rent rapidement les cadres francophones dans les domaines de l'information, du commerce, de l'�conomie, de l'industrie et de l'administration. Dans la revue Langue fran�aise (no 31, d�c. 1976, Paris, Larousse, p. 6-7), le linguiste qu�b�cois Jean-Claude Corbeil �crivait ce qui suit:

L'Angleterre, par ses repr�sentants, dirige l'�conomie du pays, exige que le commerce se fasse par l'interm�diaire de soci�t�s install�es soit dans les colonies anglaises du littoral atlantique, soit en Angleterre m�me. Les commer�ants fran�ais, ou bien ont quitt� le pays, ou sont ruin�s par la d�faite. Ceux qui persistent ne connaissent pas et ne sont pas connus des soci�t�s anglaises, ou encore n'obtiennent pas cr�dit de ces soci�t�s. Les commer�ants des colonies am�ricaines envahissent le Qu�bec et s'y comportent comme en territoire conquis.

C'est donc l'anglais qui, apr�s 1763, servit naturellement de langue v�hiculaire porteuse de la �civilisation universelle�. Dans les faits, l'anglais ne rempla�a pas toujours le fran�ais, mais il le rel�gua certainement dans un r�le de second ordre. Propri�taires de leurs terres, les Canadiens se repli�rent alors sur l'agriculture pour s'assurer le minimum vital: la nourriture et le logement.

- Les reculs en �ducation

Au lendemain de la Conqu�te, il n'existait pas d'�cole anglo-protestante dans la colonie. Tr�s t�t, le clerg� protestant et les parents anglophones exerc�rent des pressions sur le gouverneur afin d'obtenir des �tablissements d'enseignement propres aux valeurs anglo-saxonnes. La premi�re �cole anglo-protestante ouvrit ses portes en 1766 � Qu�bec. Au cours des d�cennies suivantes, les autorit�s britanniques inaugureront une trentaine d'�coles primaires anglophones dans les principaux centres urbains de la province de Qu�bec, y compris Sorel et Gasp�.

Les �coles francophones subirent, pour leur part, un recul important en raison d'une baisse importante des effectifs enseignants et d'une p�nurie g�n�ralis�e des manuels scolaires, les livres provenant de France �tant dor�navant interdits. Durant quelques d�cennies, il pouvait n'exister qu'une seule grammaire par classe. � la fin du XVIIe si�cle, le nombre des �tablissements scolaires franco-catholiques dans la province de Qu�bec s'�tablissait ainsi: une quarantaine d'�coles primaires r�parties entre les r�gions de Qu�bec, de Trois-Rivi�res et de Montr�al, ainsi qu'une trentaine de petites �coles dans les r�gions plus �loign�es. Pour ce qui est de l'enseignement secondaire, il �tait assur� au s�minaire de Qu�bec et au Coll�ge de Montr�al � partir de 1773.

Mais ce sont les autorit�s britanniques qui contr�laient les budgets accord�s � l'�ducation; elles privil�gi�rent forc�ment les anglophones aux d�pens des francophones. Au cours de la d�cennie de 1790, les anglophones d�tenaient une �cole pour 588 habitants, alors que les francophones n'en poss�daient qu'une seule pour pour 4000. Il est vrai que les Canadiens francophones ne voyaient plus beaucoup d'int�r�t � envoyer leurs enfants se faire instruire, alors qu'ils savaient que les carri�res int�ressantes leur �taient refus�es.

Compte tenu du manque d'enseignants, de la p�nurie des manuels et du repli des Canadiens dans les r�gions rurales, l'analphab�tisme se d�veloppa de fa�on quasi g�n�ralis�e.

4.3 Une voie sans issue

La Proclamation royale de 1763 se r�v�la vite un v�ritable carcan pour la nouvelle colonie britannique. M�me le commerce des fourrures – le secteur le plus dynamique de l'�conomie — p�riclita parce qu'il n'�tait plus possible de s'approvisionner dans le r�servoir pelletier des Grands Lacs et celui du Nord. L'instauration des lois civiles anglaises mena�ait la langue fran�aise et minait le fondement de la soci�t� canadienne-fran�aise. La prestation du serment du test avait fini par exclure les Canadiens de l'Administration publique et les avait soumis � l'arbitraire d'une minorit� protestante et anglophone. De plus, le fait de ne pas reconna�tre l'autorit� du pape rendait impossible la nomination d'un successeur � l'�v�que de Qu�bec (Mgr de Pontbriand �tant d�c�d� � un fort mauvais moment en 1760) et, par voie de cons�quence, vouait � l'extinction le clerg� catholique, qui ne pouvait plus ordonner de nouveaux pr�tres.

En 1766, le procureur g�n�ral de la province de Qu�bec de 1766 � 1769, Francis Mas�res (1731-1824) � �crit aussi sous la forme de Maseres �, un Anglais d'origine huguenote peu sympathique � l'�gard des francophones, affirmait que les Canadiens �ignorent presque tous la langue anglaise et qu'ils sont absolument incapables de s'en servir dans un d�bat�. Il pr�nait d'ailleurs ouvertement l'assimilation des Canadiens:

It is a question of maintaining peace and harmony and of merging, so to speak, into a single one, two races which at the moment practise two different religions, speak languages which are reciprocally foreign, and are led by their instincts to utter different laws. The mass of inhabitants is comprised of Frenchmen originally from old France or of Canadians born in the colony, speaking the French language only, and making up a population estimated at ninety thousand souls or, as the French would have it from memory, at ten thousand heads of household. The remainder of the inhabitants is composed of natives of Great Britain or Ireland or of British possessions in North America, which at the moment reach the number of 600 souls. Nevertheless, if the province is managed in a manner pleasing to the inhabitants, this number will increase daily with the arrival of new colonists, who will come with the intention of taking up business or agriculture, so that in time it might become equal, even superior, to that of the French population. [Il s'agit de maintenir dans la paix et l'harmonie et de fusionner, pour ainsi dire en une seule, deux races qui pratiquent actuellement deux religions diff�rentes, parlent des langues qui leur sont r�ciproquement �trang�res et sont par leurs instincts port�s � prof�rer des lois diff�rentes. La masse des habitants est compos�e de Fran�ais originaires de la vieille France ou de Canadiens n�s dans la colonie, parlant la langue fran�aise seulement et formant une population �valu�e � quatre-vingt-dix mille �mes ou, comme les Fran�ais l'�tablissent par leur m�moire, � dix mille chefs de famille. Le reste des habitants se compose de natifs de la Grande-Bretagne ou d'Irlande ou des possessions britanniques de l'Am�rique du Nord qui atteignent actuellement le chiffre de six cents �mes. N�anmoins, si la province est administr�e de mani�re � donner satisfaction aux habitants, ce nombre s'accro�tra chaque jour par l'arriv�e de nouveaux colons qui y viendront dans le dessein de se livrer au commerce ou � l'agriculture, de sorte qu'avec le temps il pourra devenir �gal, m�me sup�rieur, � celui de la population fran�aise.]

En 1666, Mas�res pr�senta � Londres un m�moire pour r�gler les difficult�s survenues dans la nouvelle province britannique de Qu�bec (Consid�rations sur la n�cessit� de faire voter un acte par le Parlement pour r�gler les difficult�s survenues dans la province de Qu�bec).

Cependant, l'immigration anglaise demeura trop faible, les Britanniques ne furent pas assez nombreux (environ 500 familles) dans la colonie pour assimiler rapidement les Canadiens. Les autorit�s britanniques avaient esp�r� que les soldats s'installent en grand nombre dans la province afin de h�ter l'assimilation des Canadiens, mais les militaires �taient presque tous retourn�s dans leur pays apr�s le trait� de Paris de 1763, sauf pour les troupes r�guli�res stationn�es au pays. Il y a bien eu quelques mariages entre des Canadiennes et des soldats anglais, mais en nombre nettement insuffisant.

- La question de la Chambre d'Assembl�e

Pendant ce temps, des marchands anglais demand�rent l'�tablissement d'une Chambre d'assembl�e dans laquelle seules des sujets protestants pourraient �tre �lus. Ce projet parut sans doute paradoxal aux autorit�s coloniales, car il sugg�rait qu'une minorit� puisse imposer ses vues � une majorit�, d�valorisant du m�me coup le sens des �libert�s anglaises�.

Puis le procureur g�n�ral de la province de Qu�bec, Francis Mas�res, s'opposa en 1766 � ce projet. Il croyait plut�t que les Canadiens seraient contre cette institution et qu'il s'ensuivrait des luttes qui retarderaient �pendant longtemps et � rendre impossible peut-�tre cette fusion des deux races ou l'absorption de la race fran�aise par la race anglaise�. N�anmoins, des membres de la minorit� anglaise intervinrent aupr�s du gouverneur Carleton en 1768 afin de faire conna�tre leur proposition aupr�s de Londres. L'ann�e suivante, la Chambre des Lords consid�ra pr�matur� ce projet d'une Chambre d'Assembl�e.

Puis la minorit� anglaise allait revenir � la charge en 1770 avec une p�tition au roi. La r�ponse, deux ans plus tard, sera n�gative: on craignait qu'une Chambre d'Assembl�e devienne une grave cause de conflits dans la colonie, sans compter qu'elle pourrait difficilement �tre repr�sentative � la fois de la minorit� anglaise et de la majorit� canadienne. Malgr� plusieurs interventions en faveur de la Chambre d'Assembl�e, les anglophones essuy�rent des refus successifs. En fait, le gouvernement britannique craignait que les Canadiens finissent par contr�ler la colonie.

- La politique conciliante

L'agitation grandissante des Treize Colonies for�a le gouverneur Murray, et plus tard le gouverneur Carleton, � pratiquer une politique conciliante � l'�gard de la majorit� francophone et � rechercher son appui malgr� l'indignation de la population anglaise nouvellement arriv�e dans la �province� britannique. De plus, les Britanniques �taient fauch�s, la guerre de la Conqu�te avait co�t� tr�s cher. Ils ne disposaient donc pas des ressources n�cessaires pour assimiler la population locale. Il fallait trouver des compromis. Devant les difficult�s de faire fonctionner la colonie avec leurs lois et leur langue, les Britanniques finirent par se plier aux circonstances et battre en retraite. C'est ainsi que l'action de plusieurs Canadiens, et de quelques Anglais comme Guy Carleton, for�a Westminster � adopter une nouvelle constitution en 1774: ce fut l'Acte de Qu�bec.

5 Le bref compromis de l'Acte de Qu�bec (1774)

Les colonies anglaises d'Am�rique s'agitaient depuis bient�t dix ans. L'Acte de Qu�bec (Quebec Act), promulgu� le 22 juin 1774 et devant entrer en vigueur le 1er mai 1775, rendit la domination anglaise plus tol�rable pour les Canadiens. La version fran�aise parut le 8 d�cembre 1874 dans la Quebec Gazette / Gazette de Qu�bec fond�e en 1764. C'est en grande partie le gouverneur Guy Carleton qui r�digea l'Acte de Qu�bec, m�me si le gouvernement de Londres n'a pas retenu toutes les recommandations de son repr�sentant.

Cette premi�re loi constitutionnelle encadrait  environ 80 000 �nouveaux� sujets et 2000 �anciens� sujets. Le pouvoir demeurait dans les mains du gouverneur qui s'entourait d'un Ex�cutif d�sign� par lui-m�me. La Grande-Bretagne conservait le contr�le sur la colonie et
consid�rait comme h�tif l'�tablissement d'une Chambre d'assembl�e. En maintenant le syst�me seigneurial, la coutume de Paris et les lois civiles fran�aises, il �tait manifeste que les autorit�s coloniales entendaient s'appuyer sur les seigneurs, dont sept faisaient partie du premier Conseil. Bref, les seigneurs, les autorit�s locales et m�tropolitaines partageaient les m�mes valeurs et les m�mes int�r�ts : la croyance dans la monarchie, la fid�lit� au roi, l'appui de l'aristocratie, l'union de l'�tat et de l'�glise. Bien que l'�glise d'Angleterre pouvait �tre intol�rante en Angleterre, les hommes politiques se montr�rent au contraire tol�rants envers la religion catholique dans la �province de Qu�bec�. En raison du nombre de Canadiens de religion catholique, le solliciteur g�n�ral en Grande-Bretagne de 1771 � 1778, Alexander Wedderburn
(1733 � 1805) consid�rait que la tol�rance religieuse �tait politiquement moins risqu�e que l'intol�rance:  

The safety of the state can be the only just motive for imposing any restraint upon men on account of their religious tenets. The principle is just but has seldom been justly applied ; for the experience demonstrates that the public safety has been often endangered by these restraints, and there is no instance of any state that has been overturned by toleration. True policy dictates then that inhabitants of Canada should be permitted freely to profess the worship of their religion [...]. La s�curit� de l'�tat peut �tre le juste motif pour imposer une retenue sur les hommes en raison de leurs principes religieux. Le principe est juste mais a rarement �t� justement appliqu� ; car l'exp�rience d�montre que la s�curit� publique a �t� souvent mise en danger par ces restrictions, et il n'y a aucune instance d'un �tat qui ait �t� renvers� par la tol�rance. Une v�ritable politique dicte alors que les habitants du Canada devraient pouvoir librement professer le culte de leur religion [...].

Il faut constater que l'enjeu principal pour les Britanniques, comme pour l'�glise catholique, �tait pour des raisons diff�rentes religieux, bien avant d'�tre politique, linguistique ou culturel. Il s'agissait l� de concessions constitutionnelles dont ne b�n�ficiaient pas en Grande-Bretagne ni les catholiques anglais ni les catholiques irlandais.     

5.1 L'absence d'immigrants anglophones

� la suite de la Conqu�te, l'immigration fran�aise fut interdite; le gouvernement britannique voulut encourager la venue de sujets britanniques parlant l'anglais. Pour que le gouvernement britannique ait pu assimiler les Canadiens de langue fran�aise, il lui aurait fallu compter sur une forte immigration anglaise. Les habitants de la Nouvelle-Angleterre n'avaient pas afflu� comme pr�vu. Il est vrai que 7000 loyalistes �taient arriv�s en Nouvelle-�cosse pour prendre les terres involontairement abandonn�es par les Acadiens, mais apr�s une d�cennie le nombre d'immigrants anglophones au Qu�bec se limitait encore � quelques centaines. Pendant ce temps, les francophones continuaient de se reproduire all�grement, ce qui incitait les anglophones � s'assimiler aux francophones, surtout que les premiers �pousaient des filles de famille canadienne-fran�aise. Compl�tement d�sabus�, le gouverneur Guy Carleton reconnut que, � moins d'une catastrophe, le Canada serait fran�ais �jusqu'� la fin des temps�. Malgr� ses nouveaux ma�tres britanniques, le Canada avait conserv� son visage fran�ais.

5.2 La fid�lisation des francophones

Londres approuva l'Acte de Qu�bec dans le but de se conserver la fid�lit� de la population francophone du Qu�bec tout au long du conflit avec les Treize Colonies am�ricaines.

La population fran�aise du Canada se montra, pour sa part, relativement satisfaite de la nouvelle Constitution promulgu�e dans l'Acte de Qu�bec, car elle agrandissait consid�rablement le territoire de la �province�, qui s'�tendit d�s lors du Labrador (incluant l'�le d'Anticosti et les �les de la Madeleine) jusqu'� la r�gion des Grands Lacs. La nouvelle loi constitutionnelle abolissait en outre le serment du test, autorisait le clerg� catholique � percevoir la d�me et r�tablissait les lois civiles fran�aises. De plus, l'Acte de Qu�bec reconnaissait comme l�gal le r�gime seigneurial en usage en Nouvelle-France. Bref, cette loi �tait comme une reconnaissance du caract�re distinct des Canadiens de langue fran�aise au sein de l'Empire britannique. Par le fait m�me, la loi refusait aux anglophones des privil�ges auxquels ils croyaient avoir droit en tant que �loyaux sujets britanniques�.

5.3 Le statut juridique du fran�ais

Bien que l'Acte de Qu�bec, comme c'�tait la coutume � l'�poque, demeur�t silencieux au sujet de la langue, il assurait implicitement au fran�ais un usage presque officiel en r�tablissant les lois civiles fran�aises. Quoi qu'il en soit, le fait d'avoir le droit fran�ais avait signifi� pour plusieurs Canadiens que leur langue allait �tre employ�e en tout temps. Ainsi, c'est principalement � partir d'un texte juridique aussi ambigu que s'autoriseront, dans les r�gimes ult�rieurs, les d�fenseurs de la langue pour justifier les droits acquis du fran�ais au Canada (article VIII):
 

Il est aussi �tabli, par la susdite autorit�, que tous les sujets Canadiens de Sa Majest� en ladite province de Qu�bec (les Ordres religieux et Communaut�s seulement except�s) pourront aussi tenir leurs propri�t�s et possessions, et en jouir, ensemble de tous les us et coutumes qui les concernent, et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une mani�re aussi ample, aussi �tendue, et aussi avantageuse, que si lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments, n'avoient point �t� faits, en gardant � Sa Majest� la foi et fid�lit� qu'ils lui doivent, et la soumission due � la couronne et au parlement de la Grande-Bretagne: et que dans toutes affaires en litige, qui concerneront leurs propri�t�s et leurs droits de citoyens, ils auront recours aux lois du Canada, comme les maximes sur lesquelles elles doivent �tre d�cid�es: et que tous proc�s qui seront � l'avenir intent�s dans aucune des cours de justice, qui seront constitu�es dans ladite province, par Sa Majest�, ses h�ritiers et successeurs, y seront juges, eu �gard � telles propri�t�s et � tels droits, en cons�quence desdites lois et coutumes du Canada, jusqu'� ce qu'elles soient chang�es ou alt�r�es par quelques ordonnances qui seront pass�es � l'avenir dans ladite province par le Gouverneur, Lieutenant-Gouverneur, ou Commandant en chef, de l'avis et consentement du Conseil l�gislatif qui y sera constitu� de la mani�re ci-apr�s mentionn�e. 

En r�alit�, ces �us et coutumes� �taient de nature profond�ment conservatrice, puisque l'Acte de Qu�bec ne restaurait officiellement, en plus des lois civiles fran�aises, que les privil�ges quasi f�odaux de l'�glise catholique et ceux des seigneurs canadiens.  S'il semblait �vident pour les Canadiens que leur langue fran�aise faisait partie des �us et coutumes qui les concernent�, il n'en �tait pas ainsi pour les colons britanniques, particuli�rement chez les marchands. D'ailleurs, lorsque la situation politique et sociale allait se d�t�riorer au cours de prochaines d�cennies, les Britanniques seront encore moins enclins � consid�rer que le fran�ais fait partie des �us et coutumes� et des droits garantis. De plus, ils remettront constamment en question l'emploi des lois civiles fran�aises. Quoi qu'il en soit, la Constitution de 1774 n'allait pas durer longtemps, car elle allait �tre remplac�e par l'Acte constitutionnel de 1791. En 1774, Michel Chartier de Lotbini�re (1723-1798), seigneur de Lotbini�re, de Rigaud, de Vaudreuil, de Villechauve, d'Hocquart et d'Alainville, demanda la reconnaissance officielle du fran�ais:
 

La langue fran�oise �tant g�n�rale et presque l'unique en Canada, que tout �tranger qui y vient n'ait que ses int�r�ts en vue, il est d�montr� qu'il ne peut les bien servir qu'autant qu'il s'est fortifi� dans cette langue et qu'il est forc� d'en faire un usage continuel dans toutes les affaires particuli�res qu'il y traite; il est indispensable d'ordonner que la langue fran�oise soit la seule employ�e dans tout ce qui se traitera et sera arr�t� pour toute affaire publique, tant dans les cours de justice que dans l'assembl�e du corps l�gislatif, etc., car il para�trait cruel que, sans n�cessit�, l'on voulut r�duire la presque totalit� des int�ress�s � n'�tre jamais au fait de ce qui serait agit� ou serait arr�t� dans le pays.

