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La modernisation du Qu�bec
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Plan de l'article
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La modernisation du Qu�bec constitue un ph�nom�ne
� la fois politique, �conomique, social, culturel et, comme
il se doit, linguistique. � partir de 1960, le Qu�bec passa
du conservatisme cl�rico-politique et de l'immobilisme socioculturel
� l'�re du modernisme, du changement, de la revalorisation
politique, en fonction des int�r�ts �conomiques de
la nation. Ces changements n'avaient rien de r�volutionnaire en
soi, mais ils permirent au Qu�bec de rattraper son retard et de
prendre place au sein des soci�t�s industrialis�es
et post-industrielles. L'�tat qu�b�cois mit ainsi
fin � une longue tradition de non-interventionnisme et devint, au
cours des deux d�cennies suivantes, le principal moteur du d�veloppement
collectif.
La langue fran�aise, quant � elle, se transforma en une arme de combat et en symbole de lib�ration d'une soci�t� qui n'acceptait plus son statut de minorit� plus ou moins ali�n�e. Cette nouvelle vision de la langue, pass�e du stade d�fensif au stade offensif, a engendr� �l'�poque des lois linguistiques�, c'est-�-dire la loi 63 (Loi pour promouvoir la langue fran�aise au Qu�bec, 1969), la loi 22 (Loi sur la langue officielle, 1974) et la loi 101 (Charte de la langue fran�aise, 1977). Du statut de langue nationale des Canadiens fran�ais, le fran�ais acc�da au statut de langue �tatique, aboutissement ultime d'un long processus de lib�ration nationale.
En juillet 1965, le Parti lib�ral du Qu�bec, dirig� alors par Jean Lesage, prit le pouvoir et entreprit la r�alisation de son programme sous le th�me �C'est le temps que �a change�. Surnomm� �le p�re de la R�volution tranquille�, cet ancien d�put� et ministre du Parti lib�ral du Canada voulut transformer les institutions et les mentalit�s qu�b�coises au moyen d'un programme �lectoral qui allait bien au-del� de simples r�formes �conomiques. C'est ainsi que commen�a la R�volution tranquille, une p�riode exaltante de d�blocage caract�ris�e notamment par l'av�nement de l'�tat moderne et l'action socio-�conomique, l'affirmation de l'identit� qu�b�coise et la prise de conscience linguistique.
1.1 L'av�nement de l'�tat moderne
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Avant d'aborder la question purement linguistique, il convient de rappeler les grandes lignes de force de cette p�riode, lesquelles sont n�cessaires pour comprendre la politique de la langue fran�aise que s'est donn�e le Qu�bec par la suite. Profitant d'une forte croissance �conomique, le gouvernement de Jean Lesage remodela profond�ment l'�tat qu�b�cois en investissant massivement dans des projets publics majeurs, notamment par la nationalisation des richesses naturelles et la cr�ation des soci�t�s d'�tat. Pr�occup� par l'ind�pendance et la comp�tence de l'�tat qu�b�cois, Jean Lesage entreprit une vaste r�forme de l'enseignement public dont l'apog�e fut certainement la cr�ation du minist�re de l'�ducation en 1964. La p�riode Lesage vit �galement la cr�ation du minist�re des Affaires culturelles, du minist�re du Revenu et du minist�re des Affaires f�d�rales-provinciales. De plus, la repr�sentation du Qu�bec � l'�tranger fut d�velopp�e, avec l'inauguration des D�l�gations g�n�rales du Qu�bec � Paris en 1961 et � Londres en 1963. |
Le gouvernement r�organisa la fonction publique, qui vit grossir ses effectifs de 53 %, alors que le nombre des employ�s des secteurs parapublics (ou paragouvernementaux) s'accroissait de 93 %. L'�tat qu�b�cois put alors compter sur un corps de technocrates et de sp�cialistes pour effectuer l'entreprise de rattrapage.
Les priorit�s all�rent d'abord aux services sociaux et � l'�ducation, lesquels se la�cis�rent au profit de l'�tat. Du c�t� des services sociaux, ce fut l'assurance-hospitalisation, le r�gime des rentes, l'aide sociale, le rel�vement du salaire minimum, le nouveau r�gime d'assurance-ch�mage, etc. Du c�t� de l'�ducation, ce fut la cr�ation du minist�re de l'�ducation (1964) et l'institution des c�geps (1967), ce qui permit d'augmenter les effectifs scolaires de 101 % au secondaire, de 82 % au coll�gial et de 169 % � l'universit�.
L'�tat qu�b�cois intervint �galement dans l'�conomie. Pour stimuler la participation des francophones au d�veloppement �conomique, on cr�a des entreprises publiques telles que Hydro-Qu�bec, la SGF (Soci�t� g�n�rale de financement), Sidbec-Dosco pour la sid�rurgie, SOQUEM pour les mines, la Caisse de d�p�t et de placement, etc. Ajoutons aussi la construction de l'infrastructure autorouti�re et les grands projets hydro-�lectriques. Ces mesures t�moignaient de la nouvelle conception capitaliste de l'�tat, devenu pourvoyeur de capitaux et cr�ateur d'emplois pour les francophones.
Cet effort de modernisation acc�l�r�e exigea cependant de nouvelles sources de revenus. Apr�s d'intenses n�gociations avec le gouvernement f�d�ral, le Qu�bec obtint certains avantages fiscaux lui permettant de poursuivre ses objectifs sociaux et �conomiques.
1.2 L'affirmation de l'identit� qu�b�coise
L'affirmation de l'identit� qu�b�coise constitue l'un des traits caract�ristiques de cette p�riode. Les mots nation et Qu�bec devinrent synonymes; les francophones de la province de Qu�bec ne se d�finirent plus comme des Canadiens fran�ais, mais comme des Qu�b�cois. Secouant leur vieux complexe d'inf�riorit�, ceux-ci pass�rent du nationalisme d�fensif au nationalisme offensif et progressiste; ils devinrent ainsi conscients qu'ils pouvaient prendre en main leur propre destin. � l'instar de nombreuses autres minorit�s dans le monde, la fi�vre autonomiste gagna le Qu�bec, qui vit na�tre plusieurs mouvements ind�pendantistes dont le RIN (Rassemblement pour l'ind�pendance nationale), le RN (Ralliement national) et le MSA (Mouvement souverainet�-association) qui allait devenir le Parti qu�b�cois. Dans le m�me ordre d'id�e, la province de Qu�bec devint simplement le Qu�bec. Les premiers ministres et ministres du gouvernement qu�b�cois utilisaient m�me lexpression l�tat du Qu�bec.
Parall�lement, le changement de nom de Canadiens fran�ais en Qu�b�cois eut pour effet dentra�ner de nouvelles d�nominations aux autres Canadiens fran�ais � lexception des Acadiens des provinces anglaises. Ainsi, apparurent les d�nominations de Franco-Ontariens, de Franco-Manitobains, de Franco-Albertains, de Fransaskois, Franco-Colombiens, etc. Pour les Qu�b�cois, il s'agissait simplement des francophones hors-Qu�bec. Vu sous cet angle, les francophones des autres provinces se trouvaient ainsi d�finis exclusivement par rapport au Qu�bec.
Tout ce rattrapage institutionnel, �conomique, social et id�ologique favorisa un essor sans pr�c�dent de la vie intellectuelle et de la production culturelle. Ax�s sur la sp�cificit� qu�b�coise, la chanson, la t�l�vision, la litt�rature, le th��tre et le cin�ma exprim�rent la nouvelle soci�t� urbaine et industrialis�e, qui sortait d'une longue torpeur. Parall�lement, le Qu�bec quitta son isolement et reprit contact avec la France: la D�l�gation g�n�rale du Qu�bec � Paris, les ententes de coop�ration franco-qu�b�coise, les visites officielles et les tapis rouges, etc. Cette politique d'ouverture sur le monde montrait que le Qu�bec n'�tait pas seulement un �tat f�d�r� parmi les autres, mais se voulait aussi l'instrument politique d'un peuple distinct dans la grande Am�rique du Nord.
1.3 La prise de conscience linguistique et la querelle du �joual�
Les �v�nements de la R�volution tranquille projet�rent � l'avant-sc�ne la question linguistique. Celle-ci cessa d'�tre une question de langue pour devenir � la fois une question id�ologique, d�mographique, scolaire, �conomique et politique. Dans les faits, les gouvernements ne sont pas intervenus dans le domaine linguistique, mais toutes les id�es-forces d'une politique de la langue sont apparues � ce moment et ont pr�par� �l'�poque des lois linguistiques� qui allait suivre.
