Collectivit� d'outre-mer

Saint-Pierre-et-Miquelon

Collectivit� d'outre-mer = COM

(France)

Capitale: Saint-Pierre 
Population: 6057 habitants (2024) 
Langue officielle: fran�ais 
Groupe majoritaire: fran�ais (100 %) 
Groupes minoritaires: aucun 
Statut politique: collectivit� d'outre-mer de la R�publique fran�aise
Articles constitutionnels (langue): art. 2 et 75-1 de la Constitution de 1992 de la R�publique fran�aise (modifi�e par la Loi constitutionnelle no 92-554 du 25 juin 1992
Lois linguistiques: loi no 75-620 du 11 juillet 1975 relative � l'�ducation (loi Haby) ; loi no 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement sup�rieur ; loi d'orientation no 89-486 du 10 juillet 1989 sur l'�ducation (loi Jospin) ; d�cret no 93-535 du 27 mars 1993 portant approbation du cahier des missions et des charges de la Soci�t� nationale de radiodiffusion et de t�l�vision fran�aise pour l'outre-mer (RFO) ; loi du 4 ao�t 1994 relative � l'emploi de la langue fran�aise (1994) ; Code de l'�ducation (2000) ; Loi d'orientation pour l'outre-mer (2000) ; Loi no 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'�cole (loi Fillon).

1 Situation g�ographique

Les �les de Saint-Pierre et de Miquelon constituent un petit archipel de 242 km� situ� � quelque 25 km au sud-ouest de la province canadienne de Terre-Neuve-Labrador (superficie de 112 200 km�), � 300 km de Sydney (Nouvelle-�cosse), � 1800 km de Montr�al (Qu�bec) et � 4279 km de Paris.

Cet archipel compte deux �les principales, l’�le de Saint-Pierre au sud-est et l’�le de Miquelon (reli�e � l’�le de Langlade par une bande de sable), auxquelles s’ajoutent quelques �lots (voir la carte agrandie) qui ont �t� tour � tour occup�s, puis abandonn�s, tels l'�le aux Pigeons, l'�le aux Vainqueurs et l'�le Verte (Green Island).

Saint-Pierre-et-Miquelon a obtenu le statut de d�partement d’outre-mer (DOM) en 1976 et celui de collectivit� territoriale � statut particulier de la R�publique fran�aise en 1985, puis en 2003 celui de COM ou collectivit� d'outre-mer. Ce statut accorde � Saint-Pierre-et-Miquelon des institutions sp�cifiques, comme c'est le cas � la Polyn�sie fran�aise, � Saint-Barth�lemy, � Saint-Martin et � Wallis-et-Futuna. Il n’existe que deux villes: Saint-Pierre, le chef-lieu, avec 5800 habitants, et Miquelon avec 710 habitants.

Le drapeau de cette collectivit� d'outre-mer rappelle l'histoire de la colonisation de l'archipel par les Fran�ais. Le bleu repr�sente l'oc�an Atlantique et le voilier jaune comm�more le voyage de l'explorateur Jacques Cartier en 1535. Sur la hampe de gauche, on peut observer (de haut en bas) le drapeau du Pays basque (l'Ikurrin), puis celui de la Bretagne (l'hermine) et celui de la Normandie (les deux l�opards), rappelant ainsi les origines principales des colons fran�ais. Rappelons que le l�opard est dans le bestiaire m�di�val un �cousin du lion�. En effet, le l�opard se disait mot � mot: "lion" (<leo) et "panth�re" (<pard), ce qui signifie �b�tard du lion�. Le mot �l�opard� vient du  latin "leopardus", issu de "leo" (�lion�) et de "pardus" (�panth�re�).

Historiquement, l'h�raldique fran�aise a d�sign� les �lions� d'Angleterre par le mot �l�opard�, un animal �b�tard� et �mauvais�, sans aucun doute par allusion aux rois d'Angleterre, b�tards, et ne pouvant revendiquer le tr�ne de France. Rappelons aussi que le duc Guillaume II de Normandie (1027-1087) fut appel� en Angleterre �William the Bastard� (Guillaume le B�tard); il devint ensuite �William the Conqueror� (Guillaume le Conqu�rant) et roi d'Angleterre de 1066 � 1087.

2 Donn�es d�molinguistiques

Ce petit archipel fran�ais d’Am�rique du Nord ne compte que 6100 habitants, pratiquement tous francophones. La quasi-totalit� de la population (87,7 %) habite � l’�le Saint-Pierre juste longue de huit kilom�tres (26 km�). L’�le de Miquelon et l’�le de Langlade, d’une superficie totale de 216 km�, ne comptent que 770 habitants.

2.1 Les origines

Les habitants actuels des �les de Saint-Pierre et de Miquelon sont les descendants de Fran�ais (provinces du Pays basque, de Bretagne et de Normandie) et d’Acadiens arriv�s dans l’archipel � partir de la Conqu�te anglaise de 1763, bien que la recolonisation de l'archipel ne soit dat�e que de 1816. En r�alit�, les Saint-Pierrais d’origine acadienne constituent la souche la plus ancienne de la population, m�me s'ils sont aujourd’hui minoritaires dans l’archipel. L’histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon est l� pour nous rappeler la pr�sence ancienne des Acadiens � travers les d�portations successives et les nombreux rapatriements qu’ils ont subis.

Quant aux descendants d�origine basque qui habitent encore l�archipel, ils ont perdu leur langue depuis de nombreuses d�cennies. D�apr�s certains t�moignages, il semble que plusieurs d�entre eux parlaient encore le basque jusqu’au d�but du XXe si�cle. La plupart des Basques qui se sont �tablis dans l’archipel devaient sans doute parler le labourdin �tant donn� qu’ils venaient de la province basque du Labourd (en basque: Lapurdi).

Enfin, pour ce qui est des descendants bretons et normands, ils ont vite adopt� le fran�ais, comme le firent d’ailleurs tous les colons �tablis en Nouvelle-France au XVIIe et au XVIIIe si�cles. Cependant, plusieurs centaines de Normands sont aussi venus s'�tablir lors d'une vague plus tardive au XIXe si�cle; ils venaient majoritairement de la r�gion de la baie du Mont-Saint-Michel, ainsi que des villes de Grandville et d'Avranches. Aujourd’hui, m�me si l’accent des habitants de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon semble s’apparenter parfois � celui des Acadiens et des Normands, les Saint-Pierrais et les Miquelonnais parlent un fran�ais qui n’a rien � envier � celui de la M�tropole.