Il recommandait aussi une politique de francisation de sorte que les nouveaux arrivants, aussi bien que les anciens habitants, puissent participer sur un pied d'�galit� � la vie �conomique et politique de la colonie. Cependant, le seigneur de Lotbini�re �tait probablement en avance sur son �poque. Son point de vue demeura sans cons�quence juridique. 

Le 1er mai 1775, on inaugura � Montr�al un buste du nouveau roi George III (1738-1820) pour souligner la mise en vigueur de l'Acte de Qu�bec. La foule des Montr�alais constata avec surprise que le buste portait l'inscription suivante: �Voil� le pape du Canada et le sot Anglois� (sic). Il semble que des marchands anglo-protestants avaient �t� � l'origine de cet acte de vandalisme.

En 1778, Frederick Haldimand, un Britannique francophone d'origine suisse, �tait nomm� gouverneur de la �province de Qu�bec� (1778-1786), laquelle comprenait alors une grande partie de l'Ontario. Il exer�a ses fonctions � Qu�bec au cours de la R�volution am�ricaine. Il trouva la plupart de ses appuis dans le French Party pour faire face au parti britannique des marchands et colons anglais. Craignant les Canadiens sympathiques � la cause am�ricaine, il fit arr�ter des Fran�ais d'origine soup�onn�s de s�dition ou de libelle: Fleury Mesplet (imprimeur), Valentin Jautard (journaliste et critique litt�raire) et Pierre du Calvet (commer�ant).

5.4 La r�forme scolaire avort�e

Devant le peu d'int�r�t de la part des Canadiens francophones d'apprendre la langue anglaise dans les �coles, le gouverneur Guy Carleton, devenu lord Dorchester, avait institu� en mai 1787 une commission d'enqu�te dont le mandat �tait d'�tudier le niveau de scolarisation des habitants de la province et de recommander au besoin des solutions. Cette commission �tait compos�e de cinq membres anglophones et de quatre membres francophones; elle �tait pr�sid�e par le juge en chef de la province, William Smith (1728-1793).

Le rapport des commissaires fut d�pos� en novembre 1789. La commission proposa un enseignement gratuit accessible � tous et non confessionnel. Elle sugg�rait aussi que chaque paroisse de la province soit pourvue d'une �cole primaire o� l'on y enseignerait les mati�res fondamentales telles la lecture, l'�criture et les math�matiques. Mais la commission proposait aussi d'instruire tous les enfants en anglais et de les pr�parer � se convertir au protestantisme (anglicanisme). L'objectif fondamental �tait �videmment d'assimiler les Canadiens � la langue du conqu�rant. Le 9 f�vrier 1789, Hugh Finlay (1730-1801), directeur g�n�ral des Postes de la colonie, �crivait � sir Van Nepean:
 

What the masters of school are English-speaking if we want to make English of these Canadian people [... ].  We could anglicize completely the people by the introduction of the English language. It will be done by free schools of charge. [Que les ma�tres d'�cole soient anglais si nous voulons faire des Anglais de ces Canadiens [...]. Nous pourrions angliciser compl�tement le peuple par l'introduction de la langue anglaise. Cela se fera par des �coles gratuites.]

Ce sc�nario n'a pu se concr�tiser, car le projet de r�forme fut rejet� par le clerg� catholique et par le pape. Lord Dorchester dut rel�guer la r�forme aux calendes grecques jusqu'� ce qu'une proposition plus acceptable soit adopt�e en 1801. Cette p�riode de transition eut pour effet d'augmenter l'ignorance g�n�ralis�e du peuple et de r�duire encore le nombre d'�tablissements d'enseignement dans la province.

Il n'en demeure pas moins que le taux d'alphab�tisation moyen de la colonie �tait d'environ 16 %; celui de la ville de Qu�bec, de 41 %; et ce taux �tait d'autant plus fort qu'on �tait protestant et anglophone, urbain et de sexe masculin. Les pol�mistes du Quebec Mercury d�non�aient souvent sur l'id�e �qu'il n'y a pas dix personnes de lettr�es� parmi les Canadiens. Toutefois, les journalistes de l'�poque ne tenaient pas compte de la concentration de la population anglophone dans les villes et de leur formation scolaire am�ricaine. Cependant, les t�moignages de l'�poque convergent pour d�plorer le pi�tre �tat de l'instruction dans la colonie entre 1763 � 1815.

Par exemple, les villes de Montr�al, de Qu�bec et de Trois-Rivi�res, qui regroupaient une population de 33 200 habitants, n'avaient que 20 �coles, soit une �cole pour 1660 habitants, alors qu'en milieu rural, dont la population atteignait 128 100 habitants, on comptait 30 �coles, soit un rapport d'une �cole pour 4270 habitants. Par contre, les 10 000 protestants de la colonie poss�daient 17 �coles (une par 588 habitants); les 160 000 catholiques, 40 �coles (une par 4000 habitants). � Qu�bec, le ma�tre d'�cole �tait g�n�ralement un homme, de religion protestante et enseignant dans la Haute-Ville. L'instruction,  comme l'alphab�tisation, augmentait proportionnellement � l'appartenance religieuse et sexuelle, et � l'habitat urbain, car la densit� d�mographique rendait plus facile la cr�ation et le maintien d'une �cole.

Il ne faut pas oublier que l''�glise catholique assumait, depuis la Nouvelle-France, un r�le traditionnel en mati�re d'�ducation. Elle avait b�n�fici� de dotations terriennes tr�s importantes pour l'aider � assumer ce r�le ainsi que celui de l'organisation hospitali�re et charitable. Au moment de la Conqu�te, le clerg� r�gulier et s�culier, masculin et f�minin, disposait un grand nombre de seigneuries pouvant g�n�rer et assurer des revenus importants. Mais la situation avait chang� en 1800. Le clerg� catholique ne voyait pas d'un bon �il ces �coles royales publiques con�ues en partie pour �protestantiser� et angliciser les Canadiens.

Toutefois, il fallait tenir compte d'autres facteurs qui jouaient aussi un r�le d�terminant en mati�re d'�ducation : la dispersion des villages et des bourgs, les rigueurs du climat, la raret� des manuels scolaires, la p�nurie d'instituteurs, sans oublier la pauvret� et l'apathie des parents majoritairement analphab�tes qui, comme le laissait entendre l'�v�que Jean-Fran�ois Hubert (1739-1797), devant le Comit� sur l'�ducation de 1790, ne voyaient pas l'utilit� des arts lib�raux pour l'agriculture et avaient besoin de bras pour d�fricher et r�colter. De toute fa�on, pour Mgr Hubert, l'enseignement �tait une responsabilit� de l'�glise, non de l'�tat. En r�alit�, l'�glise voulait conserver le contr�le de l'enseignement. C'est pourquoi elle d�courageait les habitants � envoyer leurs enfants dans les �coles primaires publiques. 

Mais l'�glise catholique pouvait contr�ler l'�ducation secondaire classique, celle qui permettait le recrutement d'un clerg� local. Quatre s�minaires furent fond�s avant 1815:  le Petit S�minaire de Qu�bec en 1765, le Coll�ge sulpicien de Montr�al en 1767, le S�minaire de Nicolet en 1803 et le S�minaire de Saint-Hyacinthe en 1811, ces deux derni�res institutions con�ues pour favoriser les vocations sacerdotales en milieu rural. On y enseignait la religion, le latin, les belles-lettres et la rh�torique.  S'y ajoutaient deux ann�es terminales de philosophie, lesquelles �taient donn�es en latin.

6 La R�volution am�ricaine (1775-1783) et ses cons�quences au Canada

Dans l'Am�rique du Nord britannique, la R�volution am�ricaine eut des cons�quences importantes tant sur l'Acte de Qu�bec de 1774 que sur l'Acte constitutionnel de 1791. Par la suite, l'ind�pendance des Treize Colonies anglaises entra�nera non seulement une modification des fronti�res canado-am�ricaines, qui furent consid�rablement r�duites, mais la population du Canada changea radicalement en raison de l'arriv�e de dizaines de milliers de loyalistes fuyant la Nouvelle-Angleterre. Par ailleurs, ces bouleversements entra�neront la cr�ation d'une autre �province� ou colonie britannique, le Nouveau-Brunswick, et la s�paration de la province de Qu�bec en deux colonies distinctes: le Haut-Canada (l'Ontario) � l'ouest et le Bas-Canada � l'est (le Qu�bec).

6.1 L'opposition des Treize Colonies

De fait, l'Acte de Qu�bec (voir le texte original) souleva une vive opposition des marchands anglais et de tous les habitants des colonies am�ricaines de la Nouvelle-Angleterre (les Treize Colonies), qui protest�rent contre la reconnaissance du catholicisme et des lois civiles fran�aises dans cette partie de l'Empire britannique; de plus, les colonies am�ricaines n'acceptaient pas l'�largissement des fronti�res de la Province of Quebec de 1774, qui les privaient de l'acc�s aux Grands Lacs dans la traite des fourrures. Ils furent donc profond�ment r�volt�s de constater que le gouvernement britannique conc�dait des droits � un peuple � les �papistes canadiens� � qu'ils combattaient depuis cent cinquante ans. En r�alit�, enfin d�barrass�s du rival fran�ais �qui ne laissait pas un moment de repos� (d'apr�s Benjamin Franklin), les colons n�o-angleterriens refusaient l'intervention de la M�tropole, qui les emp�chait de prot�ger leurs int�r�ts commerciaux et de jouir pleinement des libert�s qu'ils croyaient enfin acquises. En d�finitive, pour les habitants de la Nouvelle-Angleterre, l'Acte de Qu�bec avait pour but de reconstituer cette m�me Nouvelle-France qui avait �t� si longtemps redoutable.

De plus, Londres avait d�cid� d'imposer certaines taxes � ses colonies de la Nouvelle-Angleterre. Il est vrai que, pour conqu�rir le Canada et assurer la s�curit� de la Nouvelle-Angleterre, la M�tropole avait d�bours� d'�normes sommes d'argent et avait accumul� une �dette de guerre� de 137 millions de livres anglaises, sans compter les lourdes pertes humaines. Pendant les ann�es qui suivirent le trait� de Paris de 1763, le seul versement de int�r�ts de la dette absorbait plus de 60 % du budget annuel en temps de paix. Il apparaissait donc normal que les colonies am�ricaines contribuent � d�frayer les d�penses encourues pour leurs b�n�fices. C'est pourquoi les Treize Colonies per�urent l'Acte de Qu�bec comme une man�uvre dirig�e contre elles. Comment expliquer en effet que les Britanniques ait fait des concessions aux Canadiens, alors qu'ils les avaient refus�es aux �Yankees�?

� l'automne (du 5 septembre au 26 octobre) de 1774, les d�put�s des Treize Colonies (� l'exception de la G�orgie) tinrent un Congr�s. Ils adress�rent alors leurs griefs au roi George III. Au nombre de ces griefs, le Congr�s continental avait plac� l'Acte de Qu�bec, qui reconnaissait la religion catholique, abolissait le syst�me des lois anglaises et �tablissait une tyrannie civile et spirituelle au Canada, et ce, au grand danger des colonies voisines, lesquelles avaient contribu� de leur sang et de leur argent � sa conqu�te: �Nous ne pouvons, ajoutait le Congr�s, nous emp�cher d'�tre �tonn�s qu'un parlement britannique ait consenti � donner une existence l�gale � une religion qui a inond� l'Angleterre de sang et r�pandu l'hypocrisie, la pers�cution, le meurtre et la r�volte dans toutes les parties du monde.�

Puis le Congr�s adressa aux Canadiens une lettre officielle (Lettre adress�e aux habitants de la province de Qu�bec, 26 octobre 1774) dans laquelle il les pressait de s'unir aux d�put�s des colonies. Ceux-ci d�siraient ��clairer leur ignorance et leur apprendre les bienfaits de la libert�. Ils plaignaient le peuple canadien �non seulement l�s� mais outrag�; ils d�non�aient l'Acte de Qu�bec comme �une leurre et une perfidie�. Deux autres lettres �aux habitants opprim�s de la province de Qu�bec� allaient suivre, sans plus de succ�s: la Lettre adress�e aux habitants opprim�s de la province de Qu�bec du 29 mai 1775, puis par la Lettre aux habitants de la province du Canada du 24 janvier 1776. La plupart des Canadiens rest�rent indiff�rents aux belles promesses du Congr�s. Devant le peu de z�le des Canadiens pour la libert�, les autorit�s du Congr�s d�cid�rent d'envahir le Canada pour leur en faire go�ter tous les bienfaits. Or, le gouverneur Guy Carleton n'avait � sa disposition que deux r�giments, soit environ 800 hommes, pour repousser l'ennemi. Il lui fallait, d'une part, �viter que les Canadiens prennent le parti des insurg�s, d'autre part, que les Canadiens aident les Britanniques � faire la guerre.    

Combl�e par l'Acte de Qu�bec, l'�lite canadienne-fran�aise contribua � repousser les insurg�s. Si tr�s peu de Canadiens sympathis�rent avec ces derniers, il faut reconna�tre aussi que peu de Canadiens manifest�rent un grand enthousiasme � aller combattre les �Yankees�. Pour la plupart, c'�tait une guerre �entre Anglais�. Mais la campagne de propagande men�e par les insurg�s connut n�anmoins un certain soutien dans la province de Qu�bec, particuli�rement � Montr�al, o� il existait un mouvement pro-am�ricain. Quoi qu'il en soit, ce sont surtout des Fran�ais venus de France qui s'enr�l�rent dans les milices yankees, dont le plus connu est le marquis de La Fayette.

De plus, l'Acte de Qu�bec garantissait la fid�lit� � la couronne britannique chez les principaux repr�sentants du clerg�. En t�moigne le mandement de Mgr Jean-Olivier Briand, l'�v�que de Qu�bec, �au sujet de l'invasion des Am�ricains au Canada�, ce qui constituait une r�ponse directe � la propagande du Congr�s aupr�s des habitants de la province de Qu�bec :
 

JEAN-OLIVIER BRIAND, par la mis�ricorde de Dieu et la gr�ce du Saint-Si�ge, �v�que de Qu�bec, etc., etc., etc.

 

� tous les Peuples de cette Colonie, Salut et B�n�diction.

 

Une troupe de sujets r�volt�s contre leur l�gitime Souverain, qui est en m�me temps le n�tre, vient de faire irruption dans cette Province, moins dans l'esp�rance de s'y pouvoir soutenir que dans la vue de vous entra�ner dans leur r�volte, ou au moins de vous engager � ne pas vous opposer � leur pernicieux dessein. La bont� singuli�re et la douceur avec laquelle nous avons �t� gouvern�s de la part de Sa Tr�s Gracieuse Majest� le Roi George III, depuis que, par le sort des armes, nous avons �t� soumis � son empire ; les faveurs r�centes dont il vient de nous combler, en nous rendant l'usage de nos lois, le libre exercice de notre Religion, et en nous faisant participer � tous les privil�ges et avantages des sujets Britanniques, suffiraient sans doute pour exciter votre reconnaissance et votre z�le � soutenir les int�r�ts de la couronne de la Grande-Bretagne. Mais des motifs encore plus pressants doivent parler � votre c�ur dans le moment pr�sent. Vos serments, votre religion, vous imposent une obligation indispensable de d�fendre de tout votre pouvoir votre patrie et votre Roi. Fermez donc, Chers Canadiens, les oreilles, et n'�coutez pas les s�ditieux qui cherchent � vous rendre malheureux et � �touffer dans vos c�urs les sentiments de soumission � vos l�gitimes sup�rieurs, que l'�ducation et la religion y avaient grav�s. Portez-vous avec joie � tout ce qui vous sera command� de la part d'un Gouverneur bienfaisant, qui n'a d'autres vues que vos int�r�ts et votre bonheur. Il ne s'agit pas de porter la guerre dans les provinces �loign�es : on vous demande seulement un coup de main pour repousser l'ennemi, et emp�cher l'invasion dont cette Province est menac�e. La voix de la religion et celle de vos int�r�ts se trouvent ici r�unies, et nous assurent de votre z�le � d�fendre nos fronti�res et nos possessions. 

Donn� � Qu�bec, sous notre seing, le sceau de nos armes et la signature de notre Secr�taire, le 22 mai 1775. 

J. OL., �v�que de Qu�bec.

Ce mandement de Mgr Briand obtint les r�sultats escompt�s, car il assura au gouvernement britannique toute l'influence dont pouvait disposer le clerg�. La noblesse canadienne suivit l'exemple en manifestant un d�vouement � toute �preuve, afin de conserver � la Grande-Bretagne un pays que la France ne m�ritait plus de poss�der et � qui les colonies r�volt�es n'offraient apparemment aucune garantie de paix et de libert� v�ritable. � la suite de la capitulation de Montr�al, le 12 novembre 1775 (voir les articles de la capitulation), le brigadier g�n�ral Richard Montgomery s'installa au ch�teau Ramezay, lieu de r�sidence des autorit�s politiques de la province. Puis l'arm�e du colonel Benedict Arnold (700 hommes) et celle du g�n�ral Richard Montgomery (300 hommes) mirent le si�ge devant Qu�bec au commencement de d�cembre 1775. La garnison, aid�e de quelque 550 Canadiens, r�ussit ais�ment � repousser les insurg�s dans la nuit du 31 d�cembre 1775, tandis que Montgomery d�c�dait au combat et qu'Arnold �tait s�rieusement bless�. Il ne restait que 350 volontaires pour poursuivre un si�ge devenu d�sormais inutile devant Qu�bec. Celui-ci fut d�finitivement lev�, le 12 mai 1776, lorsque le g�n�ral John Thomas, ayant appris l'arriv�e imminente des secours de Grande-Bretagne, crut plus prudent de prendre la direction de la fronti�re; il d�c�da de la variole, le 2 juin suivant, pendant la retraite de l'arm�e, pr�s de Chambly. Les colonies r�volt�es continu�rent la guerre contre la Grande-Bretagne, sans les Canadiens, en restant sur leur propre territoire. Ce fut la guerre de l'Ind�pendance. Le 29 avril 1976, le colonel Benedict Arnold accueillit � Montr�al au ch�teau Ramezay trois �missaires du Congr�s am�ricain : Benjamin Franklin, Samuel Chase et Charles Carroll de Carrollton. En mai 1776, Benjamin Franklin quitta Montr�al sans avoir obtenu le succ�s escompt�. C'est alors qu'il d�clara qu'il aurait �t� plus facile d'acheter le Canada que de rallier les Canadiens � la cause am�ricaine:

 
It would have been easier to buy Canada than conquer it. [Il aurait �t� plus facile d'acheter le Canada que de l'envahir.]