- Le purisme linguistique
La soci�t� qu�b�coise traditionnelle avait pris du retard sur le reste du monde occidental et il lui fallait le rattraper. Au plan linguistique, cela s'est traduit par une recrudescence du purisme � l'�gard du fran�ais, c'est-�-dire par un souci excessif de la puret� de la langue. Le fran�ais parl� au Qu�bec paraissait tellement �arri�r�, �d�grad� et �corrompu� par l'anglais qu'il �tait urgent de renouer le cordon ombilical avec la m�re patrie (la France), seule force capable de faire �chec � cette �contamination� end�mique et de bloquer l'assimilation.
D'o� le ph�nom�ne du
joual, dont
le c�l�bre Fr�re Untel se fit le champion en 1960 dans Les insolences du
Fr�re Untel. Le mot �joual� provient de la langue parl�e populaire, alors
que �cheval� est prononc� �joual�. Le dictionnaire Le Robert d�finit
ainsi �joual�:
Mot utilis� au Qu�bec pour
d�signer globalement les �carts (phon�tiques, lexicaux, syntaxiques;
anglicismes) du fran�ais populaire canadien, soit pour les stigmatiser,
soit pour en faire un symbole d'identit� (cf. Franco-canadien, qu�b�cois).
Des jouals. Parler joual
ou
JOUALISER
v. intr.
<conjug. : 1>.
Personne qui joualise
ou
JOUALISANT, ANTE
adj. et n.
� Adj.
JOUAL,
JOUALE
(parfois
inv. en genre)
� La langue jouale � (J.-P. Desbiens). � La grammaire
joual � (R. Ducharme).
Le joual �tait pour le Fr�re Untel une �d�composition� qu'il consid�rait comme le symbole de l'ali�nation collective des Qu�b�cois: �Cette absence de langue qu'est le joual est un cas de notre inexistence, � nous, les Canadiens fran�ais.� On allait retrouver le m�me discours pendant plus d'une d�cennie, comme en fait foi cet �ditorial paru dans La Presse (Montr�al) en 1973:
Si l'on entend par l� un m�lange d'anglais et de fran�ais largement farci de jurons ou d'expressions orduri�res... on ne peut h�siter un instant. Il faut l'emp�cher de triompher, car il s'agit alors d'un jargon pour initi�s, d'un dialecte tribal quelconque qui ne saurait pr�tendre v�hiculer une r�elle culture. C'est un langage plus pr�s de l'animal que de l'homme.
Au d�but des ann�es soixante, la conception dominante de la norme que se faisait la soci�t� � cette �poque fut expos�e dans l'une des premi�res publications de l'Office de la langue fran�aise intitul�e Norme du fran�ais �crit et parl� au Qu�bec. Il s'agissait d'une norme id�alis�e qui n'admettait que peu de diff�rences morphologiques, syntaxique et phon�tique par rapport � la vari�t� des classes instruites et bourgeoises de Paris:
L'Office estime que, pour r�sister aux pressions �normes qu'exerce sur le fran�ais du Qu�bec le milieu nord-am�ricain de langue anglaise, il est indispensable de s'appuyer sur le monde francophone: cela veut dire que l'usage doit s'aligner sur le fran�ais international, tout en faisant sa place � l'expression des r�alit�s sp�cifiquement nord-am�ricaines.
Dans le domaine du vocabulaire, l'Office de la langue fran�aise (aujourd'hui Office qu�b�cois de la langue fran�aise) n'admettait, toujours dans cette publication mentionn�e, que les canadianismes �qui se rapportent � des r�alit�s canadiennes pour lesquelles le fran�ais n'a pas d'�quivalents� (maskinong�, sucre d'�rable, banc de neige, ceinture fl�ch�e, etc.), ou �les seuls anglicismes qui se justifient�, c'est-�-dire �ceux qui comblent des lacunes�.
- Le joual et le fran�ais �pouilleux�
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Cette conception de la norme �europ�anisante� ne pouvait faire l'unanimit� � une �poque centr�e sur la qu�b�cit�. D'autres croyaient au contraire � la l�gitimit� d'une �langue qu�b�coise�. Au �joual-m�pris�, s'opposa le �joual-fiert� qui prenait ses racines dans la valorisation de la sp�cificit� qu�b�coise et exprimait � sa fa�on la contestation d'une soci�t� d�pendante. Un courant litt�raire important adopta m�me le joual comme instrument d'expression privil�gi�. Michel Tremblay, dramaturge et auteur des Belles-Soeurs (une pi�ce �crite en joual), justifiait ainsi sa position (dans La Presse, Montr�al, 16 juin 1973) : |
On n'a plus besoin de d�fendre le joual, il se d�fend tout seul. Cela ne sert � rien de se battre ainsi. Laissons les d�tracteurs pour ce qu'ils sont: des complex�s, des snob ou des colonis�s culturels. Laissons-les brailler, leurs chi�lements n'emp�cheront pas notre destin de s'accomplir. Le joual en tant que tel se porte � merveille; il est plus vivace que jamais... Quelqu'un qui a honte du joual, c'est quelqu'un qui a honte de ses origines, de sa race, qui a honte d'�tre qu�b�cois.
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Enfin, un fait, apparemment anodin, m�rite d�tre
relev�. En 1968, le ministre f�d�ral de la Justice,
Pierre Elliot Trudeau (qui deviendra premier ministre du Canada), accusa
en anglais les Qu�b�cois de parler un Lousy French, c'est-�-dire un fran�ais
�pouilleux�, ce qui a d�clench� un toll� de protestations. Dans une allocution
prononc� le 28 janvier 1968, Trudeau pr�cisa quil ne saurait �tre
question daccorder des droits linguistiques � des gens qui parlaient
un si mauvais fran�ais.
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Les Qu�b�cois furent profond�ment
choqu�s de cette accusation, surtout parce quelle liait leurs droits
linguistiques et politiques � la qualit� de leur langue. Le linguiste
qu�b�cois Gilles-R. Lef�bre commentait ainsi l'attitude du Lousy French:
Nous croyons pouvoir affirmer sans trop de risque d'erreur que l'attitude du Lousy French et le choix linguistique qu'elle entra�ne recueillent la faveur d'une bonne partie de l'�lite �conomique et politique des Canadiens fran�ais (f�d�ralistes), attitude qui se double assez paradoxalement d'une solide francophobie accompagn�e d'une pratique du bilinguisme franco-anglais. Toutefois, il nous faut apporter ici des nuances quant au choix linguistique des tenants du Lousy French : il n'est pas assur� que tous soient capables ou m�me d�sireux d'aller jusqu'au bout de ce choix. |
La �crise� entre les tenants du fran�ais et ceux du joual a sembl� prendre fin lorsque ces derniers ont fini par d�poser les armes, mais elle t�moignait �loquemment du sentiment d'ali�nation collective propre � cette �poque.
Il n�en demeure pas moins que cette controverse du joual ne semble jamais avoir �t� d�finitivement enterr�e, parce que des ouvrages ont �t� publi�s sur cette question jusqu�en 1996-1998, par exemple, les essais sur le langage qu�b�cois de l'auteur-compositeur-interpr�te Georges Dor, d�c�d� en juillet 2001: (1996) Anna braill� �ne shot (sous-titre: �Elle a beaucoup pleur�), (1997) Ta m� tu l�? (sous-titre: �Ta m�re est-elle l�?�), (1998) Les qui qui et les que que ou le fran�ais tortur� � la t�l� (sous-titre: �Troisi�me et dernier essai sur le langage parl� des Qu�b�cois�). � coup s�r, tout francophone qui lit l'un de ces ouvrages y perd son latin! Cela �tant dit, jamais un Qu�b�cois �normal� ne parlera comme un �Fran�ais�; rares sont les Qu�b�cois qui tiennent uniquement au �fran�ais de France� ou uniquement au joual. En g�n�ral, on peut affirmer que la quasi-totalit� des Qu�b�cois pr�conise cependant un �fran�ais qu�b�cois�. Autrement dit, les Qu�b�cois francophones ont tr�s largement perdu leur sentiment d'inf�riorit� linguistique face au �fran�ais de France� et, pour la plupart, �bien parler� signifie parler un �fran�ais qu�b�cois correct�.