2.1 La langue parl�e aujourd'hui

Bien que les habitants de ce petit archipel fran�ais soit situ� en Am�rique du Nord, ils ne parlent pas le fran�ais des Qu�b�cois ni celui des Acadiens. D'une part, l'origine des uns et des autres diff�rent sensiblement, mais les Saint-Pierrais ont n�anmoins conserv� une certaine filiation � la fois bretonne, basque, normande, acadienne, parisienne, anglaise et irlandaise.  En somme, les locuteurs de l'archipel parlent un fran�ais assez proche du parisien avec des particularit�s locales. Par comparaison avec les Qu�b�cois et les Acadiens, les Saint-Pierrais n'on conserv� qu'un nombre restreint d�archa�smes, de dialectalismes et d'anglicismes. Parmi les particularit�s saint-pierraises, on note un certain vocabulaire d'origine maritime:

- embarquer dans son lit = �se coucher�;

- embarquer en voiture ou d�barquer de l�auto = monter, descendre;

- amarrer = attacher�: amarrer ses chaussures; amarrer une vache dans un pr�;

- chavirer un champ = labourer

- d�bouquer d�une vall�e = �sortir � l�improviste�;

- mouiller = s�arr�ter (≠ jeter l�ancre);

- larguer = laisser partir: larguer une vache dans un champ;

- arrimer = ranger : arrimer des bosses de sucre;

Voici quelques autres exemples:

Particularit�s locales

 

pile (�tas�) : une pile de foin, une pile de morues;

balle (�botte�) : une balle de foin;

ravager (�cueillir�) : aller ravager des fraises;

po�le de cuisine (fourneau�);

tremp�-mouill� = �tre surpris par une grosse averse;

il n�y a pas de presse = �vous avez tout votre temps�;

ce n�est pas g�nant = �c�est bien�, �c�est entendu�;

tout de suite (≠ imm�diatement) > �maintenant�, �en ce moment�: il neige tout de suite, je vais bien tout de suite;

coup de poudrin = poudrerie (au Qu�bec).

Mots emprunt�s

Aux Canadiens:

catin (�poup�e�); se greyer (�se munir�), bord�e (�forte chute de neige�), garrocher (�lancer�), etc.

 

Aux Acadiens:

cr�mi (�glace marine, sans coh�sion�), d�gelis (�d�gel local�), neige basque (�qui tombe en gros flocons�), le temps se graisse (�se g�te�), pilot de neige (�banc de neige�),

 

Aux Anglais:

truck (�camion�), plug (�fusible�), starter (�d�marreur�), poker (�tisonnier�), mop (�faubert�), smatte (�en bonne forme�), clabord (�planche en d�clin�), Chrismas (�No�l�), 

 

Aux Am�rindiens:

cacaouite (< kakaoui ) et moyac = canards migrateurs ;

 

En somme, le fran�ais saint-pierrais correspond � un fran�ais r�gional proche du fran�ais parisien, avec la pr�sence d'un petit nombre d'archa�smes, d'emprunts au fran�ais acadien et qu�b�cois, voire � l'anglais.

 

Cette diff�rence avec le fran�ais canadien ou qu�b�cois vient du fait que les populations canadienne et saint-pierraise n'ont pas la m�me origine. Les anc�tres des Canadiens actuels, qu'ils soient qu�b�cois, acadiens ou franco-ontariens, sont arriv�s en Nouvelle-France bien avant la Conqu�te de 1763; ils ont conserv� une grande partie de leurs particularit�s langagi�res de la Vieille France, notamment certaines prononciations du Grand Si�cle, parce qu'ils n'ont connu que sur le tard les changements linguistiques apport�s par la R�volution fran�aise.

 

Or, la population de Saint-Pierre-et-Miquelon tire son origine de la recolonisation fran�aise de 1816, alors que les prononciations du Grand Si�cle �taient devenues d�su�tes en France. Les Fran�ais du petit archipel saint-pierrais ont apport� avec eux les nouvelles prononciations issues de la R�volution fran�aise. Alors que les Saint-Pierrais sont arriv�s avec une prononciation fond�e sur l'usage de la bourgeoisie parisienne du XIXe si�cle, les Canadiens conservaient encore leur prononciation h�rit�e du fran�ais du XVIIe si�cle. Ce sont les Parisiens qui ont impos� la norme du fran�ais moderne. Ce faisant, l'ancien usage du �fran�ais du roy�, conserv� au Canada, a �t� r�duit au rang d'une prononciation populaire et paysanne.

 

Par ailleurs, l'anglais est une langue connue par la plupart des Saint-Pierrais adultes. C'est g�n�ralement la langue seconde langue de la majorit� de la population. Non seulement cette langue est utile dans le secteur du tourisme, car l'archipel re�oit de nombreux touristes anglophones canadiens (terre-neuviens) et am�ricains, mais les p�cheurs doivent souvent communiquer avec les p�cheurs anglophones de Terre-Neuve. De plus, la plupart des insulaires vont � Terre-Neuve pour s'approvisionner en mat�riaux de toutes sortes pour prendre l'avion � St. John's ou Gander.

3 Donn�es historiques

Longtemps avant l'arriv�e des Europ�ens, les �les de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon avaient �t� habit�es par des populations am�rindiennes, les B�othuks. Nous savons qu'ils habitaient l'�le de Terre-Neuve en 200 avant notre �re et qu'ils furent progressivement chass�s par les Europ�ens � partir du XVe si�cle. Les Fran�ais, pour leur part, encourag�rent leurs alli�s micmacs de Terre-Neuve � liquider les B�othuks, car les p�cheurs voulaient ainsi prot�ger leurs propri�t�s et leurs biens. Quant aux Britanniques du XVIIe si�cle, ils men�rent la vie dure aux B�othuks en se livrant � des massacres syst�matiques, afin de les refouler vers l'int�rieur des terres jusqu'� leur disparition compl�te, la derni�re B�othuk connue s'�tant �teinte en 1829 � St. John's de Terre-Neuve.

Avant toute exploration officielle, des p�cheurs bretons et normands s’�tablirent vers 1504 sur une base saisonni�re � Saint-Pierre et vinrent p�cher dans les eaux de Terre-Neuve o� la morue �tait abondante; des Basques sont venus chasser la baleine sur les bancs de Terre-Neuve � la m�me �poque. Mais c’est le navigateur portugais Jo�o Alvares Fagundes (ou Jos� Alvarez Faguendes) qui, apr�s avoir abord� les c�tes de la Nouvelle-�cosse, le golfe Saint-Laurent et la c�te sud de Terre-Neuve, d�couvrit officiellement, le 21 octobre 1520, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon qu’il appela alors l’�le des Onze Mille Vierges (Ilhas do Arcepelleguo das Onze Mil Virgens) en souvenir d�une l�gende attribu�e � sainte Ursule et � ses compagnes.