� part quelques escarmouches autour de Montr�al, l'invasion am�ricaine n'eut pas de suite au Canada, bien qu'elle se soit poursuivie aux �tats-Unis jusqu'en 1783, soit six ans apr�s la D�claration d'ind�pendance de Thomas Jefferson (4 juillet 1776) au Congr�s. Entre les mois de septembre 1774 et janvier 1775, quelque 700 miliciens canadiens avaient particip� � la d�fense de la ville de Qu�bec. Les Canadiens de langue fran�aise avaient ainsi d�montr� qu'il leur �tait possible d'�tre � la fois catholiques et francophones tout en demeurant loyal envers la Couronne anglaise, ce qui, � cette �poque, semblait impensable en Grande-Bretagne. Il n'en demeure pas moins que, si les Am�ricains avaient r�ussi leur conqu�te de la �Province of Quebec�, le Canada ferait vraisemblablement partie des �tats-Unis aujourd'hui. En juin 1776, la Grande-Bretagne envoya une force additionnelle compos�e de 10 000 hommes, dont 4800 mercenaires allemands, afin de r�tablir et maintenir l'ordre dans sa colonie. Parmi ces mercenaires allemands, environ 1400 s'�tabliront dans la province de Qu�bec � la fin des hostilit�s et la plupart d'entre eux s'assimileront en �pousant des francophones.

6.2 La guerre de l'Ind�pendance am�ricaine (1775-1783)
 

Un second Congr�s eut lieu en mai 1775: la situation s'envenima et l'�tat de guerre fut d�clar�, tandis que George Washington se vit confier le commandement de l'arm�e des Treize Colonies.

Dans ces conditions, l'Acte de Qu�bec de 1774 connut une existence tr�s �ph�m�re en raison de la guerre d'Ind�pendance qui �clata l'ann�e suivante. La province de Qu�bec allait perdre d�finitivement la partie sud des Grands Lacs. Ce sera l'une des clauses du trait� de Versailles de 1783, alors que la fronti�re des nouveaux �tats am�ricains devait suivre dor�navant le sud des lacs Ontario, �ri�, Huron et Sup�rieur. La province de Qu�bec perdit ainsi ses meilleurs postes de traite et une partie de sa population (alors francophone) passa � la r�publique voisine. Les nombreux conflits entre la Grande-Bretagne et les Treize Colonies (am�ricaines) amen�rent la d�claration d'Ind�pendance du 4 juillet 1776. 

D�s 1777, le marquis de La Fayette (1757-1834) avait pris une part active � la guerre de l'Ind�pendance am�ricaine aux c�t�s des insurg�s (rebelles); il contribua m�me � la victoire d�cisive de Yorktown (6-19 octobre 1781), o� la reddition britannique fut une �tape d�cisive pour l'ind�pendance des Treize Colonies. Lafayette avait auparavant �quip� � ses frais un vaisseau de guerre et �tait venu � Philadelphie offrir ses �services d�sint�ress�s�. Tr�s li� avec Benjamin Franklin, il fut �galement le compagnon de campagne de George Washington.

Convaincu qu'il �tait possible de rallier les Canadiens, La Fayette proposa � George Washington, sous la pression de certains officiers am�ricains, d'envahir la �province de Qu�bec� sous les auspices de la France (celle-ci avait mass� des troupes aux �tats-Unis d'environ 8000 hommes, afin de soutenir les Am�ricains contre les Britanniques). Le marquis �crivit � sa femme (3 f�vrier 1778) � ce sujet:

 
Je ne vous ferai pas de longs d�tails sur la marque de confiance dont l'Am�rique m'honore. Il vous suffira de savoir que le Canada est opprim� par les Anglais; tout cet immense pays est en possession des ennemis; il y ont une flotte, des troupes et des forts. Moi, je vais m'y rendre avec le titre de g�n�ral de l'Arm�e du Nord et � la t�te de 3000 hommes, pour voir si l'on peut faire quelque mal aux Anglais dans ces contr�es. L'id�e de rendre toute la Nouvelle-France libre et de la d�livrer d'un joug pesant est trop brillante pour s'y arr�ter. J'entreprends un terrible ouvrage, surtout avec peu de moyens.

Mais le g�n�ral de l'Arm�e du Nord dut renoncer � son projet de conqu�rir le Canada, car Washington, qui craignait de redonner � la jeune r�publique am�ricaine un voisin g�nant, n'acquies�a pas au projet; il ne pouvait tol�rer qu'une puissance coloniale comme la France puisse encore se tenir � la fronti�re canado-am�ricaine. Il fit en sorte que La Fayette soit dans l'obligation de renoncer � son projet en le privant de tout moyen efficace, alors que c'�tait l'hiver et qu'il devait traverser le lac Champlain, br�ler la flottille anglaise bloqu�e par les glaces et gagner Montr�al o� il agirait comme il l'entendait. Au lieu des 3000 hommes promis, il n'en disposa m�me pas d'un millier; il n'eut pas les v�tements n�cessaires, ni les vivres, ni les raquettes et encore moins les tra�neaux que le Bureau de la guerre devait lui fournir pour assurer le succ�s de l'exp�dition. Washington s'empressa d'excuser La Fayette (alors �g� de vint ans) en lui �crivant ces mots sibyllins :

I am persuaded that every one will applaud your prudence in renouncing a project, in pursuing which you would vainly have attempted physical impossibilities [Je suis persuad� que tout le monde approuvera la prudence qui vous a fait renoncer � une entreprise dont la poursuite vous e�t engag� dans une lutte vaine contre des impossibilit�s physiques.]

Le roi Fr�d�ric II de Prusse (1712-1786) avait vu juste sur les intentions de la France, comme  en t�moigne cette lettre (extrait) adress�e � son ambassadeur � Paris:

On se trompe fort en admettant qu'il est de la politique de la France de ne point se m�ler de la guerre des colonies. Son premier int�r�t demande toujours d'affaiblir la puissance britannique partout o� elle peut, et rien n'y saurait contribuer plus promptement que de lui faire perdre ses colonies en Am�rique. Peut-�tre m�me serait-ce le moment de reconqu�rir le Canada. L'occasion est si favorable qu'elle n'a �t� ne le sera peut-�tre dans trois si�cles.

Soulignons que l'effort militaire de la France a �t� plus grand pour aider les �tats-Unis � conqu�rir leur ind�pendance que pour permettre au Canada de demeurer fran�ais. La guerre aura co�t� au Tr�sor fran�ais un milliard de livres tournois, soit l'�quivalent de huit milliards d'euros d'aujourd'hui (ou de dix milliards de dollars US). Une somme colossale qui ruina la France de Louis XVI. Comme si ce n'�tait pas assez, l'effort de Louis XVI ne permit pas davantage de r�cup�rer le Canada. Pire, le pays allait se peupler de royalistes ou loyalistes (parlant anglais) fuyant les �tats-Unis pour une terre rest�e britannique, ce qui allait causer la minorisation des francophones au Canada. Par la suite, Louis XVI dut convoquer les �tats g�n�raux pour r�former les imp�ts, ce qui entra�na la R�volution fran�aise (1789) ainsi que la d�capitation du roi (1793). Pour sa part, la dette am�ricaine envers la France, qui s'�levait � quelque � 35 millions de francs, contribua � assombrir le climat des relations entre les deux pays. Bref, la France n'en a jamais tir� le profit escompt�. Elle s'est fait rouler par les Am�ricains !

6.3 L'arriv�e massive des Am�ricains

Apr�s une longue guerre d'usure, les forces britanniques se rendirent en octobre 1781. Le trait� de Paris du 3 septembre 1783 reconnut officiellement les �tats-Unis d'Am�rique. Un second trait� fut sign� � Versailles (appel� Trait� de paix de Paris) � la fois par la France, l'Espagne et la Grande-Bretagne; il constitue un compl�ment au trait� de Paris de 1783 sign� par les Britanniques et les repr�sentants des Treize colonies am�ricaines, lequel trait� mettait un terme � la guerre d'ind�pendance des �tats-Unis. Mais ce ne fut qu'en 1787 que l'Union f�d�rale des �tats-Unis vit le jour, alors que les colonies am�ricaines acceptaient de renoncer � une partie consid�rable de leur autonomie locale pour fondre les Treize Colonies ind�pendantes en une seule, ce qui donnait naissance � un �tat central puissant pouvant tenir t�te � la Grande-Bretagne.

- Les loyalistes

Avec l'ind�pendance am�ricaine, de tr�s nombreux loyalistes quitt�rent les �tats-Unis, car il n'y avait plus de place pour eux dans leur pays. Plus de 100 000 loyalistes quitt�rent le pays pour la Grande-Bretagne et les autres colonies britanniques. D�s 1783, plus de 40 000 �taient partis en exil, soit pour la Nouvelle-�cosse (35 600) soit pour la province de Qu�bec (plus de 8000). La plupart des loyalistes s'�tablirent en Nouvelle-�cosse (qui incluait avant 1784 le territoire du Nouveau-Brunswick actuel, l'�le St John (I.-P.-�.) et l'�le du Cap-Breton), ce qui repr�sentait 80 % du total des r�fugi�s. Dans la province de Qu�bec, qui incluait encore � ce moment-l� le �pays d'en haut: la future province de l'Ontario), seuls 18 % y trouv�rent refuge. 

La Nouvelle-�cosse vit sa population doubler d'un seul coup, alors que la province de Qu�bec accueillait pour la premi�re fois un bon contingent d'anglophones ayant fui ou quitt� les �tats-Unis. D�s en 1784, un premier contingent de 350 loyalistes s'installa � Baie-Missisquoi (qui sera plus tard Philipsburg). Le gouverneur Frederik Haldimand eut t�t fait de diriger les loyalistes vers les Grands Lacs, dans l'ouest de la province, une r�gion encore peu peupl�e qui deviendra bient�t le Haut-Canada (Ontario). D'autres s'install�rent en Gasp�sie, notamment � Pasb�piac.

Les loyalistes �taient consid�r�s par les Am�ricains r�publicains comme �tant soumis � la Couronne britannique, comme �tant aussi plus conservateurs, moins d�mocrates et plus violemment anticatholiques. De fa�on un peu simpliste, on peut tenter de d�crire les loyalistes comme appartenant � des cat�gories particuli�res de citoyens: les administrateurs, les pasteurs de l'�glise anglicane, les l�galistes attach�s au Parlement britannique, les riches planteurs, les n�gociants, les adulateurs de la famille royale, etc. Quant aux patriotes ou r�publicains, ce fut en principe le lot des gens du peuple, des agriculteurs, ouvriers, etc. En r�alit�, ce n'�tait pas aussi simple, car de riches planteurs prirent la cause des r�publicains, alors que des paysans se joignirent aux loyalistes. Lorsque les Britanniques perdirent la guerre, ils ne furent plus en mesure de prot�ger les loyalistes. La politique de discrimination � l'�gard des loyalistes se traduisit par une redistribution des terres et, plus tard, une fuite massive vers la Canada et la Grande-Bretagne, c'est-�-dire la Nouvelle-�cosse et la province de Qu�bec. 

Colonie Nombre des loyalistes Pourcentage
Nouvelle-�cosse 21 000 48,1 %
Nouveau-Brunswick 14 000 32,1 %
Cap-Breton (Cape Breton Island)      100 0,2 %
�le Saint-Jean (St John Island)      500 1,1 %
Qu�bec (vall�e du Saint-Laurent)    2 000 4,5 %
Qu�bec (�pays d'en haut� ou Ontario)    6 000 13,7 %
Total des loyalistes  43 600 100 %

- L'invasion am�ricaine

Apr�s la premi�re vague de loyalistes, d'autres Am�ricains quitt�rent les �tats-Unis pour venir occuper les nouvelles terres que le gouvernement colonial offraient aux nouveaux arrivants. Ceux-ci refus�rent d'�tre soumis aux lois civiles fran�aises et au r�gime seigneurial de la province de Qu�bec. C'est pourquoi le gouvernement colonial ouvrit de nouvelles concessions dans l'Ouest (r�gions � l'ouest de l'Outaouais, ce qu'on appelait auparavant �le pays d'en haut�) de telle sorte aussi qu'ils puissent vivre � l'�cart des lois civiles fran�aises. Les anglophones exerc�rent de plus en plus de pressions afin que le gouvernement de Londres consente � r�former l'administration de la colonie en leur faveur. Il faudra attendre en 1791 pour voir le Qu�bec divis� entre le Bas-Canada (Qu�bec) � l'est et le Haut-Canada (Ontario) � l'ouest.

Les Am�ricains d�ferl�rent dans les nouveaux cantons non encore colonis�s et situ�s tout pr�s de la fronti�re am�ricaine (voir la carte). Le flot d'immigration am�ricaine ne sera stopp� que durant trois ans, durant la guerre canado-am�ricaine de 1812 � 1815. La population des Townships de l'Est passa de 5000 habitants (1799) � 18 000 (1812). La plupart des immigrants �taient des Am�ricains qui avaient �tendu vers le nord le mouvement de colonisation ayant d�but� en Nouvelle-Angleterre. Beaucoup d'immigrants venaient du Vermont, du New Hampshire et de l'�tat de New York.

Entre 1774 et 1783, quelques centaines de loyalistes de 1783, soit de 500 � 600 personnes, se r�fugi�rent pr�s du lac Champlain, � partir de la baie de Missisquoi et un peu vers l'est. Plusieurs familles d'Am�ricains pseudo-loyalistes s'install�rent dans les anciennes seigneuries fran�aises de Foucault, de Saint-Armand et de Noyan et �tablirent les fondations de plusieurs cantons jusque dans les ann�es 1790 � 1820. Ils sont � l'origine des villages tels que Clarenceville, Philipsburg, Pigeon Hill, Frelighsburg, Farnham, Dunham, etc.  Il faudra attendre en 1858 pour voir appara�tre l'appellation Cantons-de-l'Est et vers 1940 pour Estrie (voir la cartes des r�gions administratives du Qu�bec d'aujourd'hui).

- L'immigration britannique

Apr�s la guerre de 1812, le gouvernement du Bas-Canada d�cida d'offrir des terres � des officiers et soldats licenci�s; ils s'install�rent dans la r�gion de Drummondville, puis dans les cantons d'Orford et d'Ascot. Les immigrants britanniques commenc�rent � arriver apr�s 1815. Si la plupart prirent la direction du Haut-Canada, d'autres choisirent les Townships de l'Est. C'est ainsi que des �cossais et des Irlandais vinrent s'installer dans les cantons d'Iverness, de Leeds et d'Ireland au nord de la r�gion, ainsi que dans les villages de Richmond et la ville de Sherbrooke (voir la carte). D'autres iront rejoindre la Gasp�sie attir�s par la p�che et son �conomie. Mais l'immigration britannique diminua beaucoup apr�s 1837.

Entre 1812 et 1850, les Cantons-de-l'Est connurent une vague d'immigration am�ricaine; les Am�ricains compt�rent pour environ les deux tiers de la population de cette r�gion, l'autre tiers �tait britannique. Mais la proportion des immigrants d'origine am�ricaine pouvait atteindre 90 % dans les cantons situ�s le long de la fronti�re  (voir la carte). Il n'y avait gu�re de Canadiens fran�ais dans ces r�gions, surtout avant l'abolition du r�gime seigneurial (1854); ils arriveront plus tard et deviendront majoritaires � peu pr�s partout � la fin du XIXe si�cle.

6.4 L'�migration am�rindienne

L'une des cons�quences moins connue � la suite de l'ind�pendance des �tats-Unis fut l'�migration de nombreuses communaut�s am�rindiennes vers les colonies de l'Am�rique du Nord britannique, plus particuli�rement vers la Province of Quebec. Pourchass�s par les colons am�ricains, les Am�rindiens du nord des �tats-Unis, surtout ceux du Maine, du Vermont et de New York, trouv�rent refuge au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-�cosse et au Qu�bec, puis en Ontario � partir de 1791. Ce fut le cas des Micmacs, des Ab�nakis, des Mal�cites et des Algonkiens, qui avaient tous perdu leur valeur strat�gique aux yeux des Am�ricains.

- Les Micmacs

Le territoire d'origine des Micmacs se situait en Acadie et en Nouvelle-Angleterre, ce qui correspondait au Nouveau-Brunswick, � la Nouvelle-�cosse et au Maine. Jacques Cartier avait en 1534 probablement rencontr� des Micmacs � Gasp�, alors qu'ils s�journaient dans la p�ninsule gasp�sienne durant l'�t�. Les Micmacs furent les alli�s des Fran�ais durant tout le R�gime fran�ais, particuli�rement en Acadie. Apr�s 1713, ils continu�rent � soutenir les Fran�ais et les Acadiens contre les Britanniques jusqu'au trait� de Paris de 1763, mais beaucoup de Micmacs, y compris ceux de la Gasp�sie, furent forc�s de se replier vers le pays mal�cite, vers la colonie du Maine. Apr�s la d�faite des Fran�ais, les Micmacs connurent une paix provisoire, car les colons britanniques les contraignirent � reprendre les armes. Lors de la guerre de l'Ind�pendance am�ricaine, les Micmacs prirent partie pour les insurg�s en esp�rant que leurs anciens alli�s fran�ais pourraient reprendre le Canada. Apr�s la guerre, beaucoup de Micmacs du Nouveau-Brunswick et du Maine durent fuir leurs terres ancestrales en raison des loyalistes qui se les appropri�rent. Certains trouv�rent refuge dans la r�gion de Restigouche (baie des Chaleurs) et pour quelque temps dans la r�gion de Qu�bec (Saint-Jean-Port-Joly et Cap-Saint-Ignace), d'autres rest�rent au Nouveau-Brunswick.

- Les Ab�nakis

Les Ab�nakis �taient concentr�s � l'origine dans certaines r�gions du Maine et du New Hampshire, ainsi que dans le Vermont jusqu'aux rives orientales du lac Champlain. Durant le R�gime fran�ais, une grande partie de ces territoires faisaient partie de l'Acadie. Les Ab�nakis furent les plus redoutables guerriers alli�s des Fran�ais pour combattre les Britanniques. Vers 1670, les Ab�nakis avaient d�j� commenc� � �migrer au Canada o� deux villages leur ont �t� donn�s � partir d'une portion de seigneuries: � Saint-Fran�ois-de-Sales (Odanak) et � la rivi�re Puante pr�s de B�cancourt (W�linak). Apr�s l'ind�pendance des �tats-Unis, plusieurs Ab�nakis demeur�s dans le Maine �migr�rent � Odanak et � W�linak. Puis d'autres travers�rent le Saint-Laurent pour s'�tablir au nord de Trois-Rivi�res, aujourd'hui la Mauricie. Au cours de cette p�riode, les Attikameks d'origine se seraient �teints pour �tre remplac�s par les T�tes-de-Boule, une nation d'origine algonkienne venant du nord des �tats-Unis et des Grands Lacs.