1.4 L'�volution d�mographique des francophones
L'avenir d�mographique des francophones est une autre question qui souleva bien des inqui�tudes au cours de la d�cennie 1960. Gr�ce � leur surf�condit� (8,3 enfants par femme aux XVIIIe et XIXe si�cles), les francophones avaient r�ussi � compenser le jeu des mouvements migratoires favorables aux anglophones; ils avaient ainsi toujours maintenu leur �quilibre d�mographique, qui oscillait autour de 80 % au Qu�bec. Or, le recensement de 1961 r�v�la que cet �quilibre traditionnel se trouvait rompu avec la fin de la surnatalit� des francophones. De plus, l'immigration canadienne favorisait une augmentation des anglophones dans une proportion de 23 % contre 1 % seulement en faveur des francophones.
�tant donn� que l'immigration continuait de grossir le groupe anglophone au Qu�bec, la question linguistique se pr�sentait d�sormais sous un nouvel angle. En effet, quelque quinze ans plus tard, les d�mographes Charbonneau, Henripin et L�gar� d�claraient qu'il �tait possible qu'en l'an 2000 le pourcentage de francophones puisse tomber � 71 % pour l'ensemble du Qu�bec et � 53 % pour la r�gion m�tropolitaine de Montr�al. Montr�al pourrait perdre ainsi sa majorit� francophone!
En 1967, le Rapport du Comit� interminist�riel sur l'enseignement des langues aux N�o-Canadiens r�v�lait que �la communaut� franco-qu�b�coise n'avait pratiquement aucun pouvoir assimilateur� aupr�s des immigrants venant s'installer sur son territoire. Entre 1946 et 1966, le Qu�bec avait accueilli environ 500 000 immigrants; de ce nombre, 50 000 �taient francophones. Or, les immigrants optaient dans une proportion de 90 % pour la langue dominante, l'anglais. Dans le rapport interminist�riel, on constatait �galement que les N�o-Qu�b�cois et les francophones constituaient environ 80 % des effectifs scolaires du secteur anglo-catholique de la CECM (� l�poque: la Commission des �coles catholiques de Montr�al) et ceux du PSBGM (� l�poque: le Protestant School Board of the Greater Montreal). Les immigrants contribuaient ainsi � l'anglicisation du Qu�bec et amor�aient m�me un processus de minorisation de la majorit� francophone, d'apr�s ce m�me rapport:
� moins d'attendre un hypoth�tique miracle, on doit bien convenir qu'une immigration nombreuse jouant � 90 % ou � 95 % en faveur de la minorit� anglophone ne peut aboutir qu'� r�duire constamment l'importance de la langue fran�aise au Qu�bec et � amorcer un processus de �minorisation� de la communaut� francophone au Qu�bec.
Toute cette question relative au probl�me scolaire allait �tre � l'origine de la premi�re loi linguistique vot�e � l'Assembl�e nationale, en 1969. En attendant, la question alimentait les controverses et les revendications des francophones.
1.5 La domination socio-�conomique de l'anglais
La Commission royale d'enqu�te sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton), institu�e par le gouvernement f�d�ral, publia un Rapport pr�liminaire en 1965, apr�s avoir re�u au-del� de 400 m�moires; les autres tranches du rapport s'�chelonn�rent jusqu'en 1970. Certaines r�v�lations eurent l'effet d'une v�ritable douche froide sur les francophones. Tout le monde savait que l'anglais �tait la v�ritable langue du travail au Qu�bec, de m�me que celle de la promotion sociale, du commerce, des affaires et de l'affichage: la Commission ne r�v�la rien de neuf � ce sujet. Mais on ignorait que:
- 83 % des administrateurs et cadres du Qu�bec
�taient anglophones;
- les francophones du Qu�bec avaient un revenu
moyen inf�rieur de 35 % � celui des anglophones;
- les francophones arrivaient au 12e
rang dans
l'�chelle des revenus selon l'origine ethnique, avant les Italiens
et les Am�rindiens;
- � instruction �gale, les francophones
gagnaient moins que tous les autres groupes linguistiques;
- les anglophones unilingues gagnaient plus que les bilingues
anglophones ou francophones;
- m�me assimil�, un francophone ne r�ussissait
pas mieux;
- depuis 30 ans, la situation n'avait fait qu'empirer.
Ces faits �tal�s et r�v�l�s par une enqu�te f�d�rale furent consid�r�s comme une v�ritable provocation chez les francophones, qui constataient que le Qu�bec repr�sentait, au point de vue du revenu, un �paradis� pour les anglophones. M�me le bilinguisme tant exalt� ne paraissait pas avoir une forte influence sur les revenus. La connaissance du fran�ais ne pr�sentait aucun avantage �conomique pour les anglophones; la connaissance de l'anglais, pour un francophone, entra�nait un tr�s faible avantage financier, et celui-ci �tait d� au fait que les bilingues �taient plus instruits et exer�aient des professions mieux r�mun�r�es.
Les termes bilinguisme et unilinguisme firent fureur au cours de la d�cennie 1960-1970. On consid�rait le bilinguisme pratiqu� au Qu�bec comme un suicide collectif parce qu'il �tait assum� par les seuls francophones et qu'il entra�nait la contamination linguistique. La population revendiquait un �visage fran�ais� pour le Qu�bec et certains n'h�sitaient pas � parler d'unilinguisme, � exiger que le fran�ais devienne la langue du travail, de l'affichage, de la signalisation routi�re, des raisons sociales.
De plus en plus, l'id�e d'adopter des mesures l�gislatives � cet �gard se r�pandait dans la population. Mais les politiciens de la R�volution tranquille n'os�rent pas intervenir, jugeant que la question �tait beaucoup trop explosive.
Dans les ann�es soixante, les deux grandes communaut�s linguistiques, anglophones et francophones, n'�taient pas encore parvenus � s'entendre. Le Qu�bec, de son c�t�, vivait une p�riode d'effervescence � la R�volution tranquille �, qui en fut une de d�blocage, caract�ris�e par l'av�nement d'un �tat plus moderne et l'action socio-�conomique, l'affirmation de l'identit� qu�b�coise et la prise de conscience linguistique. Pour beaucoup de francophones du Qu�bec, le nouveau nationalisme qu�b�cois rendait inacceptables plusieurs des pratiques du syst�me politique canadien, par exemple, la sous-repr�sentation des francophones et du fran�ais � Ottawa, ainsi que la non-reconnaissance des droits des francophones dans toutes les provinces anglaises. Au m�me moment, dans certaines provinces, les minorit�s francophones revendiquaient des changements substantiels autres que cosm�tiques, notamment en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Ce vent de changement fut le d�clencheur d'un processus chez les politiciens anglophones du Canada. Inquiet, le gouvernement f�d�ral de Lester B. Pearson savait qu'il lui fallait intervenir. Le syst�me politique canadien devait �tre modifi� afin de mieux refl�ter la dualit� canadienne et la place centrale du Qu�bec au sein du pays. Il fallait donc des changements majeurs dans la structure des institutions f�d�rales et une remise en question de la place du Qu�bec dans le syst�me f�d�ral. Il paraissait �vident que le Canada devait mieux respecter ses minorit�s linguistiques francophones et qu'il lui fallait bien plus que des ajustements occasionnels pour assurer la paix sociale et permettre � tous ses citoyens de vivre en harmonie. Le pays �tait m�r pour un profond changement de cap, comme c'�tait d'ailleurs le cas dans plusieurs autres pays du monde. Ce fut l'av�nement des droits linguistiques au Canada.