Les Portugais conserv�rent tr�s peu longtemps ces �les qui, d’ailleurs, ne gard�rent pas leur nom originel (�archipel des Onze Mille Vierges�), car en 1530 l'appellation des �les de Saint-Pierre fit son apparition sur les cartes marines.

3.1 Une possession fran�aise

L’archipel passa rapidement sous souverainet� fran�aise lorsque, le 5 juin 1536, Jacques Cartier y aborda avec deux bateaux, la Grande Hermine et l'�m�rillon, au retour de son second voyage au Canada. Il y s�journa six jours et constata la pr�sence de plusieurs navires �tant de France que de Bretagne�. Il profita de son s�jour pour en prendre officiellement possession au nom de Fran�ois Ier, roi de France. Cartier �crivit en 1536:

Nous fumes ausdictes yles sainct Pierre, o� trouvasmes plusieurs navires, tant de France que de Bretaigne, depuis le jour sainct Bernab�, XIe de juing, jusques au XVIe jour dudict moys, que appareillasmes desdictes ysles sainct Pierre et vynmes au cap de Raze.

Ce n'est pas Jacques Cartier qui avait nomm� ainsi l'�le Saint-Pierre, car il n'avait fait que reprendre une d�nomination d�j� connue sur des cartes de 1530. Dans les ann�es qui suivirent, les pr�cheurs basques et malouins utilis�rent les d�nominations isle de sainct Pierre et isle de Miquet� ou Miclon ou Miquelu (plus tard: Miquelon) pour d�signer l'archipel.

Pour sa part, il semble que le mot Miquelon ait une origine basque espagnole, puisque San Miguel (saint Michel ou Micha�l) est le patron des Basques espagnols. D'ailleurs, Samuel de Champlain employa en 1612 les d�nominations de �ile Miquelon-Langlade� et de �ille aux basques�. Selon cette th�orie, le nom de San Miguel aurait �t� modifi� successivement en Micqueto, Micquelle, Micklon, Miclon, Miquelo, Miquetongo, Micquelu, Miquellon, Milchon, Maquelon et enfin Miquelon.

Enfin, le toponyme Langlade ne proviendrait aucunement du nom du chevalier fran�ais Charles Michel de Langlade, qui v�cut de 1729 � 1801 et effectua de longs s�jours au Canada et aux �tats-Unis. Le mot Langlade est plut�t un d�riv� d'un autre toponyme correspondant jadis au �cap d'Angleterre� ou England (selon une carte de Denis de Rotis, dat�e de 1674) ou encore �cap de Langlais� ou Langlois (selon une carte de Belleorme, dat�e de 1694). Le terme se serait progressivement modifi� en �Langland�, puis �Langlade� � la fran�aise. D'ailleurs, des cartes tr�s anciennes t�moignent d'une �le baptis�e �Terra England� d�s 1610.

Cependant, c’est seulement vers 1604 que des �tablissements s�dentaires furent fond�s, dont la ville de Saint-Pierre, par des p�cheurs bretons, normands et basques. Apr�s le passage de Cartier, de nombreux Bretons, tout particuli�rement de Saint-Malo, continu�rent � utiliser Saint-Pierre comme base de p�che saisonni�re.

3.2 La colonie de Plaisance

� partir de 1650, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon fit partie de la colonie fran�aise de Plaisance. L'archipel passa sous la juridiction directe du gouverneur qui r�sidait, depuis 1662, � Plaisance. Cette colonie formait alors une entit� distincte du Canada, de l'Acadie et de la Louisiane en Nouvelle-France. Situ�e au sud-ouest de la p�ninsule d'Avalon, la ville de Plaisance (aujourd'hui Placentia) fut choisie par Louis XIV pour servir de capitale administrative pour les habitants fran�ais de l��le de Terre-Neuve, afin de ne pas laisser toute la grande �le aux Anglais. � ce moment-l�, p�cheurs fran�ais et anglais vivaient dans une certaine harmonie; les Fran�ais occupaient surtout le sud, alors que les Basques, les Normands et le Bretons s'�taient r�serv� la c�te ouest. De leur c�t�, les Anglais exploitaient la c�te est o� ils avaient fond� St John's. Le baron Louis-Armand de Lahontan (1666-1715) r�sume ainsi l'importance du port de Plaisance:

C'est le seul port de toute l'Am�rique d'o� les Fran�ois puissent tirer de la morue seche en temps de guerre, puisque les autres endroits � s�avoir Saint Pierre, l'ile Perc�e, &c sont des ports ouvers sans fortifications, si apparence d'i pouvoir en faire.

� l'apog�e de leur pr�sence � Terre-Neuve (Plaisance), soit entre 1678 et 1688, les Fran�ais (incluant les Basques) consacraient � la p�che environ 20 000 personnes (environ le quart de tous les marins de la Nouvelle-France) et quelque 300 navires, ce qui repr�sentait en gros le double de l'effort des Britanniques sur l'�le. Mais la colonie de Terre-Neuve s’av�ra d'une grande fragilit� et, malgr� tous les efforts financiers et militaires du roi, elle fut consid�r�e comme perdue d�s 1690. En fait, des probl�mes internes d'ordre �conomique, l'incomp�tence des gouverneurs fran�ais, les maigres ressources agricoles du territoire, ainsi que des tensions ethniques entre Basques, Malouins, Rochelais et Normands contribu�rent � affaiblir la colonie de Plaisance, donc du petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. La perte de Terre-Neuve en 1713 constituera la premi�re phase d'encerclement des colonies du Canada et de l'Acadie par les Britanniques.

3.3 Les chass�s-crois�s franco-britanniques

D�s la fin du XVIIe si�cle et lors de la guerre de Succession d'Espagne (1701-1713), tous les �tablissements fran�ais en Am�rique du Nord, donc celui de Saint-Pierre-et-Miquelon, connurent une situation d’instabilit� en raison des incessants conflits entre la Grande-Bretagne et la France. En effet, de 1690 � 1814, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon fut pris et repris neuf fois alternativement par les Anglais et les Fran�ais, et, � quatre reprises, il fut totalement d�vast� et tous les habitants d�port�s. Un v�ritable chass�-crois� de d�port�s, de maisons et de terres br�l�es durant un si�cle et demi pour un si minuscule territoire de 242 km� (principaut� de Monaco aujourd'hui : 1,95 km�.

Les Basques et les Malouins n'ont jamais conserv� leur langue dans l'archipel, car non seulement ils parlaient g�n�ralement le fran�ais, mais ils furent constamment d�port�s par les Anglais, ce qui excluait toute permanence de la population.