- Les Mal�cites

Durant le R�gime fran�ais, les Mal�cites (Maliseet en anglais) �taient appel� �Etchemins�, parfois �Passamaquoddy�. Ils habitaient principalement dans la vall�e de la rivi�re Saint-Jean (aujourd'hui au Nouveau-Brunswick), ainsi que dans la baie de Passamaquoddy (aujourd'hui dans le Maine), deux r�gions alors situ�es en Acadie. Les Mal�cites soutinrent les Fran�ais jusqu'apr�s le trait� d'Utrecht (1713). En 1728, les Mal�cites abandonn�rent leur alliance avec la France en ratifiant le trait� de paix conclu � Boston avec les Britanniques; ils reconnurent d�s lors la souverainet� britannique sur la Nouvelle-�cosse. En 1794, les Mal�cites furent repouss�s par les loyalistes du Nouveau-Brunswick et les rebelles du Maine et du Massachusetts. Quelques ann�es plus tard, un certain nombre de Mal�cites trouv�rent refuge � Cacouna (Withworth) et � l'�le Verte. Lors du trait� de Gand de 1814, qui mettait fin � la guerre de 1812 entre le Canada et les �tats-Unis et r�glait la fronti�re entre les deux pays, les n�gociateurs de la Grande-Bretagne c�d�rent une portion importante du territoire Mal�cite aux �tats-Unis, qui devint ainsi une partie du Maine. Le dernier survivant des Mal�cites du Qu�bec est d�c�d� en 1972, mais d'autres, ceux-l� anglophones, sont venus du Nouveau-Brunswick pour tenter de faire revivre cette communaut�. La plupart des Mal�cites vivent aujourd'hui dans la province du Nouveau-Brunswick (Madawaska, Tobique, Woodstock, Kingsclear, St. Mary et Oromocto). Il n'en reste qu'environ 600 dans le Maine (Houlton). La plupart des Mal�cites sont aujourd'hui anglophones, malgr� les tentatives de r�introduire la langue mal�cite.

- Les Algonkins

Les Algonkins vivaient concentr�s pr�s des Grands Lacs, dans ce qui �tait appel� sous le R�gime fran�ais les Pays-d'en-Haut. Mais l'arriv�e dans la r�gion des colons loyalistes fuyant vers l'est de la province de Qu�bec (aujourd'hui l'Ontario) apr�s 1776 et recherchant des terres pour s'�tablir, eut pour effet de chasser progressivement les Algonkins de leurs terres ancestrales et de les repousser au nord de l'Ontario et l'est du Qu�bec, soit dans l'Outaouais, l'Abitibi et le T�miscamingue. La pr�sence des Algonkins nuisait au d�veloppement des nouveaux colons.

7 La p�riode troubl�e de 1791-1840

L'afflux des loyalistes dans la province de Qu�bec obligea les autorit�s britanniques � trouver des solutions de compromis: les loyaux sujets britanniques devaient �tre r�gis par des lois anglaises pendant que les Canadiens fran�ais pourraient conserver les lois fran�aises. De plus, le Qu�bec �tait de religion catholique et les terres �taient r�parties selon le syst�me seigneurial, ce qui d�plaisait souverainement aux loyalistes anglophones.
 

Dans l'espoir de mettre fin aux luttes entre francophones et anglophones, le secr�taire d'�tat aux colonies (le Colonial Office), lord Grenville, pr�senta au Parlement britannique un projet de loi qui divisait la province selon un clivage ethnique et cr�ait deux colonies distinctes: le Bas-Canada (aujourd'hui le Qu�bec) et le Haut-Canada (aujourd'hui l'Ontario).

Ainsi, en cr�ant une enclave r�serv�e aux loyalistes, les fid�les sujets de Sa Majest� britannique n'auraient plus � souffrir des revendications de la majorit� fran�aise et catholique. C'�tait aussi une fa�on pour le gouvernement britannique d'amadouer les Canadiens fran�ais � sa cause, car la menace d'une guerre avec les �tats-Unis demeurait toujours pr�sente; elle �clatera en 1812.

La loi constitutionnelle, adopt�e par le Parlement britannique, c'est-�-dire l'Acte constitutionnel de 1791, avait s�par� la �province de Qu�bec� en deux colonies distinctes: le Bas-Canada (Lower Canada) et le Haut-Canada (Upper Canada), ce qui revenait � abroger une partie de l'Acte de Qu�bec, notamment l'article XII.

7.1 Les deux colonies du Haut et du Bas-Canada

Le Bas-Canada comptait alors environ 140 000 francophones et 10 000 anglophones, tandis que le Haut-Canada ne recensait que quelque 10 000 loyalistes anglophones, sans compter les francophones et les Am�rindiens d�j� install�s bien auparavant. Cette loi constitutionnelle accordait aux Canadiens fran�ais et aux Britanniques des concessions aussi bien g�ographiques que politiques : le Bas-Canada (fran�ais) et le Haut-Canada (anglais). Une fois mis en place, ce r�gime dualiste allait se r�v�ler immuable. Le 19 mars 1790, Alured Clarke (1744-1832) fut nomm� lieutenant-gouverneur de la province de Qu�bec en remplacement de Henry Hope. La principale responsabilit� de Clarke fut de mettre en application les dispositions de la nouvelle Constitution. Or, la d�limitation des fronti�res avec le Haut-Canada et surtout avec les �tats-Unis se r�v�la d�licate, et les instructions en provenance de Londres ne furent pas toujours claires. Le mode d'attribution des terres aux colons et la r�organisation des tribunaux �taient d'autres sujets qui occup�rent Clarke durant l'ann�e 1792.
 

Consid�rant que la nouvelle province �tait faite pour eux, les loyalistes du Haut-Canada ne s'embarrass�rent pas des questions linguistiques. John Graves Simcoe (1752-1806), qui devint le premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada (de 1791 � 1796), fit en sorte d'effacer toute trace fran�aise, et m�me am�rindienne. D�s 1792, John Graves Simcoe d�cida d'ignorer ses sujets francophones en limitant leur influence dans le Haut-Canada; avec l'arriv�e des loyalistes, les francophones furent exclus des postes administratifs. Le gouverneur Simcoe anglicisa un certain nombre de toponymes: Toronto devint York, le lac des Claies fut chang� en Simcoe Lake, la rivi�re La Tranche en Thames River, la rivi�re Chippewa en Welland River, la rivi�re Toronto en Humber River, la rivi�re Wonscoteonach en Don River, etc.

Cette pratique �tait destin�e � supprimer le plus possible la toponymie fran�aise et am�rindienne, tout en rendant hommage aux amis du r�gime. Parce que les d�nominations am�rindiennes rappelaient encore l'alliance franco-indienne, elles furent supprim�es dans la mesure du possible. 

Quant � la majorit� francophone du Bas-Canada, elle ne tarda pas � s'opposer � la minorit� anglophone pour le contr�le des institutions politiques de la colonie. La petite bourgeoisie anglophone ne pouvait accepter d'�tre �vinc�e des d�cisions les concernant: elle devait prot�ger ses int�r�ts �conomiques contre les Canadiens, la plupart des agriculteurs dirig�s par des membres des professions lib�rales. Par ailleurs, certains leaders anglophones n'avaient pas oublier leur vieux r�ve d'assimilation, ce qui �tait devenu impossible avec la division de la colonie en deux entit�s distinctes. Pour le moment, il �tait encore impensable d'unir le Haut-Canada et le Bas-Canada, car les Britanniques auraient �t� dans l'obligation d'accorder un nombre de si�ges plus �lev� aux Canadiens fran�ais. Dans cinquante ans, le r�ve d'assimilation allait devenir r�alisable, alors que les anglophones seront devenus majoritaires dans l'ensemble des deux Canadas.

7.2 Les seigneuries, les cantons et les comt�s

Au-del� du changement superficiel qu'�tait l'appellation �Bas-Canada�, qui rempla�ait �province de Qu�bec�, il s'ensuivit de grands changements, dont un nouveau paysage administratif. En effet, le Bas-Canada comprenait d�sormais des r�gions distinctes au point de vue de la tenure des terres: en plus des seigneuries traditionnelles, il y eut dor�navant des townships, c'est-�-dire des �cantons�. Au Bas-Canada, c'�taient les Eastern Townships, ce qui fut appel� en fran�ais �Townships de l'Est� par opposition aux Western Townships (Haut-Canada) ou �Townships de l'Ouest�, plus pr�cis�ment les Cantons de l'Est (encore en usage) par rapport aux Cantons de l'Ouest (tomb�s en d�su�tude).  

Ce vaste territoire du sud du Qu�bec fut cr�� en 1792 par la proclamation du lieutenant-gouverneur du Bas-Canada, Alured Clarke. Contrairement aux seigneuries, cette r�gion fut subdivis� en cantons, c'est-�-dire � la mode anglaise de division des terres selon un �plan carr�, non en rectangles �troits orient�s en direction nord-ouest sud-est), en vertu du mod�le britannique dit �tenure en franc et commun socage� ("free and comon soccage"), donc en propri�t� libre de toute redevance. Le processus prit plusieurs ann�es pour finalement aboutir � la cr�ation de 95 cantons (voir la carte). � partir de ce moment, les autorit�s coloniales �carteront la concession de toute nouvelle seigneurie pour favoriser l'attribution de terres divis�s en cantons.

De plus, � cette division entre les seigneuries et les cantons se superpos�rent 29 circonscriptions �lectorales dites �comt�s�. Ces comt�s ne relevaient pas d'un comte, car il s'agissait simplement d'une traduction du mot anglais county rendu par par �comt� �. Par ailleurs, 16 de ces comt�s, soit plus de la moiti�, re�urent des d�nominations anglaises: Bedford, Drummond, Dorchester, Hampshire, Northumberland, Buckinghamshire, Effingham, Huntingdon, Kent, Warwick, Sherbrooke, William Henry, York, etc. Ainsi, le Bas-Canada prit en partie un visage plus anglais. 

7.3 La R�volution fran�aise de 1789

Ce n'est pas un hasard si la nouvelle Constitution �canadienne� a �t� adopt�e en 1791, soit deux ans apr�s la R�volution fran�aise. C'�tait une fa�on pour Londres d'amadouer les Canadiens fran�ais en leur accordant une Assembl�e qu'ils r�clamaient depuis longtemps. La Constitution de 1791 marqua l'av�nement du parlementarisme chez les Canadiens fran�ais. Chacun des deux Canadas poss�dait son Assembl�e l�gislative, son Conseil l�gislatif, son Conseil ex�cutif (cr�� en 1792) et son lieutenant-gouverneur. Au sommet de la hi�rarchie, Londres avait nomm� un gouverneur g�n�ral qui disposait d'une autorit� absolue sur les deux Canadas: il pouvait opposer son veto aux lois adopt�es par chacune des assembl�es l�gislatives. Quant aux conseils, ils pouvaient disposer de budgets et contr�ler les d�penses du gouvernement sans rendre de comptes aux �lus; de ce fait, le r�le du Conseil consistait � rendre les lois adopt�es par l'Assembl�e compatibles avec les int�r�ts britanniques et ceux des marchands anglais du Bas-Canada (Qu�bec). Ce sera l� une source de conflits continuels entre les repr�sentants du peuple et les dirigeants britanniques.
 

Quant � la R�volution fran�aise, beaucoup d'Anglais en Grande-Bretagne et au Canada s'y montr�rent favorables au d�but, notamment parce qu'il voyaient que la France mettait fin � l'absolutisme royal. Mais tout changea apr�s l'ex�cution de Louis XVI (21 janvier 1793) et de Marie-Antoinette (16 octobre 1793), la d�capitation de la noblesse ainsi que les innombrables boucheries humaines � la guillotine.

Les Canadiens ne demeur�rent pas indiff�rents � ce qui se passait en France. Les trois journaux publi�s dans la colonie, la Gazette de Qu�bec (bilingue), la Gazette de Montr�al (bilingue) et le Quebec Herald tenaient leurs lecteurs au courant des affaires fran�aises (avec un retard de trois mois). 

Cependant, toute la population canadienne, francophone comme anglophone, �tait rest�e tr�s attach�e � la monarchie. Le r�gicide des Fran�ais fut consid�r� au Canada comme un crime inacceptable. De plus, l'anticatholicisme de la R�volution fran�aise suscita une r�action de rejet de la part des Canadiens fran�ais, dont le clerg� demeurait la seule institution de protection. L'�glise catholique du Canada pr�f�ra partager le pouvoir avec l'occupant anglais plut�t que de conserver des liens avec une France �ennemie de la religion�.

En 1792, l'�v�que de Qu�bec, Jean-Olivier Briand (en titre de 1766 � 1784), se plaignait de certaines influences fran�aises: �Il s'est introduit dans ce pays une quantit� prodigieuse de mauvais livres, avec un esprit de philosophie et d'indiff�rence qui ne peut avoir que de mauvaises suites.� L'un de ses successeurs, Jean-Fran�ois Hubert (en titre de 1788 � 1797) mit ainsi en garde ses cur�s:
 

Que l'esprit de religion, de subordination et d'attachement au roi, qui faisait autrefois la Gloire du Royaume de France, a fait place � un esprit d'irr�ligion, d'ind�pendance, d'anarchie, de parricide, qui, non content de la mort ou de l'exil de la saine partie des Fran�ais, a conduit � l'�chafaud leur vertueux Souverain et que le plus grand malheur qui p�t arriver au Canada serait de tomber en la possession de ces r�volutionnaires.

Les �v�nements fran�ais renforc�rent la conviction �piscopale d'une sainte alliance du Tr�ne et de l'Autel. Apr�s la d�claration de guerre contre la Grande-Bretagne, la R�volution fran�aise fut totalement discr�dit�e au Canada, la France �tant devenue une ennemie de la colonie et de la Grande-Bretagne. Beaucoup de Canadiens fran�ais se consid�reront m�me privil�gi�s de pouvoir pratiquer leur religion et de vivre en paix sous la bienveillante protection du roi d'Angleterre. De plus, l'�glise catholique se mit � interpr�ter la Conqu�te anglaise comme �providentielle� dans la mesure o� elle �vitait au Canada les affres de la R�volution fran�aise.  

Par la suite, les tentatives de �lib�ration� du Canada par les Am�ricains allaient toutes �chouer gr�ce � la collaboration de la population francophone. Dans les ann�es qui suivirent, les journaux valoris�rent la Constitution britannique en tentant de g�n�raliser son application dans la colonie canadienne et en tentant de d�finir le Canadien en regard des Fran�ais et des Britanniques, sinon des �Am�ricains�.

7.4 La d�mocratie de fa�ade

Seuls les loyalistes du Haut-Canada (Upper Canada) demeur�rent satisfaits de la loi constitutionnelle de 1791 parce qu'ils n'�taient plus soumis aux lois fran�aises et contr�laient leurs institutions politiques. La minorit� anglophone du Bas-Canada (Qu�bec), bien qu'elle dispos�t de la majorit� au Conseil ex�cutif et au Conseil l�gislatif, accepta mal d'�tre mise en minorit� � l'Assembl�e l�gislative, o� elle ne comptait que 15 d�put�s sur 50. Aux premi�res �lections de 1792, la pr�pond�rance num�rique des Canadiens s'est aussit�t manifest�e. Seize britanniques furent �lus, huit en milieu urbain et huit en milieu rural ; ils constituaient 31 % de la Chambre d'assembl�e alors qu'ils formaient moins de 10 % de la population de la colonie. Plus de 50 % des d�put�s �taient propri�taires d'une seigneurie, signe de l'importance de la richesse fonci�re aupr�s de la population rurale.

Les anglophones furent insult�s d'�tre abandonn�s � une majorit� de �papistes paysans� et � une petite bourgeoisie de notaires, d'avocats et de cur�s. Quant aux francophones, ils ne tard�rent pas � comprendre les m�canismes de cette �d�mocratie de fa�ade�: les d�put�s �taient �lus par la population, mais ils n'avaient pas de pouvoir r�el au sein du gouvernement form� et contr�l� par la minorit� anglophone. N'oublions pas que le Conseil l�gislatif, enti�rement compos� d'hommes nomm�s par le gouverneur (en g�n�ral des marchands et des fonctionnaires britanniques, parfois des francophones soumis), conservait un droit de veto sur tous les projets de lois pr�sent�s par l'Assembl�e. Le Conseil finira par bloquer syst�matiquement toutes les initiatives des �lus de l'Assembl�e qui refusera d'adopter les budgets, ce qui paralysera l'�tat.

Dans ces conditions, il �tait normal que toute cette p�riode de 1791-1840 connaisse des conflits permanents entre francophones et anglophones, conflits qui d�g�n�reront en lutte arm�e lors de la r�bellion de 1837. Les gouverneurs anglais durent r�guli�rement suspendre l'Assembl�e et d�clencher de nouvelles �lections afin d'assujettir les �lus francophones. Peine perdue, � chaque fois, les Canadiens reprenaient le pouvoir et continuaient le combat de plus bel. En 1836, l'Assembl�e d�cida de suspendre ind�finiment ses travaux jusqu'� ce que Londres lui accorde un Conseil l�gislatif �lu. Or, Londres refusa le principe du �gouvernement responsable� r�clam�. Il n'�tait pas possible que le gouvernement britannique accepte qu'une population d'origine fran�aise et catholique (vaincue par surcro�t) prenne le contr�le des institutions d'une colonie de Sa Majest� britannique.
 

Depuis plusieurs ann�es, le journal The Montreal Gazette avertissait ses lecteurs que l'ambition des Canadiens fran�ais �tait de fonder "a French Canadian domination and a French Canadian nationality in America [...], a French Republic in the hearth of British American province'', ce qui signifie �une domination canadienne-fran�aise et une nationalit� canadienne-fran�aise en Am�rique [...], une r�publique fran�aise au c�ur d'une province am�ricano-britannique�.

De plus, on n'h�sita gu�re � pr�senter les marchands anglais du Bas-Canada comme une classe opprim�e par une majorit� francophone sourde et aveugle � ses propres int�r�ts.  

7.5 Les premiers conflits linguistiques

La question de la langue fut l'objet des premiers affrontements entre francophones et anglophones. Comme l'Acte de Qu�bec (1774), la Constitution de 1791 ne faisait pas allusion � la langue. D�s la premi�re s�ance de la premi�re l�gislature du Bas-Canada (le 17 d�cembre 1792), le d�bat s'engagea aussit�t sur la question linguistique. D�put�s francophones et anglophones se chamaill�rent au sujet du choix du pr�sident de l'Assembl�e (appel� �l'orateur�) ainsi que du statut de la langue d'usage et de publication des d�bats de la Chambre.