2.1 La Commission Laurendeau-Dunton
C'est l'arriv�e au pouvoir du premier ministre canadien Lester B. Pearson (1963-1968), qui marqua la volont� de changement au gouvernement f�d�ral. Trois mois apr�s son �lection (avril 1963), le premier ministre canadien Lester B. Pearson cr�ait une commission royale d�enqu�te dont le mandat �tait de faire le point sur le bilinguisme et le biculturalisme au Canada. Dans une lettre envoy�e � tous les premiers ministres provinciaux en mai 1963, Lester B. Pearson �crivait ces propos:
Dans un discours que je pronon�ais le 17 d�cembre 1962 � la Chambre des communes sur les difficult�s et les avantages que pr�sente dans notre pays la dualit� de langue et de culture �tablie par la Conf�d�ration, je proposais la tenue d'une vaste enqu�te sur le bilinguisme et le biculturalisme en consultation avec les gouvernements provinciaux. Cette proposition a �t� accueillie tr�s favorablement au Parlement et aussi, je crois, dans le pays. |
L�id�e d�une telle commission avait �t� lanc�e, l�ann�e pr�c�dente, par le journaliste qu�b�cois Andr� Laurendeau, r�dacteur en chef du Devoir, tr�s inqui�t� par la mont�e du discours s�cessionniste au Qu�bec et l�indiff�rence du Canada anglais. Le premier ministre Pearson fit appel � Andr� Laurendeau pour diriger une vaste commission d�enqu�te sur le bilinguisme et le biculturalisme. � l'exemple de plusieurs commissions canadiennes, Pearson choisit �galement un copr�sident de langue et de culture canadienne-anglaise : le journaliste Davidson Dunton. Ainsi, �tait cr��e la Commission Laurendeau-Dunton � aussi connue comme la �Commission BB� en fran�ais et �B and B Commission� en anglais (pour bilinguisme et biculturalisme). L'objectif fondamental du mandat de la Commission royale d'enqu�te sur le bilinguisme et le biculturalisme �tait le suivant:
Faire enqu�te et rapport sur l'�tat pr�sent du bilinguisme et du biculturalisme au Canada et recommander les mesures � prendre pour que la Conf�d�ration canadienne se d�veloppe d'apr�s le principe de l'�galit� entre les deux peuples qui l'ont fond�e, compte tenu de l'apport des autres groupes ethniques � l'enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures � prendre pour sauvegarder cet apport. |
Entre 1964 et 1967, la Commission commanda au moins 165 �tudes, dont 24 furent publi�es. Plus de 400 m�moires furent pr�sent�s � la Commission, dont les travaux ont sensibilis� beaucoup de Canadiens � l'importance de pr�server et de promouvoir tant la dualit� que la diversit� culturelle et linguistique. Cette intense activit� scientifique a permis une meilleure connaissance de la r�alit� canadienne dans le domaine linguistique. En se basant sur des donn�es d�mographiques, sociales, scolaires, �conomiques et juridiques li�es � la langue et aux communaut�s minoritaires, le gouvernement canadien avait en mains ce qu'il fallait pour cerner certaines lacunes et agir en cons�quence. Apr�s deux ans de travaux et de rencontres � travers le pays, les commissaires �taient cat�goriques sur les dangers que courait le pays:
Tout ce que nous avons vu et entendu nous a convaincus que le Canada traverse la p�riode la plus critique de son histoire depuis la Conf�d�ration. Nous croyons qu'il y a crise [�]. Nous ignorons si cette crise sera longue ou br�ve. Nous sommes toutefois convaincus qu'elle existe. Les signes de danger sont nombreux et s�rieux. |
Si la crise persistait et continuait de s'accentuer, elle pouvait, selon les commissaires, conduire �ventuellement � la destruction du Canada, mais si elle �tait surmont�e elle contribuerait � la renaissance d'un Canada plus dynamique et plus riche. En avril 1966, le premier ministre Pearson annon�a officiellement � la Chambre des communes une politique sur le bilinguisme dans la fonction publique:
Le gouvernement esp�re et compte que, dans une p�riode de temps raisonnable, un �tat de choses se sera �tabli au sein de la fonction publique en vertu duquel: a) il sera de pratique courante que les communications orales ou �crites � l'int�rieur de la fonction publique se fassent dans l'une ou l'autre langue officielle au choix de l'auteur [...]. b) les communications avec le public se feront normalement dans l'une ou l'autre langue officielle en �gard au client. |
Le rapport de la Commission BB parut en 1967 et comptait quatre volumes (puis six en 1969), dont les plus importants portaient sur Les langues officielles (Livre I), L'�ducation (Livre II), Le monde du travail (Livre III) et La capitale f�d�rale (Livre IV).
2.2 Les recommandations des commissaires
Le rapport de la Commission Laurendeau-Dunton recommandait que le Canada anglais accepte que des n�gociations soient entam�es afin de recomposer le r�gime constitutionnel canadien de fa�on � ce que les francophones du pays puissent mieux s'�panouir. Pour les commissaires, les francophones constituent un groupe minoritaire au Canada, et ils sont surtout concentr�s au Qu�bec, ainsi qu'en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Il n'incombe pas � l'�tat f�d�ral de favoriser le bilinguisme individuel: �Si chacun devient compl�tement bilingue dans un pays bilingue, l'une des langues sera superflue.� Elle dispara�tra! Un �tat bilingue doit donc fournir des services aux citoyens dans leur langue et s'assurer que les membres des minorit�s linguistiques ne soient pas d�favoris�s pour des motifs linguistiques. Par cons�quent, le groupe linguistique majoritaire doit �garantir la vie et l'�galit� � la langue du groupe minoritaire�.
Le Livre Ier du rapport abordait la question du statut des deux langues officielles. Les commissaires y faisaient une s�rie de recommandations, dont la modification de l�article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui d�buterait par la disposition suivante: �L�anglais et le fran�ais sont les deux langues officielles du Canada.� La principale recommandation de la Commission �tait la suivante:
Nous recommandons que l'anglais et le fran�ais soient formellement d�clar�s langues officielles du Parlement du Canada, des tribunaux f�d�raux, du gouvernement f�d�ral et de l'administration f�d�rale. |
Les commissaires recommandaient �galement que le Nouveau-Brunswick et l�Ontario reconnaissent l�anglais et le fran�ais comme leurs langues officielles. La Commission recommandait que dans toutes les provinces soient cr��s des districts bilingues, ou dans les r�gions o� un groupe linguistique, fran�ais ou anglais, atteindrait le seuil de 10 %. L'une des recommandations du livre premier pr�nait la cr�ation de postes de commissaire aux langues officielles dans les provinces qui se d�clareraient bilingues.
Le Livre II de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme traitait de la question de l��ducation. L'une des recommandations se lisait comme suit: �Nous recommandons que soit reconnu dans les syst�mes scolaires le droit des parents canadiens de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle de leur choix; l�application concr�te de ce principe sera fonction de la concentration d�mographique de la minorit�.� Le volumineux document �tait divis� en trois parties. La premi�re concernait plus pr�cis�ment l�instruction de la minorit� linguistique, francophone ou anglophone, dans chacune des provinces. La seconde abordait l�enseignement d�une langue seconde, en l�occurrence le fran�ais ou l�anglais, alors que la troisi�me partie examinait l�image de l�autre groupe culturel v�hicul�e par l�enseignement, notamment sur l'enseignement de l'histoire au Canada. Cet enseignement de l�histoire semble comporter deux versions diff�rentes. Dans les manuels de langue fran�aise, les commissaires remarqu�rent que l'histoire accordaient une place pr�pond�rante � la Nouvelle-France, la Conqu�te britannique y �tant d�crite comme une catastrophe. Dans les manuels anglophones, l�histoire semble commencer dans les ann�es pr�c�dant la Conqu�te pr�sent�e non comme une fin mais comme un d�but o� l��re de l�Am�rique du Nord britannique commence. D'autres recommandations concernent le fondement historique de l'appui f�d�ral � l'�gard de l'enseignement dans la langue officielle de la minorit�.
Certaines recommandations du Livre III (Le monde du travail) visaient l'�quilibre linguistique au sein de la fonction publique f�d�rale. D'apr�s la Commission, 21,5 % des fonctionnaires f�d�raux �taient francophones en 1965. Des mesures devaient �tre prises pour favoriser une plus grande repr�sentation francophone � tous les �chelons de l'administration f�d�rale.
Dans le Livre IV, les commissaires faisaient des recommandations au sujet du bilinguisme de la capitale f�d�rale. L'objectif �tait de rendre la capitale f�d�rale (Ottawa) parfaitement bilingue.
Les commissaires demeuraient divis�s sur les questions concernant les minorit�s linguistiques des provinces anglaise et la majorit� francophone du Qu�bec. Fallait-il r�pondre aux besoins sp�cifiques de cette majorit� francophone et/ou aux besoins des minorit�s linguistiques? C'est le premier ministre Trudeau qui allait trancher en favorisant les minorit�s francophones du Canada anglais et la minorit� anglophone du Qu�bec. La majorit� francophone du Qu�bec n'avait pas besoin de protection. Pour le premier ministre Trudeau, seul un gouvernement f�d�ral bilingue, o� l'anglais et le fran�ais seraient � �galit� de statut, pouvait amener les francophones du Qu�bec � accepter qu'il constituait le premier gouvernement au Canada.