En 1697, le trait� de Ryswick (aujourd'hui Rijswijk, ville n�erlandaise de la r�gion de La Haye) mit fin � la guerre de la ligue d'Augsbourg entre Louis XIV et la Grande Alliance. Le trait� confirma la puissance de la France en Am�rique. Les Fran�ais conserv�rent donc les colonies de l'Acadie et de Plaisance � Terre-Neuve, tandis que les Anglais retrouvaient leurs anciens �tablissements dans l'�le; les Anglais retrouvaient aussi les postes de la Compagnie de la Baie d'Hudson, sauf les trois de la baie James pris par Pierre Le Moyne d'Iberville entre 1686 et 1697. L'�le de Terre-Neuve resta donc sous une double administration: anglaise au nord avec St John's, fran�aise au sud avec Plaisance. Mais les conflits entre Fran�ais et Anglais recommenc�rent de plus belle. Il y eut des attaques de la part des Fran�ais ou des Anglais presque tous les ans, sauf en 1707, entre 1702 et 1708. En 1711, la marine britannique attaqua Plaisance; bien qu'elle dispos�t de 15 b�timents, de 900 canons et de 4000 hommes, elle ne r�ussit pas � prendre la ville. Si les Fran�ais de Plaisance avaient gagn� presque toutes les batailles sur l'�le, la France avait perdu la guerre en Europe.

Puis, par le trait� d’Utrecht de 1713, la France perdait l'�le de Terre-Neuve (incluant la ville et le fort de Plaisance), les p�cheries du Labrador et l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon devenu St. Peter's Island. Elle ne conservait que l'�le du Cap-Breton rebaptis�e �le Royale pour le ravitaillement de ses escadres et de ses flottilles de p�che, ainsi que l'�le Saint-Jean (l'actuelle �le du Prince-�douard), qui devait servir de colonie agricole pour la garnison de la forteresse. La construction de la forteresse de Louisbourg ne commen�a qu'en 1719 et elle ne sera achev�e qu'en 1743, mais le gros �uvre �tait termin� en 1728. Une partie de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon fut alors d�port�e � l'�le Royale rest�e fran�aise avec l'�le Saint-Jean. Parmi les Saint-Pierrais et Miquelonnais qui v�curent l�exode de 1713, certains furent d�port�s en Nouvelle-Angleterre ou en Grande-Bretagne. Saint-Pierre devint un petit port de p�che terre-neuvien anglais. D�s la cession de Terre-Neuve � l'Angleterre, les p�cheurs anglais h�rit�rent des installations des Fran�ais et l'�le vit arriver de nombreux colons venus du sud-ouest de l'Angleterre; � partir de 1720, d'autres immigrants vinrent en grand nombre du sud-est de l'Irlande. De majoritairement fran�aise, l'�le de Terre-Neuve devint tr�s majoritairement anglo-irlandaise, y compris le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

N�anmoins, la France a pu conserver encore longtemps le droit de p�cher dans les eaux de Terre-Neuve et de s�cher la morue sur les c�tes, sans y construire d'�tablissements permanents. � partir de 1713, les activit�s des p�cheurs fran�ais furent limit�es � ce qu'on appellera plus tard le "French Shore", c'est-�-dire la c�te nord de l'�le, entre Bonavista et jusqu'� la pointe Riche � l'ouest. Le trait� de Paris de 1763 agrandira la zone de p�che en incluant l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon comme point de ravitaillement.

En 1783, le trait� de Versailles allait entra�ner d'autres modifications de la zone de p�che fran�aise. Le "French Shore" s'�tendrait d�sormais entre le cap St John et le cap Ray, et les droits des Fran�ais sur cette zone seraient inscrits dans une d�claration. En 1904, les droits de p�che fran�ais allaient �tre furent d�finitivement abolis.

Apr�s la d�faite des Plaines d’Abraham � Qu�bec en 1759 et la fin de la guerre de Sept Ans en Europe (1763), la France perdit toutes ses colonies d’Am�rique du Nord, mais r�cup�ra le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui avait �t� perdu lors du trait� d’Utrecht (1713). La France r�ussit � conserver ses privil�ges sur le �French Shore� terre-neuvien, tout en utilisant Saint-Pierre comme base des op�rations pour maintenir son lucratif commerce sur de vastes secteurs de la c�te de Terre-Neuve.

Par le trait� de Paris de 1763, c’est le secr�taire d’�tat aux Affaires �trang�res, le duc de Choiseul, qui avait r�ussi � obtenir, en guise de �d�dommagement� de la part du gouvernement britannique, la restitution des deux petites �les au sud de Terre-Neuve. Apr�s de longues n�gociations, la Grande-Bretagne accepta la restitution de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon � certaines conditions. Voici les clauses des articles 5 et 6 du trait� (en version originale fran�aise):

Article 5

Les Sujets de la France auront la Libert� de la P�che, & de la Secherie, sur une Partie des C�tes de l'Isle de Terre-Neuve, telle qu'elle est specifi�e par l'Article 13. du Trait� d'Utrecht [...] Et Sa Majest� Britannique consent de laisser aux Sujets du Roy Tr�s Chretien la Libert� de p�cher dans le Golphe St Laurent, � Condition que les Sujets de la France n'exercent la dite P�che, qu'� la Distance de trois Lieues de toutes les C�tes appartenantes � la Grande Bretagne, soit celles du Continent, soit celles des Isles situ�es dans le dit Golphe St Laurent.[...]

Article 6

Le Roy de la Grande Bretagne cede les Isles de St Pierre & de Miquelon, en toute Propriet�, � Sa Majest� Tr�s Chretienne, pour servir d'Abri aux P�cheurs Fran�ois; Et Sa dite Majest� Tr�s Chretienne s'oblige � ne point fortifier les dites Isles, � n'y �tablir que des Batimens civils pour la Commodit� de la P�che, & � n'y entretenir qu'une Garde de cinquante Hommes pour la Police.

Cependant, les d�clarations annex�es au trait� et pr�sent�es dans un langage ambigu allaient entra�ner d'autres conflits dans les ann�es ult�rieures.
 

D�s 1763, quelque 800 Acadiens victimes du �Grand D�rangement� (d�portation) de 1755 vinrent trouver refuge dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et s’install�rent pour la plupart � Miquelon. Certains Acadiens de la Nouvelle-�cosse avaient �t� d�port�s en Virginie en 1755, exp�di�s en Angleterre en 1756, puis dirig�s vers la France en 1763 avant de venir s'installer dans le petit archipel fran�ais. En 1767, le gouvernement fran�ais rapatria les Acadiens en France sous pr�texte que les ressources des �les ne suffisaient pas pour subvenir aux besoins des nouveaux habitants. D�s l'ann�e suivante, le gouvernement fran�ais changea d�avis et les renvoya � Saint-Pierre-et-Miquelon.

Pour une seconde fois depuis le trait� d'Utrecht, la France conserva ses droits de p�che sur les c�tes terre-neuviennes.