La majorit� francophone proposa la candidature de Jean-Antoine Panet, qui parlait peu l'anglais, alors que la minorit� anglophone lui opposait celles de William Grant, de James McGill et de Jacob Jordan, en faisant valoir qu'il �tait n�cessaire que le pr�sident parl�t parfaitement la langue du souverain.  Ceux qui appuyaient le candidat Panet firent avaloir que le roi signait des trait�s dans toutes les langues, que Jersey et Guernesey �taient de langue fran�aise et que Panet, avocat, connaissait la Constitution britannique.

De strat�gie en strat�gie, Jean-Antoine Panet finit par �tre �lu au grand m�contentement des anglophones par 28 voix contre 18. Le 20 d�cembre 1792, Panet se pr�senta devant le lieutenant-gouverneur de la province (Alured Clarke) en lui d�clarant: �Je supplie Votre Excellence de consid�rer que je ne puis m'exprimer que dans la langue primitive de mon pays natal, et d'accepter la traduction en anglais de ce que j'aurai l'honneur de lui dire.� 

Pour le premier ministre britannique, William Pitt (comte de Chatham), il paraissait extr�mement d�sirable que les Canadiens et les Britanniques du Bas-Canada fussent unis et induits universellement � pr�f�rer les lois et les institutions anglaises. �Avec le temps, croyait-il, les Canadiens adopteront peut-�tre les lois anglaises par conviction. Ce sera l'exp�rience qui devra enseigner aux Canadiens que les lois anglaises sont les meilleures.� Quant � la langue, les Britanniques l'ignor�rent tout simplement. Ils connaissaient probablement la forme de bilinguisme qui s'�tait install�e au sein de l'Administration locale, notamment dans les tribunaux et les journaux. Que le pr�sident de la Chambre du Bas-Canada soit un francophone et qu'il connaisse mal la �langue de l'Empire� ne semblait pas un obstacle consid�rable, mais la question de la langue �tait soulev�e et le vrai d�bat restait � venir. 

Le d�bat sur la langue d'usage � la Chambre fut plus houleux. Plaidant en faveur de l'unit� de la langue dans l'Empire britannique, le d�put� John Richardson proposa que seul l'anglais soit consid�r� �l�gal�. Joseph Papineau (le p�re de Louis-Joseph Papineau) fit la contre-proposition d'une reconnaissance des deux langues, alors que Pierre-Amable de Bonne (qui deviendra plus tard un fid�le membre du Conseil l�gislatif au service des Britanniques) proposa que les �motions� soient traduites dans l'autre langue, mais que les projets de lois (appel�s �bills�) sur le droit criminel soient pr�sent�s en anglais et que ceux concernant le droit civil le soient en fran�ais, le texte devant �tre, dans chaque cas, traduit avant discussion. La presse s'empara aussi de la question et le d�bat devint passionn�. Apr�s trois jours de d�bats, la Chambre accepta que les textes de lois soient �mis dans les deux langues�, �tant entendu que chacun des d�put�s pouvait pr�senter une motion dans la langue de son choix, laquelle serait traduite pour �tre �consid�r�e dans la langue de la loi � laquelle ledit bill [�projet de loi�] aura rapport�. Cela signifiait que les lois civiles seraient r�dig�es en fran�ais, tandis que celles correspondant aux mati�res criminelles ou � la religion protestante le seraient en anglais.

Le gouverneur, lord Dorchester, donna son accord pour les deux langues �pourvu que tout bill soit pass� en anglais�, c'est-�-dire adopt� dans cette langue. Cette disposition n'a pas eu l'heur de plaire aux autorit�s britanniques. En septembre de la m�me ann�e (1793), le gouvernement de Londres d�cr�ta que l'anglais devait �tre la seule langue officielle du Parlement, le fran�ais n'�tant reconnu que comme �langue de traduction�. La langue fran�aise demeura donc, durant cette p�riode, sans garantie constitutionnelle ni valeur juridique, bien qu'elle continu�t � �tre employ�e dans les d�bats, les proc�s-verbaux et la r�daction des lois (comme langue traduite). De 1793 jusqu'en 1840, ce sera la pratique jusqu'� l'adoption de la Loi d'Union (Union Act) de 1840, qui fera de l'anglais la seule langue officielle.

Bref, les Canadiens d�siraient l'unilinguisme fran�ais, alors que les Anglais refusaient de reconna�tre le fran�ais comme langue officielle. Dor�navant, la langue, tout autant que la religion, allait occuper le devant de la sc�ne politique. De catholique qu'elle �tait depuis 1763, la colonie devenait �galement francophone. Si certains songeaient � la �protestantiser�, d'autres allaient penser � l'angliciser.

Au moment de l'adoption de la loi sur la langue � l'Assembl�e, une nouvelle importante arriva � Qu�bec : Louis XVI avait �t� d�capit� le 21 janvier 1793 et la France avait d�clar� la guerre � l'Angleterre le 1er f�vrier. La Chambre d'assembl�e vota unanimement l'adresse suivante au lieutenant-gouverneur et au roi d'Angleterre:
 

Nous, les fid�les et loyaux sujets de Sa Majest� repr�sentants du peuple du Bas-Canada [...] assurons votre excellence que c'est avec horreur que nous avons appris que le forfait le plus atroce et le plus d�shonorant pour la Soci�t� a �t� commis en France. Et c'est avec peine et indignation que nous sommes maintenant inform�s que les personnes qui y exercent le pouvoir supr�me ont d�clar� la guerre contre Sa Majest�.

Les tensions entre l'ancienne et la nouvelle m�re patrie allaient affecter la colonie jusqu'� leur att�nuation en 1815, alors qu'un courant d'id�es s'est amorc� afin de renforcer l'appui de la colonie et des Canadiens envers la monarchie anglaise.

7.6 La lutte pour le pouvoir

Les premi�res ann�es d'application de la Loi constitutionnelle de 1791 correspondaient � une p�riode �conomique relativement prosp�re. Le Bas-Canada exportait facilement ses exc�dents agricoles vers la Grande-Bretagne pendant que le commerce des fourrures et l'exploitation foresti�re connaissaient un essor consid�rable. Cependant, ce ne sont pas les Canadiens fran�ais qui profit�rent le plus des entreprises commerciales. Les marchands anglais contr�laient 90 % de l'�conomie du Bas-Canada: ils dirigeaient le commerce du bois, comme ils monopolisaient le commerce de la fourrure. 

Les d�put�s anglophones tent�rent de faire adopter � l'Assembl�e l�gislative des lois favorables au commerce (qu'ils contr�laient), mais l'opposition de la majorit� francophone finit par exc�der la minorit� anglophone, qui aspirait � l'union des deux Canadas dans l'espoir de r�cup�rer totalement le pouvoir politique. Les int�r�ts �conomiques divergents entre les deux groupes linguistiques s'accentu�rent davantage au tournant du XIXe si�cle et se transform�rent en conflits id�ologiques qui contribu�rent � d�t�riorer encore le climat sociopolitique. D�j�, � cette �poque, on parlait de �nation distincte� et de �peuple distinct�, une notion qu'on reprendra dans la d�cennie 1990 dans l'expression �soci�t� distincte�.

En 1836, un mouvement s'est m�me dessin� en faveur de la partition de l'�le de Montr�al et du comt� de Vaudreuil (situ� � la fronti�re ouest), afin de les rattacher au Haut-Canada anglais. Devant le toll� des anglophones des Townshippers (Cantons de l'Est) et de la ville de Qu�bec, le mouvement n'eut pas de suite. 

8 L'�veil du nationalisme francophone

Le d�but du XIXe si�cle fut marqu� par l'�veil du sentiment nationaliste, qui s'inscrivait dans les mouvements internationaux de lib�ration nationale, notamment en Europe et en Am�rique du Sud. En effet, entre 1804 et 1830, acc�d�rent � l'ind�pendance la Serbie, la Gr�ce, la Belgique, le Br�sil, la Bolivie et l'Uruguay. Dans le Bas-Canada, ce mouvement prit la forme de luttes parlementaires.

8.1 La persistance du fait fran�ais

Les ann�es 1805-1810 sembl�rent capitales � cet �gard. James Henry Craig, qui gouvernait le pays � ce moment, raconte que les Canadiens fran�ais ne cessaient de parler de la �nation canadienne� et de ses libert�s: �Il semble que ce soit leur d�sir d'�tre consid�r�s comme une nation s�par�e; la nation canadienne est chez eux une expression habituelle.� Il s'agissait l� d'une attitude nouvelle. Le gouverneur Craig n'aimait pas les Canadiens qu'il voulait remettre � leur place, ni le clerg� catholique. Il �crivait en 1810 � propos des Canadiens fran�ais:

I mean that in language, religion, attachment, and customs, [this people] is completely French, it has no other tie or attachment to us than a shared government; and that it in fact holds us in mistrust [...], feels hatred [�]. The dividing line between us is complete. [Je veux dire que par la langue, la religion, l'attachement et les coutumes, (ce peuple) est compl�tement fran�ais, qu'il ne nous est pas attach� par aucun autre lien que par un gouvernement commun; et que, au contraire, il nourrit � notre �gard des sentiments de m�fiance [...], des sentiments de haine [...]. La ligne de d�marcation entre nous est totale.]

Craig croyait que les Canadiens �taient �des Fran�ais de c�ur� ("French's heart") et qu'ils se joindraient � une arm�e am�ricaine command�e par un officier fran�ais et qu'ils retourneraient volontiers sous la domination de la France. 

En 1809, Ross Cuthbert (1776-1861), seigneur de Berthier, d�put� anglophone de Warwick (Bas-Canada) et conseiller ex�cutif, �crivit � propos des Canadiens ce t�moignage sur leur caract�re fran�ais:

A stranger travelling across the province without entering the cities would be persuaded he was visiting a part of France. The language, manners, every symbol, from vane to clog, join together to lead him astray. [�] Should he enter a house, French politeness, French dress, French apparel will strike the eye. In the finest of French accents, he'll hear talk of French soap, French shoes; and so on, for everything carries the adjective French. Should one of the daughters of the house decide to sing, he'll likely hear the lovely ballad Sur les bords de la Seine, or some other song that transports him to a beautiful valley of Old France. Among the portraits of saints in the guest room he will also notice that of Napoleon. In short, he could not imagine he had crossed the borders of the British Empire. [Un �tranger qui voyagerait � travers la province sans entrer dans les villes serait persuad� qu'il visite une partie de la France. La langue, les mani�res, chaque symbole, de la girouette aux sabots, s'unissent pour mieux le tromper. [...] S'il entre dans une maison, la politesse fran�aise, la tenue fran�aise, l'habillement fran�ais frapperont son regard. Dans un des meilleurs accents fran�ais, il entendra parler de savon fran�ais, de soulier fran�ais; et ainsi de suite, car tout se distingue par l'adjectif fran�ais. Si une des filles de la maison d�cide de chanter, il entendra probablement la jolie pastorale de Sur les bords de la Seine, ou quelque autre chanson, qui le transportera dans une de ces belles vall�es de la vieille France. En visitant la chambre de compagnie, il remarquera, parmi les autres saints, le portrait de Napol�on. En r�sum�, il ne pourrait pas s'imaginer qu'il a franchi les fronti�res de l'Empire britannique.]

Tant que Napol�on dominait l'Europe, il �tait g�n�ralement d�test� par les Canadiens fran�ais, car il avait emprisonn� le pape et repr�sentait encore la France impie qui avait assassin� le roi et de nombreux pr�tres, mais il devint rapidement une idole de la r�sistance au monde anglo-saxon.

�videmment, Ross Cuthbert, qui �tait par ailleurs l'un des citoyens les plus illustres de la soci�t� canadienne-anglaise du Bas-Canada, consid�rait cette situation comme un anachronisme qui devait dispara�tre �dans l'effervescence d'un dissolvant britannique�. En 1803, dans L'Ar�opage publi� � Qu�bec, Cuthbert avait d�plor� l'ignorance de la population canadienne, son attachement aveugle � des lois fran�aises consid�r�es comme anciennes et poussi�reuses.

Quant � James Stuart (1780-1853), procureur g�n�ral du Bas-Canada, d�put� de la circonscription de William Henry et membre du Conseil ex�cutif, il remit le 6 juin 1823 un m�moire sur un projet d'Union dans lequel il r�sumait ainsi les raisons des difficult�s dans l'assimilation des Canadiens:

Lower Canada is mostly inhabited by what one could call a foreign people, despite the fact sixty years have passed since the Conquest. This population has made no progress towards assimilation with its fellow British citizens, in language, manner, habit, or sentiment. It continues, with a few, rare exceptions, to be as perfectly French as when brought under British dominion. The main cause of this adherence to national particularities and prejudices is certainly the impolitic concession that was made to it, of a code of foreign laws in a foreign tongue. [Le Bas-Canada est en majeure partie habit� par une population qu'on peut appeler un peuple �tranger, bien que plus de soixante ans se soient �coul�s depuis la Conqu�te. Cette population n'a fait aucun progr�s vers son assimilation � ses concitoyens d'origine britannique par la langue, les mani�res, les habitudes et les sentiments. Elle continue � quelques exceptions pr�s, d'�tre aussi parfaitement fran�aise que lorsqu'elle a �t� transf�r�e sous la domination britannique. La principale cause de cette adh�rence aux particularismes et aux pr�jug�s nationaux est certainement la concession insens�e qui leur a �t� faite, d'un code de lois �trang�res dans une langue �trang�re.]

James Stuart est l'auteur d'observations sur un projet d'union des provinces du Haut-Canada et du Bas-Canada en une seule l�gislature, respectueusement soumis � Sa Majest�: Observations on the proposed union of the provinces of Upper and Lower Canada, under one legislature, respectfully submitted to his majesty's government, by the agent of the petitioners for that measure (Londres, 1824): observations sur l'union des provinces du Haut et du Bas-Canada en une seule l�gislature, le tout respectueusement soumis au gouvernement de Sa Majest�, par l'agent des p�titionnaires pour cette mesure. 

John Henry (vers 1776-1853), un homme de main du gouverneur Craig, proposa un projet d'Union en 1810 comprenant une proc�dure �lectorale fond�e sur des revenus �lev�s, un pouvoir accru du gouverneur pour cr�er de nouveaux comt�s anglophones, l'obligation pour les d�put�s de savoir lire, �crire et traduire de l'anglais, l'�tablissement d'�coles anglaises dans les paroisses, l'imposition de l'anglais dans les tribunaux dans un d�lai de cinq ans et dans la Chambre d'assembl�e dans un d�lai de sept ans. Pour John Henry, tant que les Canadiens fran�ais conserveraient leur langue et leurs coutumes, ils repr�senteraient une menace latente � la s�curit� de la Grande-Bretagne. Dans cette perspective, c'est l'Acte constitutionnel de 1791, qui �tait r�ellement responsable : il avait donn� le droit de vote � presque tous les hommes chefs de famille et n'�tablissait pas de cens d'�ligibilit� pour les d�put�s. Les solutions propos�es par Henry rencontraient les vues du gouverneur et de ses conseillers, et il �vitait les questions controvers�es.

Quant aux francophones, ils ne se consid�raient nullement comme des Fran�ais, mais comme des Canadiens. Ainsi, le journal Le Canadien �crivait dans son �dition du 21 mai 1831:

Il n'y a pas, que nous sachions, de peuple fran�ais en cette province, mais un peuple canadien, un peuple religieux et moral, un peuple loyal et amoureux de la libert� en m�me temps, et capable d'en jouir; ce peuple n'est ni Fran�ais, ni Anglais, ni �cossais, ni Irlandais, ni Yank�, il est Canadien. 

D�s 1805, les marchands anglais avaient propos� l'union des deux Canadas. C'est pour combattre ce mouvement que le journal Le Canadien fut fond� et aussi pour s'opposer aux id�es du journal anglophone The Quebec Mercury. Le gouverneur James Henry Craig suspendit Le Canadien parce qu'il s'opposait au projet d'union des deux Canadas. Cette �poque fut caract�ris�e par les conflits entre le gouverneur appuy� par les marchands anglais, et la majorit� parlementaire francophone: querelles religieuses, vell�it�s d'assimilation, crises parlementaires, guerre des �subsides�, probl�mes d'immigration, projet d'union politique, etc. 

En 1810, le gouverneur Craig fit parvenir une d�p�che au gouvernement britannique dans laquelle il proposait une s�rie de mesures afin de r�tablir l'harmonie au sein du Bas-Canada.

Il fallait en venir � la �n�cessit� d'angliciser la province�, de pr�voir le �recours � l'immigration am�ricaine massive pour submerger les Canadiens fran�ais�, ainsi que l'obligation de poss�der �des propri�t�s fonci�res importantes� pour �tre �ligibles � l'Assembl�e l�gislative et surtout pr�voir �l'union du Haut et du Bas-Canada pour une anglicisation plus certaine et plus prompte�. Voici un extrait de la d�p�che du gouverneur Craig:  

For many years, English representatives have scarcely made up a quarter of the total Assembly, and today out of fifty members representing Lower Canada, only ten are English. One could posit that this branch of government is entirely in the hands of illiterate peasants under the direction of several of their fellow countrymen whose personal importance, in contrast to the interests of the country in general, depends on the continuation of the current depraved system. [...]

The petitioners of Your Majesty cannot omit to note the excessive scope of political rights that have been granted to this population to the detriment of its fellow British subjects; and these political rights, at a time when the population feels its strength growing, have already given birth in the imagination of many to the dream of a distinct nation called the �Canadian nation.� [...]

The French inhabitants of Lower Canada, today distanced from their fellow subjects by their particularities and national prejudices, and ardently aiming to become, through the current state of affairs, a distinct people, would be gradually assimilated into the British population and with it merge into a people of British character and sentiment.
[Depuis nombre d'ann�es, la proportion des repr�sentants anglais n'a gu�re atteint un quart du nombre total de l'Assembl�e et, � l'heure qu'il est sur cinquante membres qui repr�sentent le Bas-Canada, dix seulement sont Anglais. On peut dire que cette branche du gouvernement est exclusivement entre les mains de paysans illettr�s sous la direction de quelques-uns de leurs compatriotes, dont l'importance personnelle, en opposition aux int�r�ts du pays en g�n�ral, d�pend de la continuation du pr�sent syst�me vicieux. [...]

Les p�titionnaires de Votre Majest� ne peuvent omettre de noter l'�tendue excessive des droits politiques qui ont �t� conf�r�s � cette population, au d�triment de ses co-sujets d'origine britannique; et ces droits politiques, en m�me temps que le sentiment de sa croissance en force, ont d�j� eu pour effet de faire na�tre dans l'imagination de plusieurs le r�ve de l'existence d'une nation distincte, sous le nom de �nation canadienne�. [...]

Les habitants fran�ais du Bas-Canada aujourd'hui divis�s de leurs co-sujets par leurs particularit�s et leurs pr�jug�s nationaux, et �videmment anim�s de l'intention de devenir, gr�ce au pr�sent �tat de choses, un peuple distinct, seraient graduellement assimil�s � la population britannique et avec elle fondus en un peuple de caract�re et de sentiment britanniques.]

James Henry Craig, qui fut surnomm� par les Britanniques "the Little King", est rest� pour les Canadiens l'un des gouverneurs les plus tyranniques de Qu�bec. On a parl� de son mandat comme du �r�gne de terreur�. Peu regrett�, en raison des crises continuelles qu'il entretenait, il s'embarqua pour l'Angleterre en juin 1811 pour y d�c�der en janvier 1812.