2.3 Le bilinguisme officiel
La Commission BB fut mal per�ue par les Anglo-Canadiens qui consid�raient, d'une part, que le Qu�bec constituait le probl�me, d'autre part, que les mesures en mati�re de langues officielles restaient l'affaire des minorit�s. La politique du bilinguisme officiel souleva de l'opposition dans certaines r�gions du pays, notamment dans l'Ouest; les Canadiens d'origine ukrainienne, allemande ou d'autres souches non anglophones ou non francophones voulaient savoir pourquoi le gouvernement f�d�ral accordait moins d'importance � leur culture qu'� celle des minorit�s francophones beaucoup plus faibles dans l'ouest du Canada. Entre-temps, la d�mission en 1968 du premier ministre Lester B. Pearson et l'av�nement de son successeur Pierre Elliott Trudeau vinrent temp�rer le projet de la commission sur le biculturalisme. Au d�but des ann�es soixante-dix, Pierre Elliott Trudeau annon�a � la Chambre des communes que son gouvernement allait adopter une �politique du multiculturalisme dans le cadre du bilinguisme�. C'est que, pour faire accepter le bilinguisme officiel, le gouvernement Trudeau avait cru bon d'adopter �galement les recommandations de la Commission Laurendeau-Dunton visant � pr�server les contributions d'autres groupes �ethniques� (� l'exclusion des peuples autochtones) � l'enrichissement culturel du Canada.
Cependant, il �tait clair pour les commissaires que la dualit� linguistique ne pouvait se concr�tiser au Canada que si la majorit� acceptait son bien-fond� et y participait activement, les minorit�s ne pouvant l'imposer. La Commission Laurendeau-Dunton a constitu� un tournant dans l'histoire du Canada, car elle a servi de guide en proposant des mesures concr�tes. Depuis la publication du rapport de la Commission BB, le Canada a amorc� une r�elle conversion vers le bilinguisme. L'une des mesures les plus importantes propos�es par la Commission concernait l'adoption de la loi f�d�rale sur les langues officielles.
2.4 La Loi sur les langues officielles et les droits linguistiques individuels
Alors que Pierre Elliott Trudeau �tait premier ministre du Canada, la Chambre des communes adopta en 1969 la Loi sur les langues officielles. Cette loi f�d�rale conf�rait un statut co-officiel � l'anglais et au fran�ais, mais seulement dans le cas des organismes et institutions relevant de la juridiction f�d�rale. Cette loi constituait la premi�re loi � caract�re proprement linguistique adopt�e par le Parlement f�d�ral. Mais, le Canada �tant une f�d�ration, la loi devait respecter la Constitution canadienne en ne modifiant pas les champs de juridiction entre les provinces et le gouvernement f�d�ral. Autrement dit, la loi ne pouvait pas intervenir dans les politiques linguistiques des provinces. N�anmoins, elle rel�guait aux oubliettes le temps o� le bilinguisme se limitait � quelques symboles (timbres, billets de banque, etc.) et � la traduction des lois et certains documents administratifs.
La l�gislation f�d�rale accordait des droits personnels � tout citoyen canadien afin qu'il puisse communiquer dans la langue de son choix avec le gouvernement f�d�ral et faire instruire ses enfants dans sa langue maternelle si cette langue est l'une des deux langues officielles du Canada. La loi ne donnait pas de droits collectifs au sens o� certaines l�gislations l'entendaient, par exemple au Nouveau-Brunswick et au Qu�bec, car il s'agissait de droits strictement individuels. Pour Pierre Elliot Trudeau, il n'�tait pas question d'accorder des droits collectifs aux francophones, ce qui aurait plac� le Qu�bec fran�ais au c�ur de la politique linguistique canadienne. Or, en prot�geant partout au Canada les droits linguistiques des francophones, le Qu�bec restait �une province comme les autres�. Pour Trudeau, le Qu�bec ne devait plus �tre consid�r� comme le protecteur historique (depuis 1791 lors de la cr�ation du Bas-Canada et du Haut-Canada) du fait fran�ais au Canada, car le gouvernement canadien pouvait remplacer le Qu�bec, et ce, dans tout le Canada. Le principe �tait le suivant: si tout le Canada, et non plus seulement le Qu�bec, devenait la patrie du fran�ais, le nationalisme qu�b�cois n'avait plus sa raison d'�tre. Une fois que les droits linguistiques seraient ins�r�s dans la Constitution canadienne, les conflits linguistiques au Canada seraient r�solus.
Cependant, la plupart des Qu�b�cois n'�taient pas sans savoir que le fran�ais ne pouvait pas avoir au Canada anglais la force dont il b�n�ficiait au Qu�bec. Dans l'Ouest canadien, les Ukrainiens et les Allemands, pour ne prendre que ces seules communaut�s, ne comprenaient pas pourquoi des francophones, en nombre encore plus limit� qu'eux-m�mes, jouiraient de droits linguistiques particuliers. Pour leur part, les Canadiens anglais �taient pr�ts � appuyer toute loi qui favorisaient les droits de la personne, mais les droits linguistiques n'en faisaient manifestement pas partie. Enfin, le statut marginal du fran�ais dans les institutions f�d�rales et dans les provinces autres que le Qu�bec n'avaient jamais pr�occup� les Anglo-Canadiens. Bref, peu de Canadiens, autant francophones qu'anglophones, n'�taient pr�ts � entreprendre des croisades pour promouvoir le bilinguisme f�d�ral.
Devant le succ�s mitig� des mesures adopt�es pour instaurer le bilinguisme dans la fonction publique, la Loi sur les langues officielles de 1969 sera abrog�e en 1988 lors de l'adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles, alors que Brian Mulroney sera le premier ministre du Canada. Dans son rapport de 1990, le commissaire aux langues officielles du Canada d�clarera: �Le fran�ais n'a toujours pas la place qui lui est due dans l'administration f�d�rale.� Dans son rapport de 1994, le commissaire devra encore d�plorer le peu de progr�s entrepris: �Les ann�es passent, mais le dossier de la langue de travail dans l'administration f�d�rale reste au m�me point: c'est la langue au bois dormant.� Pendant qu'� Montr�al les fonctionnaires travaillaient en fran�ais, � Ottawa ils travaillaient en anglais. En d�pit d'�normes investissements dans la formation linguistique, les faits d�montreront que le bilinguisme de la fonction publique restera un quasi-�chec dans la politique linguistique. Par contre, si le bilinguisme sera un succ�s au Parlement, il le sera moins dans les services aux citoyens en Ontario et au Nouveau-Brunswick, de m�me dans certaines r�gions rurales du Qu�bec, et dans la plupart des provinces anglaises de l'Ouest et des Maritimes.
Les efforts du gouvernement f�d�ral dans le domaine linguistique eut pour effet de renforcer le Qu�bec dans son r�le historique de prot�ger la nation canadienne-fran�aise. L'��poque des lois linguistiques� au Qu�bec commen�a avec la �crise de Saint-L�onard� en 1968. Conscients de l'adh�sion massive des immigrants � la langue anglaise et du ph�nom�ne de d�natalit� chez les francophones, les commissaires scolaires de la ville de Saint-L�onard (en banlieue de Montr�al, aujourd'hui int�gr�e � Montr�al) adopt�rent, le 27 juin 1968, une r�solution rendant obligatoire l'inscription des nouveaux immigrants, c'est-�-dire les italophones, dans les �coles fran�aises de leur territoire.
La d�cision des commissaires de Saint-L�onard re�ut imm�diatement l'appui des milieux nationalistes, eux qui �taient d�j� exasp�r�s par la domination socio-�conomique de la langue anglaise. Les commissaires venaient simplement combler un vide politique, mais, ce faisant, ils soulevaient un toll� de protestations chez les Anglo-Qu�b�cois qui, aliment�s par leurs journaux, organis�rent un mouvement de boycottage et saisirent les tribunaux de l'affaire. Durant ces �v�nements, l'Union nationale (qui dirigeait la province) perdit son chef, Daniel Johnson, qui mourut subitement; Jean-Jacques Bertrand devint premier ministre du Qu�bec, tandis que Pierre-Elliot Trudeau prenait le pouvoir � Ottawa (Canada f�d�ral).
Le 20 novembre 1968, le nouveau premier ministre, Jean-Jacques Bertrand (Union nationale), d�posa � l'Assembl�e l�gislative le projet de loi 90, abolissant le Conseil l�gislatif. Il fut approuv� par une majorit� de d�put�s le 29 novembre, puis par le Conseil l�gislatif, le 13 d�cembre. En vertu de cette loi, la l�gislature de Qu�bec devait �tre compos�e d'une seule Chambre, l'Assembl�e l�gislative (< "Legislative Assembly") qui prenait le nom de �Assembl�e nationale�. En m�me temps, l'orateur (<"speaker") devint le �pr�sident�, l'orateur suppl�ant, le vice-pr�sident, et le greffier (<"clerk"), le �secr�taire g�n�ral�. L'abolition du Conseil l�gislatif prit effet le 31 d�cembre 1968.