Par ailleurs, l’opinion publique britannique a longtemps reproch� � son gouvernement d’avoir c�d�, malgr� la d�faite fran�aise de 1760, ce minuscule territoire en Am�rique du Nord, ainsi que des droits de p�che jug�s trop consid�rables dans des eaux territoriales �anglaises� r�put�es comme les plus poissonneuses du monde.

Au moment de la guerre de l’Ind�pendance am�ricaine (1775-1782), la France prit parti pour les Am�ricains, ce qui justifia une nouvelle invasion britannique, par repr�sailles. En 1778, une escadre anglaise dirig�e par l’amiral anglais John Montagu� s'empara des �les de Saint-Pierre-et-Miquelon, d�truisit toutes les installations de l�archipel et d�porta tous les habitants (au nombre d�environ 1300) vers la France. Par voie de cons�quence, les malheureux Acadiens furent � nouveau d�port�s vers la France; ils s�install�rent sur le long du littoral atlantique.

Quelques ann�es plus tard, le trait� de Versailles de 1783 restitua l’archipel � la France et quelque 600 Acadiens retourn�rent � Saint-Pierre...  pour peu de temps. Les droits de p�che fran�ais se poursuivirent sur presque toute la c�te nord de Terre-Neuve � partir de 1713, puis furent modifi�s en 1783 pour se restreindre sur la c�te ouest de l'�le jusqu'en 1904, avant de cesser compl�tement. 

En 1789, la R�volution fran�aise �clata. Alarm� par le sort r�serv� au clerg� fran�ais, le missionnaire Jean-Baptiste Allain d�cida d'�migrer aux �les de la Madeleine (dans la province de Qu�bec) avec de nombreux paroissiens. Le 14 mai 1793, les Anglais dirig�s par l�amiral King attaqu�rent � nouveau l�archipel. Les Fran�ais durent capituler et la population de 1200 habitants, dont forc�ment tous les Acadiens, fut encore une fois d�port�e, d’abord en Nouvelle-�cosse (Halifax), aux �les Anglo-Normandes et en Angleterre, puis partiellement rapatri�e en France. Saint-Pierre redevint un petit port de p�che � la fois terre-neuvien et anglais, car les Britanniques s’install�rent une nouvelle fois en lieu et place des Fran�ais. 
 

En 1796, en guise de repr�sailles, l’amiral fran�ais Joseph de Rich�rye reprit l’archipel, chassa lui aussi les occupants � anglais cette fois-l� � et d�truisit toutes les installations des p�cheurs. Pendant une vingtaine d’ann�es, seuls les oiseaux et les mammif�res sauvages habit�rent pacifiquement le petit archipel.

� l'article 15, le trait� d’Amiens (1802) rendait Saint-Pierre-et-Miquelon � la France:

AU NOM DU PEUPLE FRAN�AIS, BONAPARTE, premier Consul, PROCLAME loi de la R�publique le d�cret suivant, rendu par le Corps l�gislatif le 30 flor�al an X, conform�ment � la proposition faite par le Gouvernement le 16 du m�me mois], communiqu�e au Tribunat le lendemain.

XV.
Les p�cheries sur les c�tes de Terre-Neuve, des �les adjacentes, et dans le golfe de Saint-Laurent, sont remises sur le m�me pied o� elles �taient avant la guerre.
Les p�cheurs fran�ais de Terre-Neuve, et les habitans des �les Saint-Pierre et Miquelon, pourront couper les bois qui leur seront n�cessaires, dans les baies de Fortune et du D�sespoir, pendant la premi�re ann�e, � compter de la notification du pr�sent trait�.

Toutefois, la France perdit � nouveau son archipel en 1803, parce que la Grande-Bretagne �tait en guerre contre la France de Napol�on. Apr�s la d�faite de Waterloo de juin 1815, les diplomates fran�ais r�ussirent � faire inclure, dans les clauses du second trait� de Paris de 1815, la r�trocession � d�finitive? � � la France des �les de Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, le second trait� de Paris, dat� du 20 novembre 1815 et motiv� par la r�surgence napol�onienne des Cent Jours, aggrava pour la France les conditions du trait� du 31 mai 1814 (premier trait�), car l'article 1er indiquait que, sauf stipulation contraire, �les fronti�res de la France seront telles qu'elles �taient en 1790�. Au cinqui�me alin�a, on lit le texte suivant : �Tous les territoires et districts enclav�s dans les limites du territoire fran�ais, telles qu'elles ont �t� d�termin�es par le pr�sent article, resteront r�unis � la France.� En ce qui concerne les colonies, les territoires sont compos�s notamment de la Martinique, de la Guadeloupe et ses d�pendances (la Marie-Galante, la D�sirade, les Saintes et la partie fran�aise de Saint-Martin), de la Guyane fran�aise, de l'�le de La R�union et des �les de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Nombre de fois P�riode Nombre d'ann�es R�gime
 1 1604-1713  109 France
2 1713-1763   50 Grande-Bretagne
3 1763-1778   25 France
4 1778-1783    5 Grande-Bretagne
5 1783-1793   10 France
6 1793-1796     2 Grande-Bretagne
7 1696-1802     6 Inoccup�
8 1802-1803     1 France
9 1803-1816   13 Grande-Bretagne
10 1816- - France

En juin 1816, les anciens colons et leurs familles revinrent s�installer dans l�archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais ils d�barqu�rent sur �une terre aussi nue qu�au jour de sa d�couverte�, car tout avait �t� ras� par les Britanniques. On peut donc affirmer que la population actuelle de Saint-Pierre-et-Miquelon tire son origine de la recolonisation de 1816 et que les Acadiens constituent la souche de la population la plus ancienne.

Il faut toutefois pr�ciser que les Acadiens de l��le de Saint-Pierre sont issus des Acadiens install�s dans la colonie de Terre-Neuve, plus pr�cis�ment de la �capitale fran�aise� de Plaisance. Ces Acadiens se sont r�fugi�s � Louisbourg en 1713 avant de parvenir � Saint-Pierre en 1758. Quant aux Acadiens de Miquelon, ils sont surtout originaires de Beaubassin et de Beaus�jour, en Nouvelle-�cosse. On peut aussi affirmer que les Acadiens des �les Saint-Pierre-et-Miquelon furent ceux qui ont subi le plus grand nombre de d�portations: en effet, par quatre fois, ils ont �t� d�log�s.