Au cours de cette m�me p�riode, les anglophones, pour leur part, ne se consid�raient pas encore comme des Canadians. Ils s'affirmaient encore comme des Britons (en fran�ais: Bretons) � ce qui d�signait alors les �Anglais� � et n'avaient d'autre appartenance qu'� la �nation britannique�, pas du tout � la �nation canadienne�. Le terme anglais de Canadians ne d�signait qu'avec un certaine condescendance les Canadiens de langue fran�aise.

8.2 Le r�le des �coles

La premi�re question � faire l'objet d'une lutte nationale fut la Loi de l'Institution royale de 1801. Le but de cette loi �tait de soumettre le syst�me d'�ducation au contr�le des autorit�s religieuses anglicanes anglaises par la cr�ation d'�coles gouvernementales (�royales�), publiques et gratuites. Ce faisant, les fabriques paroissiales �taient remplac�es par les �coles royales moyennant une taxe scolaire. Cette loi repr�sentait la premi�re prise en charge de l'�ducation par l'�tat, bien que la contribution financi�re du gouvernement �tait r�duite � la r�mun�ration des ma�tres.

Il faut dire que la situation scolaire � cette �poque au Bas-Canada �tait tout simplement d�plorable. Depuis l'�tablissement du R�gime britannique, la population �tait devenue majoritairement analphab�te, souffrait d'une grave p�nurie de ma�tres qualifi�s et de manuels scolaires, sans compter que les parents refusaient de payer la taxe scolaire. Cette initiative de renouvellement de l'instruction publique, qui �tait due � l'�v�que anglican de Qu�bec (Jacob Mountain) et � l'administrateur du Bas-Canada (Robert Shores Milnes), demeura sans grand effet. Par exemple, entre 1801 et 1818, les �coles �royales� pass�rent de 4 � 35, dont 11 seulement furent implant�es en milieu francophone. En 1829, on comptait 84 �coles, mais la loi �des �coles de syndics� fit diminuer le nombre des ��coles royales�, qui passa de 69 en 1832 � uniquement trois en 1846.

Soulignons que la hi�rarchie catholique craignait comme la peste la cr�ation des �coles d'�tat gratuites, car elle avait en t�te la hantise de l'assimilation. De plus, Hugh Finlay, directeur g�n�ral des Postes et membre du Conseil l�gislatif en 1789 craignait aussi de voir les Canadiens �lire des d�put�s canadiens qui constitueraient une assembl�e mal adapt�e � gouverner un pays commer�ant et qui feraient des lois pour conserver le droit fran�ais et la coutume canadienne.  

Toutefois, la population francophone, soutenue par le clerg� catholique, refusa d'envoyer ses enfants dans les �coles �royales� et, � l'occasion, n'h�sita m�me pas � les br�ler. Malgr� les difficult�s, les �coles se multipli�rent. En 1790, les Canadiens fran�ais ne poss�daient qu'une quarantaine d'�coles pour quelque 160 000 habitants, soit une moyenne d'une �cole pour 4000 habitants, tandis que les Anglais en avaient 17 pour 10 000 habitants, soit une pour moins de 600 habitants. Quant au taux d'alphab�tisation, il descendit jusqu'� 13 % en 1779, et m�me � 4 % en 1810, pour se relever lentement (entre les d�cennies 1820 et 1850) jusqu'� 27 % vers 1850. Les francophones prirent ainsi un retard qu'ils ne combleront qu'au XXe si�cle, alors que le taux d'alphab�tisation atteindra les 75 %, ce qui �tait consid�r� comme une �alphab�tisation g�n�rale�. Ce retard dramatique au point de vue scolaire fut, selon plusieurs historiens, surtout d� au refus oppos� par le clerg� au syst�me scolaire propos� par le gouvernement britannique. 

� la suite des pressions intenses exerc�es par le clerg� catholique, le Parlement du Bas-Canada adopta en 1824 la Loi des �coles de fabriques, destin�e aux franco-catholiques. Cette loi modifiait consid�rablement le r�gime centralis� �tabli en 1801. C'�taient dor�navant les fabriques paroissiales, c'est-�-dire le cur� et les marguillers, qui avaient la responsabilit� de construire et d'administrer les �coles primaires. La paroisse devint l'unit� fondamentale du syst�me social de la province de Qu�bec. En quelques ann�es, la loi favorisa l'instauration de 48 �coles �de fabriques�. Mais ce nombre parut nettement insuffisant, car en 1828 la plupart des enfants n'y avaient pas acc�s. En effet, plus de 90 % des enfants en �ge de fr�quenter l'�cole n'avaient pas d'�coles � leur disposition, faute d'argent dans la paroisse de r�sidence.

Afin de rem�dier aux probl�mes des paroisses plus pauvres, l'Assembl�e l�gislative adopta en 1829 la Loi des �coles de syndics, qui pr�voyait le versement aux communaut�s locales de subventions publiques dans le but de favoriser la construction de b�timents scolaires, l'�tat assumant la moiti� des co�ts. Cependant, la loi scolaire exigeait aussi que les syndics �lus dans chaque paroisse devaient rendre compte, deux fois par ann�e, des activit�s de leurs �coles devant le Parlement du Bas-Canada. La loi pr�voyait aussi la cr�ation d'�coles normales afin d'assurer une meilleure formation des enseignants; en m�me temps, �tait institu� le poste d'inspecteur scolaire. Ces mesures tout � fait nouvelles se faisaient n�cessairement au d�triment du clerg� local qui se voyait d�poss�d� de son implication en mati�re d'�ducation. La Loi des �coles de syndics permit la construction de plus de 1500 �coles en quelques ann�es.

Toutefois, la loi dut �tre abrog�e en 1836 en raison du refus du Parlement de reconduire le budget annuel de fonctionnement. La plupart des �coles ouvertes depuis 1829 durent fermer leur porte. Pendant plus de six ans, la province du Bas-Canada fut laiss�e sans structure scolaire. La plupart des enseignants du Bas-Canada �taient des la�cs, car il n'y avait pas eu de nouvelles communaut�s religieuses enseignantes depuis la Conqu�te. La situation changera du tout au tout apr�s l'Union de 1840 avec l'arriv�e de communaut�s fran�aises et la fondation de communaut�s religieuses canadiennes. Peu � peu, les membres du clerg�, tant chez les hommes que chez les femmes deviendront majoritaires dans les �coles, sauf au primaire o� les la�cs resteront plus nombreux.

En 1846, une nouvelle loi apporta un certain apaisement � l'opposition scolaire dans les campagnes. Les commissaires d'�coles furent �lus, tandis que les subventions gouvernementales demeur�rent proportionnelles � la cotisation (volontaire) des habitants.

8.3 L'influence des journaux

Fait significatif, d�s le d�but du R�gime britannique, les journaux furent bilingues. Le premier journal, fond� en juin 1764, s'appelait La Gazette de Qu�bec / The Quebec Gazette (voir l'exemple du 24 juillet 1788). Sur les 14 titres cr��s entre 1764 et 1814, neuf le furent � Qu�bec et cinq � Montr�al. Cinq journaux �taient publi�s en anglais, quatre en fran�ais et cinq �taient bilingues. La pr�sence des journaux et des imprimeurs n'�tait possible que dans les seules villes de Qu�bec et de Montr�al en raison de la concentration des habitants et de leur taux d'alphab�tisation.

Bien souvent, le texte anglais apparaissait en premier, le texte fran�ais en traduction en second; ou bien le texte anglais occupait la colonne de gauche, traditionnellement privil�gi�e, le fran�ais occupant celle de droite. Quoi qu'il en soit, la plupart de sujets choisis �taient puis�s � m�me les journaux �trangers, presque exclusivement d'origine britannique ou am�ricaine. Dans ces conditions, la version fran�aise �tait obligatoirement une traduction. On devine l'arriv�e massive de la terminologie anglaise dans les journaux de l'�poque. Cette pratique du bilinguisme dans les journaux se perp�tuera jusqu'au XIXe si�cle.   

En 1790, on ne comptait qu'une quarantaine d'agglom�rations de plus de 1000 habitants. Sept villes avaient plus de 2000 habitants: Qu�bec, Montr�al, Trois-Rivi�res, L'Assomption, Berthier-en-Haut, Saint-Eustache et Varennes. Au tournant du XIXe si�cle, la taille d�mographique de Montr�al d�passera celle de Qu�bec, tout en �tant majoritairement anglophone.  

Entre 1815 et 1840, au moins 50 % des titres publi�s dans la presse �taient en anglais, alors que les locuteurs de cette langue ne constituaient encore qu'environ 15 % de la population. De m�me, ce sont les anglophones qui fr�quentaient les biblioth�ques. Il n'est donc pas surprenant que les anglophones du Bas-Canada aient un taux d'alphab�tisation et d'instruction plus �lev� que celui des francophones. La plupart d'entre eux habitaient dans les villes et, �tant de religion protestante, lisaient r�guli�rement la Bible.

8.4 Les partis politiques

Dans le domaine politique, les d�put�s francophones devirent de plus en plus agressifs et se regroup�rent dans un parti politique, le Parti canadien, tandis que les anglophones se rassembl�rent dans le Tory Party (ou Parti loyaliste). Chaque groupe poss�da son propre journal: Le Canadien (Parti canadien) et le Quebec Mercury (Tory Party) s'invectivaient � qui mieux mieux. Les antagonismes s'accrurent entre francophones et anglophones, et les d�bats s'envenim�rent. Le 27 octobre 1806, un certain Anglicanus attaquait les Canadiens en ces termes dans le Quebec Mercury:
 

This province is already too much a French province for an English colony. To unfrenchify it, as much as possible, if I can use this expression, should be the primary object. To oppose [French power] is a duty. To assist it...is criminal [...]. After forty seven years possession of Quebec it is time the Province should be English. [Cette province est d�j� beaucoup trop fran�aise pour une colonie anglaise. La d�franciser devrait, autant que possible, si je peux me servir de cette expression,  �tre notre premier objectif. R�sister [au pouvoir des Fran�ais] est un devoir. Le soutenir est... criminel [... ]. Apr�s quarante sept ans de possession du Qu�bec, il est temps d'en faire une province anglaise.]
Les Britanniques r�clamaient l'union des deux Canadas et parlaient ouvertement d'assimilation pendant que les Canadiens d�non�aient le favoritisme, la corruption et l'arbitraire du gouverneur et des Conseils. Les francophones exigeaient un Conseil l�gislatif �lu, le contr�le des d�penses gouvernementales, le maintien du r�gime seigneurial et mena�aient m�me de s'annexer aux �tats-Unis. Le gouverneur Craig tenta quelques coups de force et r�ussit � dissoudre arbitrairement certaines Chambres d'assembl�e.

Francophones et anglophones s'install�rent pendant plusieurs ann�es dans une intransigeance opini�tre qui eut pour effet de paralyser totalement l'�tat. Lorsque les d�put�s Louis-Joseph Papineau et Robert Nelson commenc�rent � galvaniser le peuple exc�d� par la crise �conomique, l'inflation, le ch�mage, les �pid�mies de chol�ra, les mauvaises r�coltes et le pourrissement politique, le conflit �tait m�r pour un affrontement arm�.

8.5 La r�volte des Patriotes

La d�cennie de 1830 fut propice en �v�nements politiques dans le monde, notamment la mont�e des nationalit�s en Europe. Il �tait fr�quent que les Canadiens fran�ais de l'�poque puissent comparer leurs conditions coloniales au Bas-Canada avec la situation de d�pendance ou d'�mancipation en Pologne, en Italie, en Belgique, en Gr�ce, en Irlande, en Am�rique du Sud, etc. La cr�ation de la Belgique en 1830 semblait pr�senter des probl�mes politiques similaires � ceux rencontr�s par les Canadiens fran�ais : conflits entre une Chambre haute et une Chambre basse, repr�sentation �gale et non proportionnelle, partage de la dette, droits des catholiques, confrontations entre deux langues, etc. Il convient de mentionner aussi la pouss�e du r�publicanisme am�ricain tant au Bas-Canada qu'au Haut-Canada. Or, les Britanniques avaient esp�r� convaincre leurs anciennes colonies d'abandonner leur syst�me de gouvernement d�mocratique en conservant au nord un syst�me colonial monarchique et loyaliste. Au lieu de cela, la d�mocratie am�ricaine s'�tendit au Canada, surtout au Haut-Canada, avec l'arriv�e de groupes importants d'immigrants am�ricains qui men�rent les revendications pour une r�forme.

- Les assembl�es populaires

Les leaders des Patriotes tinrent des assembl�es publiques et d�nonc�rent les injustices, surtout le fait que le pouvoir soit entre les mains de la minorit� anglophone. Londres prit position sur les 92 R�solutions des Patriotes de 1834, qui demandaient, entre autres, l'�lection du Conseil l�gislatif, la responsabilit� minist�rielle et le contr�le du budget par l'Assembl�e. Le 6 mars 1837, la Chambre des communes de Londres rejeta en bloc celles des Patriotes; elle alla jusqu'� permettre au Conseil ex�cutif d'outrepasser l'autorit� de la Chambre d'assembl�e en mati�re budg�taire. Bref, Le ministre John Russel retirait � l'Assembl�e le seul pouvoir qu'elle poss�dait: le vote des subsides. Pour lord Russel, il n'�tait pas question d'abandonner �the Province to the French Party�.

En m�me temps, la d�termination patriotique des Anglo-Montr�alais monta d'un cran: des associations loyalistes furent cr��es pour d�noncer les pr�tentions d�loyales des Canadiens fran�ais � la Royaut� et � l'Empire. Le Doric Club, fond� par Adam Thom, fit beaucoup parler de lui par ce que cette association de loyalistes anglais �taient �galement un club social et une soci�t� arm�e qui tentaient de faire valoir des droits et des privil�ges sp�ciaux pour les Anglais face � la �menace patriote�. En f�vrier 1836, Adam Thom avait publi� Anti-Gallic Letters (�Lettres anti-gauloises�), un recueil d'�crits originellement parus dans le Montreal Herald sous le pseudonyme de Camillus entre septembre 1835 et janvier 1836, qu'il adressait au gouverneur Gosford.
 

Devant le cul-de-sac politique, les d�put�s du Parti patriote opt�rent pour une strat�gie extra-parlementaire et organis�rent des assembl�es populaires afin de d�battre de leurs id�es et de leurs revendications. Il y en a eu non seulement � Montr�al et � Qu�bec, mais aussi � la Malbaie, � Yamachiche, � Portneuf, � Saint-Ours-sur-Richelieu, etc. Consid�rant ces assembl�es populaires comme dangereuses, le gouverneur Gosford finit par les d�clarer ill�gales. Le 17 juin 1837, la proclamation de Gosford fut affich�e partout. Celle-ci affirmait que les assembl�es populaires constituaient une atteinte � la paix et visaient � retirer l'all�geance de la population � la monarchie. Pour assurer la paix et le bon ordre, le gouverneur interdit les publications s�ditieuses et les assembl�es populaires.

Or, la proclamation du gouverneur contribua � d�grader un climat social d�j� tendu. Les assembl�es se poursuivirent de plus belle un peu partout dans toute la colonie du Bas-Canada. Devant la mont�e de l'agitation sociale jusque dans les dans les r�gions rurales, Gosford fit venir des renforts militaires des Maritimes. Au mois d'ao�t 1837, il dissout l'Assembl�e l�gislative lorsque le Parti patriote refusa de voter son budget.

- La r�volte arm�e

La r�volte arm�e des Patriotes �clata � l'automne de 1837. D�s le mois d'octobre, toutes les troupes britanniques r�guli�res furent retir�es du Haut-Canada (Toronto) et transf�r�es au Bas-Canada. Au mois de novembre, Gosford fit arr�ter plusieurs partisans du chef du Parti patriote, Louis-Joseph Papineau, tandis que celui-ci fuyait aux �tats-Unis. La loi martiale fut d�cr�t�e au Bas-Canada, mais malade le gouverneur Gosford dut donner sa d�mission et retourner en Angleterre. Les pouvoirs furent alors assum�s par le major g�n�ral John Colborne, commandant des troupes britanniques au Canada.

Pendant ce temps, de nombreux imprimeurs, r�dacteurs de journaux et libraires avaient joint les rangs des Patriotes : Duvernay de La Minerve, Fran�ois Cinq-Mars qui avait fond� L'Aurore des Canadas et imprim� L'Abeille canadienne et Le Diable bleu; Fran�ois Lema�tre qui a imprim� Le Lib�ral, La Quotidienne, la Gazette patriotique, la Quebec Commercial List et Le Journal de m�decine de Qu�bec; Louis Perrault, imprimeur du Vindicator; Hiram-F. Blanchard qui, � Stanstead, publiait le Canadian Patriot dans son atelier; Silas-H. Dickerson qui publiait la British Colonist and St. Francis Gazette; Napol�on Aubin et Adolphe Jacquies du Fantasque; Jean-Baptiste Fr�chette, propri�taire du Canadien; Robert Bouchette, r�dacteur du Lib�ral; Boucher-Belleville de L'�cho du Pays de Saint- Charles; etc. Cette presse de la bourgeoisie de professions lib�rales et du Parti patriote d�plut fortement au clerg� qui voyait ainsi le pouvoir de la chaire contest�.

- La r�bellion du Haut-Canada

Au m�me moment, le Haut-Canada vivait aussi ses soubresauts politiques avec les d�put�s r�formistes, tr�s sensibilis�s aux id�aux d�mocratiques des Am�ricains. William Lyon Mackenzie �tait l'un des r�formistes les plus radicaux au Haut-Canada. Lorsque la r�bellion du Bas-Canada �clata � l'automne 1837, Francis Bond Head, le lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, accepta d'envoyer les troupes britanniques �tablies � Toronto pour aider � r�primer la r�volte patriote. Constatant l'absence des troupes r�guli�res, Mackenzie et ses partisans saisirent l'armurerie de Toronto et organis�rent en d�cembre 1737 une marche arm�e sur Yonge Street. Les 800 "Patriots" de Mackenzie avaient d�cid� de renverser le gouvernement et de proclamer une r�publique.

Quoi qu'il en soit, il faut rappeler que les r�bellions du Bas-Canada et du Haut-Canada sont le r�sultat d'une suite d'escalades et de crises coloniales qui avaient commenc� en 1810, alors que James Craig �tait gouverneur Craig, ainsi que d'un premier projet d'Union en 1811, suivi d'un second projet plus s�rieux en 1822, puis d'un Comit� de la Chambre des communes sur les affaires du Canada en 1828. Ces tergiversations du gouvernement britannique men�rent aux 92 R�solutions des Canadiens, � la Commission Gosford de 1835, ainsi qu'aux r�solutions de lord Russell de 1837. Dans les faits, les r�bellions sont davantage l'aboutissement d'une crise d�cennale mal g�r�e par les autorit�s britanniques et coloniales.