3.1 Le projet de loi 85 et la loi 63: un banc d'essai
Devant le climat social qui se d�t�riorait, le premier ministre du Qu�bec Jean-Jacques Bertrand fit pr�parer un projet de loi, le "bill 85", destin� � annuler la d�cision des commissaires de Saint-L�onard et � garantir aux immigrants le droit � un enseignement dans la langue de leur choix, c'est-�-dire en anglais dans les faits.
Ce projet de loi pr�sent� le 5 d�cembre 1968 ne pouvait que susciter de vives r�actions au sein de la majorit� francophone. Devant le m�contentement populaire � 3000 manifestants � Qu�bec protestent contre ce projet de loi et font voler en �clats quelques fen�tres du Parlement �, le ministre de l'�ducation (� l'�poque, Jean-Guy Cardinal) profita de l'absence temporaire (pour des raisons de sant�) de son chef pour renvoyer le projet de loi � une commission parlementaire. Ce n'�tait que partie remise pour lancer la v�ritable offensive du gouvernement: la loi 63 ou Loi pour promouvoir la langue fran�aise au Qu�bec.
La rentr�e de septembre 1969 s'effectua dans un climat d'affrontements violents entre les francophones et la �coalition anglophone� (incluant les italophones); cette violence conduisit m�me le gouvernement � adopter la Loi de l'�meute. C'est dans un contexte de passion et de violence que le Parlement adopta, le 20 novembre 1969, la loi 63 appel�e presque paradoxalement Loi pour promouvoir la langue fran�aise au Qu�bec.
Cette loi visait avant tout � annuler la d�cision du conseil scolaire (appel� commission scolaire au Qu�bec) de Saint-L�onard et � accorder officiellement le libre choix de la langue d'enseignement aux immigrants. Elle obligeait �galement les �coles anglaises � assurer �une connaissance d'usage de la langue fran�aise aux enfants � qui l'enseignement est donn� en langue anglaise�.
C�dant � la pression de l'opinion publique anglophone, le gouvernement avait tent� ainsi un grand coup: satisfaire tout le monde en accordant aux parents le droit d'envoyer leurs enfants � l'�cole de leur choix. Cette loi refl�tait encore l'attitude timor�e d'un gouvernement qui d�sirait avant tout s'allier l'�lectorat anglophone; sans attendre les recommandations de la Commission Gendron charg�e d'enqu�ter sur la situation linguistique, le gouvernement du Qu�bec avait fait adopter une loi improvis�e et sectorielle, c'est-�-dire limit�e � la langue d'enseignement. Cette loi allait � contre-courant de l'�volution d�mographique et des transferts linguistiques r�alis�s au profit de la minorit� anglophone. De plus, elle �tait calqu�e sur la politique du multiculturalisme pr�n�e par le gouvernement f�d�ral et ramenait le Qu�bec dix ans en arri�re. C'est ce qui allait pr�cipiter l'affaiblissement du r�gime de l'Union nationale.
Enfin, les anglophones ne se leurr�rent pas sur la port�e �lectoraliste de la loi 63 (ou Loi pour promouvoir la langue fran�aise au Qu�bec) � leur �gard: ils avaient compris que, si un gouvernement qu�b�cois avait pu adopter une loi linguistique, m�me favorable � leur �gard, un autre gouvernement pouvait en adopter une autre, cette fois-l� plus ou moins d�favorable. La loi 63 fut certainement la cause principale de la d�faite du gouvernement de l'Union nationale aux �lections de 1970.
3.2 La loi 22: une incitation � la refrancisation
L'arriv�e de Robert Bourassa
� la t�te du Parti lib�ral et du gouvernement qu�b�cois lors des �lections
provinciales de 1970 suscita de grands espoirs en raison de ses objectifs ax�s
sur la relance de l'�conomie.
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Le gouvernement fut cependant vite secou� par la crise d'Octobre de 1970 provoqu�e par le Front de lib�ration du Qu�bec (FLQ), par l'�chec de la conf�rence constitutionnelle de Victoria (1971) et par les nombreuses gr�ves du secteur public (1972). Robert Bourassa pr�cha le �f�d�ralisme rentable� et la �souverainet� culturelle�, mais il ne r�ussit pas � obtenir d'Ottawa des transferts de pouvoirs et de nouvelles ressources financi�res. - La charte de Victoria Dans la formule de modification propos�e lors de la Conf�rence de Victoria, commun�ment appel�e �formule de Victoria�, le gouvernement canadien avait accept� de restreindre son pouvoir quant � la nomination des juges, ainsi que le pouvoir du gouverneur g�n�ral de d�savouer une loi. Il offrait �galement un veto constitutionnel au Qu�bec, ainsi qu'� l'Ontario et aux provinces de l'Atlantique. |
Or, depuis les ann�es soixante, le Qu�bec demandait un nouveau partage des pouvoirs pour obtenir plus d�autonomie et freiner ou arr�ter la centralisation du pouvoir f�d�ral. Au contraire, l'�tat f�d�ral cherchait � �touffer les revendications en faveur de la d�centralisation. Il a non seulement refus� toute asym�trie constitutionnelle dans la r�partition et l�usage des comp�tences l�gislatives, mais il a aussi rejet� tout renforcement, m�me partiel, des comp�tences du Qu�bec et toute r�f�rence aux concepts de �nation� et de �peuple qu�b�cois�.
Pour consentir � l'offre f�d�rale, le gouvernement de R. Bourassa aurait d�sir� une augmentation des pouvoirs du Qu�bec en mati�re de sant�, de services sociaux, de s�curit� du revenu et de main-d'oeuvre. Le Qu�bec r�pondit par la n�gative � la proposition f�d�rale, le 23 juin 1971, veille de la Saint-Jean-Baptiste (la f�te nationale). Press� par les milieux nationalistes qui exigeaient davantage pour le Qu�bec que ce qui �tait pr�vu par cet accord, M. Bourassa reconnut avoir �t� dans une position difficile : �Victoria fut bien plus p�nible que la crise d'Octobre. Je sentais l'�tau qui se refermait sur le Qu�bec. D'un c�t�, nous voulons rester dans le r�gime f�d�ral, nous voulons en profiter. Mais d'un autre c�t� nous voulons garder notre fiert�, nous affirmer, avoir le maximum de pouvoirs.�
Au lendemain du NON de Bourassa, le Telegram de Toronto reprocha au premier ministre du Qu�bec son manque de courage et de leadership pour avoir refus� de signer son arr�t de suicide en n'acceptant pas de se faire le champion de la charte de Victoria aupr�s de ses concitoyens. Au Star (Toronto), dont l'intransigeance s'�tait manifest�e d�s avant la conf�rence de Victoria, on manifesta la m�me r�action outrag�e : l'�ditorialiste du Star affirmait que, s'il n'y a pas moyen de satisfaire le Qu�bec avec une Canadien fran�ais comme premier ministre � Ottawa et un gouvernement �f�d�raliste� � Qu�bec, quand cela sera-t-il jamais possible? Le NON du premier ministre Bourassa mena peut-�tre le Canada � une impasse, mais ce serait oublier que la Saskatchewan et la Colombie-Britannique se pr�paraient �galement � r�viser leur position. C'est le premier ministre du Qu�bec qui porta l'odieux du NON. Pour sa part, le premier ministre canadien, Pierre Elliot Trudeau, estimait que l'accord de Victoria, rejet� par le gouvernement qu�b�cois, repr�sentait la meilleure offre constitutionnelle que le Qu�bec aurait jamais pu recevoir. C'est pourquoi il ne pardonna jamais � Bourassa sa volte-face et le traita un jour de �mangeur de hot dogs� et m�me de �f�d�raliste douteux�. On peut lire les dispositions linguistiques de la �Charte de Victoria� en cliquant ICI, s.v.p.
Report� au pouvoir aux �lections de 1973, le gouvernement Bourassa d�cida de s'attaquer enfin � la question linguistique. Il ne pouvait plus ignorer les revendications de la majorit� francophone, qui le pressait d'agir: les r�sultats du recensement f�d�ral de 1971 sur la situation du fran�ais au Canada et au Qu�bec avaient fait l'effet d'une bombe au sein de la population francophone, qui se voyait de plus en plus menac�e de minorisation.