3.4 Une petite colonie d�finitivement fran�aise

Depuis cette �poque, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est toujours rest� sous juridiction fran�aise, mais les destructions dans l’archipel continu�rent autrement. En effet, � trois reprises, soit en 1844, en 1865 et en 1867, de graves incendies an�antirent chaque fois soit une partie soit la quasi-totalit� de la ville de Saint-Pierre. Bref, la colonisation fran�aise sur ce petit archipel n’aura jamais �t� facile, car � plusieurs reprises dans le pass� les colons fran�ais n’ont trouv� que �le vide et le d�sert�. ï¿½ cela s’ajoute le fait que l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon s’est fr�quemment trouv� dans un environnement hostile puisque les p�cheurs de Terre-Neuve ont souvent contest� les droits de p�che fran�ais en arr�tant les p�cheurs saint-pierrais et miquelonnais, et en confisquant leurs chaloupes.

En 1783, le trait� de Versailles avait entra�n� des modifications dans la zone de p�che fran�aise. La France, alli�e des �tats-Unis, avait obtenu que le "French Shore" s'�tende d�sormais entre le cap St John et le cap Ray, et les droits des Fran�ais sur cette zone devaient �tre inscrits dans une d�claration. L'article 5 du trait� de Versailles de 1783 modifiait la zone de p�che, alors que l'article 6 c�dait en toute propri�t� les �les de Saint-Pierre et de Miquelon au roi de France :

Article 5

[Le roi de France] pour pr�venir les querelles qui ont eu lieu jusqu'� pr�sent entre les deux nations [�], consent � renoncer au droit de p�che [�] depuis le cap de Bonavista jusqu'au cap Saint-Jean [�] et [le roi de Grande-Bretagne] consent de son c�t� que la p�che [�] s'�tende jusqu'� l'endroit appel� Cap Ray [�].

Article 6
 

De son c�t�, la D�claration du roi de Grande-Bretagne pr�cisait ce qui suit:

[�] S. M. le Roi de Grande-Bretagne prendra les mesures les plus positives pour emp�cher ses sujets d'interrompre de quelque fa�on que ce soit leur concurrence, la p�che des Fran�ais (�) et, � cette fin, demandera � ce qu'on retire les �tablissements fixes qui s'y sont install�s [�].

L'article 13 du trait� d'Utrecht, et la fa�on de pratiquer la p�che reconnue de tout temps devra �tre le plan selon lequel la p�che sera pratiqu�e � cet endroit, et ne devra pas �tre modifi�e par l'une ou l'autre des parties [�].

S. M. le Roi de Grande-Bretagne, en c�dant les �les de Saint-Pierre et Miquelon � la France, les consid�re c�d�es aux fins d'abri pour les p�cheurs fran�ais, et en pleine confiance que ces possessions ne deviendront pas motif de jalousie entre les deux nations [�].

Pour les Fran�ais, la d�claration signifiait que la Grande-Bretagne avait accept�, sans l'affirmer en toutes lettres, le principe d'une p�che c�ti�re exclusive, et avait c�d� les �les de Saint-Pierre et de Miquelon sans aucune condition. Mais pour les Anglais, il importait que la p�che c�ti�re exclusive ne soit pas reconnue formellement, tandis que le texte imposait comme condition que les �les de Saint-Pierre et de Miquelon ne pourraient jamais constituer une menace pour les int�r�ts britanniques. Au cours du si�cle qui allait suivre, les trait�s entre la France et la Grande-Bretagne suscit�rent de nombreux conflits entre les gouvernements de France, du Royaume-Uni et de Terre-Neuve.

� partir de 1892, l'�le aux Marins (alors ��le aux Chiens� jusqu'en 1931) fut �rig�e en municipalit� et disposa d'une mairie, d'une �glise, d'un phare, d'�coles primaires, de lavoirs, de s�choirs, de monument aux morts, etc. On y d�nombrait une population d'environ 700 habitants et de quelque 150 b�timents.

En 1904, la France finit par perdre ses droits d'employer les rivages de la c�te ouest de Terre-Neuve, le French Shore, en vertu d'une �entente cordiale�, qui permettait � la France de conserver seulement le droit de p�cher dans les eaux terre-neuviennes, situ�es entre le cap St John et le cap Ray. Autrement dit, les p�cheurs fran�ais conservaient le droit de p�cher concurremment entre les m�mes limites, mais n'�taient plus autoris�s � accoster ou � utiliser la c�te. Voici les articles 1 et 2 de la Convention anglo-fran�aise sur la p�che � Terre-Neuve de 1904:

Article 1er

La France renonce aux privil�ges � elle consentis en vertu de l'article 13 du trait� d'Utrecht, tels que confirm�s et modifi�s par les dispositions ult�rieures.

Article 2

La France conserve pour ses ressortissants, sur un pied d'�galit� avec les sujets britanniques, le droit de p�cher dans les eaux territoriales de la partie de la c�te de Terre-Neuve situ�e entre le cap St. John et le cap Ray [�], ce droit devant �tre exerc� durant la saison de p�che habituelle [�].

En r�alit�, cette �entente cordiale� du 8 avril 1904 limitait les droits de p�che des Fran�ais aux Grands Bancs et dans les eaux territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette entente allait rester en vigueur jusqu'en 1972.

La d�cennie de 1930 avait entra�n� le d�clin de l'�le aux Marins et la disparition de la petite municipalit�. La population de l'�le �migra progressivement vers l'�le Saint-Pierre, mais la derni�re �cole ne ferma qu'en 1963; le dernier habitant quitta l'�le aux Marins en 1965.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Canada voisin pr�para, avec l'accord des �tats-Unis, un projet de d�barquement pour prendre possession des �les de Saint-Pierre-et-Miquelon. Certains croyaient que des �missions radiophoniques pro-Vichy aidaient les U-Boot allemands pr�sents sur les bancs de Terre-Neuve. Toutefois, la grande prudence du premier ministre canadien, William Lyon Mackenzie King (1935-1948), ne permit pas de mettre ces plans � ex�cution.

En 1941, Charles de Gaulle demanda � l'amiral �mile Muselier de lib�rer Saint-Pierre-et-Miquelon � l'insu des autorit�s canadiennes et au grand scandale des �tats-Unis, ce qui suscita la m�fiance de Franklin Roosevelt � l'�gard du g�n�ral de Gaulle. Le 20 juillet 1967, Charles de Gaulle, alors pr�sident de la R�publique fran�aise, exprima sa reconnaissance aux insulaires en faisant escale, sur le croiseur Le Colbert, � Saint-Pierre, avant de poursuivre son voyage vers Qu�bec (le 23 juillet) et Montr�al (le lendemain) o� il prononcera son c�l�bre �Vive le Qu�bec libre�.

Seize ans plus (1982), tard, Fran�ois Mitterrand deviendra le second pr�sident de la R�publique � visiter l'archipel. Le 7 septembre 1999, ce fut le tour de Jacques Chirac de se rendre � Saint-Pierre-et-Miquelon en tant que pr�sident de la R�publique, puis Fran�ois Hollande en 2014.