- La position du clerg�

Durant toute la r�bellion, le clerg� catholique, qui savait o� �tait ses int�r�ts, pr�chait la loyaut�, la soumission et la r�signation. De m�me, tous les seigneurs, sauf Papineau, se rang�rent du c�t� du pouvoir. Cette lettre pastorale, dat�e du 24 octobre 1837, de Mgr Jean-Jacques Lartigue, alors �v�que du district de Montr�al (1821-1836), est r�v�latrice de cette attitude:

Que tout le monde, dit saint Paul aux Romains, soit soumis aux puissances qui viennent de Dieu. Et c'est lui qui a �tabli toutes celles qui existent. Celui donc qui s'oppose aux puissances r�siste � l'ordre de Dieu. Et ceux qui r�sistent acqui�rent pour eux-m�mes la damnation. Le prince est le ministre de Dieu pour procurer le bien. Et comme ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive, il est aussi son ministre pour punir le mal. Il vous est donc n�cessaire de lui �tre soumis non seulement par crainte du ch�timent, mais aussi par un devoir de conscience. [...] Et vous devez voir � pr�sent que nous ne pouvions, sans blesser nos devoirs et sans mettre en danger notre propre salut, omettre d'�clairer votre conscience d'un pas si glissant.

C'est ainsi que, lors d'un sermon prononc� dans l'�glise de Sainte-Anne-des-Plaines (ville � environ 40 km au nord de Montr�al), le dimanche 11 novembre 1838, le cur� Isidore Poirier faisait ainsi conna�tre la position de l'�glise catholique : 
 

Vous ne sauriez ignorer, mes fr�res, quels sont les devoirs que vous devez rendre � C�sar, c'est-�-dire au roi, ou � la puissance souveraine; depuis un an surtout, on vous les a expliqu�s amplement... Cependant comme il y a encore parmi vous des t�tes dures, qui font semblant de ne rien comprendre, pour se livrer sans remords � la fureur de leurs passions, je profite de ces derni�res paroles de notre �vangile, pour vous remettre de nouveau sous les yeux la v�rit� sous tout son jour. [...]

Rappelez-vous encore ce que notre �v�que nous a �crit l'ann�e derni�re. Je vais vous en r�p�ter quelques mots... Tous ceux qui meurent les armes � la main contre leur souverain sont r�prouv�s de Dieu et condamn�s � l'enfer. L'�glise a tant d'horreur d'une insurrection qu'elle refuse d'enterrer dans les cimeti�res ceux qui s'en rendent coupables; qu'on ne peut �tre absous, ni recevoir aucun autre sacrement, sans faire un �norme sacril�ge. [...]

C'est vous, au contraire, patriotes insens�s, qui voulez, malgr� le gouvernement, d�truire notre sainte religion sous le pr�texte mensonger de la r�tablir. Quoi! Vous dites que vous �tes attach�s � votre patrie, que vous travaillez pour le soutien de la religion et par le plus fanatique et le plus aveugle de tous les ent�tements, vous d�truisez la patrie et la religion. Vous forcez le gouvernement de br�ler les �glises, les villages et les campagnes; vous vous vantez d'�tre des patriotes religieux et vous ne parlez que de tuer, fusiller, massacrer les pr�tres, les �v�ques, et tout ce qu'il y a dans le pays de citoyens respectables. Quel affreux patriotisme! Quelle affreuse religion! L'enfer a-t-il jamais invent� rien de plus horrible, de plus ex�crable?

Pauvres brebis �gar�es... entrez dans la voie de la soumission et de la subordination aux autorit�s l�gitimes; rendez � C�sar ce qui appartient � C�sar; soyez ob�issants, respectueux, soumis et reconnaissants envers les puissances que Dieu a �tablies pour vous gouverner.

Ce genre de discours alors que le pays �tait encore en pleine effervescence insurrectionnelle ne pouvait que terroriser le bon peuple.

- L'�chec des r�bellions

Les troupes rebelles du Bas-Canada ne pouvaient faire le poids devant l'imposante force militaire coloniale, sous les ordres de John Colborne, compl�t�e par un grand nombre de miliciens orangistes loyaux venant du Haut-Canada.
 

Comme il fallait s'y attendre, l'arm�e britannique �crasa rapidement la r�bellion en r�pandant la terreur, en pillant et en br�lant plusieurs villages, dont Saint-Eustache (� 20 km au nord-ouest de Montr�al). Des paroisses enti�res furent pill�es et br�l�es par les troupes et les volontaires de Colborne, en toute impunit�. De plus, le 21 avril 1838, le Conseil sp�cial suspendit par une ordonnance l'habeas corpus dont b�n�ficiaient les sujets britanniques, c'est-�-dire le droit de ne pas �tre emprisonn� sans jugement. D�s lors, les autorit�s coloniales purent d�tenir les habitants sans mandat. Puis du 5 au 24 novembre 1838, le Conseil sp�cial adopta onze ordonnances pour retirer les droits �l�mentaires � tous ceux qui ne partageaient pas les convictions politiques de la minorit� loyale.

Pire, l'ordonnance du 8 novembre permettait aux autorit�s de faire compara�tre n'importe quel civil devant une cour martiale, m�me en temps de paix. Parmi les 855 Canadiens fran�ais arr�t�s, 108 furent accus�s de haute trahison�. De ces derniers, 58 furent d�port�s en Australie et 12 furent pendus � la prison au Pied-du-Courant � Montr�al, le 15 f�vrier 1839.

Mais la r�bellion du Haut-Canada fut br�ve et, par comparaison avec celle du Bas-Canada, les cons�quences pour la population furent minimes. William Lyon Mackenzie fut emprisonn� aux �tats-Unis o� il s'�tait enfui et Bond Head fut rappel� en Angleterre. Une amnistie permit � Mackenzie de rentrer au Canada en 1849, o� il devint membre de l'Assembl�e l�gislative du Canada-Uni de 1851 � 1858. En somme, bien que le Haut-Canada ait �t� le th��tre d'affrontements similaires au Bas-Canada, seul ce dernier subit les mesures d'exception d�cr�t�es par le gouvernement colonial, lesquelles violaient les r�gles les plus fondamentales du constitutionnalisme britannique.

Au Bas-Canada, le r�gime de la loi martiale a �t� proclam�, dans le district de Montr�al, du 5 d�cembre 1837 au 24 avril 1838, et du 4 novembre 1838 au 24 ao�t 1839. Or, selon les lois britanniques de l'�poque, toute loi martiale ne devait �tre en vigueur tant que la guerre durait ("while war is still raging") et elle devait �tre abrog�e d�s que cessaient les hostilit�s. Dans le cas du Bas-Canada, la loi martiale fut impos�e pendant quinze mois, alors que l'insurrection n'avait dur� que quelques jours. Pour certains historiens, dont F. Murray Grenwood, les proc�dures de la Cour martiale en 1838 et 1839 dans le Bas-Canada, constitueraient �le pire exemple, dans l'histoire du Canada, de l'abus de l'appareil judiciaire� (cit� par J.-M. Fecteau, 1987).

Plusieurs raisons ont �t� avanc�es pour expliquer l'�chec des r�bellions.

(1) Les dissensions et le manque �vident d'unanimit� dans le mouvement des patriotes (ou des "patriots") constituent la premi�re raison de l'�chec; il y avait des patriotes r�formistes, des patriotes radicaux et des patriotes r�publicains.

(2) Il y eut aussi de nombreuses oppositions � la position des patriotes: les seigneurs, le clerg�, la population �ordinaire�, les loyalistes, le gouvernement colonial, les d�put�s londoniens, etc.

(3) Une troisi�me raison fut le manque de moyens financiers et militaires, dont le manque d'armes et de munitions, sans oublier l'absence d'encadrement militaire.

(4) � cela s'ajoute le manque d'appuis ext�rieurs; ceux qui devaient ou pouvaient venir ne vinrent pas; en France, on ne pouvait pas comprendre que Papineau puisse vouloir d'une ind�pendance aid�e par les �tats-Unis au risque voir r�duire la langue et la culture fran�aises.

(5) La derni�re raison, et non la moindre, �tait la formidable puissance militaire des Britanniques qui poss�daient la plus grande arm�e du monde; les cuill�res fondues en balles, les vieux fusils de chasse et les faux ne pouvaient rivaliser avec une arm�e bien �quip�e et bien exp�riment�e.  

Pendant la r�bellion bas-canadienne, � Londres, lord Russel proposait de suspendre la Constitution de 1791 et de mettre en place un gouverneur en conseil comme forme de pouvoir provisoire et d'envoyer lord Durham avec mission d'enqu�ter sur la situation des provinces britanniques d'Am�rique du Nord. John George Lampton (1792-1840), premier comte de Durham, �tait un noble anglais immens�ment riche. Il parlait un fran�ais impeccable et �tait ouvert aux id�es r�publicaines et aux minorit�s.   

8.6 Le rapport Durham et la politique d'assimilation
 

D�p�ch� d'urgence par Londres, lord Durham d�barqua � Qu�bec le 27 mai 1838 en ayant pour mission d'enqu�ter et de faire rapport sur la situation au Canada. La soci�t� fran�aise qu'il conna�t est celle de la France contemporaine, celle de la R�volution, de Napol�on et de la Restauration. Sa perception � l'�gard des Canadiens de langue fran�aise ne pouvait pas �tre tr�s positive. Alors que la France avait chang� non seulement dans ses valeurs sociales et religieuses, mais aussi dans sa langue, sa phon�tique et son accent, bref dans sa mani�re de parler le fran�ais, la langue parl�e par les Canadiens n'ont gu�re impressionn� ce riche lord anglais. La �province of Quebec� lui paraissait r�trograde par sa langue, par la soumission des repr�sentants d'une �glise catholique provincialiste encore attach�e � l'ancien R�gime fran�ais d'avant la R�volution. Cette mentalit� pass�iste des habitants francophone de la colonie ne pouvait que choquer ce noble Anglais qui voyait dans les Canadiens des attard�s n'ayant pas renonc� � leur pass� �Nouvelle-France�.

On ne peut que rappeler ces mots de lord Durham sur les francophones du Canada qui �taient rest�s �une soci�t� vieille et retardataire dans un monde neuf et progressif�:

Les Canadiens fran�ais sont rest�s une soci�t� vieille et retardataire dans un monde neuf et progressif. En tout et partout, ils sont demeur�s fran�ais, mais des Fran�ais qui ne ressemblent pas du tout � ceux de France. Ils ressemblent aux Fran�ais de l'Ancien R�gime.

Lors Durham parcourut les deux Canadas, discuta avec le r�formiste Robert Baldwin � Toronto, s�journa quelques jours au manoir du riche commer�ant Edward Ellice � Beauharnois, subit patiemment les dol�ances des marchands anglais de Montr�al, etc. Il d�cida d'abolir le r�gime seigneurial sur l'�le de Montr�al, cr�a un corps de police, forma plusieurs commissions charg�es d'enqu�ter sur les institutions municipales, l'�ducation et les terres de la Couronne. Lord Durham recourut aux services d'Adam Thom, le r�dacteur en chef du Montreal Herald, qui d�testait les Canadiens, � titre de conseiller sur les questions municipales. Toutefois, lord Durham n'a jamais cherch� � entrer en contact avec les repr�sentants canadiens. D'apr�s le premier secr�taire de Durham, Charles Buller (1806-1848), son opinion sur les Canadiens �tait d�j� fix�e avant m�me d'arriver � Qu�bec. Voici ce qu'il �crivit en 1840 � propos de lord Durham:

D�s le d�part, Lord Durham prit une position r�solue sur la question, il vit l'esprit malicieux et �troit qui logeait au c�ur de toutes les actions des Canadiens fran�ais ; et s'il �tait dispos� � rendre justice et � pardonner aux individus, il prit le parti de n'accorder aucun cr�dit � leurs absurdes pr�tentions raciales. Son unique objectif �tait de rendre le Canada v�ritablement britannique.

Pour Durham, aucune concession ne pouvait satisfaire les rebelles canadiens-fran�ais. Au contraire de lord Durham, qui selon lui �en voulait trop aux Canadiens fran�ais en raison de leur r�cente insurrection�, Charles Buller �tait bien dispos� � leur �gard; il croyait plut�t que de �longues ann�es d'injustice� et �la d�plorable ineptie de [la] politique coloniale� britannique les avaient pouss�s � se rebeller. Assist� d'abord par Charles Buller et d'un expert en colonisation, Edward Gibbon Wakefield (1796-1862), ainsi que par un commissaire adjoint, sir Richard Davies Hanson, Durham r�digea son rapport en un temps record. Dans les faits, c'est son secr�taire, Charles Buller, qui a r�dig� la plus grande partie du rapport, m�me si c'est lord Durham qui en assumait la responsabilit�.

Au lieu de proposer une analyse juste de la situation au Canada, lord Durham reprit simplement la vision condescendante de l'oligarchie loyale. Il n'a jamais reconnu un quelconque bien-fond� des arguments pr�sent�s par les partis r�formistes qui d�siraient modifier en profondeur les institutions de la colonie. S'il a pu appr�hender les faiblesses de la Constitution anglaise de 1791, il n'a pas �t� capable ni m�me tent� de comprendre les revendications d�mocratiques des Patriotes et des Canadiens fran�ais. Durham n'a jamais compris que le Conseil l�gislatif du Bas-Canada �tait une structure essentiellement anglophone, non �lue, et la principale cause des revendications des r�formistes. Il a encore moins compris que la dimension r�publicaine et anticoloniale des dol�ances des Patriotes, ni la col�re du peuple contre une �lite seigneuriale qui, dans un contexte de raret� des terres, abusait de ses privil�ges.

Pour Durham, le gouvernement imp�rial serait dans l'erreur s'il prenait au s�rieux les dol�ances des dirigeants canadiens qui font r�f�rence � la �libert� des peuples� du Nouveau Monde, sinon au mod�le am�ricain. � ses yeux, les Canadiens �taient dirig�s par des �fourbes� qui manipulaient une population �amorphe� et �d�cid�ment inf�rieure aux colons anglais�. Les revendications des �rebelles� ne m�ritaient m�me pas, selon lui, qu'on s'y attarde. Par contre, les r�formes demand�es par les marchands anglais lui semblaient appropri�es: l'octroi du gouvernement responsable, puis l'union du Haut et du Bas-Canada.

Son rapport � l'appui, lord Durham allait pr�coniser une s�rie de mesures assimilatrices. On aurait int�r�t � lire � ce sujet quelques-unes des recommandations de lord Durham reproduites dans le texte ci-joint (cliquer ici, s.v.p.). L'objectif final est clair:
 

Sans op�rer le changement ni trop vite ni trop rudement pour ne pas froisser les esprits et ne pas sacrifier le bien-�tre de la g�n�ration actuelle, la fin premi�re et ferme du Gouvernement britannique doit � l'avenir consister � �tablir dans la province une population de lois et de langue anglaises, et de n'en confier le gouvernement qu'� une Assembl�e d�cid�ment anglaise.

D'apr�s Durham, le fait de mettre les francophones dans un �tat de subordination politique et d�mographique devait permettre de les angliciser et d'assurer une majorit� anglaise, donc loyale � Sa Majest� britannique. D'o� la n�cessit� de peupler rapidement le Bas-Canada de �loyaux sujets de Sa Majest� et d'unir les deux Canadas, voire de former ult�rieurement une f�d�ration de toutes les colonies britanniques de l'Am�rique du Nord dans laquelle les Canadiens de langue fran�aise seraient d�finitivement mis en �tat de minorisation (suj�tion).

Durham consid�rait que les diff�rences ethniques et linguistiques �taient � l'origine des difficult�s dans le Bas-Canada et que laisser subsister ces diff�rences ne ferait qu'aggraver la situation. Il a choqu� les Canadiens fran�ais pour avoir affirmer que �c'est un peuple sans histoire et sans litt�rature�:
 

There can hardly be conceived a nationality more destitute of all that can invigorate and elevate a people, than that which is exhibited by the descendants of the French in Lower Canada, owing to their retaining their peculiar language and manners. They are a people with no history, and no literature. The literature of England is written in a language which is not theirs; and the only literature which their language renders familiar to them, is that of a nation from which they have been separated by eighty years of a foreign rule, and still more by those changes which the Revolution and its consequences have wrought in the whole political, moral and social state of France [On ne peut gu�re concevoir nationalit� plus d�pourvue de tout ce qui peut vivifier et �lever un peuple que les descendants des Fran�ais dans le Bas-Canada, du fait qu'ils ont gard� leur langue et leurs coutumes particuli�res. C'est un peuple sans histoire et sans litt�rature. La litt�rature anglaise est d'une langue qui n'est pas la leur ; la seule litt�rature qui leur est famili�re est celle d'une nation dont ils ont �t� s�par�s par quatre-vingts ans de domination �trang�re, davantage par les transformations que la R�volution et ses suites ont op�r�es dans tout l'�tat politique, moral et social de la France.]

Pourtant, lord Durham avait raison sur cet aspect de l'Histoire, car la colonisation avait �t� en partie responsable de la situation peu enviable des francophones. En effet, l'histoire des Canadiens avait �t� celle de la France, puis celle de la Grande-Bretagne. C'est la Couronne britannique qui avait contribu� � donner � l'�glise catholique une plus grande importance politique et identitaire, ce que Durham trouvait r�trograde. Les Canadiens n'avaient ni historiens, ni �crivains, ni dramaturges pour raconter leur pass�: c'�tait bel et bien une triste r�alit�.

Le �grand r�veil� allait se produire apr�s la publication du rapport de Durham, avec l'arriv�e de l'historien Fran�ois-Xavier Garneau (Histoire du Canada, 1845), des �crivains Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (Charles Gu�rin, 1846), Georges de Boucherville (Une de perdue, deux de trouv�es, 1849), Philippe-Aubert de Gasp� (Les Anciens Canadiens, 1863), ainsi que des c�l�bres po�tes Octave Cr�mazie (1827-1879) et Louis Fr�chette (1839-1908). L'historien Garneau sera celui qui aura une influence d�terminante, car c'est lui qui fa�onnera ou magnifiera les personnages historiques dans l'imaginaire qu�b�cois. De plus, ses th�ses patriotiques seront reprises par l'abb� Henri-Raymond Casgrain (1831-1904), l'abb� Lionel Groulx (1878-1967) et l'historien Guy Fr�gault (1918-1977). Toute l'histoire des francophones du Qu�bec sera d�finie pour longtemps comme une �Bible�, contre laquelle il ne faudra pas d�roger, gr�ce au premier historien F.-X. Garneau.

Ainsi, l'�chec de la r�bellion de 1837-1838 allait entra�ner des cons�quences d�terminantes pour le d�veloppement de la soci�t� canadienne-fran�aise. Profond�ment d��us et humili�s, les habitants se repli�rent davantage sur eux-m�mes et se r�sign�rent � leur sort. Pendant plus d'un si�cle, ils se retranch�rent dans la soumission, la religion, l'agriculture et le conservatisme. En r�alit�, les Britanniques ne pouvaient pas pr�voir la r�action de d�fense et d'identit� de la part des Canadiens de langue fran�aise, ni leur r�veil pour conserver leur culture et leur langue.