- La Commission Gendron
Gr�ce au rapport Gendron, publi� en 1972, le gouvernement avait � sa disposition les �l�ments d'analyse et de r�flexion n�cessaires pour satisfaire la majorit� et faire taire les milieux ind�pendantistes sans s'ali�ner la minorit� anglophone. Les 15 000 pages dactylographi�es des travaux de la Commission ont �t� r�sum�es dans un volumineux rapport de trois tomes: Livre premier, La langue de travail (379 pages); Livre deux, Les droits linguistiques (474 pages); Livre trois, Les groupes ethniques (570 pages). Les recherches effectu�es par la Commission Gendron confirmaient ce que tout le monde savait d�j�: la pr�pond�rance de l'anglais dans les communications administratives et techniques des travailleurs, dans les communications verbales et dans les exigences linguistiques du march� du travail. Au terme d'une description tr�s d�taill�e de la question, le rapport concluait ainsi:
Il ressort que si le fran�ais n'est pas en voie de disparition chez les francophones, ce n'est pas non plus la langue pr�dominante sur le march� du travail qu�b�cois. Le fran�ais n'appara�t utile qu'aux francophones. Au Qu�bec m�me, c'est somme toute une langue marginale, puisque les non-francophones en ont fort peu besoin, et que bon nombre de francophones, dans les t�ches importantes, utilisent autant, et parfois plus l'anglais que leur langue maternelle. Et cela, bien que les francophones, au Qu�bec, soient fortement majoritaires, tant dans la main-d'uvre que dans la population totale.
Le gouvernement tint compte d'un certain nombre de recommandations de la Commission Gendron relativement � l'usage du fran�ais dans l'administration publique, le monde du travail et celui de l'�conomie.
- La loi 22 ou Loi sur la langue officielle
Finalement, la Loi sur la langue officielle (loi 22) fut adopt�e par le Parlement qu�b�cois en juillet 1974. La loi 22 constituait le premier effort v�ritable d'un gouvernement qu�b�cois en vue d'une intervention globale dans le domaine de la langue; et elle rendait le fran�ais seule langue officielle du Qu�bec. Le nombre d'articles de cette loi 22 �tait imposant: 123 articles.
L'article 1 proclamait que �le fran�ais est la langue officielle du Qu�bec�. Les articles 6 � 17 traitaient de la �Langue de l'administration publique�; en principe, c'�tait en fran�ais, mais la loi pr�voyait des mesures pour assurer l'usage de la langue anglaise. Les articles 18 � 23 �taient consacr�s � la �Langue des entreprises d'utilit� publique et des professions�; celles-ci devaient utiliser la langue officielle pour tous les documents destin�s au public, mais pouvaient en plus employer une version anglaise. Selon les articles 24 � 29, le fran�ais constituait la langue de travail et les entreprises devaient adopter et appliquer des programmes de francisation si elles voulaient obtenir un certificat pour avoir le droit de recevoir de l'administration publique des subventions ou de conclure des contrats avec le gouvernement. Les articles 30 � 39 concernaient la �Langue des affaires�, ce qui impliquait les raisons sociales, les contrats, l'�tiquetage, les menus de restaurant, les panneaux-r�clame et l'affichage public; toutefois, une version anglaise �tait possible en plus de la version fran�aise. L'enseignement �tait trait� aux articles 40 � 44. Le fran�ais constituait la langue normale des �tablissements d'enseignement, mais des dispositions �taient pr�vues pour les enfants qui recevraient leur instruction en anglais, ainsi qu'aux autochtones (Indiens et Inuits). Le ministre de l'�ducation pouvait imposer des tests d'aptitude (art. 43) aux enfants qui d�siraient recevoir leur instruction en anglais. D'autres articles concernaient la recherche en mati�re linguistique (art. 49-53), la R�gie de la langue fran�aise (art. 54-77) et les commissaires-enqu�teurs (art. 78-99). Les autres articles (�Dispositions finales�) avaient comme objectif de rendre plusieurs autres lois conformes � la Loi sur la langue officielle. Cette loi fut par la suite abrog�e en 1977 lors de l'adoption de la Charte de la langue fran�aise (loi 101).
- Les r�actions de la population
Les anglophones se livr�rent � un concert de protestations, conscients de perdre certains privil�ges (comme l'affichage anglais unilingue), et r�clam�rent le bilinguisme officiel. Pourtant, la loi demeurait encore fortement impr�gn�e du principe de la dualit� linguistique pr�n�e dans le contexte f�d�ral. Malgr� l'affirmation du fait fran�ais, la loi reconnaissait officiellement � l'anglais la place qu'il avait toujours occup�e.
Quant � la majorit� francophone, elle se sentait l�s�e par les demi-mesures de la Loi sur la langue officielle (loi 22) � l'�gard de la promotion du fran�ais. Par exemple, le gouvernement n'obligeait pas les enfants d'immigrants � fr�quenter l'�cole fran�aise et reconnaissait le principe du libre choix de la langue d'enseignement; les seuls enfants d'immigrants dirig�s vers l'�cole fran�aise �taient ceux qui ne r�ussissaient pas au test de comp�tence en anglais, c'est-�-dire les �cancres en anglais�; seuls les incapables �taient dirig�s vers les �coles fran�aises. En apparence, le gouvernement ne semblait pas prendre parti pour les revendications des francophones. En ce qui concerne les dispositions relatives � l'usage du fran�ais dans le milieu de travail, celles-ci se trouvaient r�duites � un simple syst�me de certificats de francisation que devaient se procurer les entreprises d�sirant transiger avec le gouvernement qu�b�cois. De plus, les carences de la loi 22 en mati�re de sanctions laiss�rent croire que le gouvernement demeurait inf�od� aux entreprises priv�es et refusait de prot�ger r�ellement les int�r�ts de la majorit� des travailleurs.
En fait, le gouvernement Bourassa refusait de se servir des pouvoirs
du gouvernement du Qu�bec pour renforcer le fait fran�ais.
En ce sens, la
Loi sur la langue officielle
(loi 22) ne r�glait rien: elle n'endiguait pas le processus
d'assimilation des francophones et des nouveaux immigrants � la
minorit� anglophone; elle n'emp�chait pas plus la pr�pond�rance
socio-�conomique de l'anglais. Bref, comme la
Loi pour promouvoir la langue
fran�aise au Qu�bec (loi 63), la
Loi sur la langue officielle
(loi 22) n'am�liorait pas fondamentalement la situation du fran�ais
au Qu�bec. Au contraire, ces lois ne firent qu'aggraver le
ressentiment et l'hostilit� entre les groupes linguistiques. Comme la
d�funte loi 63, cette autre loi
linguistique ne r�ussit qu'� m�contenter
tout le monde. On peut consulter le texte de la loi 22 (aujourd'hui
abrog�e)
en cliquant ICI, s.v.p.
3.3 La loi 101: la promotion socio-�conomique du fran�ais
|
La victoire �lectorale du
Parti qu�b�cois, au soir du 15 novembre 1976, marqua
un tournant d�cisif dans la politique linguistique du Qu�bec. H�ritier des
r�formes amorc�es par la R�volution tranquille, le gouvernement de Ren� L�vesque
poursuivit la politique de l'�tat interventionniste, non seulement dans le
domaine de la langue mais dans de nombreux autres secteurs: assainissement des
finances publiques, redressement de l'�conomie, financement des municipalit�s,
lutte contre le ch�mage, question �nerg�tique, assurance-automobile, protection
du territoire agricole, etc. La premi�re ann�e de pouvoir du gouvernement fut compl�tement absorb�e par la question linguistique. Le gouvernement �labora sa politique linguistique en fonction de son id�al de souverainet�, aboutissement logique de la dynamique nationaliste des ann�es 1960. Cette fois-ci, le gouvernement savait qu'il pouvait compter sur l'appui majoritaire des francophones puisque ces derniers repr�sentaient 54 % de sa base �lectorale; de plus, n'�tant pas li� par l'�lectorat anglophone ni par l'�lite �conomique, le gouvernement se sentait libre d'agir comme il l'entendait, du moins sur cette d�licate question. |
L'objectif principal du premier gouvernement du Parti qu�b�cois fut d'affirmer la pr�dominance du fran�ais au Qu�bec, d'en faire la langue commune pour tous, partout, pour tout; bref, de faire un Qu�bec aussi fran�ais que l'Ontario �tait anglais. D�s lors, le fran�ais devait devenir plus qu'un moyen de communication: il devait correspondre � l'expression d'un milieu de vie pour tous les Qu�b�cois, c'est-�-dire �tre la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, du commerce et des affaires. Mais, pour y parvenir, il fallait l'�quivalent d'une "th�rapie de choc", qui permettait aux francophones de retrouver le sens de leur identit� et ram�nerait la communaut� anglophone � ses proportions r�elles. Cette th�rapie collective fut la Charte de la langue fran�aise (ou loi 101).