Les habitants de Saint-Pierre, en grande partie, ont aujourd'hui d�laiss� la p�che; c'est maintenant la fonction publique qui occupe la plupart des Saint-Pierrais. Sur une population de quelque 6000 habitants, pr�s de 60 % des gens travaillent d'une fa�on ou de l'autre pour la fonction publique. Les fonctionnaires fran�ais qui acceptent de quitter la France pour venir travailler dans l'archipel voient leur salaire major� de 70 % pour la dur�e de leur contrat.

3.4 Un d�partement fran�ais d’outre-mer

En 1976, l’archipel obtint le statut de d�partement fran�ais d’outre-mer. Par la loi du 17 juillet 1976, Saint-Pierre-et-Miquelon passa du statut territorial fix� par le d�cret d'octobre 1946 et par la loi-cadre dite Gaston Deferre de 1956-1957, � celui de d�partement d'outre-mer. Con�u comme une �promotion� symbolique et comme une affirmation vis-�-vis du Canada, ce nouveau statut fut mal accueilli dans l’archipel, notamment parce que l’instauration d’une sorte de �cordon douanier europ�en� perturba l'�conomie locale qui ne pouvait plus fonctionner librement avec l’Am�rique du Nord, et contribua ainsi � augmenter le co�t de la vie. La M�tropole permit certaines d�rogations en ce qui a trait aux �changes commerciaux avec l'Am�rique (Canada et �tats-Unis), mais il aurait fallu tellement de concessions que la d�partementalisation s’av�ra un �chec.

� partir de 1977, un long conflit opposa le Canada et la France au sujet des 200 milles marins que r�clamaient les deux pays autour de leurs c�tes. Le tout se termina le 10 juin 1992 lorsque, dans un jugement sans appel (sentence arbitrale), la Cour internationale de justice de La Haye accorda � Saint-Pierre-et-Miquelon un couloir de 12 milles marins de largeur et de 200 milles marins de longueur orient� en direction nord-sud (voir la carte). Enfin, en 1985, Saint-Pierre-et-Miquelon obtint le statut de collectivit� territoriale de la R�publique fran�aise.

4 La collectivit� d'outre-mer

En France, les lois dites de d�centralisation (loi du 2 mars 1982) ont instaur� une nouvelle r�partition des comp�tences entre l’�tat et l’organisation territoriale. Cette �organisation territoriale� repose principalement sur trois niveaux d'administration: la commune, le d�partement et la r�gion. Sur le plan juridique, une collectivit� territoriale est une personne morale de droit public (avec une d�nomination, un territoire, un budget, du personnel, etc.), disposant de comp�tences propres et d'une certaine autonomie par rapport au pouvoir central. Autrement dit, commune, d�partement et r�gion disposent d'une libert� d'administration dans le cadre des lois de la R�publique qui d�l�gue des pouvoirs de d�cision � des �lus afin qu'ils administrent eux-m�mes les communes, le d�partement ou la r�gion. Quant aux collectivit�s territoriales, elles disposent d’une plus large autonomie de d�cision, notamment les collectivit�s territoriales � statut particulier comme Paris, Marseille, Lyon, mais aussi l’�le de Corse, l’�le Mayotte et l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Dans ce dernier cas, c’est la loi du 11 juin 1985 qui �rigea Saint-Pierre-et-Miquelon au statut de collectivit� territoriale de la R�publique fran�aise. Le gouvernement fran�ais l�galisa officiellement l'autonomie fiscale et douani�re, et �largit encore certaines comp�tences. Depuis, l'archipel est dot� d'un Conseil g�n�ral de 19 membres �lus: Miquelon-Langlade �lit quatre conseillers et Saint-Pierre, quinze. Le Conseil g�n�ral, qui est assist� d'un comit� �conomique et social, a des comp�tences propres en mati�re fiscale et douani�re ainsi qu’en mati�re d'urbanisme et de logement.

En 2003, Saint-Pierre-et-Miquelon devint une collectivit� d'outre-mer. Les collectivit�s d�outre-mer (COM) sont une cr�ation de la r�vision constitutionnelle du 28 mars 2003. R�gies par l�article 74 de la Constitution, elles sont destin�es � remplacer les anciens territoires d�outre-mer (TOM). Celle de Saint-Pierre-et-Miquelon compte deux municipalit�s: Saint-Pierre et Miquelon-Langlade. L'archipel est repr�sent� par un d�put�, un s�nateur et un conseiller au Conseil �conomique et social; le pr�fet r�side � Saint-Pierre. Quant � l'administration judiciaire, elle comprend un tribunal sup�rieur d'appel, un tribunal de premi�re instance et un conseil de contentieux administratif.

5 Une politique linguistique de non-intervention

L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est � la fois un d�partement fran�ais et une collectivit� territoriale � statut particulier. Par rapport � la France, seules certaines adaptations ont �t� pr�vues par la loi du 11 juin 1985. Cependant, celles-ci ne concernent pas la langue puisque les habitants de l’archipel parlent le fran�ais. Cela �tant dit, Saint-Pierre-et-Miquelon fait partie de la France et la politique linguistique qui y est appliqu�e tient compte de cette r�alit� juridique incontournable. En vertu de l’article 2 de la Constitution, le fran�ais demeure la langue officielle de Saint-Pierre-et-Miquelon: �La langue de la R�publique est le fran�ais.� Dans les faits, c’est la politique du laisser-faire que l’on pratique dans l’archipel puisque aucune intervention n’est n�cessaire.

5.1 L'administration

Toute l'administration locale fonctionne uniquement en fran�ais. Les tribunaux ne proc�dent �galement qu’en fran�ais. Il en est de m�me pour le Conseil g�n�ral, le Comit� �conomique et social, la gendarmerie nationale, les commerces, les loisirs, la radiot�l�vision, etc. Le Centre hospitalier Fran�ois-Dunan de Saint-Pierre ne pouvant couvrir tous les besoins et les sp�cialit�s, un accord a �t� conclu entre la Caisse de pr�voyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon et des h�pitaux canadiens, celui de St-John�s (Terre-Neuve et Labrador) recevant le plus de patients de l'archipel; les services ne sont pas toujours en fran�ais.

5.2 L'�ducation

L'enseignement � Saint-Pierre-et-Miquelon est le m�me qu'en France (m�tropole) et suit un calendrier identique. D’apr�s les donn�es du Secr�tariat d’�tat � l’outre-mer du gouvernement fran�ais, les effectifs s'�l�veraient � 1506 �l�ves et recevaient un enseignement exclusivement fran�ais, sauf pour les cours de langues �trang�res (anglais). Les �tablissements publics de l'archipel se composent de quatre �coles primaires, d'un coll�ge avec une annexe � Miquelon, d'un lyc�e d'�tat et d'un lyc�e professionnel � Saint-Pierre. L'enseignement priv�, sous contrat d'association avec l'�tat, compte quatre �coles primaires et un coll�ge avec une section technique. En 2016, on comptait quelque 1300 �l�ves scolaris�s.