8.7 L'Union politique du Haut-Canada et du Bas-Canada
 

En juillet 1840, le Parlement britannique dota ses colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada d'une nouvelle constitution. Ce fut l'Acte d'Union. Le titre complet en anglais �tait le suivant: The Union Act, 1840, An Act to reunite the Provinces of Upper and Lower Canada and for the Government of Canada, Statutes of Great Britain (1840) 4 Vict., chapter 35.

Cette loi abolissait les deux colonies et leur assembl�e l�gislative, qui existaient depuis l'Acte constitutionnel de 1791. La nouvelle loi constitutionnelle cr�ait une seule colonie sous l'administration d'un gouverneur-g�n�ral. Le pouvoir l�gislatif �tait d�tenu par le Parlement de la �Province of Canada�, comprenant l'Assembl�e l�gislative (chambre basse, �lue) et le Conseil l�gislatif (chambre haute, nomm�e). La nouvelle colonie, la �Province of Canada�, fut proclam�e le 10 f�vrier 1841.

Par voie de cons�quence, le Haut-Canada et le Bas-Canada n'existaient plus, mais l'appellation �Bas-Canada� se perp�tuera jusqu'au XXe si�cle par les Canadiens fran�ais.

9 L'�tat de la langue fran�aise sous le R�gime britannique

Dans le domaine de la langue elle-m�me, le fran�ais du Canada ne subit plus de dirigisme de la part des �lites fran�aises puisque celles-ci avaient regagn� la France. En m�me temps, les Canadiens ne purent conna�tre les nombreuses transformations linguistiques qui ont lieu en France, notamment apr�s la r�volution de 1789. Or, la R�volution entra�na la mont�e de nouvelles classes sociales, qui introduisirent peu � peu leurs normes. Les francophones du Canada ne se pli�rent pas aux nouveaux usages parce qu'ils ne les conna�tront que plusieurs d�cennies plus tard.   

Dans les circonstances, le fran�ais d'Am�rique commen�a � �voluer dans un sens diff�rent de celui d'Europe. Certains particularismes phon�tiques et lexicaux, apport�s par les colons des XVIIe et XVIIIe si�cles, et qui avaient tout de m�me surv�cu malgr� l'implantation du fran�ais commun, r�apparurent, libres d�sormais de toute entrave. En m�me temps, la langue des Canadiens fran�ais s'impr�gna de fortes influences normandes et poitevines, en raison de l'important apport d�mographique de ces deux provinces de France. Parall�lement, son caract�re populaire s'accentua, alors que les emprunts � l'anglais commenc�rent � s'introduire en grand nombre.

9.1 Un fran�ais diff�renci�

Aussi, il n'est pas surprenant de constater que, d�s le d�but du XIXe si�cle, les diff�rences entre le fran�ais de France et celui du Canada �taient d�j� tr�s prononc�es. Lorsqu'on lit les t�moignages relatifs � cette �poque du r�gime britannique, il n'est plus question de �puret� de la langue chez les Canadiens fran�ais. En 1803, Constantin-Fran�ois de Volney (1757-1820), un voyageur fran�ais venu au Canada, �crivait:
 

Le langage des Canadiens de ces endroits n'est pas un patois comme on me l'avait dit, mais un fran�ais passable, m�l� de beaucoup de locutions de soldats.

Le fran�ais des Canadiens �tait alors devenu un fran�ais... �passable�. Il s'agit l� d'une des premi�res remarques d�pr�ciatives sur le parler des Canadiens. Et ce ne sera pas la seule!

En 1806, vint au Bas-Canada un voyageur anglais du nom de John Lambert (v. 1775 - 1820). Il y demeura en 1806 et en 1807, et visita Qu�bec, Montr�al, ainsi que les agglom�rations situ�es entre ces deux villes. Connaissant le fran�ais, Lambert s'est attach� � d�crire les us et coutumes de la population des villes et des campagnes qu'il visitait. Apr�s un s�jour aux �tats-Unis, il revint � Qu�bec en 1809 pour repartir presque imm�diatement pour Londres. L'ann�e suivante, il fit para�tre en trois volumes ses c�l�bres Travels, dont le long titre t�moigne du caract�re descriptif de l'�uvre: Travels through Lower Canada, and the United States of North America, in the years 1806, 1807, and 1808, to which are added, biographical notices and anecdotes of some of the leading characters in the United States ; and of those who have, at various periods, borne a conspicuous part in the politics of that country. Son �uvre fut publi�e en fran�ais en 2006 sous le titre de Voyage au Canada dans les ann�es 1806, 1807 et 1808, � Qu�bec aux �ditions du Septentrion. Voici quelques commentaires dignes d'�tre mentionn�s (en traduction fran�aise):

Les Fran�ais sont en nette majorit� � la Chambre d'Assembl�e. Par cons�quent, les interventions se font le plus souvent en fran�ais. En effet, tous les membres anglais comprennent et parlent cette langue, alors que tr�s peu de membres fran�ais ont la moindre connaissance de l'anglais. [...]

Un curieux jargon a cours sur le march�, entre les Fran�ais qui ne comprennent pas l'anglais et les Anglais qui ne comprennent pas le fran�ais. Chacun essaie de rencontrer l'autre � mi-chemin, dans sa propre langue; de cette mani�re, ils r�ussissent � se comprendre mutuellement au moyen de tournures boiteuses. Les �changes entre les Fran�ais et les Anglais ont forc� les premiers � int�grer de nombreux anglicismes dans leur langue, ce qui, pour un �tranger arrivant d'Angleterre et ne parlant que le fran�ais d'�cole, est au d�but assez d�concertant. Les Canadiens ont eu la r�putation de parler le fran�ais le plus pur; mais je mets en doute qu'ils le m�ritent � l'heure actuelle. [...]

Avant la conqu�te du pays par les Anglais, les habitants �taient r�put�s pour parler un fran�ais aussi pur et aussi correct que dans l'ancienne France. Depuis lors, ils ont adapt� beaucoup d'anglicismes dans leur langue et ont aussi plusieurs expressions d�su�tes, qui doivent probablement provenir de leurs contacts avec les nouveaux colons. Pour froid, ils prononcent fr�te. Pour ici, ils prononcent icite. Pour pr�t, ils prononcent parr� �  en plus de plusieurs autres mots d�suets dont je ne me souviens pas � pr�sent.

Une autre pratique corrompue tr�s commune parmi eux, c'est de prononcer les lettres finales de leurs mots, ce qui est contraire � la tradition du fran�ais europ�en. Cela doit peut �tre aussi avoir �t� acquis au cours des communication durant cinquante ans avec les colonisateurs britanniques; sinon, ils n'ont jamais m�rit� l'�loge de parler un fran�ais pur. 

John Lambert �tait un voyageur et un aquarelliste, pas un sp�cialiste de la langue; il ignorait que les traits qu'il remarquait chez les Canadiens (fr�te, icitte, par�, lettres finales) n'�taient pas dus � l'influence des colons britanniques, mais provenaient d'archa�smes phon�tiques et lexicaux en usage dans la France des deux si�cles pr�c�dents. 

� partir du d�but du XIXe si�cle, le ton semble �tre donn� quant � la perception qu'auront les voyageurs sur la langue des Canadiens. Entre 1810 et 1900, les historiens ont relev� 47 t�moignages de voyageurs ayant fait des commentaires sur la langue parl�e par les Canadiens. Ces appr�ciations seront toutes n�gatives! Ainsi, en une quarantaine d'ann�es, les �loges sur la langue des Canadiens ont fait place aux critiques d�pr�ciatives. Que s'est-il donc pass�? Les Canadiens auraient-ils chang� leur langue aussi rapidement? En fait, leur langue n'a justement que fort peu chang�, elle est rest�e assez similaire � celle de l'Ancien R�gime. Par contre, la langue des Fran�ais, elle, a �t� modifi�e consid�rablement, notamment avec la R�volution (1789) et la mont�e des nouvelles classes sociales. � Paris, sous la Restauration (entre 1814 et 1830), le style soutenu (ou discours public) de la bourgeoisie avait d�finitivement supplant� le style familier (ou bel usage) de la cour et des salons, alors qu'au Canada seul le style familier avait surv�cu.

Au Canada, quelques hommes de lettres se mirent � r�diger des glossaires sur les mots �vulgaires� ou �bizarres�, les �locutions vicieuses� et les anglicismes employ�s par les gens du peuple. � titre d'exemple, le premier maire de Montr�al, de 1833 � 1836, Jacques Viger (1787-1858), un nationaliste engag� aupr�s du c�l�bre homme politique que fut Louis-Joseph Papineau (1786-1871), entreprit en 1810 la r�daction d'une œuvre qu'il ne publia jamais, mais dont le titre en est tr�s significatif: N�ologie canadienne ou Dictionnaire des mots cr��s en Canada et maintenant en vogue, des mots dont la prononciation et l'orthographe sont diff�rents de la prononciation et orthographe fran�aise, quoique employ�s dans une acceptation semblable ou contraire, et des mots �trangers qui se sont gliss�s dans notre langue.

9.2 Un fran�ais d�j� anglicis�

Dans le journal L'Aurore du 17 juillet 1817, un lecteur, qui signait �Un Qu�b�cois�, s'indignait des corruptions langagi�res et des anglicismes utilis�s dans la langue parl�e des Canadiens: 
 

Les anglicismes et surtout les barbarismes sont d�j� si fr�quents qu'en v�rit� je crains fort que bient�t nous ne parlions plus la langue fran�aise, mais un jargon semblable � celui des �les Jersey et Guernesey.

Voyageant en Am�rique, Alexis de Tocqueville (1805-1859), penseur politique, homme politique, historien et �crivain fran�ais, vint passer quelques jours au Bas-Canada en ao�t 1831. Ses �crits comptent de nombreuses pages consacr�es � la population, � la destin�e historique et � la situation politique et culturelle du Bas-Canada dans l'Empire britannique. Il fut particuli�rement frapp� par l'influence de la langue anglaise dans la vie des Canadiens. Apr�s avoir lu le seul journal francophone, Le Canadien, Tocqueville �crivit: �En g�n�ral, le style de ce journal est commun, m�l� d'anglicismes et de tournures �trang�res.� Ayant assist� � une plaidoirie dans un tribunal de Qu�bec, il fit en 1831 cet �trange commentaire (Voyages en Sicile et aux �tats-Unis):
[...] L'avocat de la d�fense se levait avec indignation et plaidait sa cause en fran�ais, son adversaire lui r�pondait en anglais. On s'�chauffait de part et d'autre dans les deux langues sans se comprendre sans doute parfaitement. L'Anglais s'effor�ait de temps en temps d'exprimer ses id�es en fran�ais pour suivre de plus pr�s son adversaire; ainsi faisant parfois celui-ci. Le juge s'effor�ait tant�t en anglais, tant�t en fran�ais, de remettre de l'ordre. Et l'huissier criait: Silence! en donnant alternativement � ce mot la prononciation anglaise et fran�aise. [...]

Les avocats que je vis l� et qu'on dit les meilleurs au Qu�bec ne firent preuve de talent ni dans le fond des choses ni dans la mani�re de dire. Ils manquent particuli�rement de distinction, parlent fran�ais avec l'accent normand des classes moyennes. Leur style est vulgaire et m�l� d'�tranget�s et de locutions anglaises. Ils disent qu'un homme est charg� de dix louis. � Entrez dans la bo�te, dirent-ils au t�moin pour lui indiquer de se placer dans le banc o� il doit d�poser. L'ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d'incoh�rent, de burlesque m�me.  [...]

Le fond de l'impression qu'il faisait na�tre �tait cependant triste. Je n'ai jamais �t� plus convaincu qu'en sortant de l� que le plus grand et plus irr�m�diable malheur pour un peuple c'est d'�tre conquis.

Il remarqua �galement que les Anglais et les Canadiens formaient deux soci�t�s distinctes au Canada et il est frapp� par l'omnipr�sence de l'anglais dans l'affichage � Montr�al:

Les villes, et en particulier Montr�al (nous n'avons pas encore vu Qu�bec), ont une ressemblance frappante avec nos villes de province. Le fond de population et l'immense majorit� est partout fran�aise. Mais il est facile de voir que les Fran�ais sont le peuple vaincu. Les classes riches appartiennent pour la plupart � la race anglaise. Bien que le fran�ais soit la langue presque universellement parl�e, la plupart des journaux, les affiches, et jusqu'aux enseignes des marchands fran�ais sont en anglais. Les entreprises commerciales sont presque toutes en leurs mains. C'est v�ritablement la classe dirigeante au Canada.
Pour ce qui est de la ville de Qu�bec, Tocqueville �crivait encore: �Toute la population ouvri�re de Qu�bec est fran�aise. On n'entend parler que du fran�ais dans les rues. Cependant, toutes les enseignes sont anglaises.� Alexis de Tocqueville remarqua aussi que les membres du clerg� parlaient ce qui lui paraissait comme un fran�ais  tr�s correct:
Tous les eccl�siastiques que nous avons vus sont instruits, polis, bien �lev�s. Ils parlent le fran�ais avec puret�. En g�n�ral, ils sont plus distingu�s que la plupart de nos cur�s de France.

Tocqueville rapporte aussi ce t�moignage d'un anglophone:

Ce qui maintient surtout votre langue ici, c'est le clerg�. Le clerg� forme la seule classe �clair�e et intellectuelle qui ait besoin de parler fran�ais et qui le parle avec puret�

Malgr� la sympathie qu'il affichait � l'endroit des Canadiens, de Tocqueville croyait qu'ils �taient vou�s in�luctablement � devenir minoritaires dans une Am�rique du Nord massivement anglaise. �Ce sera une goutte d'eau dans l'oc�an�, pr�disait-il au sujet des Canadiens fran�ais. Rappelons aussi que l'analphab�tisme des Canadiens caract�rise cette p�riode. Les projets de cr�ations d'�coles publiques, g�n�ralement teint�es de vis�es assimilatrices, se heurt�rent � une vive opposition de la part du clerg� catholique.

9.3 L'�volution du fran�ais de France

Il ne faut pas oublier que, si le fran�ais du Canada se diff�renciait, c'est surtout parce que le fran�ais de France avait �volu� consid�rablement entre 1760 et 1810. Or, ces changements n'ont pas �t� connus au Canada avant le milieu du XIXe si�cle. En voici quelques exemples:

- la prononciation ou� [w�] passa � oua [wa]: pw�re devint pware (poire); ainsi que pour les mots du m�me type (poisson, boisson, voir, croire, etc.);
- la prononciation [�] passa � [wa]: dret devint drwat (droit), ainsi que pour adret (adroit), etret (�troit), endret (endroit), neyer (noyer), etc.):
- la prononciation en [eu] devint [�]: hureux devint heureux, ucharistie devint eucharistie, etc.
- la prononciation [�] passa � [�]: p�re > p�re, m�re > m�re, fr�re > fr�re, lumi�re > lumi�re, bi�re > bi�re, etc.
- la prononciation [ar] passa � [�r]: parte > perte, sarviette > serviette, etc.  

Ces changements dans la langue fran�aise ne furent pas les seuls et ils ont creus� un �cart consid�rable entre le fran�ais canadien et le fran�ais europ�en. Par le fait m�me, les voyageurs �trangers percevront ces diff�rences comme �archa�ques�, �provinciales�, �populaires�, voire �paysannes�. Autrement dit, si le parler des Canadiens n'avait pas beaucoup chang� depuis la fin du R�gime fran�ais, celui des Fran�ais de la r�gion parisienne avait �t� consid�rablement modifi�, surtout apr�s la r�volution de 1789 et encore plus sous la Restauration (1814-1830). Les prononciations qui avaient cours sous l'Ancien R�gime ne r�ussirent � se maintenir que dans certaines provinces de France et certaines classes sociales populaires de Paris, mais aussi dans la plupart des colonies antillaises (Martinique et Guadeloupe) et celles de l'oc�an Indien (La R�union, Maurice et Seychelles). 

De plus, le vocabulaire fran�ais avait subi en France de grands bouleversements en raison des nouvelles r�alit�s politiques et sociales. Tout le vocabulaire politique administratif s'est modifi� avec la disparition des mots relatifs � l'Ancien R�gime et la cr�ation de mots nouveaux ou employ�s avec un genre nouveau. Mais le fran�ais europ�en ne fut pas envahi par des mots �populaires�. Apr�s tout, c'est la bourgeoisie qui dirigeait les assembl�es d�lib�rantes, qui orientait les d�bats, qui alimentait les id�es r�volutionnaires et qui contr�lait le pouvoir dont le peuple �tait �cart�. Ces divers changements n'ont �t� connus au Canada que tardivement.

� partir de 1763, la Nouvelle-France n'est plus fran�aise, mais en 1783 la Nouvelle-Angleterre ne sera plus anglaise. L'Europe parlait fran�ais, mais l'anglais allait devenir la langue dominante de l'Am�rique du Nord. Pr�s d'une d�cennie avant lord Durham (1839-1840), le Fran�ais Alexis de Tocqueville (1805-1859) et beaucoup d'autres �taient convaincus de la disparition prochaine des Canadiens fran�ais.

Au cours de la p�riode s'�tendant de 1763 jusqu'en 1840, l'administration de la colonie n'a pas �t� exempte d'erreurs. En effet, les autorit�s britanniques de la M�tropole, pourtant fi�res de leur  d�mocratie parlementaire, ont con�u une Chambre d'assembl�e au Canada o� seuls les protestants pouvaient voter. Elles ont accord� au gouverneur et � l'Ex�cutif une liste civile qui les mettait � l'abri de la volont� populaire. En minimisant le principe �pas de taxe sans repr�sentation� ("no taxation without representation"), les dirigerants britanniques ont fait en sorte d'accaparer presque tous les postes au Conseil l�gislatif en �tant bien conscients qu'une telle op�ration allait paralyser la vie politique de la colonie et faisait d'eux les protagonistes du syst�me machiav�lique qui consistait � �diviser pour r�gner�. Lors de la r�volte des Patriotes, les Britanniques ont institu� une cour martiale, plut�t qu'un cour civile, pour juger les individus accus�s de �trahison�; ils leur ont refus� des avocats francophones sous le pr�texte que des rebelles ne pouvaient d�fendre des rebelles. Jamais les Britanniques n'auraient bafou� de la sorte leur propre syst�me d�mocratique en Grande-Bretagne. Une telle attitude de la part des autorit�s britanniques t�moignait de la volont� d'assimiler la population. N�anmoins, contre toute attente, les Canadiens du Bas-Canada surv�curent. Ce fut l'histoire du si�cle et demi suivant.


Derni�re mise � jour: 24 octobre, 2024


Histoire du fran�ais au Qu�bec

 


(1) La Nouvelle-France
(1534-1760)

 

(2)
Le r�gime britannique (1760-1840)

 

(3)
L'Union et la Conf�d�ration (1840-1960)

 

(4)
La modernisation du Qu�bec (1960-1981)

 

(5)
R�orientations et nouvelles strat�gies (de 1982 � aujourd'hui
)
 

(6)
Bibliographie g�n�rale

 


Histoire de la langue fran�aise



 

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