La strat�gie linguistique de cette loi reposait sur quatre principes g�n�raux visant � corriger les probl�mes qui tra�naient en longueur depuis plusieurs d�cennies:
1) Endiguer le processus d'assimilation et de minorisation des francophones
C'est pour cette raison que la loi 101 a �t� con�ue: fermer compl�tement, � l'avenir, l'acc�s des immigrants et des francophones � l'�cole anglaise. Avec la �clause Qu�bec� qui sera remplac�e par la �clause Canada� , on utilisait les fronti�res du Qu�bec comme point de r�f�rence, adoptant ainsi une solution de type territorial, plus imperm�able � l'intrusion de l'anglais provenant de l'ext�rieur.
Cette mesure trouvait sa justification dans la volont� ferme du gouvernement de montrer que la communaut� premi�re des francophones �tait le Qu�bec, non le Canada. Une telle position aurait �t� impensable de la part des gouvernements pr�c�dents. On sait que, suite � une d�cision de la Cour supr�me du Canada, la �clause Canada� viendra remplacer la �clause Qu�bec�.
2) Assurer la pr�dominance socio-�conomique du fran�ais
La simple justice sociale �l�mentaire commandait de remettre aux francophones les secteurs du travail, du commerce et des affaires, conform�ment � leur repr�sentation linguistique au sein de la population qu�b�coise; en somme, rien de tr�s r�volutionnaire. D'o� le nombre impressionnant de mesures destin�es � accorder aux francophones la prise du pouvoir �conomique, exerc� jusqu'ici par les anglophones.
En partant du principe que tous les travailleurs avaient le droit d'exercer leurs activit�s en fran�ais au Qu�bec (article 4 de la loi 101), le gouvernement obligeait toutes les entreprises de plus de 50 employ�s � d�tenir un certificat de francisation, � former un comit� de francisation de l'entreprise (pour celle ayant 100 employ�s et plus) et � augmenter la pr�sence des francophones � tous les plans (conseils d'administration, cadres, politiques d'embauchage, etc.).
La loi fixait aussi des conditions et des normes de francisation tr�s pouss�es en mati�re de communications (internes et externes): on exigeait la ma�trise de la langue parl�e et �crite en milieu de travail, le tout assorti de sanctions � l'�gard des contrevenants. Enfin, la francisation supposait la g�n�ralisation du fran�ais dans la terminologie, dans les manuels, les catalogues, etc. Bref, des mesures normales appliqu�es dans la plupart des pays du monde.
3) R�aliser l'affirmation du fait fran�ais
Le l�gislateur partait du postulat que le Qu�bec est une nation dont plus de 80 % de la population parlait le fran�ais. Cette langue devait donc devenir la seule langue officielle de la nation et le principal facteur de coh�sion nationale pour tous les Qu�b�cois. Cette nation qu�b�coise �tait compos�e d'une majorit� francophone et de plusieurs minorit�s de langue diff�rentes: 10,9 % d'anglophones et 6,6 % d'allophones. C'est pourquoi la majorit� devait obtenir plus de droits que les minorit�s.
R�aliser l'affirmation du fait fran�ais au Qu�bec, c'�tait faire en sorte que le fran�ais plut�t que l'anglais devienne la langue commune de tous les Qu�b�cois lorsqu'ils ont � communiquer entre eux. C'est pourquoi il fallait que le Qu�bec pr�sente un visage fran�ais dans l'affichage, les raisons sociales et la publicit�, surtout � Montr�al, qui pr�tendait d�tenir le titre de �deuxi�me ville fran�aise du monde�. Selon un ancien pr�sident du Conseil de la langue fran�aise, M. Michel Plourde:
Au Qu�bec, c'est le fran�ais. Le fran�ais est la langue commune de tous les Qu�b�cois: francophones, anglophones et allophones. C'est la langue que tous les Qu�b�cois ont le droit de poss�der, de savoir et d'utiliser. Voil� la r�gle fondamentale de notre am�nagement linguistique: le fran�ais d'abord, pour tout le monde.
D'o� le rejet du bilinguisme g�n�ralis� ou officiel dont l'exp�rience pass�e avait d�montr� qu'il constituait la plus grande menace � la vitalit� de la langue fran�aise au Qu�bec, parce qu'il entra�nait la d�gradation du fran�ais (traduction syst�matique, interf�rences linguistiques, emprunts massifs), favorisait l'unilinguisme des anglophones et assurait la supr�matie de l'anglais dans tous les secteurs. Accorder le m�me statut � l'anglais et au fran�ais �quivaudrait � redonner la dominance � l'anglais, car des droits �gaux appliqu�s � des langues in�gales (2 % de francophones en Am�rique du Nord) ne produisent jamais des situations �galitaires.
Au contraire, il fallait que le Qu�bec recoure au principe de l'in�galit� compensatoire en vertu de laquelle le fran�ais doit avoir plus de droits que l'anglais pour contrebalancer la puissance de ce dernier en cette terre d'Am�rique. Il ne paraissait pas possible de vouloir que le Qu�bec affirme r�solument son caract�re fran�ais et favoriser en m�me temps le bilinguisme g�n�ralis�.
4) Les droits linguistiques des anglophones
Cependant, le rejet du bilinguisme officiel ne signifiait pas un unilinguisme aveugle et irr�aliste dans le contexte nord-am�ricain. La l�gislation qu�b�coise reconnut des droits � d'autres langues, droits reconnus selon le principe du statut juridique diff�renci�. En raison de son caract�re historique, on accorda des droits �tendus � la communaut� anglaise, qui conservait ainsi tous ses droits dans la l�gislation, les tribunaux, l'enseignement (du primaire � l'universit�), les services sociaux et culturels. Non seulement les anglophones continuaient de b�n�ficier d'un r�seau parall�le d'institutions qu'ils contr�laient, mais l'anglais demeurait obligatoire comme langue seconde dans toutes les �coles fran�aises du Qu�bec d�s la quatri�me ann�e du primaire, et l'usage de l'anglais �tait admis chaque fois que la n�cessit� le justifiait (comp�titions sportives, colloques et congr�s, communications avec l'ext�rieur, etc.).
Par ailleurs, deux universitaires torontois, Kenneth McRoberts et Dale Posgate, n'h�sitaient pas � d�clarer que �la loi 101 constitue [...] l'exemple le plus frappant de la mod�ration des r�formes p�quistes�. De fait, selon les m�mes auteurs, un an apr�s l'adoption de la loi, �l'attention des cadres anglophones �tait plut�t retenue par l'augmentation de l'imp�t provincial sur les revenus �lev�s�. Selon McRoberts et Posgate, l'impact d'une hausse des imp�ts serait �pire� que celui de la Charte de la langue fran�aise. D'ailleurs, le fait que les r�dacteurs l�gistes aient eu � pr�senter au gouvernement pas moins de 14 versions diff�rentes de cette loi d�montre bien la prudence du l�gislateur � intervenir dans ce domaine. Il faudra 2022 pour voir appara�tre des transformations majeures � la Charte de la langue fran�aise (version de 2022).
Fait significatif, au cours de toute cette p�riode, les Canadiens anglais des autres provinces ne manifest�rent aucune solidarit� envers les anglophones du Qu�bec; ils se content�rent de jouer le r�le de spectateurs passifs, comme s'ils se r�signaient � voir le Qu�bec devenir aussi unilingue fran�ais que les provinces anglaises �taient unilingues anglaises. Au risque de para�tre machiav�lique, on pourrait affirmer que, en derni�re analyse, cette sorte d'�arrangement sym�trique� satisfaisait le plus grand nombre tout en en incommodant le moindre (McRoberts et Posgate).
De toute fa�on, cette intervention dans le domaine de la langue
paraissait n�cessaire et l�gitime, car elle contribuait
� enrayer l'assimilation, � redonner le contr�le de
l'�conomie � la majorit�, � lui faire retrouver
le sens de son identit� et � lui rendre sa fiert�
collective. C'est l� une r�action que conna�tront, entre autres, les Catalans
de la Catalogne (en Espagne) � l'�gard de leur langue et de leurs
institutions.
Derni�re mise � jour:
05 mars, 2024
Histoire du fran�ais au Qu�bec
(1) La Nouvelle-France
(1534-1760)
(2)
Le
r�gime britannique (1760-1840)
(3)
L'Union
et la Conf�d�ration (1840-1960)
(4)
La
modernisation du Qu�bec (1960-1981)
(5)
R�orientations
et nouvelles strat�gies (de 1982 �
aujourd'hui)
(6)
Bibliographie
g�n�rale
Histoire de la langue fran�aise