Pour les �tudes sup�rieures, les jeunes se rendent en France; il existe un syst�me de bourses financ� par le Conseil g�n�ral. L'anglais est tr�s courant, et est g�n�ralement parl� comme langue seconde par la majorit� de la population : il est tr�s utile pour le secteur du tourisme, car l'archipel re�oit de nombreux touristes anglophones am�ricains et canadiens. De plus, les Saint-Pierrais ont besoin de l'anglais pour effectuer leurs liaisons a�riennes et Saint-Pierre et St John's, puis Paris.

Il faut ajouter �galement une loi adopt�e par l’Assembl�e nationale fran�aise: la Loi d'orientation pour l'outre-mer (ou loi 2000-1207 du 13 d�cembre 2000) entr�e en vigueur le 14 d�cembre 2000. Ce sont les articles 33 et 34 de cette loi qui concernent tous les DOM-TOM. � l’article 33, on apprend que �l’�tat et les collectivit�s locales encouragent le respect, la protection et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communaut�s autochtones et locales fond�es sur leurs modes de vie traditionnels et qui contribuent � la conservation du milieu naturel et l'usage durable de la diversit� biologique� et qu’� l’article 34 que �les langues r�gionales en usage dans les d�partements d'outre-mer font partie du patrimoine linguistique de la Nation� et qu’elles �b�n�ficient du renforcement des politiques en faveur des langues r�gionales afin d'en faciliter l'usage�. D’apr�s la Loi d’orientation d’outre-mer, la loi n� 51-46 du 11 janvier 1951 relative � l'enseignement des langues et dialectes locaux leur est applicable.

5.3 Les m�dias

Pour ce qui est des m�dias, ils fonctionnent en fran�ais. Saint-Pierre-et-Miquelon b�n�ficie de cinq stations de radio en fran�ais, toutes sur la bande FM (les derni�res stations en onde moyenne ont �t� converties en FM en 2004). Pour la t�l�vision, il existe une cha�ne locale: Saint-Pierre et Miquelon 1re. Les cha�nes fran�aises sont aussi accessibles: France 2, France 3, France 4, France 5, France 24 et Arte.

Le fournisseur local de t�l�communications (SPM Telecom) diffuse plusieurs stations de t�l�vision nord-am�ricaines sur son r�seau de cha�nes c�bl�es.

En ce qui a trait aux territoires d'outre-mer (DOM-TOM), le Cahier des missions et des charges de R�seau-France outre-mer (RFO) fait aussi allusion �� la promotion et � l'illustration de la langue fran�aise�. Voici ce qu'�nonce l'article 7 du d�cret no 93-535 du 27 mars 1993 portant approbation du cahier des missions et des charges de la Soci�t� nationale de programme R�seau France Outre-mer (JO-28/03/93-p.5146):

Article 7

La soci�t� contribue � la promotion et � l'illustration de la langue fran�aise dans le respect des recommandations du Conseil sup�rieur de l'audiovisuel. Elle veille � la qualit� du langage employ� dans ses programmes.

5.4 L'affichage

L'affichage commercial, bien qu'il soit limit�, est exclusivement fran�ais. En fait, c�est �la France en terre d�Am�rique�, comme le dit la publicit�. Certains �difices de l�administration publique ont conserv� une architecture d�allure m�tropolitaine. Bien s�r, les Saint-Pierrais peuvent parler en anglais aux touristes, mais leur insularit� et leur statut de collectivit� territoriale fran�aise les mettent � l�abri de toute assimilation et de toute ins�curit� linguistique.

On comprendra que les lois linguistiques fran�aises s�av�rent peu utiles dans cet archipel en raison de l�homog�n�it� linguistique des habitants et de leur insularit�. L'archipel ne dispose pas pour des raisons �conomiques de liaison directe r�guli�re, ni maritime, ni a�rienne avec la m�tropole distante de 4000 km, et ce, malgr� une nouvelle piste de 1800 m�tres pouvant recevoir de plus gros transporteurs. N�anmoins, les compagnies Air Saint-Pierre et ASL Airlines France se sont associ�es pour assurer la desserte de Saint-Pierre-et-Miquelon, au d�part de Paris-CDG durant l��t�, du 19 juin au 4 septembre. La commercialisation des vols est assur�e par Air Saint-Pierre.

Il est tout de m�me insolite qu'il n'existe presque pas de liens touristiques entre l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et le Qu�bec francophone. Il est certes possible de prendre un vol � partir de Montr�al � titre strictement individuel, mais le tarif est encore plus �lev� que celui de Montr�al-Paris aller-retour. Les vols directs entre le Canada et l'archipel ne sont possibles que pour Montr�al, Halifax et Sydney (Nouvelle-�cosse), Moncton (Nouveau-Brunswick) et St. John's (Terre-Neuve). Le nombre total annuel de passagers est d'environ 26 000, dont pr�s de 10 000 pour la seule liaison Saint-Pierre/Saint-Jean de Terre-Neuve, parce que cette ville sert de �centre urbain� pour les habitants de l'archipel. Par ailleurs, le taux de criminalit� est vraiment tr�s bas, pour ne pas dire inexistant, dans cet archipel fran�ais d'Am�rique du Nord.

Derni�re mise � jour: 09 f�vr. 2025

Bibliographie

BONIN, Henriette. Saint-Pierre-et-Miquelon, Montr�al, �ditions Lem�ac, 1970, 127 p.

LANDRY, Nicolas. Plaisance - Terre-Neuve 1650-1713, Qu�bec, Les �ditions du Septentrion, 2008, 406 p.

LEHUENEN, Joseph. Le r�le des p�cheurs morutiers basques, bretons et normands dans la d�couverte de l'Am�rique du Nord, du XVIe � la fin du XVIIIe si�cle, Congr�s de Rome, 8 octobre 1981,
[http://209.205.50.254/encyspmweb/musee/lehuenen.html].

POIRIER, Michel. Les Acadiens aux �les Saint-Pierre-et-Miquelon, 1758-1828, trois d�portations, trente ann�es d'exil, Moncton, �ditions d'Acadie, 1984, 523 p.

POULET, Georges. Histoire: Saint-Pierre-et-Miquelon, Paris, Acad�mie des sciences d'outre-mer,
[http://209.205.50.254/encyspmweb/gp/].

 

 

  France (�tat)

DOM-TOM

Am�rique du Nord

La colonie fran�aise de Plaisance (1650-1713)

Bibliographie portant sur la Nouvelle-France

Accueil: am�nagement linguistique dans le monde
OSZAR »